Nous Sommes De Retour - Danilo Clementoni 2 стр.


Mais, depuis le début, cette hypothèse ne la satisfaisait pas.

Elle se trouvait dans les alentours de la Ziggourat d’Ur7 depuis deux mois, suite à une autorisation qu'elle avait obtenue grâce à sa réputation d’archéologue et de grande spécialiste de la langue sumérienne. Depuis les premières fouilles, au début du XXème siècle, de nombreuses tombes avaient été mises au jour, mais on n'avait jamais retrouvé aucune réalisation de ce type à l'intérieur. Compte tenu de sa forme carrée particulière et de ses grandes dimensions, on aurait dit, plus qu’un cercueil, une espèce de « couvercle » d’un récipient enterré jadis, pour protéger ou cacher quelque chose.

N'ayant encore que partiellement dégagé la partie supérieure de ce récipient présumé, elle ne pouvait malheureusement pas encore en estimer la hauteur. Les caractères cunéiformes qui recouvraient toute la surface visible du couvercle ne ressemblaient à rien de ce qu’elle avait pu voir auparavant. Leur traduction lui prendrait des jours et des nuits, sans sommeil.

— Professeur !

Élisa leva la tête et, mettant sa main droite devant ses yeux pour se protéger du soleil, elle vit son adjoint Hisham qui venait rapidement vers elle.

— Professeur, répéta l’homme, il y a un appel de la base pour vous. Ça a l'air urgent.

 J’arrive. Merci Hisham.

Elle profita de cette pause forcée pour boire une gorgée de l’eau, maintenant presque bouillante, à la gourde qu’elle portait toujours attachée à sa ceinture.

Un appel de la base... Ça ne pouvait annoncer que des ennuis.

Elle se leva et battit son pantalon des mains, ce qui souleva de nombreux petits nuages de poussière. Puis elle se dirigea vers la tente qui faisait office de base pour le chantier.

Elle ouvrit la fermeture éclair de la tente et entra. Il lui fallut un peu de temps pour que ses yeux s’habituent au changement de luminosité, mais cela ne l’empêcha pas de reconnaître, sur l'écran, le visage massif du colonel Jack Hudson qui fixait le vide d'un air sombre, attendant sa réponse.

Le colonel était officiellement en charge de l’équipe stratégique de lutte contre le terrorisme, stationnée à Nassiriya, mais sa mission réelle était de coordonner une série de recherches scientifiques ordonnées et supervisées par un fantomatique département du nom d'ELSAD8 . Ce département était nimbé du mystère qui entoure toujours les structures de ce genre. Presque personne ne connaissait les buts et les objectifs de cette affaire. Tout ce qu’on savait, c'est que le commandement opérationnel dépendait directement du président des États-Unis d’Amérique.

En réalité, Élisa se fichait de tout cela. La véritable raison pour laquelle elle avait accepté cette proposition de participer à l'une des expéditions était qu’elle aurait enfin pu revenir sur les lieux qu’elle aimait le plus au monde pour y faire son métier, qu’elle adorait, et dans lequel elle était considérée, malgré son jeune âge -elle avait trente-huit ans- comme l’une des plus compétentes et performantes dans son domaine.

— Bonsoir Colonel, dit-elle en arborant son meilleur sourire. Qu'est-ce qui me vaut l’honneur ?

— Professeur Hunter, cessez vos simagrées. Vous connaissez très bien la raison de mon appel. La permission qui vous a été accordée pour achever vos travaux n'est plus valable depuis deux jours, et vous n’avez donc pas le droit de rester.

Sa voix était ferme et résolue. Cette fois, même le charme indéniable d’Élisa ne pourrait rien pour obtenir un délai supplémentaire. Elle décida donc de jouer sa dernière carte.

Depuis que la coalition conduite par les États-Unis avait entrepris, le 23 mars 2003, d’envahir l’Irak dans le but précis de destituer le dictateur Saddam Hussein, accusé de détenir des armes de destruction massive (accusation qui s'était révélée fausse par la suite) et d’appuyer le terrorisme islamique, toutes les recherches archéologiques en Irak, déjà plutôt difficiles en temps de paix, avaient subi un brusque coup d'arrêt. Seule la fin formelle des hostilités, le 15 avril 2003, avait ravivé chez les archéologues du monde entier l'espoir de pouvoir à nouveau approcher un des lieux où, selon toute probabilité, les plus anciennes civilisations de l’histoire s’étaient développées, et d’où leurs cultures avaient ensuite rayonné sur tout le globe.

Fin 2011, la décision prise par les autorités irakiennes de rouvrir les fouilles de certains sites considérés comme étant d'une valeur historique inestimable afin de « valoriser leur patrimoine culturel » avait transformé l'espoir en certitude. Sous l'égide de l’ONU et suite à nombre d'autorisations signées et contresignées par un nombre inconcevable « d'autorités », certains groupes de chercheurs, choisis et contrôlés par des commissions spéciales, purent travailler, pendant des périodes limitées, dans les principales zones d’intérêt archéologique du territoire irakien.

