Tu Sens Battre Mon Coeur ? - Andrea Calo' 5 стр.


Donc, il est clair que votre mère avait prémédité son acte, elle ne la pas fait sur limpulsion du moment.

Si, je crois que si »

Mauvaise réponse Melanie !

« Oui. Vous pourriez me parler de votre rapport avec votre mère, et de celui entre votre mère et votre père sil vous plaît ? »

Échec au roi. La reine était mangée. Je ne respirais plus. Jai essayé de menfermer dans ma coquille, cherchant le moyen le plus rapide dy entrer. Mais la coquille était restée ouverte et lhomme me voyait, me suivait, mattrapait et me tirait dehors. Chaque fois. Je navais pas déchappatoire. Mentir, mieux valait continuer à mentir.

« Ma mère était malade. Elle nétait pas méchante, au contraire ! Mais elle était faible et perdait souvent la tête. Je lentendais souvent pleurer la nuit mais jétais trop petite pour laider.

Je comprends. Selon les archives, il semble que lon entendait souvent votre père crier et quil rentrait tard la nuit, complètement ivre, cest vrai ?

Oui, cest arrivé.

Cest arrivé, daccord. Pensez-vous que ça a influencé le geste extrême de votre mère ?

Je ne sais pas, jétais trop petite, je vous lai dit.

Melanie, quand votre mère est morte, vous aviez vingt-deux ans, vous nétiez pas petite. »

Il se trompait. Lâme de ma mère était déjà morte depuis des années, asséchée, et ce quil restait et que javais trouvé froid et immobile baignant dans son sang nétait que son enveloppe.

« Monsieur lagent, je suis très fatiguée maintenant, ai-je répondu en essayant de prendre la seule issue de secours quil me restait.

Je comprends, Melanie. Je comprends. Je vous demande juste de répondre à une dernière question sil vous plaît. Comment la relation entre votre père et vous a-t-elle évolué après la mort de votre mère ? Avant que vous ne quittiez la maison. »

Au lit, au son de coups dans le cœur de la nuit ! Voilà comment avait évolué notre relation. Les animaux qui partaient à labattoir étaient plus respectés que moi, parce quà la fin, ils étaient tués et mangés, ils disparaissaient. Moi, au contraire, je vivais, blessée dedans et dehors, obligée de me regarder chaque matin dans le miroir pour identifier les nouvelles marques de coups, celles qui enrichissaient ma singulière collection. Un dernier mensonge, encore un, le dernier. Ou peut-être pas.

« Mon père a changé après ce jour-là, il est devenu complètement absent. Il se sentait incapable de soccuper de moi parce quil pensait avoir totalement échoué dans sa tentative de sauver sa femme. Il me la confié un soir, en pleurs.

Expliquez-moi.

Ce que disent les archives est correct. Mon père revenait souvent tard la nuit et le plus souvent, il avait beaucoup bu. Il criait sur ma mère, défoulait sur elle sa rage de ne pas être capable de laider, de laimer comme il aurait dû et voulu le faire. Les hurlements résonnaient dans la maison et sentendaient à lextérieur, les voisins me regardaient toujours bizarrement le matin qui suivait, comme sils compatissaient, comme sils avaient pitié de moi. Quand ma mère est morte, mon père a capitulé. Peut-être quil est mort aussi ce jour-là, dans un certain sens. Il sest détaché de moi et passait ses journées à lire assis au salon.

Et à réfléchir à comment il allait de nouveau me violer le soir, ai-je pensé. Mais je me suis bien gardée de le dire.

« Donc, vous, vous sentant abandonnée, avez décidé de partir et de faire votre vie.

Cest ça, monsieur lagent. »

Je refaisais surface pour la première fois.

« Merci Melanie. Je mexcuse pour toutes les questions inopportunes que jai posées dans un moment pareil mais vous imaginez bien que cétait nécessaire. Le tableau est plus complet maintenant. »

Il ma regardée avec affection, et jai fait pareil. Une affection mêlée de frustration. Je cachais mon vrai visage, souillé par le mensonge, dans les plis de ma lâcheté, là où il y avait encore un peu de place pour mimmerger complètement et disparaître, hors de vue. Javais trahi ma mère, encore une fois. Comme ce jour où, protégée par lobscurité dune nuit sans lune ni étoiles, jétais restée à lentrée de la tanière à observer logre dévorer sa proie. Comme le jour où jétais sortie de la maison toute fière, les clés à la main pour la première fois, sans aucun intérêt pour tout le reste, surtout pour la raison qui avait poussé ma mère à me les donner. Comme tous les jours où jaurais voulu lui dire que je laimais, mais que je ne lavais pas fait.

« Vous devrez venir au central pour compléter le compte-rendu et signer la déposition. Ensuite, on vous demandera didentifier le corps et de faire le nécessaire pour linhumation.

