Nous montâmes à bord de la voiture.
À la traversée du pont sur la Safe River, à ma grande surprise, je notai que mon cœur battait autant la chamade quà laller.
Cétait comme si, au cours de cette soirée, quelque chose dirrésistible et dextrêmement puissant métait tombé dessus.
Chapitre 5
GINEVRA
Je navais pas cessé de penser à Lorenzo pendant toute la semaine.
Javais lu des livres, visité des galeries dart, participé à une réunion sur les droits civiques ; peine perdue, tout me semblait insignifiant et dénué de toute émotion.
Ce nétait quen repensant à Lorenzo, à ce que je lui avais dit, que je me sentais vivre et aux anges.
Cétait incroyable !
Javais été tentée de solliciter Maya pour me ramener de lautre côté du fleuve mais je ne voulais pas lui demander ouvertement.
Au fond de moi jétais consciente du fait que mon action était erronée et que le danger encouru était réel. Mais cétait ce qui mavait motivée ces derniers jours.
Il suffisait que je ferme les yeux pour réentendre la voix chaude, profonde et légèrement rauque de Lorenzo.
Sans parler également de ses cheveux châtains désordonnés au milieu desquels me prenait lenvie dy passer les doigts.
Ou sa barbe de quelques jours.
Je navais jamais touché un homme, pas même mon père ni mon frère.
Une part de moimême aurait voulu lui caresser son visage pour percevoir ce quon ressent à effleurer cette écorce rugueuse et non rasée de près.
Oh mon Dieu, le toucher...
Jen avais le souffle court rien que dy penser.
lidée mexcitait et me terrorisait à la fois.
Toucher un Orlando était interdit !
Javais encore la sensation de la chaleur de sa main sur mon bras.
Et jaurais payé cher pour éprouver de nouveau cette sensation.
Et ses yeux...
Mon Dieu, Ginevra, calmetoi !
Ginevra, tu veux te blesser ? Peuton savoir ce qui te passe par la tête ?, sexclama Maya en me tirant de mes pensées.
À rien, répondis-je précipitamment tout en continuant à couper les oignons.
Je ne te crois pas.
Jétais en train de penser à quelque chose à te cuisiner. Jespère que les pâtes à la sauce seitan te plaisent, répondisje promptement. Je fis revenir loignon avec le céleri et les carottes.
Je le découvrirai bientôt mais je te fais confiance. Tu es un vrai cordon bleu même si jestime honteux que tes parents naient pas mis de domestique ou une aide quelconque à ta disposition pour faire ce travail.
Mon père a été très clair : tant que durera mon régime végétarien et que jaurai ces idées en matière de droits civiques, je resterai reléguée dans cette annexe et je devrai me débrouiller seule. À présent je suis devenue une femme au foyer modèle.
Tu passes aussi laspirateur ?, senquit Maya écœurée.
Oui, je fais la cuisine, le linge, le repassage et mon lit toute seule.
Mince ! Jen serais bien incapable ! Ils te traitent comme une esclave !
Ne dis pas de sottises. Jai acquis mon indépendance et je ne fais rien de plus que ce que la majorité des gens fait au quotidien. Tout le monde ne peut pas se permettre davoir du personnel qui le remplace en tout et pour tout, tu sais ?
Et cette situation te convient ?
Oui, murmuraije abattue. En réalité nettoyer ma maison ou cuisiner pour moi ne mintéressait pas. Ce qui me faisait le plus mal était lattitude de ma famille : ils ne voulaient plus de moi, ils nacceptaient pas ma différence, ils ne démontraient aucun intérêt à mon égard.
Les rares fois où je me retrouvais en famille étaient une souffrance parce quils me coupaient la parole, ne me laissaient pas entamer un sujet de conversation et, pis encore, négligeaient de demander au cuistot de préparer de la nourriture à part pour moi.
Je me sentais souvent seule et, depuis trois ans, jétais exclue et traitée sans aucun égard.
Mon déménagement dans cette annexe était lenième tentative pour misoler afin déviter que je fasse partie de la vie de la famille.
Même ma sœur Rosa mévitait et, depuis son mariage, elle avait cessé de me téléphoner.
Les relations avec mon frère Fernando navaient jamais été chaleureuses et je navais jamais pu souffrir la distance quil avait instaurée entre nous deux. En tant quaîné il avait dix ans de plus que moi et était lhéritier direct de lempire de Papa ; pour ces raisons il se permettait de tyranniser tout le monde.
Écoute, Lucky ma appelé. Il a ton pass. Apparemment il a essayé de se rendre au Bridge avec ses copains mais on lui a dit que la carte était nominative et quil ne pourrait y entrer sans toi. Il ma demandé si cela nous plairait dy retourner ce soir avec lui et lun de ses amis quil voudrait te présenter. Il ma montré sa photo : cest un joli garçon ! Peutêtre en sortiratil quelque chose pour toi, quen distu ?
