« Qui est-ce ? » dit une voix tremblante venant de l’intérieur de l’appartement. Kate vit une femme sortir d’une autre pièce et se diriger vers la porte.
« C’est le FBI, » lui répondit Leland. « Mais Olivia, je vous suggère de prendre un moment pour réfléchir et voir si vous êtes prête à leur parler. »
Olivia Tucker arriva jusqu’à la porte. Elle avait vraiment mauvaise mine. Ses yeux étaient injectés de sang et on aurait dit qu’elle avait même du mal à marcher. Elle regarda Kate et DeMarco, avant de poser une main rassurante sur l’épaule de Toombs.
« Je crois qu’il faut que je le fasse, » dit-elle. « Pasteur Toombs, pourriez-vous nous laisser un moment ? »
« Ce serait peut-être mieux que je sois présent quand vous leur parlez. »
Elle secoua la tête. « Non. Je vous remercie mais il faut que je le fasse toute seule. »
Toombs fronça les sourcils, avant de regarder Kate et DeMarco. « S’il vous plaît, allez-y doucement. Elle ne va vraiment pas bien. » Puis il regarda une dernière fois Olivia, avant de s’éloigner en faisant un geste de la main. « Olivia, n’hésitez pas à m’appeler si vous avez besoin de quoi que ce soit. »
Olivia le regarda s’éloigner avant de refermer lentement la porte derrière elle. « Allez-y, entrez, venez dans le salon. »
Elle parlait d’une voix basse et rauque, et elle marchait comme si ses jambes étaient sur le point de défaillir.
« Saviez-vous, » dit-elle au moment où elles entrèrent dans le salon, « que la police m’a appelée pour m’annoncer la nouvelle plus de six heures après que le corps ait été découvert ? »
« Pourquoi aussi longtemps après ? » demanda Kate.
« J’imagine qu’ils ont pensé que Missy allait m’appeler pour me l’annoncer. Bien entendu, ils lui ont d’abord dit à elle. Mais c’est plus tard, quand Missy a refusé de m’appeler, que la police a fini par me prévenir. »
« Êtes-vous sûre qu’elle a refusé ? » demanda DeMarco. « Vu la gravité de la situation, ne pensez-vous pas qu’elle ait pu tout simplement oublier ? »
Olivia haussa les épaules, mais pas pour dire qu’elle ne savait pas mais plutôt dans le sens de je m’en fous.
« Vous voulez dire que vous pensez que Missy aurait pu faire ça de manière intentionnelle ? » demanda Kate.
« Franchement, je n’en sais rien. Cette femme est vraiment vindicative. Je m’attends à tout venant de sa part. Elle a probablement oublié pour ne pas avoir à me parler ou, pire encore, me voir. »
« Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez autant d’aversion envers elle ? » demanda DeMarco.
« Oh, je ne l’ai jamais vraiment appréciée. Au début, elle était encore charmante, quand elle essayait de gagner mes bonnes grâces. Mais dès que Jack l’a demandée en mariage, elle a complètement changé. Elle a commencé à vouloir tout contrôler. Elle est devenue manipulatrice. Elle n’a jamais aimé la vie qu’elle avait. Il est possible qu’au fond, elle ait aimé Jack d’une certaine manière – je n’en doute pas. Mais elle ne l’a jamais apprécié à sa juste valeur. »
« Est-ce que vous pourriez nous en dire plus ? » demanda Kate.
« Elle n’était jamais satisfaite – elle en voulait toujours plus. Et elle ne le cachait pas. Tout ce qu’elle avait – des enfants, un mari riche, une belle maison – ce n’était jamais assez. Rien de ce que Jack pouvait faire n’était suffisant pour elle. »
Kate remarqua l’expression de haine sur le visage d’Olivia pendant qu’elle parlait. Elle était convaincue de chacun des mots qu’elle prononçait. Mais bien que Kate n’ait passé que peu de temps avec Missy Tucker, elle avait vraiment du mal à y croire.
