ACTRICE
KEITH DIXON
Roman traduit de langlais
par Lamia L. Ishak
Copyright Keith Dixon 2016
Keith Dixon a fait valoir son droit en vertu de la Loi sur le droit dauteur, dessins, modèles et brevets de 1988, comme lauteur de cet ouvrage.
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Toute ressemblance à des personnes vivantes ou décédées est purement fortuite.
Pour tous ceux et celles qui se produisent, dans nimporte quel domaine
PREMIERE PARTIE
Fantasme ou Rêve
CHAPITRE UN
Elle navait jamais remarqué avant ce jour les pores énormes sur son nez et son menton. Plus il sapprochait, plus elle en était fascinée, elle dut détacher son regard pour ne pas les fixer.
- Mon chou, dit-il, je crois que tu nas pas encore compris. Rappelle-toi, Nina est une fille sur le point de devenir une femme. Peux-tu me jouer cela ? Peux-tu devenir une femme en étant encore une jeune fille ?
- Je comprends, dit Mai.
- Vraiment, mon chou ? Nous commençons là une grande mission. Je dois voir que tu es capable dêtre Nina. Tu as une responsabilité qui pèse lourd sur tes épaules et je dois être convaincu que tu ne me laisseras pas tomber.
- Je suis ici pour jouer la pièce, Pedro. Je connais la pièce. Je connais mon rôle. Est-ce quon peut réessayer ?
Son regard disait quil nétait pas impressionné. Mais sa bouche frémit brièvement en soumission, puis il haussa les épaules délibérément pour extérioriser ce quil ressentait. Elle se demandait si lidée denseigner venait de lui.
Les autres acteurs étaient alignés sur les côtés de la salle de lécole caduque quils utilisaient pour les répétitions. Certains fatigués lisaient des journaux ou envoyaient des texto. Un couple se parlait maintenant que Pedro donnait des instructions individuelles. Le premier jour et déjà une lassitude sétait installée. Encore un autre mois comme ça, pensa Mai, et il se pourrait que jabandonne. Ne pas arriver au soir de la première. Gros titre choc : Lactrice prometteuse meurt dennui avant louverture du spectacle.Le directeur cherche une remplaçanteenthousiaste.
Petro sétait retiré sur sa chaise. Il souleva alors la queue de sa veste crème et sassis avec lextravagance dun signe atterrissant sur une eau placide, les jambes écartées, les bras allongées sur le dos des chaises en plastique de chaque côté. Il lui fit un signe de tête.
Elle sinstalla et reprit sa tirade, sa voix sélevant dans la salle. La tirade était longue et pleine dabstractions. Elle parlait de la nature, de la vie et expliquait quelle était lâme du monde qui comprenait tout.
Pedro avait tourné la tête pour regarder par les fenêtres. Un ciel dhiver tel un rideau de plomb. Des arbres nus dans le parc, des bâtonnets squelettiques sélevant vers le haut. Lécho des voix des enfants sélançaient encore, après dix ans de la fermeture de lécole par manque dintérêt.
Elle arriva à une pause indiquée dans le texte et attendit une mesure avant de continuer. Elle sentit alors un changement dans sa voix et savait que la prochaine partie serait mieux, elle savait que sa technique retrouvait enfin le sens du paragraphe.
Pedro tourna sa tête dans sa direction et leva une main pâle. Cétait la main de stop quelle commençait à reconnaître. Il se leva et se dirigea à nouveau vers elle, ses semelles en cuir claquant sur le parquet.
- Oui, dit-il. Oui. Je vois ce que tu fais. Tu joues avec ta voix. Tu y ajoutes de limportance, un certain courage. Mais écoute-moi, cela ne marchera pas. Je connais les astuces. Et si je connais les astuces, cest que les autres les connaissent également. On ne doit utiliser aucune astuce, ici. Tu comprends ?
Mai sentait ses joues viraient au rouge. Il semblait que rien narriverait à rendre cet homme heureux. Elle nosait pas regarder les autres acteurs au cas où ils la regardaient. Elle préféra plutôt baisser les yeux et attendre quil dise quelque chose. Nimporte quoi.
Le silence sétendit jusquà ce quelle le regarda finalement, empêchant la colère dêtre divulguée par son regard. Il souriait cette fois-ci, en dévoilant ses dents aussi carrées que des pierres tombales et jaunies par le tabac. Il pensait avoir remporté une victoire.
- Tu es une fille intelligente mais tu ne mauras pas. Jai fait ça maintes fois. Tu Tu es une fille de la télévision. Tu ne sais pas ce que cest des répétitions. Tu as du talent, mais tu crois que les répétitions consiste à se trouver au bon endroit et de savoir où se trouve la caméra pour que tu lignores.
