Aline et Valcour, tome 2 - де Сад Маркиз Донасье?н Альфонс Франсуа 2 стр.


Léonore prétexta un mal de tête, afin d'avoir le droit de se retirer de meilleure heure, et dès qu'on la crut couchée, elle sortit, et vint me trouver dans la chapelle, où j'avais l'air d'être en méditation. Elle s'y mit comme moi; nous laissames étendre toutes les nones sur leurs saintes couches, et dès que nous les supposames ensevelies dans les bras du sommeil, nous commençames à briser et à réduire en poudre la miraculeuse statue, ce qui nous fut fort aisé, vu l'état dans lequel elle était. J'avais un grand sac, tout prêt, au fond duquel étaient placées quelques grosses pierres. Nous mimes dedans les débris de la sainte, et j'allai promptement jetter le tout dans un puits. Léonore, peu vêtue, s'affubla aussi-tôt des parures de Sainte-Ultrogote; je l'arrangeai dans la situation penchée, où le sculpteur l'avait mise, pour la travailler. Je lui emmaillotai les bras, je mis à côté d'elle, ceux de bois, que nous avions cassé la veille, et après lui avoir donné un baiser.... Baiser délicieux, dont l'effet fut sur moi bien plus puissant que les miracles de toutes les Saintes du Ciel; je fermai le temple où reposait ma déesse, et me retirai tout rempli de son culte.

Le lendemain, de grand matin, le sculpteur entra, suivi d'un de ses élèves, tous deux munis d'un drap. Ils le jetterent sur Léonore, avec tant de promptitude et d'adresse, qu'une none qui les éclairait, ne put rien découvrir; l'artiste aidé de son garçon, emporta la prétendue Sainte; ils sortirent, et Léonore reçue par la femme qui l'attendait, se trouva à l'auberge indiquée, sans avoir éprouvé d'obstacle à son évasion.

J'avais prévenu de mon départ. Il n'étonna personne. J'affectai, au milieu de ces dames, d'être surpris de ne point voir Léonore, on me dit qu'elle était malade. Très en repos sur cette indisposition, je ne montrai qu'un intérêt médiocre. Ma tante, pleinement persuadée que nous nous étions fait nos adieux mystérieusement, la veille, ne s'étonna point de ma froideur, et je ne pensai plus qu'à revoler avec empressement, où m'attendait l'objet de tous mes voeux.

Cette chère fille avait passé une nuit cruelle, toujours entre la crainte et l'espérance; son agitation avait été extrême; pour achever de l'inquiéter encore plus, une vieille religieuse était venue pendant la nuit prendre congé de la Sainte; elle avait marmotté plus d'une heure, ce qui avait presqu'empêché Léonore de respirer; et à la fin des patenôtres, la vieille bégueule en larmes avait voulu la baiser au visage; mais mal éclairée, oubliant sans doute le changement d'attitude de la statue, son acte de tendresse s'était porté vers une partie absolument opposée à la tête; sentant cette partie couverte, et imaginant bien qu'elle se trompait, la vieille avait palpé pour se convaincre encore mieux de son erreur. Léonore extrêmement sensible, et chatouillée dans un endroit de son corps dont jamais nulle, main ne s'était approchée, n'avait pu s'empêcher de tressaillir ; la none avait pris le mouvement pour un miracle; elle s'était jettée à genoux, sa ferveur avait redoublé; mieux guidée dans ses nouvelles recherches, elle avait réussi à donner un tendre baiser sur le front de l'objet de son idolâtrie, et s'était enfin retirée.

Après avoir bien ri de cette aventure, nous partîmes, Léonore, la femme que j'avais amenée de Paris, un laquais et moi; il s'en fallut de bien peu que nous ne fissions naufrage dès le premier jour. Léonore fatiguée, voulut s'arrêter dans une petite ville qui n'était pas à dix lieues de la nôtre: nous descendîmes dans une auberge; à peine y étions-nous, qu'une voiture en poste s'arrêta pour y dîner comme nous.... C'était mon père; il revenait d'un de ses châteaux; il retournait à la ville, l'esprit bien loin de ce qui s'y passait. Je frémis encore quand je pense à cette rencontre; il monte; on l'établit dans une chambre absolument voisine de la nôtre, là, ne croyant plus pouvoir lui échapper, je fus prêt vingt fois à aller me jeter à ses pieds pour tâcher d'obtenir le pardon de mes fautes; mais je ne le connaissais pas assez pour prévoir ses résolutions, je sacrifiais entièrement Léonore par cette démarche; je trouvai plus à propos de me déguiser et de partir fort vite. Je fis monter l'hôtesse; je lui dis que le hasard venait de faire arriver chez elle un homme à qui je devais deux cents louis; que ne me trouvant ni en état, ni en volonté de le payer à présent, je la priai de ne rien dire, et de m'aider même au déguisement que j'allais prendre pour échapper à ce créancier. Cette femme, qui n'avait aucun intérêt à me trahir, et à laquelle je payai généreusement notre dépense, se prêta de tout son coeur à la plaisanterie.