« Est-ce que vous savez si Jack pensait la même chose d’elle ? »
« Mon dieu, non. Il était complètement aveuglé par elle et par son petit numéro. »
« Alors d’après vous, il est impossible qu’il ait pu avoir une liaison avec quelqu’un d’autre ? »
L’expression surprise d’Olivia fut toute la réponse dont Kate avait besoin. Mais Olivia prit également bien soin de choisir ses mots. « Au vu de ce que j’ai enduré ces dernières heures, comment osez-vous poser une question aussi stupide ? Vous essayez vraiment d’être insensible et grossière ? »
« Je vous ai posé cette question uniquement dans le but d’explorer des pistes possibles à suivre. Parce que franchement, pour l’instant, nous n’avons ni témoin, ni suspect. »
« Des suspects ? Mais je vous ai déjà dit qui l’avait tué. C’est sa femme. »
Kate et DeMarco échangèrent un regard mal à l’aise. Que l’affirmation d’Olivia Tucker soit vraie ou pas, cette affaire risquait très vite de devenir délicate.
Kate attendit un moment avant de continuer à parler. Et quand elle le fit, elle choisit soigneusement chacun de ses mots.
« Êtes-vous certaine de vouloir faire une telle affirmation ? » demanda Kate. « Si vous êtes sérieuse à son sujet, je vais devoir suivre cette piste et commencer à considérer Missy Tucker comme une potentielle suspecte. »
« Faites votre travail comme bon vous semble, » dit Olivia. « Mais je connais cette femme. Elle voulait autre chose. Elle voulait sortir de cette situation, mais sans risquer de tout perdre. Alors le moyen le plus facile, c’était d’assassiner son mari. »
Au fil de sa carrière, Kate ne se rappelait pas avoir rencontré quelqu’un qui était aussi aveuglé par la haine – que ce soit la belle-famille ou des frères éloignés, elle avait tout vu. Mais Olivia Tucker poussait les choses à un tout autre niveau.
« Je voudrais ajouter, » dit DeMarco, « que nous avons passé une bonne partie de notre temps à vérifier ce qu’il y avait à savoir sur Jack et Missy. Bien que nous n’ayons certainement pas tous les détails, les informations que nous avons reçues jusqu’à présent ne reflètent aucune dissension particulière dans le couple. »
« C’est vrai, » dit Kate. « Et ils n’avaient aucun problème financier et Missy n’a aucun casier judiciaire, rien dans le genre. Vous, en revanche, vous avez déjà eu affaire à la police. Est-ce que vous pourriez nous parler du soir où Missy a dû appeler la police parce que vous essayez de rentrer chez eux par la force ? »
« Jack passait par une période difficile au boulot. Il avait des crises de panique. J’ai appelé pour avoir de ses nouvelles et pour parler à mes petits-enfants, mais Missy ne voulait pas que je leur parle. Elle m’a dit que Jack était trop gentil pour me dire la vérité, mais que j’étais en partie responsable de ses crises de panique. Elle m’a raccroché au nez, alors j’ai décidé d’aller chez eux. On s’est disputé devant la porte et elle m’a repoussée, en refusant de me laisser entrer. Après ça… eh bien, j’ai perdu mon sang-froid et elle a appelé la police. »
« Si ça s’avère nécessaire, on vérifiera, » dit Kate. « Mais franchement, nous n’avons rien trouvé pour l’instant qui puisse indiquer que Missy souhaite la mort de son mari. Il n’y a aucun mobile apparent. »
« Eh bien, si vous êtes aussi sûres de vous, pourquoi êtes-vous venues me parler ? »
« Franchement ? » dit DeMarco. « C’est parce que votre nom a été mentionné. L’un des collègues de Jack l’a entendu avoir une conversation animée avec sa femme à votre sujet. Nous avons consulté votre dossier pour en savoir plus et nous avons découvert l’histoire de cet appel à la police. »
Olivia eut le genre de sourire las qui se voit souvent sur le visage des méchants dans les films. « Eh bien alors, on dirait que vous vous êtes déjà fait votre propre idée à mon sujet. »
« Ce n’est pas du tout le cas. Nous voulons juste… »
« Si ça ne vous dérange pas, je vais vous demander poliment de partir. J’aimerais pleurer en paix la mort de mon fils. »
Kate savait que leur temps avec Olivia Tucker était terminé. Si elle insistait, elle ne ferait que se refermer encore plus sur elle. Elle n’avait de toute façon fourni aucune information utile – à moins que les allégations portées sur sa belle-fille ne soient vraies. Et Kate en doutait vraiment.