— Mon cher Colonel -dit-elle, en s’approchant le plus possible de la webcam pour que ses grands yeux émeraude puissent produire l’effet qu’elle espérait- vous avez parfaitement raison.

Elle était bien consciente que le fait de donner immédiatement raison à son interlocuteur le disposerait mieux à son égard.

— Mais nous sommes maintenant si près.

— Si près de quoi ? hurla le colonel en se levant de sa chaise et en appuyant ses poings sur son bureau. Ça fait des semaines que vous me chantez toujours la même chanson. Je ne suis plus disposé à vous accorder ma confiance sans avoir vu, de mes propres yeux, quelque chose de concret.

— Si vous me faites l’honneur de me rejoindre ce soir pour dîner, je serai heureuse de vous montrer quelque chose qui vous fera changer d'avis. Qu’en dites-vous ?

Elle fit un beau sourire qui découvrit ses dents très blanches, et passa sa main dans ses cheveux blonds ; cela fit le reste, elle était sûre de l'avoir convaincu.

Le colonel fronça les sourcils, essayant de garder l’œil furieux, mais il savait très bien qu'il ne pourrait pas résister à cette proposition. Élisa lui avait toujours beaucoup plu, et la perspective d'un dîner en tête-à-tête l'intriguait.

Malgré ses quarante-huit ans, il était encore bel homme, au fond. Athlétique, les traits bien dessinés, de courts cheveux poivre et sel, un regard puissant et résolu, soutenu par des yeux d’un bleu intense, il avait en outre une excellente culture générale qui lui permettait de participer à des discussions sur de nombreux sujets, et l’ensemble, ajouté au charme indéniable de l’uniforme, en faisait un représentant encore très « intéressant » du sexe masculin.

— D’accord, soupira-t-il, mais si ce soir vous ne m’apportez pas quelque chose de vraiment remarquable, vous pourrez commencer à ramasser tout votre fourbi et à faire vos valises.

Il essaya d’utiliser le ton le plus autoritaire de son répertoire, sans bien y parvenir.

Il essaya d’utiliser le ton le plus autoritaire de son répertoire, sans bien y parvenir.

— Rendez-vous à 20 heures ! Soyez prête ! Une voiture viendra vous chercher à votre hôtel !

Il coupa la communication, regrettant un peu de ne l’avoir même pas saluée.

Zut, il faut que je me dépêche ! Il ne me reste que quelques heures avant la nuit.

— Hisham, cria-t-elle en sortant la tête de la tente. Vite, appelle toute l’équipe. Je vais avoir besoin de toute l’aide disponible.

Elle parcourut à pas rapides les quelques mètres qui la séparaient de la zone de fouilles en laissant derrière elle des petits nuages de poussière. En quelques minutes, tout le monde était réuni autour d’elle, dans l’attente de ses ordres.

— Toi, s’il te plaît, retire le sable de cet angle-là, ordonna-t-elle en indiquant le fragment de pierre le plus éloigné. Et toi, aide-le. Faites très attention, je vous en prie. Si je ne me trompe pas, cet objet va nous sauver la mise.

Vaisseau spatial Théos - Orbite de Jupiter

La capsule sphérique de transport, extrêmement confortable malgré ses petites dimensions, parcourait à une vitesse moyenne d’environ 10 m/s le couloir numéro trois, et conduisait Atzakis à l’entrée du compartiment où l’attendait son compagnon Pétri.

Le Théos, une sphère, lui aussi, d’un diamètre de quatre-vingt-seize mètres, avait dix-huit couloirs en forme de tube, d'un peu plus de trois cents mètres de longueur chacun. Ils avaient été construits en ménageant entre chacun d’entre eux un espacement de dix degrés, comme les méridiens, et couvraient toute la circonférence du vaisseau. Chacun des vingt-trois niveaux, d'une hauteur de quatre mètres -à l’exception de la soute centrale, au niveau onze, qui mesurait le double- était facilement accessible grâce aux « arrêts » ménagés à chaque étage dans tous les couloirs. Dans la pratique, on mettait au maximum quinze secondes pour relier les deux points les plus éloignés du vaisseau.

Le freinage de la capsule était à peine perceptible. La porte s’ouvrit avec un léger sifflement et derrière elle Pétri apparut, campé sur ses jambes, les bras croisés.

— Ça fait des heures que j’attends, dit-il, sur un ton vraiment peu crédible. Tu as fini d’obstruer les filtres à air avec cette horreur puante que tu traînes avec toi ? L’allusion à son cigare était à peine voilée.

Ignorant la provocation avec un petit sourire, Atzakis tira de sa ceinture un testeur portable et l’activa d'un geste du pouce.

