Souffles
Contes et Univers
Micol Fusca
Tous les droits de reproduction, traduction et adaptation sont réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être utilisée, reproduite ou diffusée sans l'autorisation écrite de l'auteur.
© Micol Fusca 2019
Auteur: Micol Fusca
Illustration de couverture: Yuri Dovadola
Traduction de l'Italien au Français: Daniela Bonvicini
"Avoir le plus grand courage signifie être exactement ce que ta conscience te demande d'être. Au contraire, la couardise la plus grande est suivre les autres, les imiter."
Osho
Sommario
"Souffle"
"Crucifiée"
" Le Masque d'Or"
"Le Chevalier de la Mort"
"La Belle et la Bête"
"Butterfly"
"La Maison des Rêves"
Remerciements
Biographie
"Souffle"
"Dormir.
L'action la plus intime que je connaisse: se confier à l'autre sans défenses, sans mots ni constructions, sans incompréhensions.
Âme et corps serrés dans la même étreinte, le même soupir. Au dessus de tout: âge, genre, chair.
J'ai aimé Dalain dès son premier vagissement, je l'aimerai jusqu'à son dernier souffle.
Je m'appelle Nephelim. Je suis un Défenseur."
Une nuit sans étoilessombre et froide.
Il avait attendu que la Lune Rouge arrive au zénith, avant de se lever. Les reproches de la nourrice avaient cessé de le préoccuper depuis plusieurs années. Il avait sept ans à l'époque.
Bien en étant une femme de taille considérable, Alissa n'avait rien d'épouvantable. Son sein était le seul d'où il eût pris son lait: sa mère mourut juste après lui avoir donné naissance.
Son père avait accueilli sa sœur dans une période de difficulté. Son mari ayant perdu ses terrains à cause de son vice du jeu d'hasard, elle se retrouvât ainsi à la rue avec seulement un sac en cuir où elle avait mis quelques vêtements à peine.
Il avait été heureux de confier Nephelim à un membre de sa famille. Veridiana, sa cousine, était plus âgée que lui d'un an: il savait qu'elle était destinée à devenir sa femme.
La tradition elfique de mêler son propre sang exclusivement avec des membres de la famille était conçue comme un acte de conscience vers la race: sa pureté avant tout. C'étaient les paysans qui s'accouplaient au hasard, comme des bêtes.
C'est ça qu'on lui avait appris.
Il s'approcha à la chambre du petit sur la pointe des pieds: il était né ce matin-là. Il n'avait pas cessé de pleurer dès son premier souffle.
Des pleurs étranges, sans voix, qui lui fendaient le cœur. Il jeta un coup d'œil au-delà de la porte presque fermée, en observant la nourrice qui berçait le bébé dans ses bras robustes: elle marchait de long en large, en essayant de le tranquilliser.
«A-t-il mangé?» dit-il en s'avançant, oubliant la prudence.
Alissa lui adressât un sourire apparemment irrité, en levant ses sourcils. Elle savait qu'il aurait attendu que les adultes s'endorment pour la rejoindre. «Il est trop faible. Il n'arrive pas à tirer son lait» son regard devenant triste. «Le guérisseur doute qu'il puisse survivre plus de quelques jours. Son cœur est malade.»
Nephelim s'approcha, en courbant ses lèvres en une ligne subtile: il était fils d'un soldat, il était habitué à la vérité, si cruelle qu'elle pût apparaître. «As-tu essayé?»
La femme le regarda irritée. «Il devrait cesser de pleurer, petit malin. Il alterne les pleurs à l'état d'inconscience, il n'a pas assez de force pour s'attacher au sein.»
Nephelim devint obstiné. «N'y a-t-il d'autre manière?»
Alissa fouilla dans sa mémoire. «Quand j'étais jeune, j'ai vu soigner un agneau qui avait perdu sa mère: il refusait les mamelles des autres brebis. Le berger lui baignait la bouche avec une pièce de tissu trempée dans le lait. Finalement, il a décidé de se nourrir par lui-même. Je pourrais essayer: s'il accepte le tissue, je chercherai à l'approcher à mon sein pour tirer peux de gouttes à la fois et les laisser glisser entre ses lèvres.» Puis elle sembla se rappeler que les dispositions reçues de sa maîtresse étaient très claires. «NephelimJe ne crois pas que ta tante aille approuver. Un enfant malade est un problème, un dérangement. Il va mourir quand même.»
«Pas aujourd'hui.» Désormais c'était décidé. Il allongea ses bras vers elle, en attendant qu'elle le lui confie. «Mon père est lointain. C'est un ordre: mon vouloir est le seul qui doive être respecté pendant son absence.»
