Le Quartier Idéal - Блейк Пирс 2 стр.


“J’imagine que ça ne va pas si mal”, finit-elle par répondre sans conviction en regardant son amie finir de s’habiller.

Lacy se mit ses talons hauts et, de grande femme, elle devint une Amazone complète. Avec ses jambes et ses pommettes longues, elle ressemblait plus à un mannequin en cavale qu’à une femme qui voulait devenir designer de mode. Elle avait les cheveux attachés en une haute queue de cheval qui laissait voir son cou. Elle était méticuleusement habillée dans une tenue qu’elle avait créée elle-même. Même si elle n’était encore qu’acheteuse en boutique de luxe, elle prévoyait d’ouvrir sa propre entreprise de design avant d’avoir trente ans et de devenir la designer de mode afro-américaine lesbienne la plus chic de tout le pays peu après.

“Je ne te comprends pas, Jessie”, dit-elle en se mettant son manteau. “Tu as été acceptée à Quantico dans un programme prestigieux du FBI réservé aux profileurs criminels prometteurs et l’idée ne semble pas t’enthousiasmer. J’avais pensé que tu sauterais sur cette occasion de changer de décor quelque temps. De plus, ça ne dure que dix semaines. Tu n’aurais même pas à déménager là-bas.”

“Tu as raison”, convint Jessie en finissant sa troisième tasse de café. “C’est juste qu’il se passe tant de choses ces temps-ci que je ne suis pas sûre que ce soit le bon moment. Le divorce avec Kyle n’est pas encore finalisé. Il faut encore que je vende la maison de Westport Beach. Physiquement parlant, je ne vais pas bien à cent pour cent. De plus, je me réveille en hurlant la plupart des nuits. Je ne suis pas sûre d’être prête à supporter le programme de formation à l’analyse du comportement du FBI.”

“Eh bien, tu ferais mieux de te décider vite”, dit Lacy en se dirigeant vers la porte de devant. “Ne dois-tu pas leur donner une réponse à la fin de la semaine ?”

“C’est exact.”

“Dans ce cas, tu pourras me dire quelle décision tu prendras. Et au fait, peux-tu ouvrir la fenêtre de ta chambre avant de partir ? Sans vouloir te vexer, ça sent comme une salle de gym, là-bas.”

Lacy partit avant que Jessie ait pu répondre. De toute façon, Jessie n’aurait pas su quoi dire. Lacy était une très bonne amie sur laquelle on pouvait toujours compter pour être franche mais le tact n’était pas son fort.

Jessie se leva et se dirigea vers sa chambre pour se changer. Elle s’aperçut dans le grand miroir qui était sur la porte et ne se reconnut pas tout de suite. De façon superficielle, elle était encore la même, avec ses cheveux bruns qui lui tombaient sur les épaules, ses yeux verts et son mètre soixante-dix-sept.

Cependant, l’épuisement lui dessinait des cernes autour des yeux et ses cheveux étaient si filiformes et si gras qu’elle décida de se faire une queue de cheval et de porter une casquette. De plus, elle avait la sensation d’être voûtée en permanence parce qu’elle craignait constamment que son abdomen la fasse souffrir sans prévenir.

Est-ce que je redeviendrai un jour comme avant ? Cette personne existe-t-elle encore ?

Elle décida de penser à autre chose et de forcer son auto-apitoiement à la laisser tranquille, au moins pour quelque temps. Elle était trop occupée pour se laisser aller maintenant.

Il était temps qu’elle se prépare à sa séance de kinésithérapie, à rencontrer l’agent immobilier, à aller à son rendez-vous avec son psychiatre puis chez sa gynécologue. Toute cette longue journée, elle allait devoir faire semblant d’être un être humain en bon état.

*

L’agent immobilier, une petite derviche tourneuse en tailleur-pantalon du nom de Bridget, lui présentait le troisième appartement de la matinée quand Jessie commença à avoir très envie de sauter d’un balcon.

