“Argon !” hurla-t-elle. “C'est moi! La fille de MacGil! Laissez-moi entrer! Je vous l'ordonne !”
Elle frappa sans cesse, mais seul le hurlement du vent lui répondit.
Finalement, elle éclata en sanglots, épuisée, se sentant plus impuissante que jamais. Elle se sentait vidée, comme si elle n'avait plus aucun recours.
Alors que le soleil se couchait, son rouge sang cédant la place au crépuscule, Gwen se retourna et commença à redescendre la colline. Elle s'essuya les larmes du visage en avançant, en se demandant désespérément où aller ensuite.
“S'il vous plaît, père”, dit-elle à voix haute en fermant les yeux. “Donnez-moi un signe. Montrez-moi où aller. Montrez-moi quoi faire. S'il vous plaît, ne laissez pas votre fils mourir aujourd'hui. Et, s'il vous plaît, ne laissez pas mourir Thor. Si vous m'aimez, répondez-moi.”
Gwen marchait en silence en écoutant le vent quand, soudain, un éclair de génie la frappa.
Le lac. Les Lac des Tristesses.
Bien sûr. Le lac était l'endroit où les gens allaient prier pour ceux qui étaient gravement malades. C'était un petit lac immaculé au milieu du Bois Rouge, entouré d'arbres gigantesques qui montaient jusqu'au ciel. On considérait que c'était un lieu saint.
Merci, père, pour votre réponse, pensa Gwen.
Maintenant, elle sentait qu'il était avec elle, plus que jamais. Elle se mit à courir vers le Bois Rouge, vers le lac qui entendrait sa tristesse.
*
Gwen était agenouillée sur la rive du Lac des Tristesses, les genoux reposant sur les douces aiguilles de pin rouges qui entouraient l'eau comme un anneau. Elle regarda l'eau calme, l'eau la plus calme qu'elle ait jamais vue et qui reflétait la lune qui se levait. C'était une pleine lune brillante, plus pleine qu'elle ne l'avait jamais vue. Pendant que le deuxième soleil était encore en train de se coucher, la lune se levait et le coucher de soleil et le clair de lune éclairaient tous les deux l'Anneau. Le soleil et la lune se reflétaient ensemble dans le lac, l'un face à l'autre, et elle sentait le caractère sacré de ce moment de la journée. C'était la charnière entre la fin d'un jour et le commencement d'un autre et, à cette heure sacrée et à cet endroit sacré, tout était possible.
Agenouillée là, Gwen pleurait et priait de toutes ses forces. Les événements des quelques derniers jours l'avaient submergée et elle laissa tout échapper. Elle pria pour son frère mais encore plus pour Thor. Elle ne pouvait accepter l'idée de les perdre tous les deux cette nuit, de n'avoir plus que Gareth. Elle ne pouvait accepter l'idée qu'on l'envoie épouser un barbare. Elle sentait que sa vie s'effondrait autour d'elle et il lui fallait des réponses. Plus encore, il lui fallait de l'espoir.
Dans son royaume, il y avait beaucoup de gens qui priaient le Dieu des Lacs, ou le Dieu des Forêts, ou le Dieu des Montagnes, ou le Dieu du Vent, mais Gwen n'avait jamais cru en aucun d'eux. Comme Thor, elle faisait partie des rares personnes de son royaume qui s'opposait à la croyance commune et suivait le chemin radical de la croyance en un seul Dieu, un seul être qui contrôlait tout l'univers. C'est ce Dieu qu'elle pria.
S'il vous plaît, mon Dieu, pria-t-elle. Rendez-moi Thor. Faites qu'il survivre à la guerre. Faites qu'il échappe à son embuscade. S'il vous plaît, faites que Godfrey survivre et, s'il vous plaît, protégez-moi. Empêchez qu'on m'emmène loin d'ici pour me marier à ce sauvage. Je ferai ce que vous voudrez. Donnez-moi seulement un signe. Montrez-moi ce que vous voulez que je fasse.
Gwen resta agenouillée là longtemps, n'entendant rien que le hurlement du vent qui se ruait dans les pins immensément grands du Bois Rouge; elle écoutait le doux craquement des branches qui remuaient au-dessus de sa tête en laissant tomber leurs aiguilles dans l'eau.
“Fais attention à ce pour quoi tu pries”, dit une voix.