Très bien, je le ferai demain matin. »

Il ma souri et est parti. Je suis restée là, debout devant la porte ouverte, lair saturé de pluie mouillant mon visage, se mélangeant à mes larmes. Son collègue a allumé le moteur de la voiture, ma regardée et saluée de la main. Jai répondu. Lagent Parker a ouvert la portière et, insouciant de laverse qui le trempait, sest arrêté pour me regarder et me saluer. Il a dit quelque chose que je nai pas compris, un grondement lointain avait couvert le son de sa voix. Son visage était détendu, il devait donc mavoir dit quelque chose de gentil. Jai fait oui de la tête, me suis tournée et suis rentrée en fermant la porte derrière moi. La lumière bleue clignotante avait disparu, la maison était de nouveau comme avant et moi aussi. Je suis retournée à la cuisine, le plat que javais réchauffé était froid. Je navais plus faim, je navais plus soif, je navais même plus dair dans mes poumons. Ma gorge était serrée des sanglots que javais contenus si longtemps. Pourquoi pleurer ? Et pour qui ?. Ne pas trouver de réponse à ces questions avait abattu mes barrières, anéanti en un éclair toutes mes défenses. Cétait ma reddition sans conditions, celle que mon cœur attendait tant. Logre était mort et ne me ferait plus de mal. Oui, logre était enfin mort, tué par un autre ogre. Il brûlerait dans les flammes de lenfer, ne rencontrerait plus jamais ma mère parce quelle, jen étais sûre, demeurait au paradis. Jen étais certaine maintenant. Mort, tué le seul soir où il nétait pas ivre, fait étrange ! Peut-être parce que ce soir-là, logre était resté un homme, il navait pas endossé son costume de scène, celui qui le rendait fort, agressif. Il avait commis une grave erreur, une légèreté fatale. Il naurait pas dû baisser la garde. Quand on choisit le mal comme parcours de vie, il faut apprendre à regarder autour de soi, parce que le mal viendra. Peut-être parce que lhomme, fatigué de jouer un rôle, fatigué de tout, avait brûlé son costume. Peut-être voulait-il tuer logre lui-même pour se transformer en héros, se dénudant devant la foule et se postant devant ses ennemis en criant : « Vous ne me voyez pas ? Je suis ici ! Allez mauviettes, quest-ce que vous attendez pour me tuer ? » Peut-être voulait-il ressentir la douleur que lon éprouve quand la peau est lacérée, quand le métal déchire les chairs et pénètre le corps. Peut-être voulait-il comprendre ce que lon éprouve quand le sang séchappe des veines, quand les sens saltèrent et les sons se font lointains, et que tout devient sombre sous les yeux écarquillés qui fixent lasphalte, près dune crotte laissée par un chien errant passé par-là quelques minutes auparavant. Oui, peut-être que tout sétait passé comme ça. Jai jeté la nourriture à la poubelle et suis allée dormir. Jai fait un beau rêve cette nuit-là, mais je ne men souviens pas.

Le jour suivant, jai rempli mes devoirs envers cet homme, mon père, pour la dernière fois. Quand ils mont demandé si je préférais une sépulture ou une crémation, jai répondu sans hésiter. Je lai fait incinérer, lui ai donné un avant-goût de ce quil allait bientôt subir, pour léternité. Je voulais assister au macabre spectacle. Voir cette caisse de bois entrer dans le four pour en sortir réduite en cendres ma excitée de façon morbide. Je nai pas montré pas mes émotions, je nai pas versé une larme. Jai contenu mes sentiments en les enfermant dans un bloc de glace, mon cœur transformé en chambre froide pour loccasion.

Jai pris possession de la maison et du peu dargent quil restait, celui que mon père navait pas dépensé en alcool et autres vices. Jai posé lurne au sol, dans un endroit caché, pour que personne ne la voie. Je me suis menfermée dans la maison, à écouter les bruits du silence, observant les empreintes de main laissées dans la poussière sur les meubles. Jentendais les cris et les pleurs de ma mère, ceux que jétouffais dans la nuit sous une comptine, ma peluche dans les bras. Jentendais les plaintes et les sanglots qui suivaient les tempêtes. En regardant le fauteuil de mon père, je pouvais voir un homme seul, un vieux privé de vie. Dans un angle, jai remarqué un bâton, et je lai imaginé serré entre ses mains tandis quil marchait péniblement dans la maison, peut-être à la recherche de quelquun à frapper. Quelquun qui nétait plus là. Un homme obligé de défouler sa colère contre lui-même, jusquau dernier jour. Sur une étagère, jai trouvé un portefeuille, lai pris et ouvert. Il contenait un peu de monnaie et une photo de ma mère qui me tenait dans ses bras. Elle souriait, heureuse, et moi aussi. Jai tourné la photo, elle était datée. Cétait le jour de mon anniversaire, celui où javais reçu la peluche en cadeau. À dater de ce moment, quelque chose avait changé, la fable de la famille heureuse avait fait place au cauchemar dune existence sans futur. Mes souvenirs, vagues et flous, ne me permirent jamais de visualiser ce moment, laccident de parcours qui a changé pour toujours le cours des choses et de nos vies. Il en passera du temps avant que je ne devienne de lengrais pour les plantes ! criait souvent mon père dans ses instants de colère. Ce temps était passé pour lui comme il passerait pour tous. Le moment était venu pour lui de se transformer en ce quil avait toujours refusé. Jai pris lurne et brisé le scellé. Je lai ouverte et en ai versé le contenu dans une bassine avec de leau. Je lai mélangé avec une cuillère, dégoûtée. Je suis sortie dans le jardin et ai versé cette bouillie boueuse sur les racines des plantes, curieuse de voir ce quil se passerait. Mais je suis restée déçue parce rien ne sest passé.