D’abord, tout s’était bien passé. Suite à sa dernière séance de kinésithérapie, à la fin de laquelle on lui avait dit qu’elle était “raisonnablement équipée pour les tâches de la vie quotidienne”, elle s’était sentie très heureuse. Bridget lui avait permis de garder son enthousiasme pendant qu’elles avaient visité les deux premiers appartements en discutant des détails, du prix et des commodités. Ce ne fut qu’au troisième appartement, le seul qui ait intrigué Jessie jusque-là, que les questions personnelles commencèrent.

“Êtes-vous sûre de n’être intéressée que par les appartements à une seule chambre ?” demanda Bridget. “Je vois que vous aimez celui-là mais, à l’étage au-dessus, il y a un appartement à deux chambres qui a quasiment la même disposition de pièces. Il ne coûte que trente mille dollars de plus et il aurait une valeur de revente plus élevée. En outre, vous ne savez pas quelle sera votre situation dans quelques années.”

“C’est vrai”, reconnut Jessie en se souvenant que, seulement deux mois auparavant, elle était mariée, enceinte et habitait dans une maison luxueuse du Comté d’Orange. À présent, elle était séparée d’un tueur condamné, elle avait perdu son enfant avant qu’il naisse et elle logeait chez une amie d’université. “Cela dit, une seule chambre me suffit.”

“Bien sûr”, dit Bridget sur un ton qui suggérait qu’elle comptait revenir à la charge plus tard. “Puis-je vous demander quelles sont vos circonstances ? Cela pourrait m’aider à mieux cibler vos préférences. Je ne peux m’empêcher de remarquer que vous avez la peau blanche à l’endroit où vous avez dû récemment avoir une alliance. Je pourrais mieux choisir votre appartement si je savais si vous comptez vraiment retrouver quelqu’un ou… attendre.”

“Nous sommes dans la bonne zone”, dit Jessie, dont la voix se refroidit involontairement. “Par ici, je ne désire visiter que les appartements à une seule chambre. C’est la seule information qu’il vous faut pour l’instant, Bridget.”

“Bien sûr. Je suis désolée”, dit humblement Bridget.

“Il faut que j’aille aux toilettes un instant”, dit Jessie, sentant le blocage qui avait commencé dans sa gorge s’étendre à sa poitrine. “Est-ce possible ?”

“Aucun problème”, dit Bridget. “Vous vous souvenez où elles sont, dans le vestibule ?”

Jessie hocha la tête et s’y rendit aussi vite que possible sans courir. Quand elle y entra et ferma la porte, elle eut peur de s’évanouir. Elle avait l’impression de sentir arriver une crise de panique.

Qu’est-ce qui m’arrive, bon sang ?

Elle s’éclaboussa le visage d’eau froide puis posa les mains sur le lavabo en se forçant à inspirer et à expirer lentement et profondément.

Des images lui passaient en tête sans rime ni raison : elle était blottie sur le sofa avec Kyle, elle frissonnait dans une cabane isolée des Monts Ozarks, elle regardait l’échographie de son enfant qui n’était jamais né, elle lisait une histoire pour dormir dans un fauteuil à bascule avec son père adoptif, elle regardait son mari jeter un corps depuis un yacht au large de la côte, elle entendait son père lui murmurer “petite chérie” à l’oreille.

Jessie ne savait pas pourquoi la question inoffensive de Bridget sur ses circonstances et ce qu’elle avait dit sur l’attente l’avait angoissée mais c’était bien le cas et, maintenant, elle avait des sueurs froides, elle tremblait involontairement et, dans le miroir, elle ne reconnaissait pas la personne qu’elle voyait.

Heureusement qu’elle allait rendre visite à sa psychiatre juste après. Cette idée calma légèrement Jessie et elle inspira et expira profondément quelques fois de plus avant de quitter les toilettes et de se diriger vers la porte de devant.

“Je vous rappellerai”, cria-t-elle à Bridget en refermant la porte derrière elle mais sans être sûre qu’elle le ferait. Pour l’instant, elle n’était sûre de rien.

CHAPITRE TROIS

Le cabinet du Dr Janice Lemmon était seulement à quelques pâtés de maisons de l’immeuble que Jessie venait de quitter et elle était contente d’avoir l’occasion de marcher et de se changer les idées. Alors qu’elle allait vers Figueroa, elle apprécia presque le vent glacial qui fit pleurer ses yeux et les lui sécha immédiatement. Grâce à la vivacité du froid, elle ne pensa plus qu’à marcher vite.

