Tu Sens Battre Mon Coeur ? - Andrea Calo' 7 стр.


Ce soir-là, je suis rentrée tard à la maison. Jaurais voulu faire mes bagages et partir la nuit-même vers un nouvel endroit, sans décider, sans but précis. Beaucoup de jeunes le faisaient, cétait à la mode, presque une obligation pour ceux qui avaient réussi à mettre un peu dargent de côté. Jaurais donc pu le faire aussi. Mais jai retardé mes bagages et le départ à un meilleur moment. Jai posé le cadeau que les autres mavaient donné avant de me saluer et me souhaiter Bonne chance pour le futur, phrase qui sentait un peu la résignation et portait en elle une note amère qui disait À partir daujourdhui, tu ne nous concernes plus . Ils mavaient offert une montre. Ils avaient aussi offert une montre à ceux qui étaient partis avant moi, qui sétaient mariés, qui avaient eu des enfants. Pourquoi offre-t-on toujours une montre ? Cest donc si important de constamment rappeler à une personne que son temps est destiné à passer, et quà la fin, elle arrivera à expiration comme une brique de lait abandonnée de tous au fond dune étagère dans un petit supermarché de province ? Il ny a quaux enterrements que lon noffre pas de montre au défunt, sans doute parce que le temps nexiste plus pour lui. Le temps nest rien comparé à léternité qui le contient. Jai ouvert le paquet, regardé la montre, déjà réglée à la bonne heure. Quelquun sen était occupé, pour quelle soit prête à lusage et que je ne perde pas de temps, justement. Perdre du temps pour régler le temps, quel curieux paradoxe ! Jai posé la boîte refermée sur la tablette de la cheminée, où je la prendrais avant de partir. Peut-être.

5.

Cleveland était proche désormais. Cindy sétait endormie durant la dernière partie du trajet. Nous étions restées seules dans le wagon, je lobservais avec attention parce quelle ne pouvait pas me voir. Je lenviais de la voir si heureuse, sûre delle, de sa vie. Une fille plus jeune que moi qui avait plus vécu que je navais pu le faire, qui avait fait des choix en étant consciente de tenir sa vie en main. Sa vie. Je me demandais pourquoi javais parlé avec elle, répondu à ses questions et men posant à mon tour sur elle. Je ne trouvais pas de réponse. Je ne me connaissais pas assez, évidemment. Je transpirais malgré les tourbillons dair frais qui parcouraient le wagon et me pénétraient jusquaux os. Elle restait là, tranquille, béatement bercée par ses rêves. Puis le train a commencé à ralentir, accompagné du crissement agaçant des roues et des freins, qui anticipe larrivée dans la gare. Cindy a ouvert les yeux et étiré ses bras comme je faisais chaque matin depuis mon enfance dans les premières secondes qui suivaient mon réveil, quand les peurs de la nuit ne métaient pas encore revenues à lesprit pour me rappeler à la réalité. Elle ma souri.

« Je suis tombée comme une poire, désolée ! »

Je lui ai rendu son sourire. Jétais sincère et émerveillée de lêtre en même temps.

« Tu tes reposée un peu, ai-je confirmé. Elle a acquiescé.

Quest-ce que tu as fait toi ?

Jai regardé dehors.

Tout le temps ? Jai dormi combien de temps ?

Je regardai ma montre.

Presque deux heures.

Quand même ! Pas mal ! »

Je ne comprenais pas à quoi elle faisait allusion. Quest-ce qui nétait pas mal ? Le fait davoir dormi quasi deux heures dans un amas de ferraille en mouvement au milieu de la campagne de lOhio ? Je lai regardée en fronçant les sourcils.

« Ta montre ! Pas mal !

Ah, merci. Cest un cadeau.

De ton homme ? »

Jai baissé les yeux. Cette fille déterrait doucement tous les cadavres que javais difficilement, patiemment et dévotement recouverts de terre et oubliés. Jai répondu à moitié.

« Je nai pas dhomme, je suis seule. Cest un cadeau de mes ex-collègues de lhôpital, ils me lont donné le jour où jai quitté mon travail, durant la fête dadieu. »

Elle ma regardée, me détaillant de la tête aux pieds. Elle mobservait, je me sentais étudiée en profondeur, comme un rat de laboratoire auquel on aurait injecté un virus mortel et dont on étudiait le temps quil mettrait à mourir. Ma montre ne lintéressait plus tout à coup, elle était concentrée sur moi, sur mon aspect, ma tristesse, comme si elle la percevait. Elle pensait peut-être à se sacrifier pour moi, à prendre en main les rênes de ma vie pour la conduire quelque part. Ma vie, encore une fois. Jai relevé mes barrières ou le peu quil en restait, je ne voulais pas souffrir de nouveau. Jétais experte désormais et je reconnaissais les symptômes qui anticipent larrivée de la souffrance avec une absolue certitude. En termes de souffrance, jétais vraiment infaillible, on pouvait compter sur moi. Jai décidé que notre rencontre ne durerait que le temps du voyage. Je nirais pas chez elle, dans sa maison. Ou peut-être que si, quelques heures, quelques jours, quelques années ou pour toujours.