- Ce nest pas une raison pour magresser, Pedro. Parle-moi comme un être humain et je ferais ce que tu veux.
Ses petits yeux sarrondirent telles des billes.
- Il ne sagit pas de ce que je veux, Mai. Il sagit de ce nous voulons atteindre, ici, ensemble. Jai des idées et toi aussi probablement. Alors, que peut-on faire ensemble ? Dis-moi.
Quelques acteurs avaient entendu le ton de la conversation et leurs visages sétaient tournés dans leur direction. Elle sentit leur attention comme une chaleur sur son visage.
Mai avait supporté de nombreux directeurs en travaillant sur Amberside Terrace, son émission télévisée de longue durée. Elle avait appris quon ne discutait pas avec un directeur. Le mieux à faire était de ne pas les offenser. Ils passeront à autre chose et vous serez toujours là, plus usée et un peu plus cynique, mais vous rentrerez toujours chez vous avec un bulletin de salaire. Et, elle se rappela quelle était là pour apprendre, après tout.
Elle dit dune voix calme :
- Je dois réfléchir à ce que tu dis. Reprenons au début de la scène pour que je réussisse à me mettre dedans, bien la jouer.
- Ça, cest la réponse dune fille raisonnable. Daccord. Reprenons !
Il se tourna vers la troupe, maintenant attentive : Nous commençons à la première scène. Jeremy, est-ce que tu peux venir ici, sil-te-plaît ?
Mai regarda les autres acteurs, son visage complètement effacé.
A la pause-déjeuner, Lucy sétait assise à côté delle avec un sac de sandwichs. Elle les sortit et les posa sur une serviette quelle avait soigneusement dépliée sur ses genoux. Elle était de quelques années plus âgée que Mai, jolie blonde avec un teint mat quelle perdrait sûrement avant le soir de première. Elle avait lair dune personne poursuivie pour un meurtre quelle navait pas commis un air grave, si calme, en conflit avec le monde.
- Cest toujours comme ça au début, dit-elle à Mai sans la regarder. Perfectionner sa réputation. Ny fais pas attention.
Mai éplucha son orange, remit la peau dans sa boîte-déjeuner, toujours fastidieuse, sûrement dû aux gènes de sa mère.
- Je suis habituée aux hommes qui agissent comme des connards. Il ne voulait pas écouter.
- Il le fera. Il ta vu à la télé. On ta tous vu.
- Ce nest pas la même chose, non ? Dix secondes démotions une fois par mois. Le reste du temps, cest atteindre ses objectifs et réciter des lignes. Il navait pas aussi tort que ça.
Lucy simmobilisa, un sandwich à mi-chemin de sa bouche. Elle fronça les sourcils, puis se tourna vers Mai.
- Ne le laisse pas tentendre dire ça. Ne montre aucune faiblesse ou il lutilisera pour nous abattre.
- Que veux-tu dire ?
- Il tutilisera comme un exemple, se disputera avec toi au sujet de ta performance pour se mettre en colère, puis sen prendre à nous. Je lai déjà vécu.
- Et si je veux de laide ?
- Demande à lun de nous. Jai déjà travaillé avec lui. Jeremy et Linda aussi. On sait ce quil veut.
- Si cest un bâtard, pourquoi tu travailles à nouveau avec lui ?
Lucy mâcha et avala :
- A cause des critiques, idiote. Ses acteurs reçoivent toujours de bonnes critiques. On se bat avec lui comme des chats, mais on obtient tous de bonnes critiques.
Mai réfléchissait en regardant droit devant elle.
- Je peux vivre avec ça. Je dois le faire.
- Cest un risque pour toi.
- Tu peux le dire. La première fois sur une scène réelle depuis lécole.
- Tu as été courageuse de laisser tomber ton travail à la télévision. Jaurais donné mon sein gauche pour ça.
- Tu peux ten passer, mais pas moi.
Lucy sourit.
- Cest pratique parfois. Avec les bites que tu rencontres dans ce métier !
Les deux acteurs les plus âgés se levèrent au bout de la salle et sortirent pour fumer. Lun deux se retourna et mima lui tirer dessus avec le pouce. Elle ne savait pas sil était ironiquement favorable ou sil voulait dire quelle allait se faire virer.
Un ancien acteur trouvé étranglé par lattache de soutien-gorge dune actriceprometteuse. Ça pourrait arriver
Lucy dévissa le bouchon de sa bouteille de smoothie.
- Pourquoi tu fais ça ? demanda-t-elle.
- Déjeuner ?
- Non, imbécile. Jouer une vieille pièce pour un théâtre sur le point de fermer ses portes. Avec un directeur coincé dans les années soixante.
- À tentendre, ça donne vraiment envie.
- Eh bien, exactement. Je veux dire, je suis contente et tout et je suis sûre quon aura un grand public parce que tu es dedans. Mais tu dois ladmettre que cest une régression par rapport au prime-time télévisé.
