Elle entendit un bruit dans le téléphone au moment où le shérif passa la ligne à Ellington. « Alors, » dit-il. « Déjà perdue sans moi ? »
« Loin de là, » dit-elle. « Je serai avec Robbie Huston dans un peu plus d’une heure. »
« Ah, ça avance. Je viens d’ailleurs de recevoir le rapport du médecin légiste. Il vient d’arriver à l’instant. Je te tiens au courant si j’y trouve quoi que ce soit. Et Randall Jones ne va pas tarder à arriver. Je vais voir avec lui s’il me laisserait parler avec quelques-uns des autres pensionnaires de la résidence. »
« OK. Pendant ce temps-là, je serai occupée à traverser des champs de vaches et des prairies désertes. »
« Ah, la vie glamour, » dit-il. « Appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit. »
Et sur ces mots, il raccrocha.
C’était la manière qu’ils avaient de se lancer tout le temps des piques. Elle se sentit stupide de s’être tracassée de ce qu’il pouvait bien ressentir concernant ce qu’il y avait entre eux.
Maintenant que l’appel l’avait déconcentrée des questions qu’elle se posait sur la mort de son père, elle fut capable de se focaliser sur l’affaire en cours. Le thermomètre digital à l’intérieur de la voiture lui indiquait qu’il faisait déjà trente et un degrés dehors… et il n’était même pas encore neuf heures du matin.
Les arbres qui bordaient la route secondaire où elle se trouvait étaient incroyablement épais et recouvraient la route tel un auvent. Et bien qu’il y ait quelque chose de joliment mystérieux à leur sujet, dans la faible lueur du matin, elle avait hâte de retrouver les plus vastes étendues des autoroutes principales qui la mèneraient vers Lynchburg et Treston.
***
Robbie Huston vivait dans un petit complexe d’appartements à la mode près du centre de Lynchburg, peuplé de librairies universitaires et de cafétérias qui ne prospéraient probablement que par la présence de l’importante université catholique privée présente dans la ville. Quand elle frappa à sa porte à neuf heures cinquante-deux, il répondit presque tout de suite.
Il avait l’air d’avoir la vingtaine – sec, les cheveux non peignés et un teint qui permettait de penser qu’il n’avait probablement jamais fait que du travail de bureau. Il était mignon dans son style et il était visiblement excité et nerveux d’avoir un agent du FBI qui vienne frapper à sa porte.
Il l’invita à entrer et elle vit que l’intérieur de l’appartement était aussi joli et moderne que l’extérieur. Une vaste pièce comprenait le salon, la cuisine et le bureau, séparés par de petites cloisons ornées et l’espace était baigné par la lumière naturelle qui provenait de deux grandes fenêtres ouvertes sur l’extérieur.
« Heu… vous voulez un café ou autre chose ? » demanda-t-il. « J’en ai encore dans la cafetière de ce matin. »
« Du café, ce serait parfait, » dit-elle.
Elle le suivit dans la cuisine où il versa une tasse qu’il lui tendit. « Du lait ? Du sucre ? »
« Non merci, » dit-elle. Elle prit une gorgée, le trouva assez bon, puis alla droit au but. « Monsieur Huston, vous faites du bénévolat à la résidence Wakeman pour aveugles, n’est-ce pas ? »
« Oui. »
« Vous y venez souvent ? »
« Ça dépend un peu de la charge de travail que j’ai, en fait. Parfois je n’y vais qu’une à deux fois par mois. Mais il y a aussi eu des mois où j’ai pu m’y rendre une fois par semaine. »
« Et dernièrement ? » demanda Mackenzie.
