La Lune Dansante - Amy Blankenship 2 стр.


Malachi tressaillit, le sang coulant à flots de sa poitrine. Il ouvrit la bouche et grogna un mot à l'adresse de la petite fille.

« Cours !» réussit-il à lancer avant que sa voix ne s'éteigne dans le cri du jaguar.

Tabatha ne réfléchit pas à deux fois avant d'obéir. Elle tourna les talons et quitta la clairière sans risquer un seul regard en arrière. Elle se fichait bien de savoir où elle allait ; son seul désir était de se savoir loin, très loin, de cet homme couvert de sang qui la terrifiait.

*****

« Merci, et maintenant le journal local. Ce soir, une famille de la région a de bonnes raisons de se réjouir. Leur fille, Tabatha, a été finalement retrouvée, errant sans but dans la forêt nationale d'Angeles après avoir disparu trois jours plus tôt d'un camping à proximité de Crystal Lake, car elle voulait retrouver le chien de la famille. Apparemment, le chien s'était libéré tout seul de sa laisse et s'était enfui dans la forêt. La petite fille âgée de sept ans est partie courageusement à la recherche du chien et n'a été retrouvée que ce matin. Malheureusement, le chien n'a pas été retrouvé en même temps que l'enfant. Selon les autorités, celle-ci se trouve maintenant à l'hôpital communautaire afin de se remettre du choc subi, puisqu'il semblerait qu'elle ait survécu à une attaque de couguar. La petite Tabatha a maintenu aux gardes forestiers son histoire selon laquelle il y avait deux hommes blessés dans la forêt, mais suite à une recherche minutieuse sur une surface de cinq mille kilomètres carré, rien n'a été trouvé. Nous vous en dirons plus dans l'heure qui suit.»

Chapitre 1

Dix ans plus tard…

Les pulsations d'une musique forte s'échappaient du night-club, sa vaste enseigne lumineuse violette changeant de couleur en symbiose avec le rythme. La lumière jetait une lueur surnaturelle sur l'immeuble situé de l'autre côté de la rue. Sur le toit de ce même immeuble, un homme aux cheveux courts et d'un blond lumineux se tenait debout, un pied posé sur le rebord. Il se pencha en avant, un coude replié sur son genou fléchi, alors qu'il fumait une cigarette.

Kane Tripp baissa légèrement la tête et plongea une main dans ses cheveux courts et hérissés. Il avait détesté les couper, leur longueur passée lui manquait. Il pouvait encore se rappeler leur douce caresse sur ses reins. Portant la cigarette à ses lèvres, il inspira profondément en se disant que bien des choses lui avait manqué, comme les cigarettes qu'il avait coutume de fumer avant d'être enterré vivant et laissé pour mort.

Quarante longues années plus tôt, il avait été pris au dépourvu par Malachi, le meneur d'un modeste clan jaguar, pour se voir accusé du meurtre de la compagne du métamorphe. Avant cette nuit-là, Kane était en bons termes avec les jaguars, et leur chef avait été l'un de ses amis les plus intimes. Les lèvres de Kane se serrèrent à ce souvenir. Malachi l'avait appréhendé, jugé et condamné dans un accès de rage.

En utilisant un sort issu de ce même livre que Kane avait cru si soigneusement caché, Malachi l'y avait lié, le rendant incapable de bouger ou de parler… dans l'incapacité même de se défendre par lui-même. Puis il avait enlevé la boucle d'oreille en pierre de sang de l'oreille de Kane, qui lui permettait d'aller et venir librement à la lumière du jour. Cet objet avait autrefois appartenu au premier vampire du nom, Syn.

Un jour, Kane lui avait demandé comment le premier de leur espèce avait pu exister et la réponse à cette question l'avait surpris.

Syn était venu en ce monde seul, meurtri et affamé. Un jeune homme l'avait trouvé et dans sa soif, Syn avait bu son sang. Le vampire apprit alors très vite que les humains de ce bas monde étaient de bien fragiles créatures, que l'âme pouvait quitter quand il leur offrait son propre sang, dans l'espoir de créer une famille sur cette planète. Mais une fois leurs âmes envolées, ils devenaient inutiles à ses yeux et rien de moins que des monstres.

Au cours de sa vie sans fin, Syn avait rencontré trois humains seulement alors capables de préserver leurs âmes... ce qui fit d'eux ses enfants. La seule différence consistant en ce qu'une fois transformés, le soleil pouvait les brûler... les contraignant eux et leurs frères monstrueux à se cacher du jour. Ce qui, grâce à la pierre de sang, n'avait jamais été un problème sur la planète de Syn.

Les épais brassards de Syn avaient été rapportés de son propre monde et fabriqués à partir de la Pierre de sang. Il avait arraché un morceau de l'un de ces brassards, puis avait façonné à base de cette même matière un anneau, un collier, et une seule boucle d'oreille. Kane tendit la main pour toucher une fois encore le bijou qu'il portait à l'oreille.