Je repensai à Lorenzo.
Sans être capable de ladmettre, javais follement envie de le revoir.
Ma réponse laissa Maya abasourdie : Ok !
Tu parles sérieusement ? Disons que ça me fait plaisir mais jétais convaincue que tu ne voulais plus entendre parler du Bridge et des Orlando après ce qui sétait passé làbas samedi dernier.
Jai besoin de changer dair.
Autrefois quand tu souhaitais changer dair, tu me demandais lautorisation daller en montagne dans le cottage de mon grandpère. Alors quà présent tu me dis que tu veux retourner dans lantre du loup. Jai dû te contaminer avec ma manie de faire des choses hors normes.
Cela se pourrait, répondisje en souriant, joyeuse.
Chapitre 6
LORENZO
Je ne pus retenir un petit sourire de satisfaction quand je vis Mia Madison franchir lentrée du Bridge.
Je savais quelle avait refusé mon pass et que seule lintervention dun de ses amis lavait sauvée. Nul nétait assez fou pour offenser un Orlando en refusant son cadeau, même si Mia semblait indifférente à mon nom de famille et à ce quil représentait à Rockart City.
Mon sourire sépanouit lorsque je la vis ôter sa veste légère en lin blanc pour dévoiler une robe montante bleu clair, même si cette dernière avait une large échancrure dans le dos.
Son apparence chaste, soulignée par un léger maquillage aux nuances pâles, était une indication claire du fait quelle tenait à ne pas être prise pour une entraîneuse comme la fois dernière.
Pendant un bref instant son regard croisa le mien.
Nous nous fîmes un bref signe de tête en guise de salutation mais ses yeux restèrent accrochés aux miens une fraction de seconde de trop pour que je ne comprenne pas quelle avait pensé à moi pendant la semaine qui venait de sécouler, tout comme moi javais pensé à elle.
Il était difficile de môter de la tête une femme qui mavait ouvertement traité de repris de justice et mavait défié si ouvertement, bien que je lui fîsse peur.
Je promenai lentement mon regard sur elle, à la recherche de cette femme transgressive et sans complexes, mais toute trace semblait en avoir disparu.
Elle était simple et très belle.
Ses yeux bleus légèrement teintés de violet ressortaient grâce à son fard à paupières lilas et les lèvres charnues à peine soulignées dun rouge à lèvre rose.
Par rapport à la fois précédente, elle paraissait plus jeune. Je ne lui donnais guère plus de vingt-cinq ans et les manières gracieuses et raffinées avec lesquelles elle se déplaçait, sasseyait et portait le verre de Bellini à ses lèvres... tout ceci avait quelque chose de sensuel et charmant à la fois.
Javais compris quelle avait fait des études supérieures et nétait pas une vulgaire entraîneuse lorsque javais parlé avec elle et, à présent, la voyant dans sa merveilleuse simplicité, je maperçus quelle était bien plus que ce quelle ne laissait entrevoir. Toutefois sa timidité et sa réserve, lorsque le garçon auquel elle parlait la touchait, me firent comprendre quil y avait quelque chose détrange en elle : cétait comme si le contact physique la dérangeait...
Elle avait été très réservée avec moi mais javais lu la peur dans son regard ; alors quà présent il sagissait dirritation et daversion, bien que dissimulées derrière des sourires affectés et des gestes mesurés, pas assez incisifs cependant pour que le garçon garde ses mains à leur place.
Jappréciai ses efforts pour maîtriser sa nervosité tout en gardant le masque dune jeune fille distinguée, même sil était clair par ailleurs quelle aurait voulu gifler son cavalier.
Je jouis du spectacle depuis ma position surélevée, me demandant combien de temps il lui faudrait avant de sortir de ses gonds.
Dautre part son amie Chelsea semblait ne se rendre compte de rien, tant elle était prise par les épanchements avec le garçon avec lequel elle sortait déjà la semaine dernière.
À un certain point le cavalier de Mia se mit à jouer avec ses longs cheveux blonds.
Apparemment ce geste la dérangea au plus haut point car elle se leva dun coup et, avec une excuse quelconque, se dirigea vers les toilettes.
Jallais replonger le nez dans mon verre lorsque je vis le garçon la suivre.
Je connaissais bien ce sourire trop sûr de soi et je me doutais de la suite quallaient prendre les événements.
En temps normal jaurais fait appeler un serveur pour lui demander dintervenir ; mais cette fois je sentis que mes mains me démangeaient et, si je découvrais ce que je craignais, je naurais pas hésité à boxer le malchanceux.
Je me dirigeai nonchalamment vers les toilettes des femmes.
Porte close.