La nourrice s'inclina légèrement, avec un sourire sur ses lèvres. Il était destiné à commander une armée, son caractère était bien connu par ses serviteurs et par sa famille. Elle lui donna le bébé en faisant bien attention qu'il l'accueille dans ses bras avec délicatesse. Nephelim soutint la petite tête avec une prise sûre et bien attentive à ne pas la faire graver sur son cou frêle.
Alissa s'éloigna en frissonnant. «C'est une nuit sombre, sans étoiles. Pas même la Lune Rouge réussit à raviver le ciel. Une nuit de mauvais augure.» Son attention fut attirée par la question soudaine de l'enfant.
«Quel est son nom?»
«Dalain.»
Nephelim sourit.
Une nuit sans étoilessombre et froide. Une nuit éclairée par le fantôme de la Lune Rouge. Une nuit parfaite.
Le crépitement d'un rire, ressemblant à la pluie en printemps.
«Je n'ai jamais vu ce livre-là.»
Dalain essaya de le cacher, ayant remarqué que le regard de son cousin s'était déjà attardé sur sa jaquette de cuir décorée avec des ornements dorés. «Je l'aitrouvé.»
Nephelim s'assit à son côté, patiemment. Le printemps virait lentement à l'été et il était agréable de se reposer en plein air, à l'ombre du pommier énorme planté par la défunte Lady. Sa mère. Le grenier était son Lieu du Cœur: il y passait la plus part de la journée. Le livre était à lui.
Dalain n'arrivait pas à monter les escaliers par lui même.
«J'ai demandé à Alissa de me l'amener. Je lui ai dit d'obtenir ton permis et de prendre celui qui avait la jaquette la plus belle: verte. C'est ma couleur préférée.»
Les lèvres de Nephelim se plièrent en un demi-sourire, sa tentative d'apparaître moins rigide.
Dalain était malin. Il avait profité de l'ignorance de la nourrice pour se faire amener ce qu'il désirait. Au contraire de la femme il avait appris à lire et à calculer rapidement.
«Tu sais que ces trucs-là sont interdits. Ça devrait être brûlé sur le bûcher.»
L'enfant saisit le livre avec force et le tenait bien serré sur sa poitrine. Il le défiait à donner suite à sa menace, tout en sachant qu'il ne le ferait pas.
«Il n'y a rien d'interdit, j'ai lu suffisamment pour savoir que ce ne sont pas de trucs dangereux. C'est la magie qui a été bannie du Royaume, et pas son histoire.»
Loreana était de cet avis: elle aimait collectionner des livres anciens qui contaient du passé et de l'Ancienne Religion. Son mari considérait ça une habitude inoffensive.
Sa tante n'avait jamais réussi à toucher à ses choses: il lui était interdit d'entrer dans le grenier. Une décision où père et fils étaient d'accord.
Dalain se renferma à nouveau dans son silence, en observant des garçons qui les dépassaient en courant. Beaucoup d'enfants des serviteurs habitaient dans le domaine: ils étaient en chemin vers les pâturages, en riant à haute voix. Il arrivât à comprendre qu'il s'agissait d'une compétition.
Nephelim observa son air devenant triste. Il n'avait pas l'habitude de se plaindre: ce n'étaient que ses yeux sombres qui laissaient deviner sa mélancolie.
Il se leva, en lui tendant sa main. «Viens avec moi.» Il continua à le fixer du regard, en remarquent qu'il avait repris à serrer le livre. «Donne-le moi, je vais le cacher sur l'arbre. Ta mère ne grimpe pas comme un écureuil d'habitude: la seule idée de découvrir ses chevilles causerait son évanouissement pour la honte.»
Il prit le livre et monta rapidement vers les branches les plus hautes. Il trouva un enchevêtrement de jeune feuillage et il y cacha le livre aux yeux des passants.
Une fois revenu à terre, il lui fit signe à nouveau de le rejoindre. Dalain se leva hésitant, en sentant le poids de son regard: les yeux de Nephelim étaient de la couleur du fer, gris et déterminés.
Différemment des autres il navait pas peur de son cousin. Il savait que pour lui il donnerait sa main droite, celle avec laquelle il empoignait son épée. Cavait toujours été comme ça.
Ils partageaient la même chambre dès sa naissance. Nephelim dormait en face à lui, ainsi que son souffle arrivait jusquà son visage. Il avait appris à connaître chaque haleine au point quil sendormait seulement sil était bercé de lhaleine quil connaissait comme son rythme naturel. Chaque murmure brisé suffisait pour le réveiller rapidement.
Dalain hésitait. «Pourquoi maimes-tu? Je suis complètement inutile.»
