« Ferme-la », dit un autre membre de l'équipe, vraisemblablement Hatch.
Avery parvint finalement à l'endroit où ceux de la Scientifique étaient rassemblés. Ils étaient penchés en avant, et regardaient une portion de la glace proprement sectionnée. En dessous, elle vit le corps d'une femme nue. Elle paraissait avoir une vingtaine d'années. Hormis la peau pâle et partiellement gelée, elle avait l'air plutôt ravissante. Superbe, en fait.
La Scientifique avait réussi à accrocher le corps sous les bras avec des perches en plastique. Chacune présentait une extrémité en forme de U, recouverte de ce qui ressemblait à une sorte de coton. À droite de la glace coupée, une simple couverture isolante attendait le corps.
« Et elle a été retrouvée comme ça ? » demanda Avery.
« Ouais », dit l'homme dont elle supposa qu'il s'appelait Hatch. « Par des enfants, rien de moins. La mère a appelé la police locale. Une heure et quinze minutes plus tard, nous voilà. »
« Vous êtes Avery Black, n'est-ce pas ? », demanda le troisième.
« En effet. »
« Il faut que vous vérifiez les choses avant que nous l'emportions? »
« Oui, si ça ne vous dérange pas. »
Tous trois reculèrent un peu. Hatch et celui qui l'avait interpelé pour être tombé sur les fesses s'accrochèrent aux perches en plastique. Avery se pencha plus près ; les orteils de ses chaussures étaient à moins de quinze centimètres de la glace brisée et de l'eau libre.
La glace sectionnée lui permit de voir la femme depuis le front jusqu'à ses genoux. Elle ressemblait presque à une figure de cire. Avery savait que les températures extrêmes pouvaient avoir quelque chose à voir avec cela, mais il y avait autre chose dans son absence d'imperfections. Elle était incroyablement – peut-être juste un peu plus de quarante-cinq kilos. Son visage rougi prenait une teinte bleue, mais à part cela, il n'y avait pas d'atteintes – ni éraflures, ni coupures, ni bleus ni même des boutons.
Avery remarqua également que, outre ses cheveux blonds mouillés et partiellement gelés, il n'y avait pas un seul poil sur son corps. Ses jambes étaient parfaitement rasées, tout comme sa région pubienne. Elle ressemblait à une poupée à taille réelle.
Avec un dernier regard sur le corps, Avery recula. « C'est bon », dit-elle à l'équipe de la Scientifique.
Ils s'avancèrent et comptèrent jusqu'à trois, extrayant lentement le corps de l'eau. Quand ils la sortirent, ils l'inclinèrent de telle sorte qu'elle atterrit surtout sur la couverture isolante. Avery nota qu'il y avait aussi une civière sous la couverture.
Avec le corps complètement hors de l'eau, elle remarqua deux autres choses qui la frappèrent, car étranges. Tout d'abord, la femme ne portait pas un seul bijou. Elle s'agenouilla et vit que ses oreilles étaient percées, mais il n'y avait pas de boucles d'oreilles. Elle tourna ensuite son attention sur la seconde bizarrerie : les ongles des mains et des pieds de la femme étaient soigneusement coupés – au point de paraître avoir été manucurés récemment.
C'était étrange, mais ce fut ce qui tira le plus les sonnettes d'alarme dans son esprit. Avec la chair glaciale qui devenait bleue sous ces ongles, il y avait quelque chose d'irréel. C'est presque comme si elle avait été lustrée, pensa-t-elle.
« C'est bon ici ? », lui demanda Hatch.
Elle acquiesça.
Pendant que tous trois recouvraient le corps et progressaient avec difficulté et précaution vers la rive avec le brancard, Avery resta près de la portion de glace coupée. Elle regarda dans l'eau, en réfléchissant. Elle plongea la main dans sa poche, à la recherche d'un petit détritus, mais tout ce qu'elle put trouver était un élastique qui s'était cassé net plus tôt dans la journée.
« Black ? », demanda Connelly depuis la rive. « Qu'est-ce que tu fais ? »
Elle regarda en arrière et le vit debout près de la glace, mais résolu à ne pas marcher dessus.
