La méchante femme mise à la raison - Уильям Шекспир 2 стр.


PREMIER SERVITEUR. Dites seulement que vous voulez chasser à courre, vos lévriers sont aussi rapides qu'un cerf en haleine; oui, plus légers que la chevrette.

SECOND SERVITEUR. Aimez-vous les tableaux? Nous allons sur-le-champ vous apporter un Adonis couché près d'un ruisseau fugitif, et une Vénus cachée dans les roseaux, qui semblent s'agiter et folâtrer sous son haleine, de même que les roseaux flexibles jouent au souffle du vent.

LE LORD. Nous vous montrerons Io, alors que vierge encore elle fut séduite et surprise, dans un tableau d'une peinture aussi vivante que l'action même.

TROISIÈME SERVITEUR. Ou Daphné, errant à travers un fourré d'épines qui déchirent ses jambes; le sang et les larmes sont peints avec tant d'art qu'on jurerait que le sang coule et que le triste Apollon pleure avec naturel et vérité.

LE LORD. Vous êtes un lord, et rien qu'un lord; vous avez une épouse plus belle qu'aucune femme de ce siècle dégénéré.

PREMIER SERVITEUR. Avant que les larmes qu'elle a versées pour vous eussent inondé son séduisant visage comme des torrents ennemis, c'était la plus belle créature de l'univers; et même encore elle ne le cède en beauté à aucune de son sexe.

SLY. Suis-je un lord? Est-il vrai que je possède une telle femme? ou bien est-ce un rêve que je fais? ou ai-je rêvé jusqu'à ce jour? Je ne dors pas; je vois, j'entends, je parle; je sens ces suaves odeurs, et mes mains sont sensibles à la douceur de ce toucher.  Sur ma vie, je suis un lord en effet, et non pas un chaudronnier, ni Christophe Sly.  Allons amenez-nous notre femme, que nous la voyions; et encore un coup, un pot de petite bière.

SECOND SERVITEUR. Plairait-il à Votre Grandeur de se laver les mains? (Les valets lui présentent une aiguière, un bassin et une serviette.) Oh! que nous sommes joyeux de voir votre raison revenue! Oh! puissiez-vous reconnaître de nouveau ce que vous êtes! Voilà quinze ans que vous êtes plongé dans un songe continuel; ou, quand vous vous éveilliez, votre veille ressemblait à votre sommeil.

SLY. Quinze ans! Par ma foi, c'est là une bonne méridienne. Mais, n'ai-je jamais parlé pendant tout ce temps?

PREMIER SERVITEUR. Oui, milord; mais des mots vagues et dénués de sens: car, quoique vous fussiez couché ici dans ce bel appartement, vous disiez toujours qu'on vous avait mis à la porte, et vous vous querelliez avec l'hôtesse du logis; et vous disiez que vous la citeriez à la cour de justice, parce qu'elle vous avait apporté des cruches de grès au lieu de bouteilles bouchées. Quelquefois vous appeliez Cécile Hacket.

SLY. Oui, la servante de la cabaretière.

TROISIÈME SERVITEUR. Allons donc, milord; vous ne connaissez ni ce cabaret, ni cette fille, ni tous ces hommes que vous nommiez,  comme Étienne Sly, et le vieux Jean Naps de Grèce, et Pierre Turf, et Henri Pimprenel, et vingt autres noms de cette sorte qui n'ont jamais existé et qu'on n'a jamais vus.

SLY. Allons, que Dieu soit loué de mon heureux rétablissement!

TOUS. Ainsi soit-il!

SLY. Je t'en remercie; va, tu n'y perdras rien.

(Entre le page déguisé en femme avec une suite.)

LE PAGE. Comment va mon noble lord?

SLY. Ma foi, je me porte à merveille, car voilà assez de bonne chère. Où est ma femme?

LE PAGE. Me voici, noble lord: que désirez-vous d'elle?

SLY. Vous êtes ma femme, et vous ne m'appelez pas votre mari? mes gens ont beau m'appeler milord, je suis votre bonhomme.

LE PAGE. Mon mari et mon lord, mon lord et mon mari; je suis votre épouse, prête à vous obéir en tout.

SLY. Je le sais bien.  Comment faut-il que je l'appelle?

LE LORD. -Madame.

SLY. Madame Lison, ou madame Jeanneton?

LE LORD. -Madame tout court: c'est le nom que les lords donnent à leurs épouses.