Là où la pierre de sang lui avait offert une vie à peu près normale... le grimoire de Syn avait fait la ruine de Kane. Syn l'avait laissé à son élu afin qu'il l'utilise à bon escient pendant son sommeil. Concernant ce satané sort, c'était un moyen de venir à bout des enfants sans âme au cas où ils deviendraient un trop grand danger pour les humains.

Alors que ce damné sortilège agissait sur lui, Kane, impuissant, ne pouvait que regarder de ses yeux noirs et fixes son ancien ami le recouvrir d'une terre sombre. Le ciel étoilé couronnant une forêt était la dernière vision dont il se souvenait alors.

Les ténèbres avaient été dévorantes et emplies d'un tel silence. Le sort le retenait prisonnier mais il pouvait sentir aisément ces petites vies qui fourmillaient dans la terre au-dessous de lui. De minuscules créatures mortelles qui évitaient de manger sa chair morte mais qui rongeaient inconsciemment son âme.

Le temps passant, il se dit qu'il était forcément devenu fou, puis il commença d'entendre des bruits et de temps à autre… des voix. Elles lui étaient bienvenues du fin fond de sa prison, et il aspirait à en entendre davantage. Parfois il entendait des familles entières, et à d'autres moments, des adultes seulement.

Parfois, il tentait aussi de lutter contre la malédiction, pour appeler à l'aide ou à quelque compagnie. La magie avait une emprise tenace sur lui, le rendant totalement impuissant. Il connaissait ce sort… il l'avait utilisé sur quelques monstres. Cette magie un brin complexe requérait le sang d'un être aimé pour en être libéré. Un sortilège d'amour si puissant que seule l'âme sœur de la victime pouvait briser.

Cela avait toujours fonctionné sur les vampires dénués d'âme parce qu'il fallait posséder une âme pour compter sur une âme sœur. Il s'était servi de ce sort plus d'une fois pour libérer le monde de ses frères démoniaques et meurtriers qui ne connaissaient rien d'autre que la soif de sang.

Kane eut un rire amer face à cette pensée obsédante qu'il était maudit… car il n'avait pas d'âme sœur. Du moins n'avait-il jamais rencontré une telle énigme. Et s'il n'en avait pas, il était peu probable qu'elle vînt trébucher sur sa tombe tout en saignant. Malachi avait tellement souffert … il avait aimé sa femme avec tant d'amour qu'il souhaitait que Kane en connaisse toute la profondeur et se languisse de le connaître à son tour.

Aspirer à un tel amour, ça, il le faisait sans mal. À bien des reprises il versa des larmes, exhortant n'importe quel dieu existant à l'écouter, pour mener jusqu'à lui cette âme sœur qui pourrait le libérer. S'il avait réellement tué la femme de son ami, la punition aurait été justifiée. Mais il était innocent d'un tel crime.

Une nuit, bien après qu'il ait abandonné tout espoir... il l'entendit. Le bruit distinct du rugissement de Malachi fit voler en éclats son monologue intérieur imprégné de démence, accompagné d'un autre cri de rage tout à fait bestial. À sa grande stupeur, il entendit la voix d'une petite fille juste au-dessus de lui, qui leur hurlait de ne pas faire de mal à son chiot.

Le son de sa petite voix effrayée brisa quelque chose en lui, lui donnant plus que jamais le désir d'être libre, pour qu'il puisse la protéger de la créature de la nuit.

« Malachi ne fera pas de mal à ton chien, petite », chuchota Kane mentalement.

C'était la vérité. Malachi ne ferait jamais de mal à une mouche à moins qu'on ne lui ai fait du tort d'une certaine manière… et encore moins à un enfant. Sentant que son ami était quelque part au-dessus de lui, une étincelle de vie s'alluma chez Kane. Il sentit la colère l'envahir lorsque la jeune fille se remit à hurler et il sentit le choc d'un atterrissage brutal sur le sol qui le surplombait. Du sang… il sentit que des gouttes de sang toutes fraîches venaient d'être versées, suintant jusqu'à lui à travers la terre molle.

Il n'avait jamais été aussi heureux de recevoir. Le parfum envahit son esprit et faillit le propulser à de plus hauts sommets de folie, sachant qu'il était dans l'impossibilité de s'en approcher. Il était si faible après avoir passé tant de temps sans boire une seule fois... assoiffé à mort, sans jamais mourir cependant. Ce fut à ce moment-là qu'il sentit l'un de ses doigts tressaillir.

Kane se concentra là-dessus, ainsi que sur ce qui restait de son esprit, afin de tenter un mouvement. Il sentait les jours défiler, s'appuyant pour cela sur la chaleur émanant de la terre qui le submergeait. L'odeur du sang l'enveloppait à présent, le guidait. Il finit par être capable de bouger lentement les bras, puis il entama la laborieuse entreprise que représentait la sortie de sa propre tombe.

Bien des jours avaient passé et, quand sa main se fraya enfin un chemin à la surface, il pleurait littéralement des larmes de joie. S'arrachant lui-même à la terre, Kane ouvrit les yeux et leva la tête, à deux doigts d'éclater d'un rire frénétique en découvrant le ciel noir et les étoiles au-dessus de lui. Baissant les yeux vers le sol, il remarqua un lambeau de vêtement tâché de gouttelettes de sang séché. Le ramassant, il le porta à ses narines pour y humer l'odeur de ce sang qui l'avait libéré.