Elle tressaillit, se retourna et, à son grand étonnement, vit que quelqu'un se tenait là, près d'elle. Elle aurait eu peur si elle n'avait pas immédiatement reconnu la voix, une voix ancienne, plus ancienne que les arbres, plus ancienne que la terre elle-même, et elle eut chaud au cœur quand elle se rendit compte de qui c'était.
Elle se retourna et le vit qui se tenait au-dessus d'elle, vêtu de son blanc manteau à capuche. Ses yeux translucides la transperçaient comme s'ils contemplaient son âme même. Il tenait son bâton, qui luisait dans le coucher de soleil et le clair de lune.
Argon.
Elle se leva et se tourna vers lui.
“Je vous cherchais”, dit-elle. “Je suis allé chez vous. M'avez-vous entendue frapper ?”
“J'entends tout”, répondit-il de façon énigmatique.
Elle se tut en se posant des questions. Il était impassible.
“Dites-moi ce que je dois faire”, dit-elle. “Je ferai n'importe quoi. S'il vous plaît, ne permettez pas que Thor meure. Vous ne pouvez pas permettre qu'il meure !”
Gwen s'avança et lui saisit le poignet en le suppliant. Cependant, quand elle le toucha, une chaleur intense lui envahit les mains par l'intermédiaire de son poignet et la brûla. Elle se recula, submergée par cette énergie.
Argon soupira, se détourna d'elle et fit plusieurs pas vers le lac. Il resta là et regarda l'eau, les yeux reflétés dans la lumière.
Elle s'avança jusqu'à lui et resta silencieuse un temps indéterminé en attendant qu'il soit prêt à parler.
“Il n'est pas impossible de changer le destin”, dit-il. “Cependant, celui qui demande à le faire doit payer un prix élevé. Tu veux sauver une vie. C'est une noble tentative. Cependant, tu ne peux pas sauver deux vies. Il faudra que tu choisisses.”
Il se tourna vers elle.
“Préférerais-tu que Thor survive à cette nuit, ou ton frère? L'un d'eux doit mourir. C'est écrit.”
Gwen fut horrifiée par la question.
“Vous appelez ça un choix ?” demanda-t-elle. “Si j'en sauve un, je condamne l'autre.”
“Non”, répondit-il. “Tous les deux doivent mourir. Je suis désolé mais tel est leur destin.”
Gwen avait l'impression qu'on venait de lui plonger un poignard dans l'estomac. Les deux doivent mourir? C'était trop affreux à imaginer. Le destin pouvait-il vraiment être aussi cruel ?
“Je ne peux pas en choisir un et condamner l'autre”, dit-elle finalement d'une voix faible. “Mon amour pour Thor est plus fort, bien sûr. Cependant, Godfrey est de ma famille. Je ne peux pas accepter l'idée que l'un meure pour sauver l'autre. Et je ne pense pas qu'ils voudraient ça, ni l'un ni l'autre.”
“Dans ce cas, ils mourront tous les deux”, répondit Argon.
Gwen se sentit envahie par la panique.
“Attendez !” appela-t-elle alors qu'il commençait à se détourner.
Il se retourna et la regarda.
“Et moi ?” demanda-t-elle. “Si je devais mourir à leur place? Est-il possible qu'ils vivent tous les deux et que je meure ?”
Argon la regarda fixement très longtemps, comme s'il contemplait son essence même.
“Ton cœur est pur”, dit-il. “Tu es l'enfant MacGil qui a le cœur le plus pur. Ton père a sagement choisi. Oui, assurément …”
La voix d'Argon devint inaudible et il continua à la regarder dans les yeux. Gwen se sentit mal à l'aise mais n'osa pas détourner le regard.
“Grâce à ton choix, grâce à ton sacrifice de cette nuit”, dit Argon, “le destin t'a entendu. Thor sera sauvé cette nuit et ton frère aussi. Tu vivras, toi aussi. Cependant, il faut qu'un petit morceau de ta vie te soit retiré. Souviens-toi, il y a toujours un prix. Tu mourras partiellement en compensation pour leurs deux vies.”
“Qu'est-ce que ça veut dire ?” demanda-t-elle, terrifiée.
“Tout a un prix”, répondit-il. “Tu as le choix. Préférerais-tu ne pas payer le prix ?”
Gwen se prépara au choc.
“Je ferai tout pour Thor”, dit-elle. “Et pour ma famille.”