Jai dormi à la maison cette nuit-là, puis une seconde et une troisième. Sans pouvoir fermer lœil. Je ne pouvais plus y rester, elle ne mappartenait plus. Je lai mise en vente et nai pas dû attendre longtemps pour men débarrasser. Elle a été achetée en quelques semaines par une famille de trois personnes, le père, la mère et une fillette. Sans rien dire, je leur ai souhaité une vie meilleure de celle que jy avais eue. Quand je les ai salués, jai confié mon ours à la petite fille.

« Tiens petite, cest pour toi.

Oh, comme il est beau ! Maman, papa, regardez ce que la madame ma offert ! a crié la petite en se tournant vers ses parents qui, heureux, ont souri pour me remercier.

Je te souhaite de ne jamais en avoir besoin, ma chérie, mais souviens-toi que sil tarrive quelque chose de mauvais, il te protègera toujours, il prendra soin de toi !

Daccord ! »

Je lui ai fait une caresse, les ai salués et suis partie.

3.

Le jour où jai fermé la porte derrière moi, je nétais pas prête. Jétais une dilettante dans la vie, un tas animé de chair et dos en fuite, à la recherche de quelque chose qui nétait pas clair. Je manquais de dignité. En avançant à bonne allure, je me suis obligée à ne pas me retourner, sous aucun motif, pensant que tout se terminerait et, quà partir de ce moment, ma vie changerait et une nouvelle Melanie naîtrait. Dix pas, cent pas, puis deux cents. Je me suis retournée, comme trahie par derrière par une main invisible. Jai regardé la maison. La lanterne sur la façade oscillait dans le vent, son mouvement mhypnotisait. Jai repris mes esprits et jai pleuré. Jai rendu les armes, ai fait demi-tour et suis enfin partie. Les pleurs avaient effacé la peur, peut-être que ce que lon disait était faux. Ou peut-être pas.

Mon wagon de seconde classe était presque vide. Il ny avait quune jeune femme et un homme âgé pour me tenir compagnie. Impassible, lhomme lisait son Daily Telegraph et le regard de la fille allait de la fenêtre à mon visage, essayant de comprendre quelle image la surprenait le plus, quel était le meilleur panorama, le plus amusant, à observer pour tromper le temps. Elle mastiquait énergiquement un chewing-gum, son visage émergeant du col relevé de sa chemise blanche à carreaux rouges. Elle portait une paire de jeans assez étroits pour lépoque. Je les ai trouvés plutôt inconfortables à première vue, une des rares fois où je lai regardée. Mais ils lui allaient bien, mettant en valeur son corps presque parfait. Je quittais une vie que je ne reconnaissais plus, mile après mile, jessayais doublier lendroit dont je venais. Et jy arrivais sans peine, ou je le croyais du moins. Je ne voulais pas quune inconnue me fasse retomber dans mon passé en me posant la stupide question Doù viens-tu ? , dont la réponse nintéresserait de toute façon personne. Je ne lai plus regardée. Jai fermé les yeux et me suis replongée dans le brouillard dense de mes pensées, perdue dans une succession dimages qui dessinaient des expressions involontaires sur mon visage. Elle en a été très intriguée et a décidé de le choisir comme spectacle à regarder, parce que tout compte fait, ce qui se déroulait dehors nétait quun paysage statique quelle avait déjà souvent vu dans sa vie. Elle me la confié quelques mois après notre première rencontre dans ce wagon, quand nous étions devenues bonnes amies. Le contrôleur est entré pour nous demander nos billets et jai dû ouvrir les yeux. Je lai regardée, elle aussi. Nous avons commencé à discuter mais différemment, sans se saluer, sans une question hors de propos, rien de ce genre. Elle partait de principes, comme si elle me connaissait depuis toujours. Elle mastiquait son chewing-gum en parlant, comme si de rien nétait. Je navais jamais pu faire deux choses en même temps sans risquer de commettre une erreur, mais pour elle tout semblait normal.

« Tu es une fille bizarre.

Quest-ce qui te fait penser que je suis bizarre ? »

Elle sest arrêtée un instant pour réfléchir, puis a reprisa :

« Tu restes là, toute seule et silencieuse à penser à on ne sait quoi. Au bout du compte, nous sommes dans un train.

Et donc ? Du simple fait quon est dans un train, vous et moi devrions nous mettre à discuter ? »

Elle a semblé accuser le coup et laisser tomber un moment, sans cesser de me regarder. Elle nabandonnait pas, elle métudiait, cherchait où porter sa prochaine attaque. Jai détaché mon regard delle et fait semblant dobserver lextérieur par la fenêtre, sans fixer de point précis. Nimporte quoi, choisi au hasard aurait été parfait, pourvu que ce ne soit pas ses yeux.

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