Serrant ce souvenir de son sauveur dans son poing, il sortit le reste de son corps du sol. Malachi et le métamorphe qui avait réellement tué la femme du jaguar gisaient morts, à seulement quelques pas de sa tombe.

Son regard passant des deux corps à la forêt, Kane comprit que la jeune fille était partie depuis un moment, mais il était convaincu que cette enfant était son âme sœur. Qui d'autre aurait pu briser le maléfice que Malachi lui avait jeté ?

Trop faible pour partir à sa recherche, Kane rampa par-dessus Malachi, et quiconque d'extérieur l'aurait vu en cet instant aurait pensé qu'il caressait tendrement la joue de l'homme. Tournant la tête vers lui, Kane eut aussitôt le souffle coupé. Malachi portait à son oreille le bijou en pierre de sang. Le sien !

Dans un instant de rage et avec un mouvement trop rapide pour être détecté, Kane se redressa avec la boucle d'oreille dans son poing. Jetant un dernier regard à Nathaniel, l'homme qui l'avait piégé, Kane s'enveloppa dans les ténèbres environnantes comme d'un manteau et se fondit en elles.

Kane exhala la fumée et la regarda s'acheminer dans les airs, sous forme de cercles, avant d'être emportée par la brise. Il avait consacré ces dix dernières années à errer de pays en pays, de continent en continent, en apprenant tout ce qu'il avait manqué au cours de sa sentence de trente ans.

Il avait lentement retrouvé ses forces, débutant sa guérison avec un chiot de type Yorkshire blanc qu'il avait trouvé tapi au creux d'un arbre vénérable de la forêt. C'était le chien de quelqu'un et il avait éprouvé des remords à agir de cette façon, mais la nécessité de se nourrir s'était montrée plus forte que la culpabilité à ce moment-là.

C'est seulement une fois nourri qu'il réalisa que ce chiot appartenait à l'enfant qui l'avait libéré de sa prison. Sentant qu'une petite étincelle de vie animait encore la petite boule de poils, il fit alors tout son possible pour la ramener tout à fait. Mordant son propre poignet, Kane fit tomber quelques gouttes de sang sur la langue rose du chiot puis l'étendit au sol en se demandant ce qu'il lui prenait de faire une chose pareille. Cela ne marcherait jamais... n'est-ce-pas ?

Elle l'avait sauvé deux fois et n'en avait même pas conscience. L'écho de sa voix terrifiée avait toujours le pouvoir de le sortir de son sommeil le plus profond. Il aurait voulu la voir... juste l'apercevoir pour mettre un visage sur cette voix qui l'envoûtait tant.

Après avoir cherché dans sa poche, il en sortit le petit collier et baissa les yeux sur l'étiquette en forme d'os collée dessus. Il connaissait le nom de cette famille mais l'adresse indiquée n'était plus la bonne... elle ne l'était plus depuis des années. Lorsqu'il apprit enfin à se servir d'un ordinateur, il effectua une recherche et découvrit que les parents de la demoiselle étaient morts et leur maison vendue. La fille, dont il était sûr qu'elle l'avait sauvé, avait disparu sans laisser une trace.

Kane jeta sa cigarette près de son pied gauche avant de l'écraser. Lorsqu'il était rentré à Los Angeles, il était immédiatement retourné au night-club où Malachi avait déjà vécu et qu'il avait dirigé, pour seulement apprendre qu'il avait été revendu et que ses enfants avaient déménagé à une nouvelle adresse. Leur nouveau foyer n'avait été rien de plus qu’un entrepôt abandonné, mais les jaguars l'avaient récemment remis à neuf et arrangé en night-club pour être dans l'air du temps. Les enfants de Malachi dirigeaient l'établissement à l'heure actuelle.

Il secoua la tête en se demandant comment Malachi avait fini par se remarier, sachant quel amour il avait voué à sa première femme. Elle n'avait été rien de moins que son âme sœur et, bien que les métamorphes étaient connus pour leur appétit sexuel, une fois rencontré leur âme sœur, il leur devenait quasiment impossible de vivre un nouvel amour.

Quand Kane avait fait son enquête, il avait noté que la nouvelle épouse de Malachi avait donné naissance à quatre enfants et n'avait pas survécu à celle de leur plus jeune fils, Nick.

Malachi était peut-être mort la nuit où Kane avait entendu son rugissement sous terre, mais une soif de vengeance continuait encore de ronger les entrailles de ce dernier. Presque tous les vampires étaient issus des ténèbres, et peut-être Syn avait-il eu tort à son sujet, quant au fait qu’il fût différent de ses pairs démoniaques. Peut-être le simple fait d'avoir perdu l'esprit au cours de trente douloureuses années avait-il causé suffisamment de dégâts à son âme pour qu'il ne figure plus comme une exception à ce jour. Son esprit n'était toujours pas sorti, lui, de cet endroit sombre où Malachi l'avait emprisonné.

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