Boule de Suif / Пышка. Книга для чтения на французском языке - Мопассан Ги Де 4 стр.


 Voyons, vous êtes bête, quest-ce que ça vous fait ?

Elle avait lair indigné et répondit :

 Non, mon cher, il y a des moments où ces choses-là ne se font pas ; et puis, ici, ce serait une honte.

Il ne comprenait point, sans doute, et demanda pourquoi. Alors elle semporta, élevant encore le ton :

 Pourquoi ? Vous ne comprenez pas pourquoi ? Quand il y a des Prussiens dans la maison, dans la chambre à côté, peut-être ?

Il se tut. Cette pudeur patriotique de catin qui ne se laissait point caresser près de lennemi, dut réveiller en son cœur sa dignité défaillante, car, après lavoir seulement embrassée, il regagna sa porte à pas de loup[25].

Loiseau, très allumé, quitta la serrure, battit un entrechat dans sa chambre, mit son madras, souleva le drap sous lequel gisait la dure carcasse de sa compagne quil éveilla dun baiser en murmurant : « Maimes-tu, chérie ? »

Alors toute la maison devint silencieuse. Mais bientôt séleva quelque part, dans une direction indéterminée qui pouvait être la cave aussi bien que le grenier, un ronflement puissant, monotone, régulier, un bruit sourd et prolongé, avec des tremblements de chaudière sous pression. M. Follenvie dormait.

Comme on avait décidé quon partirait à huit heures le lendemain, tout le monde se trouva dans la cuisine ; mais la voiture, dont la bâche avait un toit de neige, se dressait solitaire au milieu de la cour, sans chevaux et sans conducteur. On chercha en vain celui-ci dans les écuries, dans les fourrages, dans les remises. Alors tous les hommes se résolurent à battre le pays[26] et ils sortirent. Ils se trouvèrent sur la place, avec léglise au fond, et, des deux côtés, des maisons basses où lon apercevait des soldats prussiens. Le premier quils virent épluchait des pommes de terre. Le second, plus loin, lavait la boutique du coiffeur. Un autre, barbu jusquaux yeux, embrassait un mioche qui pleurait et le berçait sur ses genoux pour tâcher de lapaiser ; et les grosses paysannes dont les hommes étaient à « larmée de la guerre », indiquaient par signes à leurs vainqueurs obéissants le travail quil fallait entreprendre : fendre du bois, tremper la soupe, moudre le café ; un deux même lavait le linge de son hôtesse, une aïeule tout impotente.

Le comte, étonné, interrogea le bedeau qui sortait du presbytère. Le vieux rat déglise lui répondit : « Oh ! ceux-là ne sont pas méchants ; cest pas des Prussiens à ce quon dit. Ils sont de plus loin ; je ne sais pas bien doù ; et ils ont tous laissé une femme et des enfants au pays ; ça ne les amuse pas, la guerre, allez ! Je suis sûr quon pleure bien aussi là-bas après les hommes ; et ça fournira une fameuse misère chez eux comme chez nous. Ici, encore, on nest pas trop malheureux pour le moment, parce quils ne font pas de mal et quils travaillent comme sils étaient dans leurs maisons. Voyez-vous, monsieur, entre pauvres gens, faut bien quon saide Cest les grands qui font la guerre. »

Cornudet, indigné de lentente cordiale établie entre les vainqueurs et les vaincus, se retira, préférant senfermer dans lauberge. Loiseau eut un mot pour rire : « Ils repeuplent. » M. Carré-Lamadon eut un mot grave : « Ils réparent. » Mais on ne trouvait pas le cocher. À la fin on le découvrit dans le café du village, attablé fraternellement avec lordonnance de lofficier. Le comte linterpella :

 Ne vous avait-on pas donné lordre datteler pour huit heures ?

 Ah ! bien oui, mais on men a donné un autre depuis.

 Lequel ?

 De ne pas atteler du tout.

 Qui vous a donné cet ordre ?

 Ma foi ! le commandant prussien.

 Pourquoi ?

 Je nen sais rien. Allez lui demander. On me défend datteler, moi je nattelle pas. Voilà.

 Cest lui-même qui vous a dit cela ?

 Non, monsieur, cest laubergiste qui ma donné lordre de sa part.

 Quand ça ?

 Hier soir, comme jallais me coucher.

Les trois hommes rentrèrent fort inquiets.

On demanda M. Follenvie, mais la servante répondit que Monsieur, à cause de son asthme, ne se levait jamais avant dix heures. Il avait même formellement défendu de le réveiller plus tôt, excepté en cas dincendie.

On voulut voir lofifcier, mais cela était impossible absolument, bien quil logeât dans lauberge, M. Follenvie seul était autorisé à lui parler pour les affaires civiles. Alors on attendit. Les femmes remontèrent dans leurs chambres, et des futilités les occupèrent.

Cornudet sinstalla sous la haute cheminée de la cuisine où flambait un grand feu. Il se fit apporter là une des petites tables du café, une canette, et il tira sa pipe qui jouissait parmi les démocrates dune considération presque égale à la sienne, comme si elle avait servi la patrie en servant à Cornudet. Cétait une superbe pipe en écume[27] admirablement culottée, aussi noire que les dents de son maître, mais parfumée, recourbée, luisante, familière à sa main, et complétant sa physionomie. Et il demeura immobile, les yeux tantôt fixés sur la flamme du foyer, tantôt sur la mousse qui couronnait sa chope ; et chaque fois quil avait bu, il passait dun air satisfait ses longs doigts maigres dans ses longs cheveux gras pendant quil humait sa moustache frangée décume.