Argon regarda à travers elle comme si elle n'était pas là.
“Thor a une immense destinée”, dit Argon. “Cependant, la destinée peut changer. Notre destin est dans nos étoiles. Cependant, il est aussi contrôlé par Dieu. Dieu peut changer le destin. Thor devait mourir cette nuit. Il ne vivra que grâce à toi. Tu paieras ce prix. Et le coût en sera élevé.”
Gwen voulait en savoir plus et elle tendit la main vers Argon mais, quand elle le fit, soudain, une lumière éclatante produisit un éclair devant elle et Argon disparut.
Gwen se retourna, le chercha de tous les côtés, mais ne le trouva nulle part.
Finalement, elle se retourna et regarda le lac, qui était si calme, comme si rien ne s'était passé cette nuit. Elle vit son reflet, et elle avait l'air si distante. Elle était pleine de gratitude et, finalement, d'une sensation de paix. Cependant, elle ne pouvait pas non plus s'empêcher de se sentir terrifiée pour son propre avenir. Elle essaya de ne plus y penser mais, malgré tous ses efforts, elle ne put s'empêcher de se demander: quel prix paierait-elle pour la vie de Thor ?
CHAPITRE HUIT
Thor était allongé au sol, au milieu du champ de bataille, plaqué par des soldats McCloud, impuissant. Il entendait le fracas de la bataille, les cris des chevaux, des hommes qui mouraient tout autour de lui. Le soleil couchant et la lune qui se levait, une pleine lune, plus pleine que toutes celles qu'il avait jamais vues, furent soudain bloqués par un énorme soldat qui s'avança, leva son trident et s'apprêta à l'abattre. Thor sut que son heure était venue.
Thor ferma les yeux et se prépara à mourir. Il ne ressentait pas de peur, seulement du remords. Il voulait vivre plus longtemps; il voulait découvrir qui il était, ce qu'était sa destinée et, surtout, il voulait passer plus de temps avec Gwen.
Thor sentit que ce n'était pas juste de mourir comme ça. Pas ici. Pas comme ça. Pas aujourd'hui. Son heure n'était pas encore venue. Il le sentait. Il n'était pas encore prêt.
Thor sentit soudain quelque chose s'élever en lui: c'était une violence, une force différente de tout ce qu'il avait jamais connu. Il eut des fourmillements dans tout le corps et une sensation de chaleur. Il sentit une nouvelle sensation le traverser brusquement. De la plante des pieds, elle lui remonta dans les jambes, jusqu'au torse et aux bras, jusqu'à ce que le bout des doigts le brûle carrément en dégageant une énergie qu'il pouvait tout juste comprendre. Thor fut lui-même choqué quand il poussa un rugissement féroce, comme un dragon qui s'élevait des profondeurs de la terre.
Thor sentit la force de dix hommes le traverser quand il brisa l'étreinte des soldats et se leva d'un bond. Avant que le soldat ait pu abattre son trident, Thor s'avança, le saisit par son casque et lui donna un coup de tête qui lui fendit le nez en deux; ensuite, il lui donna un tel coup de pied qu'il recula comme un boulet de canon en renversant dix hommes.
Thor hurla avec une rage nouvelle. Il saisit un soldat, le leva haut au-dessus de sa tête et le lança dans la foule en renversant une dizaine de soldats comme des quilles. Ensuite, Thor tendit le bras, saisit un fléau d'armes avec une chaîne de trois mètres des mains d'un soldat et le balança au-dessus de sa tête, à plusieurs reprises, jusqu'à ce qu'il abatte par dizaines tous les soldats dans un rayon de trois mètres et que des cris s’élèvent tout autour de lui.
Thor sentit que son pouvoir continuait à déferler et il le laissa prendre le contrôle. Quand plusieurs autres hommes le chargèrent, il leva le bras, tendit une paume et eut la surprise d'y sentir un picotement puis de regarder un frais brouillard en émaner. Ses attaquants s'arrêtèrent soudain, enveloppés dans une pellicule de glace. Ils restèrent sur place, gelés, tels des blocs de glace.
Thor tourna les paumes dans toutes les directions et, partout, les hommes gelèrent; on aurait dit que des blocs de glace venaient de tomber partout sur le champ de bataille.