« Je travaille », dit-elle. « Pourquoi tu ne patines pas jusqu'ici pour aider? »
Il leva les yeux au ciel dans sa direction, et elle se retourna vers la glace. Elle laissa tomber l'élastique cassé dans l'eau et le regarda monter et descendre pendant un moment. Ensuite, il prit lentement le courant atone de l'eau sous la glace. Il fut repoussé en-dessous sur sa gauche, plus loin vers Watertown.
Donc elle a été jetée depuis un autre endroit, pensa Avery, en regardant la rivière en direction de Boston. Sur la rive, Connelly et l'agent avec lequel il parlait remontaient derrière l'équipe de la scientifique.
Avery resta sur la glace, maintenant debout et droite. Elle commençait à avoir très froid tout en regardant son souffle s'évaporer dans l'air. Mais quelque chose dans la température glaciale semblait la recentrer. Cela lui permettait de réfléchir, d'utiliser les légers craquements de la glace comme une sorte de métronome pendant qu'elle rassemblait ses idées.
Nue et sans une imperfection ou une ecchymose sur elle. Donc l'agression est exclue. Pas de bijoux, donc cela aurait pu être un vol. Mais dans la plupart des cas un corps, après avoir été volé, montrerait des signes de lutte…et cette femme était impeccable. Et que dire de ces ongles et de l'absence totale de poils ailleurs que sur sa tête?
Elle marcha lentement vers la rive, regardant le long de la rivière gelée jusque vers l'endroit où elle dessinait un méandre et poursuivait dans la direction de Boston. Il était étrange de penser combien la rivière Charles gelée était belle depuis l'Université de Boston alors que moins de vingt minutes auparavant, un corps en avait été retiré.
Elle releva le col de son manteau autour de son cou en retournant vers la rive. Elle arriva juste à temps pour voir les portes arrière de la fourgonnette de la Scientifique se refermer. Connelly s'approcha, mais il regardait derrière elle en direction de l'eau glacée.
« Tu l'as bien vue ? », demanda Avery.
« Ouais. Elle avait l'air d'un putain de jouet ou quelque chose comme ça. Toute pâle et froide et… »
« Et parfaite », dit Avery. « Tu as remarqué qu'il n'y avait pas de poils sur elle ? Pas de contusions ni de bosses non plus. »
« Ou de bijoux », ajouta Connelly. Avec un gros soupir, il l'interrogea : « Puis-je te demander quelles sont tes premières impressions ? »
Elle était bien plus disposée à être sans filtres avec Connelly maintenant. Elle l'avait été depuis que lui et O'Malley lui avaient offert une promotion au grade de sergent deux mois auparavant. En contrepartie, ils semblaient plus prêts à accepter dès le départ ses théories plutôt que de s'interroger sur tout ce qui sortait de sa bouche.
« Ses ongles étaient parfaitement coupés », dit-elle. « C'est comme si elle venait tout juste de sortir d'un salon avant d'être jetée dans la rivière. Ensuite, il y a le manque de poils partout. Un seul de ces éléments est déjà assez étrange, mais ensemble ça crie le geste intentionnel pour moi. »
« Tu penses que quelqu'un l'a nettoyée avant de la tuer ? »
« On dirait ça. C'est presque comme au dépôt mortuaire où l’on fait paraître les morts aussi présentable que possible pour l'ouverture du cercueil. Celui qui a fait ça l'a nettoyée. L'a rasée et lui a fait les ongles. »
« Une idée de la raison ? »
Avery haussa les épaules. « Je ne peux que spéculer pour le moment. Mais je peux te dire une chose que tu ne vas probablement pas beaucoup aimer. »
« Ah bon sang », dit-il en sachant ce qui allait venir.
« Ce mec a pris son temps…même pas dans le meurtre, mais dans ce à quoi le corps ressemblerait quand il serait trouvé. Il avait la volonté. La patience. Sur la base de cas similaires, je peux presque te garantir qu'elle ne sera pas la seule. »
Avec un autre de ses soupirs caractéristiques, Connelly sortit son téléphone de sa poche. « Je vais convoquer une réunion au A1 », dit-il. « Je leur ferai savoir que nous avons un potentiel de tueur en série. »
CHAPITRE TROIS
Avery supposait que, si elle devait accepter le poste de sergent, il faudrait qu'elle surmonte sa haine de la salle de conférence du A1. Elle n'avait rien contre la pièce en soi. Mais elle savait qu'une réunion tenue en son sein si peu de temps après la découverte d'un corps signifiait qu'il y aurait des discussions et des débats, dont la plupart auraient pour but de démonter ses théories.