« Et bien, cette semaine, j’y étais lundi. La semaine dernière, j’y suis allé mercredi et la semaine avant ça, le lundi et le vendredi, je pense. Je peux vous montrer mon emploi du temps si vous voulez. »
« Peut-être plus tard, » dit-elle. « En parlant avec Randall Jones, j’ai appris que vous veniez pour jouer à des jeux de société et aider parfois à bouger des meubles ou nettoyer. C’est bien ça ? »
« Oui, c’est bien ça. Parfois, il arrive aussi que je leur fasse la lecture. »
« Leur ? Avec quels pensionnaires en particulier avez-vous fait la lecture ou joué à des jeux de société ces deux dernières semaines ? »
« Quelques-uns. Il y a un homme âgé du nom de Percy, avec qui je joue à Apples to Apples. Mais il faut au moins qu’un aide-soignant joue avec nous… pour lui murmurer ce que disent les cartes. Et la semaine dernière, j’ai discuté un peu avec Ellis Ridgeway. On a parlé de musique et je lui ai également fait un peu la lecture. »
« Vous rappelez-vous quels sont les jours où vous avez passé ces moments avec Ellis ? »
« Lors de mes deux dernières visites. Lundi, je l’ai laissée écouter Brian Eno. On a parlé de musique classique et je lui ai lu un article en ligne sur la manière dont la musique classique peut être utilisée pour stimuler le cerveau. »
Mackenzie hocha la tête, sachant qu’il était temps d’abattre sa plus grosse carte. « Et bien, je suis désolée de vous l’apprendre, mais Ellis a été retrouvée assassinée mardi soir. Nous essayons de savoir ce qui s’est passé et, comme vous pouvez le comprendre, nous devons interroger toutes les personnes qui ont passé récemment du temps avec elle. Et spécialement les bénévoles qui ne sont pas toujours présents à la résidence. »
« Oh mon dieu, » dit Robbie, en devenant de plus en plus pâle.
« Avant madame Ridgeway, il y a eu un autre meurtre dans une résidence à Treston, en Virginie. Y êtes-vous déjà allé ? »
Robbie hocha la tête. « Oui, mais seulement deux fois. La première fois, c’était pour une sorte de service communautaire que nous faisons via Liberty, mon alma mater. Je les ai aidés à rénover leur cuisine et j’ai fait un peu de jardinage. J’y suis retourné un ou deux mois plus tard pour aider là où ils pourraient en avoir besoin. J’ai plutôt passé du temps avec eux. »
« Et c’était il y a combien de temps ? »
Il réfléchit un instant à la question, encore secoué par la nouvelle des deux meurtres. « Il y a quatre ans, je crois. Ou peut-être plutôt quatre ans et demi. »
« Vous rappelez-vous y avoir rencontré un homme du nom de Kenneth Able ? Il a également été récemment assassiné. »
Il eut à nouveau l’air perdu dans ses pensées. Son regard avait un air éteint. « Le nom ne me dit rien. Mais ça ne veut pas dire que je n’ai jamais parlé avec lui lors de mes visites. »
Mackenzie hocha la tête, de plus en plus certaine que Robbie Huston était loin d’être un meurtrier. Elle n’en était pas sûre mais il lui avait semblé avoir vu des larmes briller dans ses yeux alors qu’elle avalait une gorgée du café qu’il lui avait donné.
Mais on n’est jamais trop prudente, pensa-t-elle.
« Monsieur Huston, nous savons avec certitude que madame Ridgeway a été assassinée à cinq cent mètres de la résidence Wakeman entre dix-neuf heures cinq et vingt et une heures quarante mardi soir. Avez-vous un alibi pour cette période de temps ? »
Elle vit à nouveau qu’il réfléchissait à la question, puis il se mit à hocher lentement de la tête. « J’étais ici, à l’appartement. J’étais en conference call avec trois autres types. Nous lançons une petite organisation pour aider les sans-abris du centre et d’autres villes voisines. »
« Vous pouvez le prouver ? »
« Je peux vous montrer où je me suis connecté. Je pense aussi qu’un des autres types garde des notes assez complètes sur les appels. Il y aura toute une série d’échanges de messages avec l’heure précise indiquée, des modifications de notes et ce genre de choses. » Il se dirigeait déjà vers son ordinateur portable qui se trouvait sur un bureau devant l’une des grandes fenêtres. « Je peux vous montrer si vous voulez. »
Elle était maintenant certaine que Robbie Huston était innocent mais elle voulait tout de même aller jusqu’au bout. Puis, vu la manière dont la nouvelle l’avait affecté, elle avait également envie que Robbie ait l’impression d’avoir contribué à l’enquête. Alors elle regarda par-dessus son épaule pendant qu’il se rendait sur le site d’accès aux conférences, qu’il se connectait et affichait son historique non seulement pour les derniers jours mais également pour les dernières semaines. Elle vit qu’il avait dit la vérité : il avait participé à une conference call et à une séance de planification de dix-huit heures quarante-cinq à vingt-deux heures quatre le mardi soir.
