Elle prit ensuite sa main dans la sienne et s’assit au bord du lit. Même si elle ne le dirait jamais à personne, elle lui avait parlé à plusieurs reprises, espérant qu’il puisse l’entendre. Elle le fit maintenant, se sentant un peu bête au début, comme toujours, mais elle retrouva naturellement l’habitude.
« Alors voilà », lui dit-elle. « Je n’ai pas quitté l’hôpital depuis près de trois jours. J’ai besoin d’une douche. Je voudrais un bon repas et une véritable tasse de café. Je vais sortir un peu, d’accord ? »
Elle lui serra la main, et son cœur se brisa un peu quand elle réalisa qu’elle attendait naïvement qu’il la serre en retour. Elle lui lança un regard suppliant, soupira, puis décrocha son téléphone. Avant de sortir de la pièce, elle leva les yeux vers la télévision. Elle saisit la télécommande pour l’éteindre et fut accueillie par un visage qu’elle avait tant essayé de chasser de son esprit ces deux dernières semaines.
Howard Randall la regardait fixement, sa photo d’identité sur la moitié de l’écran pendant qu’une présentatrice à l’air sérieux lisait quelque chose sur un prompteur. Avery éteignit la télévision d’un air dégoûté et sortit rapidement de la pièce, comme si l’image d'Howard sur l’écran avait été un fantôme, tendant maintenant la main vers elle.
***
Savoir qu’il était prévu que Ramirez emménage avec elle (et, d’après la bague qui avait été découverte dans sa poche après s’être fait tirer dessus, lui demande de l’épouser) fit de son retour à l’appartement une expérience morose. Quand elle entra, elle regarda autour d’elle d’un air absent. Les lieux semblaient morts. C’était comme si personne n’avait vécu là depuis une éternité, un endroit qui attendait d’être vidé, repeint et loué à quelqu’un d’autre.
Elle pensa appeler Rose. Elles pourraient sortir et prendre une pizza. Mais elle savait que Rose aurait envie de parler de ce qu’il se passait et Avery n’était pas encore prête pour ça. Généralement, elle encaissait les choses assez rapidement, mais ceci était différent. Ramirez était dans un tel danger et Howard Randall s’était échappé…tout cela faisait trop.
Pourtant…alors que les lieux ne lui donnaient plus l’impression d’être chez-elle, elle aspirait à s’allonger sur ce canapé. Et son lit l’appelait.
Bien sûr que c’est toujours chez toi, pensa-t-elle. Juste parce que Ramirez ne s’en sortira peut-être pas et ne finira pas ici avec toi, c’est toujours ta maison. Ne sois pas aussi dramatique.
Et ce fut là, clair comme de l’eau de roche. Elle avait jusqu’ici réussi à éloigner cette réalité de ses pensées, mais maintenant que l’idée avait formulée, elle était un peu plus sidérante qu’elle ne l’avait envisagé.
Épaules basses, elle se rendit dans la salle de bain. Elle se déshabilla, entra dans la baignoire, tira le rideau, puis ouvrit l’eau chaude. Elle resta là quelques minutes avant de prendre la peine de s’occuper du savon ou du shampoing, laissant l’eau détendre ses muscles. Quand elle eut fini de se laver, elle éteignit la douche, enfonça le bouchon et fit couler de l’eau chaude dans la baignoire. Elle s’assit pendant qu’elle se remplissait, s’autorisant à se détendre.
Quand l’eau fut presque à ras bord, débordant presque par dessus le bord de la baignoire, elle arrêta le robinet avec son orteil. Elle ferma les yeux et s’immergea.
Le seul bruit audible dans l’appartement était le goutte à goutte lent et rythmique du reste d’eau du robinet dans l’eau, et sa propre respiration.
Et peu de temps après, un troisième son : les pleurs d’Avery.
Elle les avait contenus la plupart du temps, car elle ne voulait pas montrer ce côté d’elle-même à l’hôpital et ne voulait pas que Ramirez l’entende, s’il le pouvait. Elle s’était glissée quelques fois dans la salle de bain de sa chambre et avait pleuré un peu, mais elle ne l’avait jamais laissé sortir aussi librement.