Elle remonta la fermeture Éclair de son manteau jusqu’au cou et baissa la tête quand elle passa un café puis un restaurant plein à craquer. C’était le milieu du mois de décembre à Los Angeles et les entreprises locales faisaient de leur mieux pour donner un air festif à leurs vitrines dans une ville où la neige était presque une abstraction.

Cependant, dans les tunnels de vent créés par les gratte-ciel du centre-ville, le froid était toujours présent. Il était presque onze heures du matin mais le ciel était gris et la température ne dépassait guère les dix degrés. Ce soir, elle tomberait près de quatre degrés. Pour Los Angeles, c’était frigorifiant. Bien sûr, Jessie avait connu des climats beaucoup plus froids.

Quand elle avait été enfant dans la campagne du Missouri, avant tous les désastres qu’elle avait subis, elle avait eu l’habitude de jouer dans la minuscule cour de devant du camping-car de sa mère, dans le parc pour caravanes. Les doigts et le visage à moitié engourdis, elle avait sculpté des bonhommes de neige d’apparence ordinaire mais au visage joyeux pendant que sa mère la regardait de la fenêtre pour s’assurer que tout allait bien. Jessie se souvenait qu’elle s’était demandée pourquoi sa mère jamais ne la quittait jamais du regard. Maintenant, elle comprenait.

Quelques années plus tard, dans la banlieue de Las Cruces, au Nouveau Mexique, où elle avait vécu avec sa famille d’adoption après avoir bénéficié du programme de protection des témoins, elle allait skier sur les petites pentes des montagnes les plus proches avec son deuxième père, un agent du FBI qui était toujours d’un calme professionnel quelle que soit la situation. Il était toujours là pour l’aider à se relever quand elle tombait et, en général, elle pouvait être sûre d’avoir droit à un chocolat chaud quand ils quittaient les collines nues et battues par les vents pour repartir à leur chalet.

Ces souvenirs de froid la réchauffèrent et elle contourna le dernier pâté de maisons pour aller au cabinet du Dr Lemmon. Elle choisit soigneusement de ne pas penser aux souvenirs moins plaisants qui se mêlaient inévitablement aux bons.

Elle sonna, entra puis retira ses couches de vêtements en attendant qu’on l’invite à passer dans le cabinet du docteur. Elle n’eut pas à attendre longtemps. À onze heures précises, sa thérapeute ouvrit la porte et la fit entrer.

Le Dr Janice Lemmon avait aux environs de soixante-cinq ans mais avait l’air plus jeune. Elle était en grande forme et, derrière ses épaisses lunettes, elle avait le regard vif et concentré. Ses bouclettes blondes remuaient quand elle marchait et elle avait une intensité contenue impossible à dissimuler.

Elles s’assirent face à face dans des chaises confortables. Avant de prendre la parole, le Dr Lemmon laissa à Jessie quelques moments pour s’installer.

“Comment allez-vous ?” demanda-t-elle d’une façon ouverte qui poussait toujours Jessie à y réfléchir plus sérieusement qu’elle ne le faisait dans sa vie quotidienne.

“Pas très fort”, admit-elle.

“Pourquoi ?”

Jessie raconta la crise de panique qu’elle avait eue dans l’appartement et les flashbacks qui avaient suivi.

“Je ne sais pas ce qui m’a mise dans un tel état”, dit-elle en conclusion.

“Je crois que vous le savez”, suggéra le Dr Lemmon.

“Pourriez-vous expliquer ?” répliqua Jessie.

“Eh bien, je me demande si vous avez paniqué en présence d’une quasi-inconnue parce que vous pensiez que vous n’aviez aucun autre endroit où laisser aller votre anxiété. Permettez que je vous pose une question : avez-vous des événements ou des décisions stressants dont la date approche ?”