L’ensemble du processus ne lui prit que cinq minutes. Il lui montra les notes et les modifications, ainsi que l’heure à laquelle il s’était connecté et déconnecté de l’appel.
« Je vous remercie pour votre aide, monsieur Huston, » dit-elle.
Il hocha la tête en la raccompagnant jusqu’à la porte. « Deux personnes aveugles… » dit-il, en essayant de comprendre. « Pourquoi quelqu’un ferait-il un truc comme ça ? »
« J’essaie moi-même de répondre à cette question, » dit-elle. « N’hésitez pas à m’appeler si vous vous rappelez de quoi que ce soit qui pourrait nous aider, » ajouta-t-elle, en lui tendant une de ses cartes de visite.
Il la prit, lui fit lentement un signe d’au revoir, puis referma la porte derrière elle. Mackenzie eut l’impression qu’elle venait d’annoncer la nouvelle des meurtres à des membres de la famille plutôt qu’à un jeune homme au grand cœur qui semblait avoir de l’affection pour les deux victimes.
Ça lui donnait presqu’envie… sentir de vrais regrets pour des étrangers. Dernièrement, elle avait considéré les morts comme rien de plus que des cadavres – des monticules anonymes, prêts à offrir des indices potentiels.
Ce n’était pas la meilleure manière de vivre une vie, elle le savait. Elle ne devait pas laisser son boulot effacer tout sentiment de compassion, ou d’humanité.
CHAPITRE SEPT
Mackenzie se gara devant la résidence Treston pour aveugles à onze heures quarante-six, plus tôt que son GPS ne le lui avait prédit. Cependant, quand Mackenzie se gara devant l’édifice, elle vérifia à nouveau l’adresse que Clarke lui avait donnée. La résidence avait l’air toute petite, pas plus grande qu’un magasin. Elle était située dans le quartier Ouest de la ville de Treston qui, bien qu’elle soit beaucoup plus grande que Stateton, n’était pas non plus énorme. Bien que la ville soit bien au-dessus du petit trou perdu de Stateton, elle n’avait que deux feux rouges. La seule chose qui la rendait un peu plus urbaine, c’était la présence d’un McDonald’s dans la rue principale.
Confiante d’avoir la bonne adresse – ce qui fut d’ailleurs confirmé par la pancarte qui pendait devant la propriété délabrée – Mackenzie sortit de voiture et s’avança sur le trottoir fissuré. La porte d’entrée était séparée du trottoir par trois marches en béton qui n’avaient probablement pas été nettoyées depuis des années.
Elle s’avança à l’intérieur et entra dans un espace qui faisait office de vestibule et de salle d’attente. Une femme était assise derrière un guichet et parlait au téléphone. Le mur derrière elle était peint dans une teinte vive de blanc. Un tableau effaçable sur sa gauche contenait un petit nombre de notes. Pour le reste, le mur était vide et sans ornements.
Mackenzie s’avança vers le guichet et y resta un instant, faisant de son mieux pour faire comprendre à la femme qu’elle avait besoin d’aide. La femme derrière le guichet en eut l’air terriblement ennuyée et finit par raccrocher à contrecœur. Elle leva les yeux vers Mackenzie et demanda : « Puis-je vous aider ? »
« Je voudrais parler avec le directeur de la résidence, » dit-elle.
« Et vous êtes ? »
« Agent Mackenzie White du FBI. »
Pendant un instant, la femme resta sans bouger, comme si elle ne croyait pas Mackenzie. Ce fut cette fois-ci le tour de Mackenzie de lui décocher un regard ennuyé. Elle sortit son badge et vit finalement la femme se mettre en action. Elle décrocha le téléphone, appuya sur une extension et parla brièvement avec quelqu’un. Elle évita tout contact visuel avec Mackenzie durant tout ce temps.
Quand la femme eut terminé, elle leva de nouveau les yeux vers Mackenzie. Elle était visiblement gênée mais Mackenzie fit de son mieux pour ne pas avoir l’air de s’en réjouir.
« Madame Talbot va vous recevoir tout de suite, » dit la femme. « Vous pouvez passer à l’arrière. Son bureau est le premier que vous rencontrerez. »