Elle pleura dans la baignoire et, tandis que la pensée que Ramirez ne puisse peut-être pas s’en sortir éclosait dans sa tête, les pleurs furent aussi un peu plus suffocants qu’elle ne l’avait anticipé.
Elle se laissa aller et ne sortit de la baignoire que lorsque l’eau fut devenue tiède et que ses pieds et ses mains eurent commencé à devenir fripés. Quand elle finit par sortir, elle sentait de nouveau comme un humain normal, s’était imprégnée d’un peu de vapeur, et ainsi se sentait beaucoup mieux.
Après s’être habillée, elle prit même le temps de se maquiller un peu et de rendre ses cheveux quelque peu présentables. Elle s’aventura ensuite dans la cuisine, se servit un bol de céréales en guise de déjeuner tardif et regarda son téléphone qu’elle avait laissé sur le comptoir de la cuisine.
Apparemment, elle avait été très populaire pendant qu’elle était dans la salle de bain.
Elle avait trois messages vocaux et huit SMS. Tous provenaient de numéros qu’elle connaissait. Deux étaient des lignes fixes du commissariat. Les autres étaient de Finley et O’Malley. L’un des messages venait de Connelly. C’était le dernier qui était arrivé – il y avait sept minutes – et son objectif n’était pas vague. Le message disait : Avery, vous feriez mieux de répondre à votre putain de téléphone si vous tenez à votre travail !
Elle savait que c’était du bluff, mais le fait que Connelly parmi tous lui aie envoyé un message signifiait qu’il se passait quelque chose. Connelly envoyait rarement des messages. Quelque chose d’important devait avoir lieu.
Elle ne prit pas la peine d’écouter les messages vocaux. Au lieu de cela, elle appela O’Malley. Elle ne voulait pas parler à Finley, il tergiversait pour les choses gênantes. Et il n’était pas question qu’elle veuille parler à Connelly alors il était d’humeur exécrable.
O’Malley répondit à la deuxième sonnerie. « Avery. Jésus…où étais-tu bon sang ? »
« Dans la baignoire. »
« Tu es à ton appartement ? »
« Oui. Il y a un problème ? J’ai vu que Connelly avait envoyé un message. Il a envoyé un message. Qu’est-ce qui ne va pas là-bas ? »
« Écoute…il se peut que nous ayons quelque chose d’assez énorme ici et si tu es partante, nous aimerions que tu viennes. En fait…même si tu n’es pas partante, Connelly te veut ici. »
« Pourquoi ? », demanda-t-elle, intriguée. « Qu’est-ce qu’il y a ? »
« Juste…viens juste ici, d’accord ? »
Elle soupira, et réalisa que l’idée de retourner au travail l’attirait réellement. Peut-être cela lui donnerait-il de l’énergie. Peut-être cela la sortirait-elle de cette déprime pitoyable dans laquelle elle se trouvait depuis deux semaines.
« Qu’est-ce qui est si important ? », demanda-t-elle.
« Nous avons un meurtre », dit O’Malley. « Et nous sommes presque sûrs que c’est Howard Randall. »
CHAPITRE DEUX
L’appréhension d’Avery bondit quand elle atteignit le commissariat. Il y avait des camionnettes de télévision partout, complétées par des présentateurs de journaux qui manœuvraient pour bien se placer. Il y avait tellement d’agitation sur le parking et sur la pelouse que des agents en uniforme se tenaient devant les portes d’entrée, pour les garder à distance. Avery fit le tour vers l’autre entrée, loin de la rue, et vit qu’il y avait quelques camionnettes stationnées là aussi.
Parmi les quelques agents à l’arrière du bâtiment qui maintenaient l’ordre, elle vit Finley. Quand ce dernier aperçut sa voiture, il sortit de la foule et lui fit signe de la main, pour lui dire de venir à lui. Apparemment, Connelly l’avait envoyé pour servir en quelque sorte de garde afin de s’assurer qu’elle puisse se frayer un chemin à travers la foule de folie.
Elle gara sa voiture et marcha aussi vite qu’elle le pouvait jusqu’à l’entrée arrière. Finley se rapprocha immédiatement d’elle. En raison de son passé en tant qu’avocate et des affaires très médiatisées auxquelles elle s’était attaquée en tant qu’inspectrice, Avery savait qu’elle avait un visage que certaines équipes de télévision locales pourraient reconnaître. Heureusement, grâce à Finley, personne ne put bien la voir avant qu’elle n’entre par la porte arrière.