Peut-être qu'en tant que sergent cela prendra-t-il fin, pensa-t-elle en entrant dans la pièce.
Connelly était à la tête de la table et remuait des papiers. Elle pensait qu'O'Malley serait bientôt là. Il avait semblé beaucoup plus présent lors de toutes les réunions auxquelles elle avait pris part depuis qu'ils lui avaient proposé le poste de sergent.
Connelly leva les yeux vers elle à travers la foule croissante composée d'autres agents. « Les choses avancent rapidement sur celle-ci », dit-il. « Le corps extrait de la rivière a été identifié il y a exactement cinq minutes. Patty Dearborne, vingt-deux ans. Une étudiante de l'Université de Boston et originaire d'ici. À l'heure actuelle, c'est tout ce que nous savons. Les parents devront être informés une fois la réunion terminée. »
Il fit glisser un dossier qui ne contenait que deux feuilles de papier. L’une présentait une photographie tirée du profil Facebook de Patty Dearborne. La seconde en montrait trois autres, toutes prises sur le fleuve Charles plus tôt dans la journée. Le visage de Patty Dearborne était présent sur chacune d'elles, ses paupières violacées fermées.
Dans une association de pensées morbide, Avery essaya de voir le visage de la jeune femme de la même manière qu'un tueur pourrait le faire. Patty était magnifique, même dans la mort. Elle possédait un corps qu'Avery elle-même aurait considéré comme trop maigre, mais les hommes écumant les bars auraient salivé dessus. Elle fit appel à cette mentalité, essayant de déterminer pourquoi un tueur choisirait une telle victime s'il n'y avait pas d'implications sexuelles.
Peut-être recherche-t-il de belles choses. La question, bien sûr, était de savoir s'il était après ces belles choses pour flirter avec elles ou pour les détruire. Apprécie-t-il la beauté ou veut-il l'anéantir ?
Elle ignorait combien de temps elle avait réfléchi à ce sujet. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle sursauta un peu lorsque Connelly ramena l'ordre dans la réunion. Il y avait en tout neuf personnes dans la salle de conférence. Elle vit que Ramirez était entré discrètement. Il était assis près de Connelly, et feuilletait le même type de dossier que Connelly lui avait donné quelques instants avant. Il l'a senti apparemment le regarder, leva les yeux et lui sourit.
Elle lui retourna son sourire quand Connelly commença. Elle baissa tout de suite le regard, ne voulant pas être trop manifeste. Alors que presque tout le monde dans le commissariat savaient qu'elle et Ramirez étaient un couple maintenant, ils préféraient encore essayer de ne pas le dévoiler.
« Tout le monde a dû être informé à présent », dit Connelly. « Pour ceux d'entre vous qui ne l'ont pas été, la femme a été identifiée comme Patty Dearborne, une troisième année de l'Université de Boston. Elle a été trouvée dans la rivière Charles juste à l'extérieur de Watertown, mais elle est originaire de Boston. Comme l'a fait remarquer l'inspectrice Black dans le briefing que vous avez tous reçu, le courant de la rivière suggère que le corps a été jeté ailleurs. La Scientifique suppose que son corps est resté dans l'eau pendant vingt-quatre heures. Ces deux éléments s'ajoutent au fait que l'endroit probable d'où elle a été jetée se trouve quelque part à Boston. »
« Monsieur », s'exprima l'agent Finley. « Pardonnez-moi de demander, mais pourquoi ne pensons-nous même pas au suicide ? Le briefing affirme qu'il n'y avait pas de bleus et aucun signe de lutte. »
« Je l'ai exclu presque immédiatement quand j'ai vu que la victime était nue », dit Avery. « Bien que le suicide soit habituellement pris en considération, il est très peu probable que Patty Dearborne se soit dévêtue avant de sauter dans la rivière Charles. »
Elle détesta presque descendre en flammes les idées de Finley. Elle le voyait devenir un excellent agent de semaine en semaine. Il avait mûri au cours de la dernière année, se métamorphosant du personnage de garçon de fraternité que la plupart des gens connaissait en un agent travaillant dur.