Léonore et moi nous changeâmes d'habit, et nous passâmes ainsi tous deux effrontément devant mon père, sans qu'il lui fût possible de nous reconnaître, quelqu'attention qu'il eût l'air de prendre à nous. Le risque que nous venions de courir décida Léonore à moins écouter l'envie qu'elle avait de s'arrêter par-tout, et notre projet étant de passer en Italie, nous gagnâmes Lyon d'une traite.

Le Ciel m'est témoin que j'avais respecté jusqu'alors la vertu de celle dont je voulais faire ma femme; j'aurais cru diminuer le prix que j'attendais de l'hymen, si j'avais permis à l'amour de le cueillir. Une difficulté bien mal entendue détruisit notre mutuelle délicatesse, et la grossière imbécillité du refus de ceux que nous fûmes implorer, pour prévenir le crime, fut positivement ce qui nous y plongea tous deux2. O Ministres du Ciel, ne sentirez-vous donc jamais qu'il y a mille cas où il vaut mieux se prêter à un petit mal, que d'en occasionner un grand, et que cette futile approbation de votre part, à laquelle on veut bien se prêter, est pourtant bien moins importante que tous les dangers qui peuvent résulter du refus. Un grand Vicaire de l'Archevêque, auquel nous nous adressâmes, nous renvoya avec dureté; trois Curés de cette ville nous firent éprouver les mêmes désagrémens, quand Léonore et moi, justement irrités de cette odieuse rigueur, résolûmes de ne prendre que Dieu pour témoin de nos sermens, et de nous croire aussi bien mariés en l'invoquant aux pieds de ses autels, que si tout le sacerdoce romain eût revêtu notre hymen de ses formalités; c'est l'âme, c'est l'intention que l'Éternel désire, et quand l'offrande est pure, le médiateur est inutile.

Léonore et moi, nous nous transportâmes à la Cathédrale, et là, pendant le sacrifice de la messe, je pris la main de mon amante, je lui jurai de n'être jamais qu'à elle, elle en fit autant; nous nous soumîmes tous deux à la vengeance du Ciel, si nous trahissions nos sermens; nous nous protestâmes de faire approuver notre hymen dès que nous en aurions le pouvoir, et dès le même jour la plus charmante des femmes me rendit le plus heureux des époux.

Mais ce Dieu que nous venions d'implorer avec tant de zèle, n'avait pas envie de laisser durer notre bonheur: vous allez bientôt voir par quelle affreuse catastrophe il lui plut d'en troubler le cours.

Nous gagnâmes Venise sans qu'il nous arrivât rien d'intéressant; j'avais quelque envie de me fixer dans cette ville, le nom de Liberté, de République, séduit toujours les jeunes gens; mais nous fûmes bientôt à même de nous convaincre, que si quelque ville dans le monde est digne de ce titre, ce n'est assurément pas celle-là, à moins qu'on ne l'accorde à l'État que caractérise la plus affreuse oppression du peuple, et la plus cruelle tyrannie des grands.

Nous nous étions logés à Venise sur le grand canal, chez un nommé Antonio, qui tient un assez bon logis, aux armes de France, près le pont de Rialto; et depuis trois mois, uniquement occupés de visiter les beautés de cette ville flottante, nous n'avions encore songé qu'aux plaisirs; hélas! l'instant de la douleur arrivait, et nous ne nous en doutions point. La foudre grondait déjà sur nos têtes, quand nous ne croyions marcher que sur des fleurs.