« Que diable se passe-t-il ? Nous avons Randall ? », demanda Avery.
« J’aimerais te raconter ce qu’il s’est passé », dit Finley. « Mais Connelly m’a dit de ne rien dire du tout. Il veut être le premier à parler avec toi »
« Très bien, j’imagine. »
« Comment vas-tu, Avery ? », demanda Finley tandis qu’ils marchaient rapidement vers la salle de conférence près de l’arrière du quartier général du A1. « Je veux dire, avec tout ce qui se passe avec Ramirez ? »
Elle haussa les épaules du mieux qu’elle put. « Je vais bien. Je fais face. »
Finley saisit son signal et laissa tomber. Ils parcoururent le reste du chemin jusqu’à la salle de conférence en silence.
Elle s’attendait à ce que la salle de conférence soit aussi bondée que le parking. Elle avait pensé que quelque chose impliquant Howard Randall aurait eu pour conséquence de mettre tous les agents disponibles dans la pièce. Au lieu de cela, quand elle entra avec Finley, elle vit seulement Connelly et O’Malley assis à la table. Les deux hommes déjà dans la pièce lui adressèrent des expressions qui étaient en quelque sorte complètement opposées l’une à l’autre ; l’expression d’O’Malley était de pure inquiétude tandis que celle de Connelly semblait dire Bon sang, qu’est-ce que je suis censé faire de toi maintenant ?
Quand elle s’assit, elle eut presque l’impression d’être un enfant envoyé au bureau du principal.
« Merci d’être venue si vite », dit Connelly. « Je sais que vous vivez un enfer. Et croyez-moi…je vous voulais ici seulement parce que je pensais que vous voudriez être impliquée dans ce qu’il se passe. »
« Howard a vraiment tué quelqu’un ? », demanda-t-elle. « Comment le savez-vous ? Vous l’avez attrapé ? »
Les trois hommes échangèrent un regard gêné autour de la table. « Non, pas exactement », dit Finley.
« C’est arrivé la nuit dernière », dit Connelly.
Avery soupira. Elle s’était en fait attendue à entendre quelque chose de tel au journal télévisé ou par le biais d’un message du A1. Pourtant…l’homme qu’elle avait appris à connaître depuis l’autre côté d’une table en prison pendant qu’elle sollicitait ses avis et ses conseils ne semblait pas capable de commettre un meurtre. C’était étrange…elle le connaissait bien avec son passé d’avocate et savait qu’il était capable d’assassiner. Il l’avait fait de nombreuses fois ; onze meurtres étaient joints à son dossier quand il était allé en prison et l’on spéculait qu’il y en avait beaucoup d’autres qui pourraient lui être attribuées avec juste un peu plus de preuves. Mais tout de même, quelque chose dans cette nouvelle la choqua, malgré le fait que cela semble complètement normal.
« Nous sommes sûrs que c’est lui ? », demanda-t-elle.
Connelly fut immédiatement mal à l’aise. Il laissa échapper un soupir et se leva de sa chaise, puis commença à faire les cent pas.
« Nous n’avons pas de preuves tangibles. Mais c’était une étudiante et le meurtre était assez horrible pour nous mener à penser que c’était Randall. »
« Y a-t-il déjà un dossier ? », demanda-t-elle.
« Il est en train d’être constitué en ce moment même et ― »
« Je peux le voir ? »
Encore une fois, Connelly et O’Malley échangèrent un regard incertain. « Nous n’avons pas besoin que vous vous plongiez vraiment là-dedans », dit Connelly. « Nous vous avons appelée parce que vous connaissez ce psychopathe mieux que quiconque. Ce n’est pas une invitation à sauter sur cette affaire. Vous faites face à beaucoup trop de choses en ce moment. »
« J’apprécie l’attention. Y a-t-il des photos de la scène de crime que je puisse voir ? »
« Il y en a », dit O’Malley. « Mais elles sont assez macabres. »
Avery ne dit rien. Elle était déjà un peu énervée qu’ils l’aient appelée avec tant d’empressement, mais l’abordent avec des pincettes.
« Finley, pourriez-vous courir jusqu’à mon bureau et récupérer ce que nous avons ? », demanda Connelly.
