La Fille Aux Arcs-En-Ciel Interdits - Rosette 2 стр.


Je clignai, engloutie par lagitation initiale. Il aimes mettre en difficulté le personnel?

Elle devint sérieuse. Il est un homme dur, mais juste. Disons quil naime pas les lapins, et il fait tous ses efforts pour les manger dun seul coup. Le problème est que beaucoup de tigreaux se transforment en lapins en sa présence...

Elle me salua avec un sourire en abandonnant la chambre et ignorant le cyclone qui sétait niché dans ma tête et engendré par son petit discours final.

Je reviendrai à la fenêtre. La brise était disparue laissant la place à un chaud étouffant inusuel, qui était plus caractéristique du Continent que de ce territoire.

Je reportai à fatigue lesprit en stand-by, en libérant des pensées toxiques. Il était encore une page blanche, intacte, fraiche, libre de toute préoccupation.

Avec la certitude fulminante de celui qui connait soi-même, je savais que celle paix était relative, éphémère comme une empreinte sur la sable, prête à être effacée par la marée qui descend.

Laccueillance de Madame Mc Millian ne devait pas me tromper.

Elle était une simple employée, ni plus ni moins que moi-même. Elle était aimable, si on y pensait bien, qui était de mon côté, et qui mavait offert une alliance complice avec une telle spontanéité, toutefois je ne devais pas oublier que mon employeur était une autre personne. Ma permanence dans celle maison, si tant agréable et si tant différente de tout milieu que javais connu, dépendait exclusivement de lui. Ou plutôt de limpression que je lui aurais faite. Moi. Moi seulement. Je savais peu de lui pour me relaxer. Un homme seul, condamné à une captivité pire que la mort, relégué à une vie à moitié, un écrivain solitaire et avec un mauvais caractère... Daprès les allusions voilées de ma guide, il sagissait dun homme qui profitait de la mise en difficulté des personnes, peut-être quil aimait exprimer son désir de vengeance sur les autres, ne pouvant pas sen prendre à sa seule ennemie: la sorte. Aveugle, bandée, indifférente aux souffrances infligées à droite et à gauche, démocratique en quelque sorte.

Je poussais un soupir profond. Si mon séjour dans cette maison était destiné à être bref, on aurait pu même ne pas déballer les bagages. Je navais pas envie de gaspiller le temps.

Jerrai dans la chambre, encore stupéfaite. Jhésitai devant le miroir accroché au-dessus de la commode, et je regardai tristement mon visage. Mes cheveux étaient rouges, bien sûr. Je le savais seulement parce que les autres personnes me le disaient, je nétais pas capable den établir la couleur. Je vivais une vie en blanc et noir, prisonnière de moi-même comme Monsieur Mc Laine. Non pas dun fauteuil roulant, peut-être, toutefois incomplète aussi. Je glissais le doigt sur une brosse en argent, posée sur la commode avec dautres objets de toilette, un objet exquis, de valeur, mis à ma disposition avec une générosité inégalable.

Les yeux avaient couru vers la grande horloge à mur, et ils me rappelèrent, presque perfidement, le rendez-vous avec le propriétaire de la maison.

Je ne pouvais pas arriver en retard.

Non pas à notre première rencontre.

Peut être le dernier, si je ne réussissais pas... Comme il avait dit Madame Mc Millian? Ah, oui. Lui tenir tête. Un mot pour la princesse des lapins. Mon mot préféré, celui utilisé le plus fréquemment, était pardon, décliné selon les circonstances en pardon ou pardonnez-moi. Tôt ou tard jaurais demandé pardon dexister. Je redressai les épaules en un sursaut dorgueil. Jaurais vendu la peau chèrement. Je me serais gagné le droit, le plaisir, de rester dans celle maison, dans celle chambre, dans ce coin de monde.

Sur le palier, en engageant les escaliers, les épaules devenaient encore voutées, lesprit à crier, le cœur à galoper. Ma tranquillité été durée... combien? Une minute?

Presque un record.

Chapitre deuxième

Arrivée dans lentrée, je fus consciente de mon inévitable ignorance. Où il était le bureau? Comment jaurais pu le trouver, si javais réussi à grand-peine à arriver jusquà là? Avant de saffaisser dans la boue du désespoir javais été sauvée par lintervention providentielle de Madame Mc Millian, un sourire ample sur le visage émacié.

Mademoiselle Bruno, Jétais en train justement de venir à vous appeler... Elle donna un rapide regarde à la pendule à mur. Quelle ponctualité! Vous êtes vraiment une perle rare! Vous êtes sûr davoir origines italiennes, et non pas suisses? Elle seulement riait à la boutade.

Je souris poliment, en adaptant le pas au sien, tandis que je remontais les escaliers. Nous dépassâmes la porte de ma chambre de lit, dirigées apparemment au fond du couloir, vers une porte lourde.

Sans arrêter son bavardage aigu, elle frappa légèrement à la porte, trois fois, et lentrouvrit.

Je restais derrière ses épaules, les jambes tremblantes, tandis quelle passait la tête dans la chambre.

