Robert Johnson Fils Du Diable - Patrizia Barrera 3 стр.


Jusquà ce jour, en réalité, les deux seules photos « confirmées», sont en possession de sa demi-sœur Carrie et nous les connaissons à la perfection: dans aucune des deux Johnson semble gaucher. Alors, de quoi sagit-il réellement ?

Nous avons plusieurs témoignages de Johnny Shines à ce sujet. Nous savons que ce dernier a accompagné Johnson durant quelques années, de 1933 à 1935 environ et quils ont tous deux voyagé en long et en large dans le Delta selon les meilleures traditions des Ramblers. Shines ne mentionne aucunement que son ami soit gaucher mais il raconte minutieusement comment Johnny aimait jouer du Blues en tournant le dos aux autres musiciens, et une fois quil se retournait, il jouait tranquillement de la musique dun autre genre, la plupart du temps celle demandée par les clients, comme les ballades du vieux Sud.

Cette manie de tourner le dos est bien confirmée également par Son House qui, comme dhabitude, la dépeint de vaudou. « Il ne voulait pas que les autres musiciens le regardent dans les yeux pendant quil jouait et il se retournait, probablement pour que personne ne puisse lui arracher le secret de la vitesse de ses mouvements. On sait que le diable naime pas quon le regarde dans les yeux ! »

Il suffit de telles phrases pour alimenter une légende ! Bien plus simple que dimaginer un gaucher contrarié, une hypothèse qui expliquerait en partie les maux de tête infantiles de Johnson, ses difficultés de concentration, son irritabilité et son refus daller à lécole.

Le mancinisme a été pendant des siècles considéré comme un « signe démoniaque » et de nombreuses personnes nirent sur le bûcher pendant la période de lInquisition pour cette raison !

Jusquà lépoque moderne (et je parle du milieu des années 70) on avait même tendance à corriger cette diversité en bandant la main de lenfant et en le stimulant à écrire avec la droite ! Si donc nous rapportons lêtre gaucher aux débuts des années 1900 en Amérique, sur le Delta, dans une communauté noire et dans la peau dun enfant « bâtard » (donc fils de la faute, déjà marquée sur lui) qui plus grand « fera du blues ». Nous pouvons comprendre alors lénormité de la charge psychologique et émotionnelle qui a accompagné le jeune Johnson durant toute sa courte vie.

Dans cette optique, il est facile de supposer que les capacités soudaines imputées au pacte avec le diable étaient tout simplement une reprise du mancinisme perdu, peut-être sous limpulsion de son maître Zimmerman, qui avait su lire dans lâme tourmentée du garçon.


Johnny Shine, mature, des années après la mort de Johnson qui joue les chansons de son ami.

Donc, musicalement parlant, nous assistons à un véritable dédoublement de Robert Johnson : dune part, un artiste capable de jouer tout ce quon lui demande dans nimporte quel style, une capacité typique des Ramblers qui devaient sadapter aux goûts variés des clients des bars, de lautre un artiste qui faisait voler ses doigts sur la guitare en jouant du blues... de dos

Dans le premier cas, il y a certainement lacquisition dune « méthode » qui, si pour Son House et dautres musiciens de race était innée, chez Johnson par contre cétait le fruit dun engagement constant et discipliné ; dans le second il y a le sentiment de libération du Blues, qui est ensuite exécuté selon sa nature gauchère et gardée cachée aux autres, pour les raisons mentionnées.

Dautre part, le fait que Johnson fut un dissocié et un aliéné est largement documenté : Shines rapporte combien son ami était aimable et gentil avec le public et violent en privé, surtout avec les femmes quil maltraite, malmène et abandonne.

« Souvent il disparaissait pendant que nous jouions et me laissait seul raconte Shine Il sortait des jours entiers sans donner de nouvelles, puis il revenait comme si de rien nétait. Je savais quil aimait sattirer des ennuis, courir après des femmes mariées, et il se battait avec leur mari plus dune fois. Il a parfois été jeté en prison pour quelques nuits divresse et de bagarre. Au début, cétait sympa de voyager avec lui, de monter et descendre des trains, de jouer partout où on voulait. Johnson était aimé par les gens, car il savait les satisfaire de toutes les manières possibles. Mais quand il a commencé à samuser avec les femmes, il a changé. Il mettait sa colère sur toutes les femmes quil voyait, les battait à mort, puis revenait jouer avec moi.