Venise est entourée d'une grande quantité d'isles charmantes, dans lesquelles le citadin aquatique quittant ses lagunes empestées, va respirer de tems en tems quelques atomes un peu moins mal sains. Fidèles imitateurs de cette conduite, et l'isle de Malamoco plus agréable, plus fraîche qu'aucune de celles que nous avions vues, nous attirant davantage, il ne se passait guères de semaines que Léonore et moi n'allassions y dîner deux ou trois fois. La maison que nous préférions était celle d'une veuve dont on nous avait vanté la sagesse; pour une légère somme, elle nous apprêtait un repas honnête, et nous avions de plus tout le jour la jouissance de son joli jardin. Un superbe figuier ombrageait une partie de cette charmante promenade; Léonore, très-friande du fruit de cet arbre, trouvait un plaisir singulier à aller goûter sous le figuier même, et à choisir là tour-à-tour les fruits qui lui paraissaient les plus mûrs.

Un jour … ô fatale époque de ma vie!… Un jour que je la vis dans la grande ferveur de cette innocente occupation de son âge, séduit par un motif de curiosité, je lui demandai la permission de la quitter un moment, pour aller voir, à quelques milles de là, une abbaye célèbre, par les morceaux fameux du Titien et de Paul Véronese, qui s'y conservaient avec soin. Émue d'un mouvement dont elle ne parut pas être maîtresse. Léonore me fixa. Eh bien! me dit-elle, te voilà déjà mari; tu brûles de goûter des plaisirs sans ta femme.... Où vas-tu, mon ami; quel tableau peut donc valoir l'original que tu possèdes?—Aucun assurément, lui dis-je, et tu en es bien convaincue; mais je sais que ces objets t'amusent peu; c'est l'affaire d'une heure; et ces présens superbes de la nature, ajoutai-je, en lui montrant des figues, sont bien préférables aux subtilités de l'art, que je désire aller admirer un instant.... Vas, mon ami, me dit cette charmante fille, je saurai être une heure sans toi, et se rapprochant de son arbre: vas, cours à tes plaisirs, je vais goûter les miens.... Je l'embrasse, je la trouve en larmes.... Je veux rester, elle m'en empêche; elle dit que c'est un léger moment de faiblesse, qu'il lui est impossible de vaincre. Elle exige que j'aille où la curiosité m'appelle, m'accompagne au bord de la gondole, m'y voit monter, reste au rivage, pendant que je m'éloigne, pleure encore, au bruit des premiers coups de rames, et rentre à mes yeux, dans le jardin. Qui m'eût dit, que tel était l'instant qui allait nous séparer! et que dans un océan d'infortune, allaient s'abîmer nos plaisirs....Eh quoi, interrompit ici madame de Blamont; vous ne faites donc que de vous réunir? Il n'y a que trois semaines que nous le sommes, madame, répondit Sainville, quoiqu'il y ait trois ans que nous ayons quitté notre patrie.—Poursuivez, poursuivez, Monsieur; cette catastrophe annonce deux histoires, qui promettent bien de l'intérêt.

Ma course ne fut pas longue, reprit Sainville; les pleurs de Léonore m'avaient tellement inquiété, qu'il me fut impossible de prendre aucun plaisir à l'examen que j'étais allé faire. Uniquement occupé de ce cher objet de mon coeur, je ne songeais plus qu'à venir la rejoindre. Nous atteignons le rivage.... Je m'élance.... Je vole au jardin,… et au lieu de Léonore, la veuve, la maîtresse du logis, se jette vers moi, toute en larmes … me dit qu'elle est désolée, qu'elle mérite toute ma colère.... Qu'à peine ai-je été à cent pas du rivage, qu'une gondole, remplie de gens qu'elle ne connaît pas, s'est approchée de sa maison, qu'il en est sorti six hommes masqués, qui ont enlevé Léonore, l'ont transportée dans leur barque, et se sont éloignés avec rapidité, en gagnant la haute mer.... Je l'avoue, ma première pensée fut de me précipiter sur cette malheureuse, et de l'abattre d'un seul coup à mes pieds. Retenu par la faiblesse de son sexe, je me contentai de la saisir au col, et de lui dire, en colère, qu'elle eût à me rendre ma femme, ou que j'allais l'étrangler à l'instant.... Exécrable pays, m'écriai-je, voilà donc la justice qu'on rend dans cette fameuse république! Puisse le ciel m'anéantir et m'écraser à l'instant avec elle, si je ne retrouve pas celle qui m'est chère.... A peine ai-je prononcé ces mots, que je suis entouré d'une troupe de sbires; l'un d'eux s'avance vers moi; me demande si j'ignore qu'un étranger ne doit, à Venise, parler du gouvernement, en quoi que ce puisse être; scélérat, répondis-je, hors de moi, il en doit dire et penser le plus grand mal, quand il y trouve le droit des gens et l'hospitalité aussi cruellement violés.... Nous ignorons ce que vous voulez dire, répondit l'alguasil; mais ayez pour agréable de remonter dans votre gondole, et de vous rendre sur-le-champ prisonnier dans votre auberge, jusqu'à ce que la république ait ordonné de vous.