SLY. Madame ma femme, ils disent que j'ai rêvé et dormi plus de quinze ans entiers.

LE PAGE. Hélas! oui, et ce temps m'a paru trente ans à moi, ayant été tout ce temps éloignée de votre lit.

SLY. C'est beaucoup.  Mes gens, laissez-moi seul avec elle.  Madame, déshabillez-vous, et venez tout à l'heure vous coucher.

LE PAGE. Très-noble lord, souffrez que je vous supplie de m'excuser encore pour une ou deux nuits, ou du moins jusqu'à ce que le soleil soit couché. Vos médecins m'ont expressément recommandé de m'absenter encore de votre lit, si je ne veux m'exposer au danger de vous faire retomber dans votre maladie: j'espère que cette raison me servira d'excuse auprès de vous.

SLY. Allons, dans l'état où je suis il me sera difficile d'attendre si longtemps, mais d'un autre côté je ne voudrais pas retomber dans mes premiers rêves: ainsi, j'attendrai donc, en dépit de la chair et du sang.

(Entre un domestique.)

LE DOMESTIQUE. Les comédiens de Votre Honneur ayant été informés de votre rétablissement sont venus pour vous régaler d'une fort jolie comédie, car nos docteurs sont d'avis que ce divertissement est très-bon à votre santé, voyant que c'était un amas de mélancolie qui avait épaissi votre sang, et la mélancolie est mère de la frénésie: ainsi ils vous conseillent d'assister à la représentation d'une pièce, et d'accoutumer votre âme à la gaieté et au plaisir; remède qui prévient mille maux et prolonge la vie.

SLY. Diantre, je le veux bien; une comerdie7, n'est-ce pas une danse de Noël, ou des cabrioles?

LE PAGE. Non, mon bon seigneur, c'est d'une étoffe8 plus agréable.

SLY. Quoi! d'une étoffe de ménage?

LE PAGE. C'est une espèce d'histoire.

SLY. Allons, nous la verrons. Venez, madame ma femme; asseyez-vous à mes côtés, et laissez rouler le monde; nous ne serons jamais plus jeunes.

(Ils s'asseyent.)

FIN DU PROLOGUE

ACTE PREMIER

SCÈNE I

Padoue.  Place publique.

LUCENTIO ET TRANIO.

LUCENTIO. Tranio, conduit par le violent désir que j'avais de voir la superbe Padoue, berceau des arts, me voici arrivé dans la fertile Lombardie, le riant jardin de la grande Italie; grâce à l'affection et à la complaisance de mon père, je suis armé de son bon vouloir et de ta bonne compagnie, ô mon loyal serviteur dont l'honnêteté est à toute épreuve; respirons donc ici, et commençons heureusement un cours de sciences et d'études littéraires. Pise, renommée par ses graves citoyens, m'a donné la naissance, et Vincentio, mon père, négociant qui fait un grand commerce dans le monde, descend des Bentivolio. Il convient que le fils de Vincentio, élevé à Florence pour remplir toutes les espérances qu'on a conçues de lui, orne sa fortune d'actions vertueuses. Ainsi, Tranio, pendant le temps que je consacrerai aux études, je veux m'appliquer à la recherche de la vertu, et de cette partie de la philosophie qui traite du bonheur que la vertu donne. Déclare-moi ta pensée, car j'ai quitté Pise, et je suis venu à Padoue comme un homme altéré qui quitte une mare peu profonde pour se plonger dans de profondes eaux et étancher sa soif.

TRANIO. -Mi perdonate9, mon aimable maître; je partage vos sentiments en tout; je suis ravi de vous voir persévérer dans votre résolution de savourer les douceurs de la douce philosophie. Seulement, mon cher maître, tout en admirant la vertu et cette discipline morale, ne devenons pas des stoïques, ni des sots, je vous en prie; ne soyons pas si dévoués aux durs préceptes d'Aristote, qu'Ovide soit entièrement mis de côté. Parlez logique avec les connaissances que vous avez, et pratiquez la rhétorique dans vos conversations journalières; usez de la musique et de la poésie pour ranimer vos esprits; livrez-vous aux mathématiques et à la métaphysique, selon ce que votre estomac pourra supporter; il n'y a point de fruit dans l'étude où il n'y a point de plaisir; en un mot, mon maître, suivez le genre d'étude qui vous plaira davantage.