« Mais pas de contusions », dit un autre agent. « Cela semble être une preuve évidente. »
« Ou une preuve que ce n'était pas un suicide », soutint Avery. « Si elle avait sauté de n'importe quelle hauteur supérieure à deux mètres cinquante ou trois mètres, il y aurait eu des ecchymoses visibles sur son corps en raison de l'impact. »
« La Scientifique est d'accord avec ça », dit Connelly. « Ils vont bientôt envoyer un rapport plus complet, mais ils sont pratiquement sûrs de ça. » Il regarda ensuite Avery et fit un geste vers la table en balayant de la main. « Qu'avez-vous d'autre, inspectrice Black ? »
Elle prit un moment pour discuter des choses qu'elle avait signalées à Connelly – des détails qui étaient dans le briefing. Elle mentionna les ongles coupés et vernis, le manque de poils et l'absence de bijoux. « Une autre chose à souligner », ajouta-t-elle, « c’est qu'un tueur qui se donne tant de mal pour rendre ses victimes présentables suggère soit une admiration biaisée pour la victime, soit une sorte de regret. »
« Regret ? », demanda Ramirez.
« Oui. Il l'a parée et l'a rendue aussi belle que possible peut-être parce qu'il ne voulait pas la tuer. »
« Jusqu'à raser...ses parties inférieures ? », demanda Finley.
« Oui. »
« Et dites-leur pourquoi vous pensez que nous avons affaire à un tueur en série ici, Black », dit Connelly.
« Parce que même s'il s'agissait d'une erreur, le fait que le tueur ait fait ses ongles et l'ait rasé dénote de la patience. Et quand vous ajoutez cela au fait que cette femme était assez jolie et exempte de défauts, cela me fait penser qu'il est attiré par la beauté. »
« Il a une drôle de manière de le montrer », dit quelqu'un d'autre.
« Ce qui me ramène à l'idée que peut-être il ne voulait pas la tuer. »
« Donc tu penses que c'était comme un rendez-vous qui aurait mal tourné ? », demanda Finley.
« Nous ne pouvons pas encore être sûrs », dit-elle. « Mais ma première réaction est de dire non. S'il a été aussi circonspect et prudent quant à son aspect avant de jeter le corps, je pense qu'il a probablement pris autant de soin à la sélectionner. »
« En la sélectionnant pour quoi, Black ? », demanda Connelly.
« Je pense que c'est ce dont nous devons découvrir. Espérons que la Scientifique aura quelques réponses pour nous mettre sur la bonne voie. «
« Alors que faisons-nous en attendant ? », demanda Finley.
« On s'active », dit Avery. « On creuse autant que possible dans la vie de Patty Dearborne, en espérant trouver un indice qui nous aidera à trouver ce gars avant qu'il ne recommence. »
Lorsque la réunion fut terminée, Avery traversa la salle de conférence pour avoir un mot avec Ramirez. Quelqu'un devait informer les parents de Patty Dearborne et elle avait le sentiment qu'il fallait qu'elle le fasse. Parler aux parents frappés par le deuil, tout en étant incroyablement difficile et émotionnellement épuisant, était généralement l'un des meilleurs moyens pour trouver une piste d'entrée de jeu. Elle voulait Ramirez avec elle, voulait continuer à travailler sur l'équilibre entre leur vie personnelle et professionnelle. C'était encore délicat, mais ils s'y habituaient.
Avant qu'elle n’arrive à lui, cependant, O'Malley entra dans la pièce. Il parlait au téléphone, manifestement pressé. Qu'elle que soit la chose à laquelle il avait à faire, cela avait dû être urgent pour qu'il ait manqué la réunion sur l'affaire Patty Dearborne. Il se tint près de la porte, attendit que tous sauf Avery, Ramirez et Connelly soient partis, puis ferma la porte. Il mit fin à son appel avec un rapide et presque impoli « Ouais, plus tard », puis prit une profonde inspiration.