Thor se tourna vers ses frères d'armes et vit que plusieurs soldats étaient sur le point de donner des coups mortels à Reece, O’Connor, Elden et les jumeaux. Il leva une paume dans chaque direction et gela les attaquants, sauvant ainsi ses frères d'une mort immédiate. Ils se retournèrent et le regardèrent, les yeux débordants de soulagement et de gratitude.
L'armée McCloud commença à remarquer ce qui se passait et essaya d'éviter de s'approcher de Thor. Ils commencèrent à créer un périmètre de sécurité autour de lui, car tous les guerriers avaient peur de s'approcher trop près quand ils voyaient des dizaines de leurs camarades geler sur place sur le champ de bataille.
Cependant, on entendit alors un rugissement et un homme s'avança. Il faisait cinq fois la taille des autres, devait mesurer plus de quatre mètres et portait une épée plus grande que toutes celles que Thor avait jamais vu. Thor leva une paume pour le geler mais cela ne fonctionna pas contre cet homme. Il se contenta d'écarter l'énergie comme si c'était un insecte contrariant et continua à charger Thor. Thor commença à se rendre compte que son pouvoir était imparfait; il était surpris et ne comprenait pas pourquoi il n'était pas assez fort pour arrêter cet homme.
Le géant atteint Thor en trois longs pas, à une vitesse qui étonna Thor, puis le gifla et l'envoya promener.
Thor frappa violemment le sol et, avant qu'il puisse se retourner, le géant était sur lui et le soulevait des deux mains par dessus sa tête. Il le lança et l'armée McCloud poussa un cri de triomphe quand Thor vola six bons mètres en l'air avant d'atterrir et de faire de rudes cabrioles, jusqu'à ce qu'il finisse par s'arrêter. Thor avait l'impression qu'on venait de lui briser toutes les côtes.
Thor leva les yeux, vit le géant se précipiter sur lui et, cette fois-ci, il ne restait rien qu'il puisse faire. Son pouvoir, quel qu'il soit, était épuisé.
Il ferma les yeux.
S'il vous plaît, mon Dieu, aidez-moi.
Alors que le géant lui fonçait dessus, Thor commença à entendre un bourdonnement assourdi dans son esprit; il grandit sans cesse et, bientôt, devint un bourdonnement extérieur à son esprit et contenu dans l'univers. Il eut une étrange sensation qu'il n'avait jamais eue auparavant; il commença à se sentir en phase avec le matériau même de l'air, le balancement des arbres, le mouvement des brins d'herbe. Il sentit un grand bourdonnement dans tous ces éléments et, quand il leva la main, il eut l'impression de récolter ce bourdonnement dans tous les coins de l'univers et de le soumettre à sa volonté.
Thor ouvrit les yeux, entendit un énorme bourdonnement au-dessus de lui et, surpris, vit un immense essaim d'abeilles apparaître dans le ciel. Elles arrivèrent de tous les coins et, quand il leva les mains, il sentit qu'il les dirigeait. Il ne savait pas comment il le faisait mais savait qu'il le faisait.
Thor bougea les mains dans la direction du géant et, quand il le fit, on aurait dit qu'un essaim d'abeilles obscurcissait le ciel, plongeait et recouvrait complètement le géant. Le géant leva les mains et agita les bras, puis hurla. Elles l'enveloppèrent et le piquèrent mille fois jusqu'à ce qu'il tombe à genoux puis visage contre terre, mort. Le sol trembla sous l'impact de son corps.
Ensuite, Thor dirigea sa main vers l'armée McCloud, qui, à cheval, regardait fixement la scène, choquée. Ils commencèrent à se retourner pour s'enfuir mais n'eurent pas le temps de réagir. Thor dirigea la paume dans leur direction et l'essaim d'abeilles quitta le géant et commença à attaquer les soldats.
L'armée McCloud poussa un cri de peur et, comme un seul homme, les soldats se retournèrent et s'enfuirent, piqués un nombre incalculable de fois par l'essaim. Bientôt, le champ de bataille se vida et ils disparurent aussi vite que possible. Certains d'entre eux ne purent pas s'enfuir à temps et beaucoup de soldats tombèrent, remplissant le champ de bataille de cadavres.
Pendant que les survivants continuaient de galoper, l'essaim les poursuivit tout au travers du champ, au loin. Le grand son du bourdonnement se mêlait au tonnerre des sabots des chevaux et aux cris de peur des hommes.