Mai en avait souvent parlé avec Eric et sa mère, qui tous deux voyaient que ça ne valait pas le coup de prendre des risques.
- Je voulais maméliorer. Je mennuyais. Souvent on ouvre grands les yeux et on se dit, Tu ne penses pas ! ou, Je ne te crois pas !
- Je dis simplement que cest une voie difficile à prendre. Ils seront prêts avec des couteaux. Tu sais comment est la presse !
- Je peux tenir un combat, dit Mai. De toute façon, ils ont toujours été de mon côté depuis deux ans. Ils ne vont pas se retourner contre moi aussi vite.
Lucy vissa le bouchon de sa bouteille vide et, étrangement, la lança violemment vers Jeremy, qui leva son épaule pour se protéger et lui sourit.
- Jespère que ton agent est bon à corriger les critiques, dit-elle.
- Je continue à penser quil est bon pour quelque chose.
Comme elle lavait prévu, laprès-midi ne sétait pas mieux déroulée. Pedro passa la scène douverture pour que les autres acteurs aient une chance de faire quelque chose. Ils avaient besoin de lopportunité de se la péter, après tout. Mais, vers la fin de la journée, il renvoya tout le monde à lexception de Mai et de Jeremy. Il les réunit, les fit sasseoir sur des chaises parallèles comme un conseiller de mariage, et se mit à parler dune voix à la fois onctueuse et condescendante. Il exposa lentement son point de vue sur la relation entre les deux personnages, donnant à chacun une histoire qui nétait pas précisée dans la pièce et, Mai pensa, quil les avait inventées pour servir ses propres objectifs.
En écoutant les idées de Pedro, Mai se demandait si elle sétait trompée. Elle était allée directement de lécole à un rôle télévisé. Elle avait appris le métier sans formation réelle, aucune technique. Des conseils des directeurs et des membres anciens du casting, ainsi que plusieurs cours sur place. Et bien sûr sa mère. Geraldine Rose. Un jour célèbre, différents premiers rôles dans quelques films britanniques avant que son mari, le père de Mai, ne tombe raide mort au neuvième trou, trou coudé au par cinq. Elle a dû arrêter pour élever Mai et son frère aîné, Jake. Elle navait pas à démissionner, en fait mais elle voulait le faire. Elle narrivait pas à supporter la proximité dautres personnes, dautres acteurs. Toute cette commisération et cette pitié.
Mai ne pensait pas sérieusement au métier dacteur jusquau jour où elle remporta le rôle principal dans la version scolaire de A Streetcar Named Desire jouant le rôle Blanche Dubois à lâge de dix-sept ans. Puis elle performa au National Student Drama Festival à Scarborough où des agents lavaient repérée et sétaient battu pour elle jusquau jour où elle opta pour Eric, que sa mère connaissait depuis sa jeunesse. Ensuite deux ans dans Amberside Tarrace, à stagner.
La plupart de ce que Pedro lui disait semblait être des idioties, mais elle nen était pas sûre. On lui avait dit quelle avait toujours lair confiant, mais que malgré son air de certitude une chose lui manquait peut-être.
Elle recentra son attention dans la pièce, pendant que Pedro disait quelque chose à Jeremy sur le processus créatif. Le personnage de Jeremy était un jeune dramaturge qui avait écrit la pièce dans laquelle le personnage de Mai, une fille de la campagne sans expérience, avait le premier rôle. Pedro parlait avec la ferveur dun évangéliste, comme si lui aussi avait été un jour un jeune dramaturge ayant entreprenant une vie théâtrale. Peut-être que cétait vrai.
- Alors, mes choux, essayons encore une fois. Noubliez rien de ce que je vous ai dit. La jeunesse, linnocence, le désir de montrer au monde quune nouvelle forme artistique est née ce soir, sur cette scène.
Mai et Jeremy déplacèrent leurs chaises pour quils soient face à face, puis jouèrent le début de la scène.
Cela dura trente secondes.
- Arrêtez !
Ils se retournèrent pour voir la main de Petro en lair comme un agent de la circulation.
- Je suis désolé. Je nen peux plus. Rentrez chez vous et réfléchissez sérieusement à ce que vous avez fait aujourdhui. Peut-être quon aura de meilleures idées demain.
Il pencha son poids vers lavant à partir de la taille comme sil allait vomir sur le sol. Puis avec un soupir, il posa ses deux mains sur ses genoux et se poussa pour se relever en se retournant et séloignant sans un mot de plus.
Lorsquil quitta la pièce, Jeremy dit :
- Branleur !
Mai ramassa ses affaires.
- Il a encore du chemin à faire avant datteindre le niveau de branleur. Il est encore au stade de connard.