« Merci, » dit Kate. « Et nous sommes sincèrement désolées pour votre perte. »
Olivia hocha la tête, se mit debout et sortit de la pièce. « Je suis sûre que vous vous rappelez où se trouve la sortie, » dit-elle, avant de disparaître dans la maison.
Kate et DeMarco sortirent de la maison. Elles n’avaient aucune piste solide mais elles étaient sérieusement ébranlées par la manière dont Olivia Tucker considérait Missy.
« Tu penses qu’il y a du vrai dans tout ça ? » demanda DeMarco. Elle semblait sortir de son cafard, comme motivée par l’enquête.
« Je crois qu’en ce moment précis, alors qu’elle cherche des réponses à ce qui s’est passé, elle pense que c’est en partie vrai. Elle a accumulé toute une série de craintes au fil des ans et aujourd’hui, elle les amplifie pour avoir quelqu’un à blâmer et sur qui passer sa rage. »
DeMarco hocha la tête, en entrant dans la voiture. « Quelle que soit la raison, c’était vraiment très désagréable. »
« Et je crois qu’il vaudrait mieux garder un œil sur Missy, pour s’assurer qu’elle est en sécurité. Peut-être même qu’on devrait informer la police locale sur Olivia et le fait qu’elle est très instable. »
« Et après, on fait quoi ? »
« Après, on fait le point. Peut-être avec un ou deux verres de vin à l’hôtel. »
C’était une très bonne idée mais Kate ne pouvait s’empêcher de continuer à penser à Missy Tucker et combien sa vie devait aujourd’hui lui sembler vide. Kate se rappelait trop bien ce que ça faisait de perdre l’homme qu’on aime, l’homme qui vous connaît tel un livre ouvert. C’était une douleur indescriptible, qui vous laissait sans énergie.
Le fait de revivre ce sentiment, alors qu’elle se dirigeait vers l’hôtel, la motiva plus que jamais. Elle repensa aux détails de la première enquête, le moment où l’affaire Nobilini avait commencé.
Elle repensa à un nom en particulier – un nom qu’elle connaissait bien mais qui s’était perdu au fond de sa mémoire. C’était un nom dont elle s’était rappelé ce matin, quand elles avaient retrouvé les amis de Jack Tucker au club nautique.
Cass Nobilini.
Tu sais que tu pourrais y trouver des réponses, pensa Kate.
C’était peut-être le cas. Et elle irait les chercher, si cela s’avérait nécessaire.
Mais elle espérait vraiment ne pas devoir le faire. Elle espérait pouvoir passer le reste de sa vie sans jamais devoir revoir à nouveau Cass Nobilini. Mais elle savait également qu’il y avait peu de chances que ce soit le cas – qu’il était en fait très probable qu’elle la revoie plus tôt qu’elle ne le voudrait.
CHAPITRE SIX
Elles s’installèrent au bar de l’hôtel juste au moment où il commençait à se remplir pour l’heure du dîner. Bien que l’idée d’un verre de vin était plutôt attirante, Kate se rendit compte qu’elle était plus excitée par l’idée de l’hamburger qu’elle venait de commander. En général, quand elle travaillait sur une enquête, elle oubliait souvent de déjeuner et elle ne mangeait pas avant la fin de la journée. Au moment où elle prit la première bouchée de son hamburger, elle vit DeMarco sourire. C’était son premier vrai sourire de la journée.
« Quoi ? » demanda Kate, la bouche pleine.
« Rien, » dit DeMarco, en attaquant sa salade au poulet grillé. « C’est rassurant de voir une femme avec ta silhouette et ton âge manger comme ça. »
En avalant une bouchée, Kate hocha la tête et dit, « J’ai la chance d’avoir un super métabolism. »
« Oh, la garce. »
« C’est utile, pour pouvoir manger comme ça. »
Il y eut un bref silence entre elles, avant qu’elles n’éclatent toutes les deux de rire. Ça faisait du bien à Kate de pouvoir se détendre en sa compagnie, après la journée tendue qu’elles venaient de vivre. DeMarco avait l’air de penser la même chose et elle le confirma par ce qu’elle dit ensuite, une fois qu’elle eut avalé une gorgée de vin.