Le train sest arrêté et une voix enregistrée a annoncé dans les voitures que nous étions arrivées. Cindy sest levée, a remis sa chemise dans son pantalon. Elle était étrangement impeccable malgré les heures passées assise sur son siège. Je sentais son parfum. Il était frais, comme si elle venait de le mettre. Jai alors remarqué les deux grandes valises quelle avait emportées et me suis demandé, émerveillée, comment elle avait pu les porter seule, sans laide de personne. Je me suis levée et ai senti mon corps exsuder une mauvaise odeur de transpiration. Jeus honte au point de me rasseoir. Jattendrais quelle soit sortie du wagon pour me relever sans crainte de baptiser lair de ma fragrance dégout. Mais elle ne faisait pas du tout attention à moi. Elle avait peut-être compris mon problème, ou pas. Je ne lai jamais su.

« Je passe devant, on se voit dehors, me dit-elle avec un sourire.

Daccord, je prends ma valise et je te rejoins tout de suite. »

Elle ma regardée tandis que je tendais le bras vers le compartiment au-dessus de ma tête. Elle na pas bougé.

« Cest tout ? Tu nas que ça comme bagage ?

Oui, jai emporté peu de choses. Jai laissé le reste à la maison, je nen aurai pas besoin ici.

Elle ma regardée dun air perplexe.

Si tu le dis, Mel ! Allez, on y va avant que le cheval ne décide de repartir avec les ânes dessus !

Pardon ?

Rien, cest une expression dici ! Nous serions les ânes, cest tout ! »

Elle a éclaté de rire, visiblement heureuse dêtre rentrée à la maison, sa maison, pour poursuivre la vie, sa vie. Et pour traîner derrière elle les restes usés de mon existence. Elle marchait devant moi et je la suivais, comme un chien attaché par une invisible laisse suit son maître. Jadmirais son joli corps de jeune de vingt-cinq ans, jenviais son physique qui semblait avoir été créé par les mains expertes dun sculpteur. Sa poitrine était généreuse, ses fesses fermes, ses belles jambes longues et droites faites pour son jean étroit. Jai touché mes hanches et mon imagination sest évaporée. Seule lenvie maccompagnait encore une fois, et pas la dernière.

Durant les années passées à luniversité, javais réussi malgré tout à obtenir des petites satisfactions personnelles. Jétais une étudiante modèle, une de ces filles toujours impeccables, le col de luniforme propre et bien repassé, préparée, toujours à jour dans ses cours et ses devoirs bien faits. À part ça, je ne communiquais pas. Par choix mais aussi par nécessité, je nai jamais fait partie dun des groupes qui peuplaient le campus. Cest pour cette raison, je pense, que jétais jalousée et considérée comme un lèche-bottes par la plupart de mes camarades, comme une qui cache beaucoup dintérêts personnels et darrière-pensées derrière un visage dange. Certaines rumeurs sétaient faites plus insistantes et lune delles, peut-être la plus insultante pour une femme de lépoque, est arrivée aux oreilles du doyen. Il connaissait bien mon parcours détudes, mes succès scolaires et mon comportement, à lécole comme en-dehors. Mais surtout, il connaissait bien mon père et son caractère. Ils avaient combattu ensemble, lui aussi se souvenait du spectacle déchirant de mon père qui tenait son ami et compagnon darmes mourant dans ses bras, tentant de contenir ses larmes, le désespoir et la peur. Mais une fois de retour auprès des siens, cet homme était parvenu à tout oublier, il avait entrepris une brillante carrière académique pour ensuite devenir doyen de linstitut. Cest peut-être pour cette raison quil sest occupé de me prendre sous son aile protectrice, me défendant contre tout et tous. Mais à cause de sa fonction à lécole, il ne pouvait le montrer publiquement. Il ma appelée un jour dans son bureau sous la banale excuse de me demander quelles étaient mes intentions pour lavenir, et me proposer une activité de recherche à effectuer à linstitut en complément de mes études. Il ma fait part des vilains bruits quil avait entendus sur mon compte et qui lui avaient été rapportés par une employée selon ses dires.

Durant les années passées à luniversité, javais réussi malgré tout à obtenir des petites satisfactions personnelles. Jétais une étudiante modèle, une de ces filles toujours impeccables, le col de luniforme propre et bien repassé, préparée, toujours à jour dans ses cours et ses devoirs bien faits. À part ça, je ne communiquais pas. Par choix mais aussi par nécessité, je nai jamais fait partie dun des groupes qui peuplaient le campus. Cest pour cette raison, je pense, que jétais jalousée et considérée comme un lèche-bottes par la plupart de mes camarades, comme une qui cache beaucoup dintérêts personnels et darrière-pensées derrière un visage dange. Certaines rumeurs sétaient faites plus insistantes et lune delles, peut-être la plus insultante pour une femme de lépoque, est arrivée aux oreilles du doyen. Il connaissait bien mon parcours détudes, mes succès scolaires et mon comportement, à lécole comme en-dehors. Mais surtout, il connaissait bien mon père et son caractère. Ils avaient combattu ensemble, lui aussi se souvenait du spectacle déchirant de mon père qui tenait son ami et compagnon darmes mourant dans ses bras, tentant de contenir ses larmes, le désespoir et la peur. Mais une fois de retour auprès des siens, cet homme était parvenu à tout oublier, il avait entrepris une brillante carrière académique pour ensuite devenir doyen de linstitut. Cest peut-être pour cette raison quil sest occupé de me prendre sous son aile protectrice, me défendant contre tout et tous. Mais à cause de sa fonction à lécole, il ne pouvait le montrer publiquement. Il ma appelée un jour dans son bureau sous la banale excuse de me demander quelles étaient mes intentions pour lavenir, et me proposer une activité de recherche à effectuer à linstitut en complément de mes études. Il ma fait part des vilains bruits quil avait entendus sur mon compte et qui lui avaient été rapportés par une employée selon ses dires.

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