TRANIO. -Mi perdonate9, mon aimable maître; je partage vos sentiments en tout; je suis ravi de vous voir persévérer dans votre résolution de savourer les douceurs de la douce philosophie. Seulement, mon cher maître, tout en admirant la vertu et cette discipline morale, ne devenons pas des stoïques, ni des sots, je vous en prie; ne soyons pas si dévoués aux durs préceptes d'Aristote, qu'Ovide soit entièrement mis de côté. Parlez logique avec les connaissances que vous avez, et pratiquez la rhétorique dans vos conversations journalières; usez de la musique et de la poésie pour ranimer vos esprits; livrez-vous aux mathématiques et à la métaphysique, selon ce que votre estomac pourra supporter; il n'y a point de fruit dans l'étude où il n'y a point de plaisir; en un mot, mon maître, suivez le genre d'étude qui vous plaira davantage.

LUCENTIO. Grand merci, Tranio; tes avis sont fort sages.  Ah! Biondello, si tu étais arrivé sur ce rivage, nous pourrions faire ensemble nos préparatifs, et prendre un logement propre à recevoir les amis que le temps nous procurera dans Pise.  Mais, un moment, quelle est cette compagnie?

TRANIO. Mon maître, c'est sans doute quelque cérémonie pour nous recevoir dans la ville.

(Entre Baptista avec Catherine et Bianca, Gremio et Hortensio.)

(Lucentio et Tranio se tiennent à l'écart.)

BAPTISTA. Messieurs, ne m'importunez pas davantage; vous savez combien ma résolution est ferme et invariable: c'est de ne point donner ma cadette avant que j'aie trouvé un mari pour l'aînée. Si l'un de vous deux aime Catherine, comme je vous connais bien et que j'ai de l'amitié pour vous, je vous donne la liberté de la courtiser à votre gré.

GREMIO. Plutôt la mettre sur une charrette10 elle est trop rude pour moi. Eh bien! Hortensio, voulez-vous une femme?

CATHERINE, à son père. Je vous prie, mon père, est-ce votre volonté de me jeter à la tête de ces épouseurs?

HORTENSIO. Épouseurs, ma belle? Comment l'entendez-vous? Oh! point d'épouseurs pour vous, à moins que vous ne deveniez d'une trempe plus aimable et plus douce.

CATHERINE. En vérité, monsieur, vous n'avez que faire de craindre: je sais bien qu'on n'est pas encore à mi-chemin du coeur de Catherine. Mais, si l'on en était là, son premier soin serait de vous peigner la tête avec un banc à trois pieds, et de vous colorer la face de façon à vous travestir en fou.

HORTENSIO. De pareilles diablesses, bon Dieu, préserve-nous!

GREMIO. Et moi aussi, bon Dieu!

TRANIO, à l'écart. Silence, mon maître: voici une scène propre à nous divertir. Cette fille est une vraie folle, ou incroyablement revêche.

LUCENTIO. Mais je vois dans le silence de l'autre la douce réserve et la modestie d'une jeune fille. Taisons-nous, Tranio.

TRANIO. Bien dit, mon maître; silence, et regardez tout votre soûl.

BAPTISTA. Messieurs, pour commencer à exécuter la parole que je vous ai donnée Bianca, rentre dans la maison, et que cela ne te fâche pas, ma bonne Bianca; car je ne t'en aime pas moins, ma mignonne.

CATHERINE. La jolie petite!  Vous feriez bien mieux de lui enfoncer le doigt dans l'oeil; elle saurait pourquoi.

BIANCA. Ma soeur, contentez-vous de la peine qu'on me fait.  (A son père.) Mon père, je souscris humblement à votre volonté; mes livres et mes instruments seront ma compagnie; je les étudierai et m'exercerai seule avec eux.

LUCENTIO, à part. Écoute, Tranio, on croirait entendre parler Minerve.

HORTENSIO. Seigneur Baptista, voulez-vous donc être si bizarre? Je suis bien fâché que l'honnêteté de nos intentions soit une occasion de chagrin pour Bianca.

GREMIO. Comment? Voulez-vous donc la tenir en charte privée pour l'amour de cette furie d'enfer, et la punir de la méchante langue de sa soeur?