Le garçon savait quil avait saisi ce murmure-là sur les lèvres de beaucoup de monde: domestiques et membres de la famille. Sa fragilité amenait beaucoup de personnes à ignorer que son esprit était prêt à mémoriser chacun de ces murmures. Cet air-là le faisait ressembler à lautre plus quil eût voulu. Leurs traits, leurs couleurs nétaient pas tellement différents: tous les deux de teint et de cheveux clairs, tous les deux avec des traits allongés et le nez fin.
«Parce que jadmire ton courage: tu combats pour ta vie dès ton premier souffle. Je ne sais pas si je pouvais supporter le poids qui topprime. Il est facile dêtre fort quand on n'a rien à craindre. Tu nes pas inutile: je narriverai jamais à être aussi intelligent que toi. Les Henders ont posé leurs yeux sur toi depuis longtemps.»
Il lui tourna le dos en sagenouillant à terre. En attendant.
«Est-ce que tu veux que...je monte sur ton dos?» Il sapprocha de quelques pas, inquiété.
Nephelim dit oui dun signe de tête, en lui jetant un coup dœil de derrière son épaule. «Tu sais comment tu dois faire, ce nest pas différent de quand nous montons les escaliers. Tiens-toi avec une prise forte.»
Dalain serra ses bras autour de son cou et quand lautre le souleva il sentit quil pouvait toucher au ciel avec ses doigts. Il saccrocha par ses jambes aux hanches de lautre garçon avec toute la force dont il était capable, en lui permettant de les serrer dans ses bras. Il était habitué à se faire amener par lui quand son souffle était tellement court quil lui empêchait de marcher.
Il percevait lassurance de Nephelim à travers le mouvement fluide des muscles du dos sur sa poitrine maigre. Il leva la tête pour observer la prairie et quand lautre commença à courir un sourire spontané ouvrit ses lèvres.
Pendant que les jambes longues de son cousin fendaient la mer dherbe quils avaient devant, il comprit quil avait fait semblant de ne pas donner dimportance aux jeux comme celui-ci. Il sétait fermé dans sa chambre en sisolant de nimporte quel bruit provenant de la cour et en laissant que son esprit coure et se batte pour lui.
Ils atteignirent la grange rapidement, en dépassant le groupe de garçons qui sétait rassemblé à ce lieu. Certains dentre eux les indiquèrent aux camarades, avec surprise.
Dalain sentit son cœur qui battait fort: émotion.
Nephelim était habitué à courir pour un bon bout de chemin de terre. Son allure sétait faite régulière: il réussissait à lui transmettre la vigueur des muscles en mouvement. Il lui semblait que ses propres muscles répondaient dune quelque façon et quils se mouvaient au même temps que ceux de Nephelim. Les sensations qui lenveloppèrent navaient rien à voir avec celles créées par son imagination.
Il saperçut quil était en train de rire seulement quand sa propre voix lui arriva aux oreilles avec un cri euphorique.
Nephelim décida de revenir sur le chemin de retour à la maison dès le moment où il lentendit reprendre à respirer après le rire qui lavait comblé. Même si dans cette période-là Dalain réagissait bien aux médicaments, il ne voulait pas baisser la garde. Il savait quil sétait gagné une tape sur la main de la part dAlissa et il navait aucune intention de mettre en danger la santé du petit.
Il trouva la nourrice sur le seuil de leur demeure, les bras croisés. Un des fils devait lui avoir raconté quil les avait vus courir au-delà de la grange.
La femme vérifia le visage rougi du petit sur les épaules de Nephelim, en clignant les yeux comme une mégère. Elle le prit dans ses bras sans donner le temps à Nephelim de faire des objections, en le serrant dans ses bras comme une couveuse furieuse. «Jespère que tu sais ce que tu es en train de faire, petit malin!»
Cétait la seule qui lappelait de cette façon-là: la seule à laquelle il le permettrait. «Il va bien, ne vois-tu pas comment il est content?»
Alissa observa Dalain dun œil critique: il semblait ivre. Il continuait à rire de manière étouffée, en se tenant accroché à son cou. Elle adressa son regard indigné au plus âgé. «Avec tout largent que tu dépenses pour lui procurer des médicaments dignes dun roi, tu devrais le traiter comme un pot de cristal!» Elle reprit à se concentrer sur lenfant, en observant son visage. «Il est complètement trempé...il a besoin dun bain chaud. Rends-toi donc utile et demande à Glinee damener quelques seaux dans sa chambre.»
Nephelim lui rendit hommage par une demie révérence. «Cest déjà fait, Madame.»
Le grondement dun rire, ressemblant à la pluie au printemps. Fine, intense. Une magie.