Finley se leva, toujours aussi obéissant. En le voyant partir, Avery réalisa que les deux semaines qu’elle avait passées dans un état de deuil incertain semblaient avoir été beaucoup plus longues. Elle adorait son travail et cet endroit lui avait terriblement manqué. Le simple fait d’être à proximité de cette machine bien huilée lui remontait le moral, même si ce n’était qu’une ressource pour O’Malley et Connelly.
« Comment va Ramirez ? », demanda Connelly. « Les dernières nouvelles que j’ai eues datent d’il y a deux jours, et ces nouvelles disaient toujours pareil. »
« Toujours pareil », dit-elle avec un sourire fatigué. « Pas de mauvaises nouvelles, pas de bonnes nouvelles. »
Elle leur parla presque de la bague que les infirmières avaient trouvé dans sa poche – la bague de fiançailles que Ramirez avait été sur le point de lui offrir. Peut-être cela les aiderait-il à comprendre pourquoi elle était si proche de lui et avait choisi de rester à ses côtés tout le temps.
Avant que la conversation ne puisse aller plus loin, Finley revint dans la pièce avec un dossier qui ne contenait pas grand-chose. Il le posa devant elle, et reçut un signe d’approbation de Connelly.
Avery ouvrit les photos et les regarda. Il y en avait sept en tout, et O’Malley n’avait pas exagéré. Les images étaient assez inquiétantes.
Il y avait du sang partout. La fille avait été traînée dans une ruelle et dépouillée de ses sous-vêtements. Son bras droit semblait avoir été brisé. Ses cheveux étaient blonds, même si la plupart étaient emmêlés de sang. Avery chercha des blessures par balle ou des marques de couteau mais n’en vit aucune. Ce n’est que lorsqu’elle atteignit la cinquième image qu’un gros plan du visage de la jeune fille révéla le mode opératoire.
« Des clous ? », demanda-t-elle.
« Ouais », dit O’Malley. « Et d’après ce que nous pouvons dire, ils ont été enfoncés avec une telle précision et une telle force qu’ils ont dû l’être avec l’un de ces pistolets pneumatiques. Nous avons la scientifique qui travaille dessus, donc nous ne pouvons que spéculer sur la chronologie des évènements pour l’instant. Nous pensons que le premier coup a été celui qui l’a touchée juste derrière l’oreille gauche. Il a dû être tiré à distance parce qu’il n’a pas complètement transpercé. Il a perforé le crâne mais c’est tout ce que nous savons pour l’instant. »
« Et si ce n’est pas celui-là qui l’a tuée », dit Connelly, « celui qui est entré sous la mâchoire, à une extrémité, l’a très certainement fait. Il a transpercé le bas de sa bouche, a obliqué à travers le palais, puis a perforé ses voies nasales jusque dans son cerveau. »
La violence mise en œuvre ressemble à Howard Randall, pensa Avery. On ne peut pas le nier.
Pourtant, il y avait d’autres éléments dans l’image qui ne correspondaient pas à ce qu’elle savait sur Howard Randall. Elle étudia les photographies, et constata que malgré toutes les affaires qu’elle avait vues, ces images étaient parmi les plus sanglantes et les plus dérangeantes.
« Alors, de quoi exactement avez-vous besoin venant de moi ? »
« Comme je l’ai dit…vous connaissez assez bien ce type. D’après ce que vous savez, je veux savoir où il pourrait se trouver. Je pense qu’il est sûr de dire qu’il est resté ici en ville, en se basant sur ce meurtre. »
« N’est-il pas dangereux de simplement présupposer que c’est le travail d'Howard Randall ? »
« Deux semaines après s’être échappé de prison ? », demanda Connelly. « Non. Je dirais que ça se suit plutôt bien et que ça crie Howard Randall. Est-ce que vous avez besoin de revenir en arrière et de revoir les photos des scènes de crimes de ses affaires ? »
« Non », dit Avery avec un peu de virulence. « Ça va. »
« Alors, que pouvez-vous nous dire ? Nous sommes à sa recherche depuis deux semaines et nous n’arrivons à rien. »
« Je pensais que vous aviez dit que vous ne me vouliez pas encore sur ça. »
« J’ai besoin de vos conseils et de votre aide », dit Connelly.