Je frappai à la porte et pour toute réponse jentendis un cri, aussitôt étouffé, et quelque chose qui tombait par terre.
Je ne voulais pas provoquer un esclandre ni effrayer les clients étant donné que la réputation de mon établissement était basée sur la discrétion ; donc jévitai denfoncer la porte ou de crier quon mouvrît.
Jappelai aussitôt Jacob, mon second, et me fis apporter les clés des toilettes.
Je me précipitai dans les toilettes pendant que Jacob refermait la porte derrière nous.
Mia était au sol, une joue rougie, tandis que le garçon avait la braguette ouverte et était allongé sur elle, lui bloquant les poignets.
Je balançai ce salaud au loin et me penchai vers Mia.
Je lui écartai les cheveux du visage mais, à peine mes doigts eurentils effleuré son visage quelle sursauta et séloigna du contact, terrorisée.
Avec surprise je vis une mèche brune émerger au niveau de sa tempe et je compris que ses blonds cheveux nétaient quune perruque.
Mia, cest moi, Lorenzo Orlando, lui disje lentement en lui prenant les épaules secouées par les sanglots. Viens, je vais taider à te relever.
Elle fixa longuement ma main, comme sil sagissait de quelque chose dinterdit et de dangereux mais, à la fin, elle accepta mon aide.
Avec douceur je laidai à se remettre debout ; ce faisant je maperçus quelle avait dû se fouler la cheville car elle boîtait et la sangle de sa chaussure était cassée.
Avant quelle ne seffondrât à nouveau je la saisis dans mes bras pour lemporter.
Elle était tellement désorientée et effrayée de ce qui venait darriver quelle nopposa aucune résistance et se blottit contre ma poitrine en tremblant.
Entretemps Jacob sétait occupé du type.
Si je te revois dans mon établissement je te brise en mille morceaux, le menaçaije avant que Jacob ne lexpulse.
Je sortis des toilettes et notai les regards curieux de certains clients. Seule lamie de Mia semblait bouleversée et se précipita vers nous.
Mon Dieu... Que testil arrivé ? sécriatelle désespérée en voyant le visage écarlate de Mia.
Celleci essaya de la rassurer : Tout va bien
Ça ne va pas. Plus rien ne va... Mince, sil tarrive quelque chose, je suis morte !
Cette phrase minquiéta parce que Chelsea semblait réellement y croire.
Jaurais voulu creuser la question mais Sebastian, mon manager, sapprocha.
Trouvemoi les clés dune chambre. La demoiselle sest blessée et a besoin de prendre un peu de repos, lui demandaije.
Toutes les chambres sont occupées, me ditil dun air soucieux.
Je conclus, décidé : Alors je lamènerai dans mon appartement.
Non ! sexclamèrent à lunisson Mia et Chelsea.
Ne vous inquiétez pas. Il nest pas dans mes habitudes de sauver une femme dune tentative de viol pour en abuser ensuite. En attendant, Sebastian appelle un médecin et la police, ainsi la cliente pourra porter plainte.
Non ! sécrièrent presque simultanément Mia et Chelsea.
Ce nest pas nécessaire... Je vais bien et il ne sest rien passé. Je crois quil vaut mieux tourner la page et oublier cet incident. De plus je ne tiens pas à créer un scandale qui porterait atteinte à la réputation des Orlando, se hâta dajouter Mia, inquiète.
Je pressentais un sac de problèmes daprès la panique qui je lisais dans les yeux des jeunes femmes.
Entendu, comme il vous plaira, décidaije en me dirigeant vers le deuxième étage où se trouvait mon appartement.
Je transportai Mia dans la chambre des invités et la déposai sur le lit.
Merci, me remerciatelle timidement.
Jen vins à ce qui me préoccupait : Et maintenant, peux-tu me dire ce qui sest passé et ce que ta fait ce garçon ?
Jétais en train de me rafraîchir lorsquil est entré dans les toilettes. Il a fermé la porte. Je me suis fâchée et il a commencé par me bousculer. Jai perdu léquilibre à cause des talons hauts et je suis tombée, me foulant la cheville droite. Je pensais quil maurait aidée et se serait excusé... À linverse il mest tombé dessus et à commencé à... me toucher... à me dire darrêter de faire la sainte nitouche... jai essayé de le frapper mais il sest défendu et ma giflée... Je... Je...
Et puis ?, disje doucement, essayant de maîtriser la colère qui menvahissait.
Il a relevé ma jupe et a ouvert le rabat de ses pantalons... Cest à ce momentlà que tu as frappé à la porte en lui intimant douvrir. Jai essayé de crier mais il ma mis la main sur la bouche. Jai essayé de me libérer, sans y parvenir et, à la fin, tu es entré... Merci dêtre intervenu, bredouilla Mia, encore sous le choc.