Monsieur Mc Laine... il y a Mademoiselle Bruno.

Il était temps. Vous êtes en retard. La voix sonna rude, grossière.

La gouvernante éclata en de salves de rire, habituée à la mauvaise humeur du propriétaire de la maison.

Seulement un minute monsieur. Ne pas oubliez quelle ne connait pas la maison et elle est encore perdue ici. Cest moi qui la faite arriver en retard parce que...

Faites-là passer, Millicent. Linterruption avait été brusque, presque comme un coup de cravache, et je sursautai à la place de lautre femme que, sans perdre contenance, se tourna à me regarder.

Monsieur Mc Laine vous attend Mademoiselle Bruno. Entrez, sil-vous.

La femme se déplaçait en arrière, en me faisant signe dentrer. Je lui adressai un dernier regard préoccupé. Elle, pour mencourager, me chuchota. Bonne chance.

Voilà, elle avait produit leffet contraire. Mon cerveau sétait réduit à une bouillie liquéfiée, sans aucune logique, ou de cognition du temps et de lespace.

Jhasardai un pas timide à lintérieur de la chambre. Avant de voir quoi ce soit, jentendis la voix quavant était en train de congédier quelquun.

Tu peux y aller Kyle. A demain. Sois à lheure sil te plait. Je ne tolérerais pas dautres retards.

Un homme était debout, à quelques centimètres de moi, haut et robuste. Il me regarda et esquissa un salut de la tête, dans son regard un sursaut silencieux dappréciation tandis quil me passait à côté.

Bonsoir.

Bonsoir jai répondu en retour, en le regardant plus longtemps que nécessaire pour procrastiner le moment dans lequel je me serais ridiculisée, jaurais méconnu les attentes de Madame Mc Millian, de même que mes espoirs ridicules.

La porte se ferma à mes épaules, et cela me rappela la politesse.

Bonsoir Monsieur Mc Laine. Je mappelle Mélisande Bruno, Je viens de Londres et...

Epargnez-moi la kyrielle de vos compétences Mademoiselle Bruno. Par ailleurs modestes. La voix maintenant était ennuyée.

Mes yeux se soulevèrent, prêts finalement à rencontrer ceux de mon interlocuteur. Et quand ils le firent, je remerciai le ciel de lavoir salué dabord. Puisque maintenant jaurais eu de sérieuses difficultés même à me rappeler mon nom.

Il était assis au-delà du bureau, sur le fauteuil roulant, une main allongée sur le bord, à frôler le bois, lautre qui jouait avec une stylographique, les yeux foncés fixement dans les miens, insondables. Encore une fois, la nième, jai regretté de ne pouvoir pas voir les couleurs. Jaurai donné volontiers une année de ma vie pour pouvoir distinguer les couleurs de son visage et de ses cheveux. Mais cette joie métait empêchée. Sans appel. Dans une lueur de lucidité je pensais quil était beau comme ça: le visage dune pâleur innaturel, yeux noirs, ombragés par de longs cils, les cheveux noirs, ondulés et touffus.

Vous êtes muette? Ou sourde?

Je retombai sur la terre, en précipitant dhauteurs vertigineuses. Il me sembla presque dentendre le fracas de mes membres sur le sol. Un grondement grand et sinistre, suivi par un craquement peureux et dévastant.

Excusez-moi, je me suis distraite je marmonnai, en menflammant à linstant.

Il me regarda avec une attention qui me parut exagérée. Il semblait vouloir mémoriser chaque ligne de mon visage, en sarrêtant sur ma gueule. Je rougis encore plus. Pour la première fois je désirai ardemment que mon défaut de naissance était partagé par un autre être humain. Il aurait été moins gênant penser que Monsieur Mc Laine, en sa beauté aristocratique et triomphante, ne pouvait pas remarquer la rougeur affluer violemment sur tout centimètre de peau découverte.

Je me balançais sur les pieds, mal à laise pour cet examen visuel impudemment à découvert. Il continua son analyse, en passant à mes cheveux.

Vous devriez vous teindre les cheveux. Ou les gens finiront par les confondre avec le feu. Je ne voudrais pas que vous finissiez sous lassaut de cent extincteurs . Lexpression imperscrutable sanima un peu, et une étincelle damusement brilla dans ses yeux.

Je nai pas choisi cette couleur dis-je, en collectant toute la dignité dont jétais capable. Mais le Seigneur.

Il leva un sourcil. Vous êtes religieuse, Mademoiselle Bruno?

Et vous, monsieur?

Il posa le stylo sur le bureau, sans me perdre de vue . Il nexiste aucune épreuve de lexistence de Dieu .

Néanmoins quil nexiste pas Je répondis dun ton rebelle, en surprenant dabord moi-même pour la véhémence avec laquelle je parlai.

Ses lèvres se courbèrent en un sourire moqueur, donc il mindiqua le fauteuil rembourré. Asseyez-vous. Il me donna un ordre, plus quune invitation. Toutefois jobéis à linstant.

Vous navez pas répondu à ma question, Mademoiselle Bruno. Vous êtes religieuse?