BAPTISTA. Messieurs, arrangez-vous; ma résolution est prise.  Rentrez, Bianca. (Bianca sort.) Et comme je sais qu'elle prend beaucoup de plaisir à la musique, aux instruments et à la poésie, je veux faire venir chez moi des maîtres en état d'instruire sa jeunesse.  Si vous, Hortensio, ou vous, seigneur Gremio, en connaissez quelqu'un, amenez-le moi; car, j'accueillerai toujours les hommes de talent, et je ne veux rien épargner pour donner une bonne éducation à mes enfants. Adieu!  Catherine, vous pouvez rester; j'ai à causer avec Bianca.

(Il sort.)

CATHERINE. Comment? mais je crois que je peux m'en aller aussi: ne le puis-je pas à mon gré? Quoi! on me fixera des heures? comme si, vraiment, je ne savais pas bien moi-même ce qu'il convient de prendre, ou de laisser. Ah!

(Elle sort.)

GREMIO. Tu peux aller trouver la femme du diable; tes qualités sont si précieuses que personne ne veut de toi. L'amour qu'elles inspirent n'est pas si ardent que nous ne puissions souffler ensemble dans nos doigts, Hortensio, et le rendre nul par l'abstinence; notre gâteau est à moitié cuit des deux côtés. Adieu! Cependant, pour l'amour que je porte à ma douce Bianca, si je peux, par quelque moyen, rencontrer l'homme qui convient pour lui montrer les arts qu'elle chérit, je le recommanderai à son père.

HORTENSIO. Et moi aussi, seigneur Gremio. Mais un mot, je vous prie. Quoique la nature de notre querelle n'ait jamais souffert les longs entretiens, apprenez aujourd'hui, sur bonne réflexion, que c'est à nous, dans la vue de pouvoir encore trouver accès auprès de notre belle maîtresse, et d'être heureux rivaux dans notre amour pour Bianca, à donner tous nos soins à une chose surtout

GREMIO. Qu'est-ce que c'est, je vous prie?

HORTENSIO. Ce que c'est? C'est de trouver un mari à sa soeur aînée.

GREMIO. Un mari? Un démon plutôt.

HORTENSIO. Je dis, moi, un mari.

GREMIO. Et moi, je dis un démon. Penses-tu, Hortensio, que, malgré toute l'opulence de son père, il y ait un homme assez fou pour épouser l'enfer?

HORTENSIO. Tout beau, Gremio. Quoiqu'il soit au-dessus de votre patience et de la mienne d'endurer ses importunes clameurs, il est, ami, dans le monde, de bons compagnons, si l'on pouvait mettre la main dessus, qui la prendraient avec tous ses défauts, et assez d'argent.

GREMIO. Je ne sais qu'en dire; mais j'aimerais mieux, moi, prendre la dot sans elle, à condition que je serais fouetté tous les matins à la grande croix du carrefour.

HORTENSIO. Ma foi, comme vous dites; il n'y a guère à choisir entre des pommes gâtées.  Mais, allons: puisque cet obstacle commun nous rend amis, notre amitié durera jusqu'au moment où, en trouvant un mari à la fille aînée de Baptista, nous procurerons à sa jeune soeur la liberté d'en recevoir un; et alors, libre à nous de recommencer la querelle.  Chère Bianca!  Que le plus heureux l'emporte! Celui qui court le plus vite, gagne la bague: qu'en dites-vous, seigneur Gremio?

GREMIO. J'en conviens, et je voudrais lui avoir déjà procuré le meilleur étalon de Padoue, pour venir lui faire sa cour, la conquérir, l'épouser, coucher avec elle, et en débarrasser la maison.  Allons, sortons.

(Gremio et Hortensio sortent.)

(Tranio s'avance.)

TRANIO. Je vous en prie, monsieur, dites-moi une chose.  Est-il possible que l'amour prenne si fort en un instant?

LUCENTIO. Oh! Tranio, jusqu'à ce que j'en eusse fait l'expérience, je ne l'avais cru ni possible, ni vraisemblable: mais vois! tandis que j'étais là oisif à regarder, l'amour m'a surpris dans mon insouciance, et maintenant j'en ferai l'aveu avec franchise, à toi, mon confident, qui m'es aussi cher et qui es aussi discret que l'était Anne pour la reine de Carthage: Tranio, je brûle, je languis, je péris, Tranio, si je ne viens pas à bout de posséder cette jeune et modeste fille. Conseille-moi, Tranio, car je sais que tu le peux: assiste-moi, Tranio, car je sais que tu le veux.

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