Il me disait : « Ah, frapper une femme me fait me sentir mieux.» Presque toutes les chansons quil écrivait parlaient de femmes. À un certain moment, la cohabitation avec lui est devenue impossible et nous nous sommes séparés. »


Voici la pochette du disque du célèbre événement auquel Johnson ne put participer

Notez lincroyable liste de noms illustres.

En 1936, Johnson était tourmenté par le désir denregistrer ses chansons et dentrer dans le marché discograque. Il se donna donc beaucoup de mal pour être reçu par HC Speir, un talent scoot blanc qui tenait un magasin de disques dans le Mississippi et qui avait déjà découvert de grands talents comme Charlie Patton, Skip James, Tommy Johnson et Son House. Daprès ce que lon dit, Speir reconnut rapidement les capacités de Johnson mais, pour une antipathie dimpact, il préféra le passer à Ernie Oertle, un autre TC qui offrit de lemmener à S. Antonio en novembre 1936 pour faire une session dessai.

Ceci eut lieu dans la chambre 414 du Gunter Hotel, où Brunswick Record avait implanté un studio denregistrement « volant », comme cela se faisait à lépoque.

Avec Johnson, en effet, il y avait une foule de musiciens ramassés ici et là sur le Delta, surtout des Mexicains et même le Wagon Gang Chuck, un groupe musical très populaire à cette époque dans les clubs du Delta. Ici Johnson, comme le rapporte Oertle, « a enregistré accroupi et de dos, à tel point que jai eu du mal à placer les microphones »

Cependant Oertle nétait pas très étonné : il était habitué aux manies des bluesmen et à leurs rituels et il pensa que Johnson cherchait tout simplement « langle de charge » cest-à-dire la meilleure manière de faire sortir le son.

Dans cette première session ont été enregistrés, entre autres I COME ON INTO MY KITCHEN, KINDHEARTHED WOMAN, CROSSROAD BLUES et TERRAPLANE BLUES, la seule dont Johnson écouta lenregistrement et qui devint un grand succès, en vendant pas moins de 5000 exemplaires la première semaine, un vrai record pour lépoque !

Dans cette première expérience dessai nous trouvons une série de chansons certainement liées au Sud rural, viscéral et impactant, considérées depuis toujours « lexpression la plus véridique du mélancolisme de Johnson ». Parmi celles-ci se distingue Kindhearted Woman pour sa complexité et pour une plus grande recherche du son ; le texte est certainement beaucoup plus articulé que les autres et ce nest pas un hasard si pendant des années, avec Crossroads blues, elle devint presque le drapeau distinctif de lartiste.

Une deuxième session fut ensuite réalisée en 1937 directement à Dallas dans le Vitagraph Building situé au 508 Park Avenue, où Brunswick Record avait son Quartier général.

En tout 29 chansons, plus quelques essais inachevés et des enregistrements rejetés, pour un total de 41 gravures. Un nombre certes très réduit de chansons, mais qui constituent un précieux patrimoine pour la musique mondiale.

Quoi quil en soit, Robert Johnson eut un succès posthume. Bien quapprécié en tant que musicien, ses capacités dinnovation nétaient pas très bien comprises à lépoque et ce nest certainement pas sa mort prématurée qui le sauva dun oubli immédiat le cachant de la critique pendant environ trente ans. En 1938, période de son plus grand succès, si vous demandiez à quelquun dans la rue « Qui est Robert Johnson ? », il naurait pas su vous répondre, mais il aurait pu vous décrire le nombre de cheveux quavait Son House sur la tête. Cependant son nom commença à faire son chemin parmi les experts du secteur vu que justement cette année-là le fameux John Hammond, producteur de Columbia Records, lavait mis sous contrat pour la première édition du très célèbre « du spirituel au Swing» au Carnegie Hall de New York, en dautres termes la consécration officielle du jeune Johnson ! À sa mort, Big Bill Broonzy le remplaça sur scène, ils observèrent deux minutes de silence et jouèrent deux de ses derniers enregistrements, dans une foule stupéfaite et en larmes.

Si seulement il avait résisté à ne pas se faire tuer pendant deux autres mois, ce soir-là, Johnson aurait apprécié son succès mérité !