Loiseau, sous prétexte de se dégourdir les jambes, alla placer du vin aux débitants du pays. Le comte et le manufacturier se mirent à causer politique. Ils prévoyaient lavenir de la France. Lun croyait aux dOrléans, lautre à un sauveur inconnu, un héros qui se révèlerait quand tout serait désespéré : un du Guesclin[28], une Jeanne dArc peut-être ? ou un autre Napoléon Ier ? Ah ! si le prince impérial nétait pas si jeune ! Cornudet, les écoutant, souriait en homme qui sait le mot des destinées. Sa pipe embaumait la cuisine.

Comme dix heures sonnaient, M. Follenvie parut. On linterrogea bien vite ; mais il ne put que répéter deux ou trois fois, sans une variante, ces paroles : Lofifcier ma dit comme ça : « Monsieur Follenvie, vous défendrez quon attelle demain la voiture de ces voyageurs. Je ne veux pas quils partent sans mon ordre. Vous entendez. Ça sufift. »

Alors on voulut voir lofficier. Le comte lui envoya sa carte où M. Carré-Lamadon ajouta son nom et tous ses titres. Le Prussien fit répondre quil admettrait ces deux hommes à lui parler quand il aurait déjeuné, cest-à-dire vers une heure.

Les dames reparurent et lon mangea quelque peu, malgré linquiétude. Boule de Suif semblait malade et prodigieusement troublée.

On achevait le café quand lordonnance vint chercher ces messieurs.

Loiseau se joignit aux deux premiers ; mais comme on essayait dentraîner Cornudet pour donner plus de solennité à leur démarche, il déclara fièrement quil entendait navoir jamais aucun rapport avec les Allemands ; et il se remit dans sa cheminée, demandant une autre canette.

Les trois hommes montèrent et furent introduits dans la plus belle chambre de lauberge où lofifcier les reçut, étendu dans un fauteuil, les pieds sur la cheminée, fumant une longue pipe de porcelaine, et enveloppé par une robe de chambre flamboyante, dérobée sans doute dans la demeure abandonnée de quelques bourgeois de mauvais goût. Il ne se leva pas, ne les salua pas, ne les regarda pas. Il présentait un magnifique échantillon de la goujaterie naturelle au militaire victorieux.

Au bout de quelques instants il dit enfin :

 Quest-ce que fous foulez ?

Le comte prit la parole :

 Nous désirons partir, Monsieur.

 Non.

 Oserai-je vous demander la cause de ce refus ?

 Parce que che ne feux pas.

 Je vous ferai respectueusement observer, Monsieur, que votre général en chef nous a délivré une permission de départ pour gagner Dieppe ; et je ne pense pas que nous ayons rien fait pour mériter vos rigueurs.

 Che ne feux pas foilà tout Fous poufez tescentre.

Sétant inclinés tous les trois, ils se retirèrent.

Laprès-midi fut lamentable. On ne comprenait rien à ce caprice dAllemand ; et les idées les plus singulières troublaient les têtes. Tout le monde se tenait dans la cuisine et lon discutait sans fin, imaginant des choses invraisemblables. On voulait peut-être les garder comme otages mais dans quel but ? ou les emmener prisonniers ? ou, plutôt, leur demander une rançon considérable ? À cette pensée, une panique les affola. Les plus riches étaient les plus épouvantés, se voyant déjà contraints, pour racheter leur vie, de verser des sacs pleins dor entre les mains de ce soldat insolent. Ils se creusaient la cervelle pour découvrir des mensonges acceptables, dissimuler leurs richesses, se faire passer pour pauvres, très pauvres. Loiseau enleva sa chaîne de montre et la cacha dans sa poche. La nuit qui tombait augmenta les appréhensions. La lampe fut allumée, et comme on avait encore deux heures avant le dîner, Mme Loiseau proposa une partie de trente-et-un. Ce serait une distraction. On accepta. Cornudet lui-même, ayant éteint sa pipe par politesse, y prit part.

Le comte battit les cartes donna Boule de Suif avait trente-et-un demblée[29] ; et bientôt lintérêt de la partie apaisa la crainte qui hantait les esprits. Mais Cornudet saperçut que le ménage Loiseau sentendait pour tricher.

Comme on allait se mettre à table, M. Follenvie reparut ; et, de sa voix graillonnante, il prononça : « Lofficier prussien fait demander à Mlle Élisabeth Rousset si elle na pas encore changé davis. »

Boule de Suif resta debout, toute pâle ; puis, devenant subitement cramoisie, elle eut un tel étouffement de colère quelle ne pouvait plus parler. Enfin elle éclata : « Vous lui direz à cette crapule, à ce saligaud, à cette Charogne de Prussien, que jamais je ne voudrai ; vous entendez bien, jamais, jamais, jamais. »

Le gros aubergiste sortit. Alors Boule de Suif fut entourée, interrogée, sollicitée par tout le monde de dévoiler le mystère de sa visite. Elle résista dabord ; mais lexaspération domina bientôt : « Ce quil veut ? ce quil veut ? Il veut coucher avec moi ! » cria-t-elle. Personne ne se choqua du mot, tant lindignation fut vive. Cornudet brisa sa chope en la reposant violemment sur la table. Cétait une clameur de réprobation contre ce soudard ignoble, un soufle de colère, une union de tous pour la résistance, comme si lon eût demandé à chacun une partie du sacrifice exigé delle. Le comte déclara avec dégoût que ces gens-là se conduisaient à la façon des anciens barbares. Les femmes surtout témoignèrent à Boule de Suif une commisération énergique et caressante. Les bonnes sœurs, qui ne se montraient quaux repas, avaient baissé la tête et ne disaient rien.

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