“Vous voulez dire mis à part un rendez-vous chez le gynécologue dans deux heures pour voir si j’ai guéri de ma fausse couche, un autre rendez-vous pour finaliser mon divorce de l’homme qui a essayé de m’assassiner, un autre pour vendre la maison que nous avons habitée ensemble ? Ou voulez-vous dire accepter le fait que mon père tueur en série me recherche, décider d’aller ou pas en Virginie pendant deux mois et demi pour que les instructeurs du FBI se moquent de moi ou devoir déménager de l’appartement de mon amie pour qu’elle arrive à dormir correctement ? Mis à part ces choses-là, je dirais que je vais bien.”

“Effectivement, cela semble faire beaucoup”, répondit le Dr Lemmon sans tenir compte du sarcasme de Jessie. “Et si on commençait par vos préoccupations immédiates avant d’envisager les autres ?”

“C’est vous le patron”, marmonna Jessie.

“En fait, non. Cela dit, parlez-moi de votre prochain rendez-vous. Pourquoi vous préoccupe-t-il ?”

“Le problème n’est pas qu’il me préoccupe”, dit Jessie. “Le docteur m’a déjà annoncé qu’on dirait que je n’ai pas de blessures permanentes et que je pourrai avoir des enfants dans l’avenir. Le problème, c’est plutôt que ce rendez-vous va me rappeler ce que j’ai perdu et comment je l’ai perdu.”

“Vous parlez de la fois où votre mari vous a droguée pour pouvoir vous accuser d’avoir assassiné Natalia Urgova ? Et aussi du fait que la drogue qu’il a utilisée a provoqué votre fausse couche ?”

“Oui”, dit sèchement Jessie. “C’est de ça que je parle.”

“Eh bien, à mon avis, personne n’évoquera ce sujet”, dit le Dr Lemmon, un sourire aimable aux lèvres.

“Donc, vous dites que je me crée du stress pour une situation qui n’a rien de stressant ?”

“Je dis que, si vous affrontez vos émotions à l’avance, cela pourra être moins accablant que vous le croyez quand vous serez en présence du docteur.”

“C’est plus facile à dire qu’à faire”, dit Jessie.

“Tout est plus facile à dire qu’à faire”, répondit le Dr Lemmon. “Pour l’instant, laissons ça de côté et passons à votre divorce qui vient. Comment se passent les choses dans ce domaine-là ?”

“La maison est entiercée. Donc, j’espère que cela se fera sans complications. Mon avocat dit que ma demande de divorce accéléré a été approuvée et que tout devrait être terminé avant la fin de l’année. Je vais bénéficier d’un avantage pour ça : comme la Californie est un état de propriété communautaire, j’aurai droit à la moitié des actifs de mon mari assassin. Il récupérera lui aussi la moitié des miens alors qu’il sera jugé pour neuf crimes graves au début de l’année prochaine. Cela dit, comme j’ai été étudiante jusqu’à une date qui ne remonte qu’à quelques semaines, il ne touchera pas grand-chose.”

“OK. Qu’est-ce que cela vous inspire ?”

“Je suis contente de toucher cet argent. Je dirais que je l’ai largement mérité. Saviez-vous que j’ai utilisé l’assurance santé de son travail pour payer les soins que j’ai reçus pour guérir la blessure qu’il m’avait faite avec un tisonnier ? Ça me semble juste. Autrement, je serai contente quand tout sera fini. Ce que je veux le plus, c’est passer à autre chose et essayer d’oublier que j’ai presque passé dix ans de ma vie avec un sociopathe sans jamais m’en rendre compte.”

“Vous pensez que vous auriez dû vous en rendre compte ?” demanda le Dr Lemmon.

“J’essaie de devenir une profileuse criminelle professionnelle, docteur. Comment pourrais-je être bonne si je n’ai pas remarqué le comportement criminel de mon propre mari ?”

“Nous en avons déjà parlé, Jessie. Même les meilleurs profileurs ont parfois du mal à repérer des comportements illicites chez leurs proches. Il faut souvent jouir d’une distance professionnelle pour voir ce qui se passe vraiment.”

“Je suppose que vous me le dites en vous basant sur votre expérience personnelle ?” demanda Jessie.

En plus d’être thérapeute du comportement, Janice Lemmon était une consultante criminelle très estimée qui avait travaillé à plein temps pour la Police de Los Angeles. Il lui arrivait encore de leur proposer ses services.

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