Comment expliquer cette faible popularité parmi les gens ordinaires ?

Robert Johnson na JAMAIS été célèbre de son vivant et sa production apparaît dérisoire par rapport à celle des autres bluesmen de lépoque. Mais il est revenu à lhonneur, et on peut dire quil a été redécouvert dans les années 60 avec la nouvelle génération des artistes Rock, en particulier grâce à une collection éditée par Paramount appelé KING of the Delta Blues Singer, qui sest littéralement envolée, au point quelle fut réimprimée en 1969 et enfin en 1970.

Des artistes comme Eric Clapton et les Cream contribuèrent nettement à la renaissance de son succès, en inscrivant une nouvelle version de Crossroads Blues. Sans parler des Rolling Stones qui perdirent la raison avec leur version de Love in vain et Stop Breakin Down Blues.

Mais déjà longtemps avant, des artistes moins connus avaient essayé de sortir Johnson de sa tombe.

En 1951, Elmore James a enregistré sa propre (et très particulière) version de I believe I dust my Broom, qui na pas eu le succès mérité. Par contre le célèbre Sweet Home Chicago est devenu létendard de nombreux bluesmen dexception, repris tout dabord par Muddy Waters, qui, à son tour, influencera les Beatles.

En fait, Johnson incarnait une réalité très actuelle pour le début des années 60 en Amérique : limage dun anti-Héros damné, maudit et obsédé par le démon qui chante le Blues en le brisant de lintérieur. Ceci se mariait parfaitement avec la nature révolutionnaire de la nouvelle génération américaine. Dans ses chansons il « crie » littéralement la douleur existentielle dune société qui ne trouve plus ses propres points de repère et qui, avec langoisse spasmodique, se lance vers un avenir sombre et pleine dinconnu.

Les productions de Johnson concernent en effet surtout les femmes, lalcool et la violence, exactement comme dans la plus pure tradition du blues. Pourtant, dans ses textes, on perçoit son fort dégoût pour ce quil raconte et dont il nest nullement ère. Son rythme obsessionnel de boogie nouveau-né, sa voix stridule et nasale, les pauses entre les mots, lutilisation des micro-tonalités et les textes articulés dans lesquels ressort sa dévastation morale, son sentiment de « bâtard sans patrie » poursuivi par les « démons du remord » eut un grand impact sur les musiciens de lÂge, souffrant de la même maladie.

Sortis dune décennie de bien-être et de bons principes de famille, les jeunes des années 60 se sentent écrasés par une société où la tradition a un goût duniformité et où le concept de patrie va trop loin avec le mot GUERRE. Ce sera alors la campagne du Vietnam et la division qui en découle qui leur donnera la voix appropriée ; en attendant, le monde exige un changement et cela se fait, comme dhabitude, à travers la musique. Arrive alors la génération ROCK.


Fortement influencés par le blues, les Rolling Stones sont ensuite devenus licône vivante de la vie Rock. Leurs concerts dans les années 60/70 étaient remplis de drogues, dalcool et de rituels obscurs. Ils étaient souvent les protagonistes de rituels pseudo-sataniques et on dit quils furent même des spectateurs impassibles de vrais meurtres accomplis dans leurs spectacles par des groupes dexaltés.

En ce temps-là, « être Rock » en Amérique, cétait de « rompre avec les modèles, réfuter la tradition, remettre en question les conventions et aspirer à une société de véritable agrégation, où les concepts dHumanité et de Progrès ne sont pas des mots écrits sur un papier ». Il est donc indicatif, et même naturel, que Johnson avec sa musique maudite et ses innovations stylistiques, qui tendaient à faire de la guitare la « vraie voix de lâme », soient utilisées comme point de départ pour la construction de ce nouveau monde.

En outre, lartiste satanique, avec ses morceaux délirants et évocateurs, les textes dans lesquels il sauto-dénit « damné », son mépris évident pour les femmes et la description presque trop détaillée dun style de vie dégradé et voué au vice, NE PEUT PAS NE PAS être une icône idéale pour une génération qui fait de son attitude de rupture un style de vie. Et puis, la fameuse triade « drogue, sexe et rocknroll » sur laquelle sest appuyée toute une génération de jeunes Américains entre les années 60 et 70 nest-elle pas inspirée de la conduite johnsonienne « alcool, femme et Blues » ?

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