Je suis croyante, Monsieur Mc Laine je confirmai tout bas. Toutefois je ne suis pas beaucoup pratiquante. Au contraire, je ne le suis pas du tout.

LEcosse est une des seules nations anglo-saxonnes à pratiquer le catholicisme avec une ferveur et une dévotion incomparables. Son ironie était sans équivoque. Je suis lexception qui confirme la règle... On ne dit pas ça? Disons que je crois seulement à moi-même, et à celui que je peux toucher .

Il sappuya tout détendu au dossier du fauteuil roulant, en tapant sur les barreaux avec la pointe des doigts. Mais pourtant je ne pensai néanmoins pendant un millième de seconde, quil était vulnérable ou fragile. Son expression était celle de celui qui est échappé aux flammes, et quil na pas peur de se plonger encore en elles, si nécessaire. Ou simplement, sil en a envie. Je détachai à grand-peine les yeux de son visage. Il était brillant, presque nacré, un blanc lustré, divers des visages qui habituellement mentouraient. Il était épuisant le regarder, et même écouter sa voix hypnotique. Un serpent séducteur, et toute femme aurait été heureuse den subir le sortilège, le charme secret provenant de lui, de ce visage parfait, de son regard moquant.

Donc vous êtes ma nouvelle secrétaire, Mademoiselle Bruno.

Si vous voudriez confirmer mon recrutement, Monsieur Mc Laine je précisai, en soulevant le regard.

Il sourit, ambigu. Pourquoi je ne devrais pas la recruter? Parce que vous nallez pas à léglise tous les dimanches? Vous me jugez très superficiel si vous pensez que à ce point je sois capable de vous renvoyer oufaire rester ici sur la base de quelques bavardages.

Moi aussi je ne vous connais assez à formuler un jugement si peu flatteur à vos égards je convins en souriant. Toutefois je suis conscient quun rapport de travail profitable nait même dune sympathie immédiate, dune première impression favorable.

Son rire avait été si inattendu à me faire sursauter. Il séteint avec la même soudaineté qui lavait fait naitre. Il me regarda glacialement.

Vous croyez vraiment quil est facile de trouver des employées disposées à se transférer dans ce village oublié par Dieu et le monde, loin de toute occasion damusement, de tout centre commercial ou disco? Vous avez été la seule à répondre à lannonce, Mademoiselle Bruno.

Lamusement était aux aguets, derrière le gel de ses yeux. Une plaque de verglas noir, écrasée par une crevasse subtile de bonne humeur qui me réchauffa lâme.

Alors je ne me devrai pas préoccuper de la concurrence dis-je, en entrelaçant nerveusement les mains sur les genoux.

Il métudia encore, avec la même curiosité quon a en regardant un animal rare.

Javalai la salive, en faisant létalage dune désinvolture fictive et dangereusement précaire. Pendant un instant, justement le temps de formuler la pensée, je me dis que je devais échapper de celle maison, de celle chambre débordant de livres, de cet homme inquiétant et beau. Je me sentais de même quun chaton inerme, à quelque centimètre de la gueule dun lion. Prédateur cruel, proie impuissante. Donc la sensation sévanouit, et je pensai que jétais bête. Devant moi il y avait un homme de la personnalité insidieuse, arrogante et autoritaire, mais forcé il y a longtemps sur un fauteuil roulant. Jétais la proie du moment, une fille timide, peureuse et résistante aux changements. Pourquoi ne pas le laisser faire? Sil samusait de se moquer de moi, pourquoi lui empêcher la seule occasion damusement, de distraction, quil avait? Il était presque noble de mon côté, en quelque sorte.

Quest-ce que vous pensez de moi, Mademoiselle Bruno?

Encore une fois je lui forçai à répéter la question, et encore une fois je lui pris au dépourvu.

Je ne pensai pas que vous soyez si jeune .

Il se raidit à linstant, et devint silencieux, jétais craintive de lavoir blessé de quelque façon. Il se ressaisit, et il me gela avec un autre de ses sourires au chardon. Vraiment?

Je magitai sur la chaise, indécise sur comme continuer. Donc je me décidai, en battant le rappel de tout mon courage, et encouragée de son regard enchainé au mien, dans une dance muette, et non pas pour cette raison moins émotionnante, je repris à parler.

Beh... vous avez écrit votre premier livre à vingt-cinq ans, il y a quinze ans, que je sache. Et pourtant vous semblez un peu plus vieux que moi je considérai presque trop parti.

Quelle est votre âge, Mademoiselle Bruno?

Vingt-deux, monsieur répondis-je, enveloppée encore par la profondeur de ses yeux.

Je suis vraiment vieux pour toi, Mademoiselle Bruno dit-il avec un petit rire. Donc il baissa le regard, et la nuit froide retourna à lenvelopper entre ses nœuds, plus cruel quun serpent. Toute trace de chaleur disparait. Dans tout cas vous pouvez rester tranquille. Vous ne devriez craindre des harcèlements sexuels tandis que vous dormez dans votre lit. Comme vous voyez, je suis condamné à limmobilité.

Назад Дальше