Mes efforts devenaient inutiles, et ma colère impuissante; je n'avais plus pour moi que des pleurs, qui n'attendrissaient personne, et des cris qui se perdaient dans l'air. On m'entraîne. Quatre de ces vils fripons m'escortent, me conduisent dans ma chambre, me consignent à Antonio, et vont rendre compte de leur scélératesse.

C'est ici où les paroles manquent au tableau de ma situation! Et comment vous rendre, en effet, ce que j'éprouvai, ce que je devins, quand je revis cet appartement, duquel je venais de sortir, depuis quelques heures, libre et avec ma Léonore, et dans lequel je rentrais prisonnier, et sans elle. Un sentiment pénible et sombre succéda bientôt à ma rage … Je jetai les yeux sur le lit de mon amante, sur ses robes, sur ses ajustemens, sur sa toilette; mes pleurs coulaient avec abondance, en m'approchant de ces différentes choses. Quelquefois, je les observais avec le calme de la stupidité. L'instant d'après, je me précipitais dessus avec le délire de l'égarement.... La voilà, me disais-je, elle est ici.... Elle repose.... Elle va s'habiller.... Je l'entends; mais trompé par une cruelle illusion, qui ne faisait qu'irriter mon chagrin, je me roulais au milieu de la chambre; j'arrosais le plancher de mes larmes, et faisais retentir la voûte de mes cris. O Léonore! Léonore! c'en est donc fait, je ne te verrai plus.... Puis, sortant, comme un furieux, je m'élançais sur Antonio, je le conjurais d'abréger ma vie; je l'attendrissais par ma douleur; je l'effrayais par mon désespoir.

Cet homme, avec l'air de la bonne foi, me conjura de me calmer; je rejetai d'abord ses consolations: l'état dans lequel j'étais permettait-il de rien entendre.... Je consentis enfin à l'écouter.—Soyez pleinement en repos sur ce qui vous regarde, me dit-il d'abord; je ne prévois qu'un ordre de vous retirer dans vingt-quatre heures des terres de la république, elle n'agira sûrement pas plus sévèrement avec vous.—Eh! Que m'importe ce que je deviendrai; c'est Léonore que je veux, c'est elle que je vous demande.—Ne vous imaginez pas qu'elle soit à Venise; le malheur dont elle est victime est arrivé à plusieurs autres étrangères, et même à des femmes de la ville: il se glisse souvent dans le canal des barques turques; elles se déguisent, on ne les reconnaît point; elles enlèvent des proies pour le serrail, et quelques précautions que prenne la république, il est impossible d'empêcher cette piraterie. Ne doutez point que ce ne soit là le malheur de votre Léonore: la veuve du jardin de Malamoco n'est point coupable, nous la connaissons tous pour une honnête femme; elle vous plaignait de bonne foi, et peut-être que, sans votre emportement, vous en eussiez appris davantage. Ces isles, continuellement remplies d'étrangers, le sont également d'espions, que la République y entretien; vous avez tenu des propos, voilà la seule raison de vos arrêts.—Ces arrêts ne sont pas naturels, et votre gouvernement sait bien ce qu'est devenue celle que j'aime; ô mon ami! faites-là moi rendre, et mon sang est à vous.—Soyez franc, est-ce une fille enlevée en France? Si cela est, ce qui vient de se faire pourrait bien être l'ouvrage des deux Cours; cette circonstance changerait absolument la face des choses.... Et me voyant balbutier:—Ne me cachez rien, poursuit Antonio, apprenez-moi ce qui en est, je vole à l'instant m'informer; soyez certain qu'à mon retour je vous apprendrai si votre femme a été enlevée par ordre pu par surprise.—Eh bien! répondis-je avec cette noble candeur de la jeunesse, qui, toute honorable qu'elle est, ne sert pourtant qu'à nous faire tomber dans tous les pièges qu'il plaît au crime de nous tendre.... Eh bien! je vous l'avoue, elle est ma femme, mais à l'insçu de nos parens.—Il suffit, me dit Antonio, dans moins d'une heure vous saurez tout.... Ne sortez point, cela gâterait vos affaires, cela vous priverait des éclaircissemens que vous avez droit d'espérer. Mon homme part et ne tarde pas à reparaître.

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