— Tiens-moi ça et essayons de faire vite, dit-il en lui passant l’appareil d'une main, tandis que de l’autre, il essayait de placer la sonde à l'intérieur du joint à sa droite.

— L’arrivée est prévue dans cinquante-huit heures et je suis très inquiet.

— Pourquoi ? demanda naïvement Pétri.

— Je ne sais pas, mais j’ai comme le pressentiment qu’une mauvaise surprise nous attend.

L’outil que Pétri tenait entre ses mains commença à émettre une série de sons à différentes fréquences. Il l’observa sans avoir la moindre idée de ce que cela pouvait bien signifier. Il leva les yeux vers le visage de son ami, à la recherche d’un signe quelconque, mais sans résultat. Se déplaçant très calmement, Atzakis plaça le capteur sur l’autre joint. Le testeur généra une nouvelle séquence de sons indéchiffrables. Puis ce fut le silence. Atzakis prit l’instrument de la main de son camarade, observa attentivement les résultats, puis sourit.

— Tout est normal. Nous pouvons continuer.

Ce n'est qu'alors que Pétri s’aperçut qu’il avait cessé de respirer depuis un certain temps. Il expira tout cet air et éprouva immédiatement un sentiment de soulagement. Même minime, un défaut d'un de ces joints aurait pu compromettre irrémédiablement leur mission et les obliger à rebrousser chemin le plus vite possible. C’était bien la dernière chose qu’ils auraient voulue. Ils y étaient presque, maintenant.

— Je vais me laver, dit Pétri en essayant de se débarrasser d'un peu de poussière. La visite aux conduits d’échappement est toujours aussi... Et, tordant sa lèvre supérieure, il ajouta :

— instructive !

Atzakis sourit.

— On se retrouve au pont de commandement.

Pétri appela la capsule et, une seconde plus tard, il avait déjà disparu.

Le système central communiqua qu'ils avaient dépassé l’orbite de Jupiter sans problèmes et qu’ils se dirigeaient sans encombre vers la Terre. D'un léger mais rapide mouvement oculaire vers la droite, Atzakis demanda une nouvelle fois à son O^COM de lui faire voir l'itinéraire. Le petit point bleu qui évoluait sur la ligne rouge s’était maintenant légèrement déplacé vers l’orbite de Mars. Le compte à rebours, qui calculait l’heure estimée de l’arrivée, indiquait cinquante-huit heures précises, et la vitesse du vaisseau était de 3000 km/s. Atzakis était de plus en plus nerveux. Pourtant, il savait bien que le vaisseau sur lequel il voyageait était le premier à être équipé des nouveaux moteurs Bousen d'une conception totalement différente des précédents. Ses concepteurs avaient déclaré qu’ils auraient pu pousser le vaisseau à une vitesse proche d’un dixième de celle de la lumière. Mais il ne s'y était jamais hasardé : 3000 km/s lui semblaient plus que suffisants pour un premier voyage.

Des cinquante-six membres de l’équipage qui auraient normalement dû embarquer sur le Théos, seuls huit avaient été sélectionnés pour cette première mission, Pétri et Atzakis compris. Les raisons que les Anciens avaient avancées n'avaient pas été très détaillées. Ils s’étaient bornés à considérer que, vu la nature et la destination du voyage, des difficultés auraient pu se présenter, et qu’il était donc préférable de ne pas mettre inutilement trop de vies en danger.

Et nous, nous pourrions être sacrifiés ? Qu'est-ce que c'était que ces histoires. C’était toujours pareil. Quand il fallait risquer sa peau qui est-ce qu’on envoyait ? Pétri et Atzakis.

Dans le fond, cependant, leur propension à l’aventure et leur remarquable habileté à résoudre les situations « complexes » leur avaient permis d’obtenir un certain nombre d’avantages appréciables.

Atzakis vivait dans la magnifique ville de Saaran, au sud du Continent, dans un immense espace qui avait jusqu’à peu été utilisé comme dépôt pour les Artisans de la ville. Grâce à ses « avantages », il était parvenu à le récupérer pour son usage personnel et avait obtenu l’autorisation de le modifier à son goût.

Le mur orienté au Sud avait été entièrement remplacé par un champ de forces similaire à celui de son vaisseau spatial, pour qu’il puisse admirer, dans son inséparable fauteuil à mémoire de forme, le merveilleux golfe en contrebas. Si nécessaire, cependant, le mur pouvait se transformer en un gigantesque système tridimensionnel où il pouvait visionner simultanément jusqu’à douze émissions du Réseau. Plus d’une fois, ce système sophistiqué de contrôle et de gestion lui avait permis de recueillir très tôt des informations décisives, lui permettant ainsi de résoudre des crises d’importance considérable. Il n’aurait plus pu s’en passer.

Назад Дальше