« Désolée d’avoir été aussi amère toute la journée. Le fait de devoir annoncer la nouvelle à la famille… c’était dur. Enfin, je sais que c’est dur, mais c’est spécialement dur pour moi. Il y a quelque chose dans mon passé qui m’a ébranlée. Je pensais l’avoir surmonté mais ce n’est apparemment pas le cas. »
« Qu’est-ce qui s’est passé ? »
DeMarco resta un moment silencieuse, en se demandant peut-être si elle avait envie de se replonger dans le passé ou non. Elle prit une autre gorgée de son vin, avant de se décider à parler. Elle soupira et raconta son histoire.
« J’ai su que j’étais homosexuelle quand j’avais quatorze ans. J’ai eu ma première petite amie à l’âge de seize ans. À dix-sept ans, ma petite amie Rose et moi-même – elle avait dix-neuf ans – nous avons décidé de l’avouer à notre entourage. Nous avions toutes les deux caché notre relation, et particulièrement à nos parents. Et nous avons décidé de leur annoncer la nouvelle. J’étais censée la retrouver chez elle pour l’annoncer à ses parents, qui pensaient que Rose et moi, nous étions juste de très bonnes amies. J’étais tout le temps chez elle et vice-versa, tu vois ? Alors je suis là, assise dans le divan chez ses parents, quand je reçois un coup de fil. C’était la police qui m’annonçait que Rose avait eu un accident de voiture et qu’elle était morte sur le coup. Ils m’avaient appelée moi, plutôt que ses parents, parce qu’ils avaient retrouvé son téléphone et qu’ils avaient remarqué que quatre-vingt-dix pourcents des appels avaient été passés à mon numéro.
« Je me suis immédiatement effondrée. Ses parents sont assis devant moi et se demandent ce qui se passe – pourquoi j’ai soudain éclaté en sanglots. Et j’ai dû leur annoncer la nouvelle. J’ai dû leur dire ce que la police venait de m’apprendre. » Elle fit une pause, chipota un peu dans sa salade, avant d’ajouter. « C’est définitivement le pire moment de ma vie. »
Kate eut du mal à regarder DeMarco dans les yeux. Elle racontait cette histoire sans en livrer tout le côté émotionnel mais plutôt sur un ton d’automatisme, comme si elle récitait une série d’événements. Mais cette histoire était plus que suffisante pour comprendre l’attitude de DeMarco hier soir quand Kate s’était proposée pour aller annoncer la mauvaise nouvelle à Missy Tucker.
« Si j’avais su, je n’aurais jamais proposé d’annoncer la nouvelle à la famille, » dit Kate.
« Je sais. Et je le savais à ce moment-là aussi. Mais mes émotions m’ont aveuglée. Franchement, j’avais juste besoin d’un peu de temps pour digérer. Désolée que tu aies eu à supporter le poids de tout ça. »
« N’en parlons plus, » dit Kate.
« Est-ce que tu as souvent fait ça au cours de ta carrière ? Annoncer ce genre de nouvelle ? »
« Oh oui. Et ce n’est jamais facile. Ça devient plus facile avec le temps de t’en détacher, mais l’acte en lui-même reste toujours aussi difficile. »
Le silence s’installa à nouveau entre elles. Le serveur vint remplir leurs verres de vin et Kate continua à manger son hamburger.
« Alors, comment va ton homme ? » demanda DeMarco. « Allen, c’est bien ça ? »
« Il va bien. On en est au stade où il commence à se tracasser que je continue à travailler au FBI. Il préférerait que je prenne un travail de bureau ou que je reste à la retraite. »
« Alors, ça devient sérieux, hein ? »
« Apparemment, oui. Et d’un côté, j’en suis ravie. Mais d’un autre côté, j’ai l’impression que c’est un peu une perte de temps. On a tous les deux près de la soixantaine. Commencer une nouvelle relation à cet âge-là, ça fait… bizarre, j’imagine. » En sentant que DeMarco allait continuer sur le sujet si elle lui en donnait l’occasion, Kate changea rapidement de conversation.
« Et toi ? Est-ce qu’il y a des nouveautés dans ta vie amoureuse depuis la dernière fois où on en a parlé ? »
DeMarco secoua la tête et sourit. « Non, mais c’est par choix. Je profite des histoires d’un soir tant que je peux encore le faire. »
« Et ça te rend heureuse ? »
DeMarco eut l’air sincèrement surprise par la question. « Oui, en quelque sorte. Pour l’instant, je n’ai pas envie des responsabilités et des obligations qui vont avec une relation. »