Riley était ravie de voir Lucy s’intéresser. Elle considérait la jeune femme comme sa protégée et elle savait que Lucy la voyait comme son mentor.
Elle apprend vite, pensa Riley avec fierté.
Riley jeta un regard à Bill. Elle comprit à l’expression sur son visage qu’il était également très fier.
Riley avait quelques questions, elle aussi, mais elle décida de ne pas interrompre Lucy.
Lucy dit à Larson :
— Vous pensez qu’il a reçu un entrainement militaire, je suppose ? Un soldat de la base.
— C’est possible, dit Larson. Ou un ex-soldat. Il est très bien entrainé. Ce n’est pas un tireur lambda.
Le crayon de Lucy tambourina nerveusement sur la table. Elle proposa :
— Il s’en prendrait à des figures d’autorité ? Comme les sergents instructeurs ?
Larson se gratta le menton.
— J’y ai pensé, dit-elle.
Lucy dit :
— Vous avez également pensé à une attaque terroriste islamiste ?
Larson hocha la tête.
— Ces temps-ci, c’est notre hypothèse par défaut.
— Un loup solitaire ? demanda Lucy.
— Peut-être, dit Larson. Mais il agit peut-être aussi pour le compte d’un groupe, soit d’une petite cellule locale, soit d’un groupe international, comme Daech ou Al-Qaeda.
Lucy réfléchit.
— Combien de recrues de confession musulmane y a-t-il à Fort Mowat ? demanda Lucy.
— En ce moment, trois cent quarante-trois. Ce n’est qu’un tout petit pourcentage. Mais nous faisons attention pendant le recrutement. En général, nos recrues musulmanes sont extrêmement motivées et dévouées. Nous n’avons jamais eu de problèmes avec l’extrémisme, si c’est bien ça.
Larson se tourna vers Riley et Bill en souriant.
— Vous êtes bien silencieux, vous deux. Par quoi aimeriez-vous commencer ?
Riley échangea un regard avec Bill. Comme d’habitude, elle vit qu’ils pensaient exactement la même chose.
— Allons-voir les scènes de crime, dit Bill.
*
Quelques minutes plus tard, le colonel Larson conduisait Riley, Bill et Lucy à travers la base militaire.
— Qu’est-ce que vous voulez voir en premier ? demanda Larson.
— On veut voir les scènes de crime dans l’ordre chronologique, dit Riley.
Alors que Larson conduisait, Riley vit des soldats qui s’entrainaient, faisaient de la musculation, des courses d’obstacles ou tiraient avec des armes diverses. C’était visiblement un travail pénible et rigoureux.
Riley demanda à Larson.
— Ces recrues sont rendues à quelle phase de leur formation ?
— La deuxième. Ce qu’on appelle la phase blanche, dit Larson. Il y en a trois : rouge, blanche et bleue. Les deux premières se font en trois semaines. Ces recrues sont à leur cinquième semaine. Les quatre dernières semaines, c’est la phase bleue. C’est le plus dur. C’est à ce moment-là que les recrues savent s’ils ont ce qu’il faut pour entrer dans l’armée.
Riley détecta une pointe de fierté dans la voix de Larson – la même fierté qu’elle avait souvent entendue dans la voix de son père quand il parlait de ses années de service.
Elle adore ce qu’elle fait, pensa Riley.
Et cela ne faisait aucun doute que Larson était très douée dans son domaine.
Larson se gara près d’un chemin qui s’éloignait du camp. Ils descendirent de la voiture et Larson les conduisit dans un terrain vague. Il n’y avait pas d’arbres pour gêner la visibilité.
— Le sergent Rolsky a été tué ici, dit Larson. Personne n’a rien vu, rien entendu. Il était impossible de savoir d’où le coup de feu avait été tiré. Nous savions juste que le tireur devait être posté très loin.
Riley regarda autour d’elle.
— A quelle heure Rolsky a-t-il été tué ? demanda-t-elle.
— Deux mille deux cents, dit Larson.
Riley convertit mentalement l’heure militaire – dix heures du soir.
Riley imagina à quoi ressemblait cet endroit à une telle heure de la nuit. Il y avait des spots lumineux à trente pieds de l’emplacement, mais ça ne devait pas être très éclairé. Le tueur devait utiliser une visée nocturne.
Elle tourna lentement sur elle-même pour deviner d’où venait le tir.
Il y avait de bâtiments au sud et au nord. Il était peu probable qu’un tireur d’élite ait pu tirer d’un de ces endroits.
A l’ouest, de l’autre côté de la base militaire, on devinait l’océan.
Il y avait des collines à l’est.
Riley pointa du doigt les collines et dit :
— Je pense que le tireur devait être positionné par là.
— Bien joué, dit Larson en pointant du doigt un emplacement au sol. Nous avons trouvé la balle ici. Nous pensons donc que le tir venait des collines. Vu la blessure, le balle a dû être tirée d’une distance comprise entre deux cent cinquante et trois cents pieds. Nous avons fouillé la zone, mais le tireur n’a rien laissé derrière lui.
Riley réfléchit. Puis elle demanda à Larson :
— La chasse est autorisée sur le terrain de Fort Mowat ?
— En saison, avec un permis de chasse, répondit Larson. En ce moment, c’est la saison des dindons sauvages. On a aussi le droit d’abattre des corbeaux.
Bien sûr, Riley savait que ces morts n’étaient pas de simples accidents de chasse. Comme son père avait été à la fois un Marine et un chasseur, elle savait que personne n’utilisait de fusil de précision pour tuer des corbeaux ou des dindons. Une simple carabine faisait l’affaire à cette époque de l’année.
Elle demanda à Larson de les emmener voir la scène de crime suivante. Le colonel les conduisit entre les collines, au bord d’un chemin de randonnée. Quand ils descendirent du véhicule, Larson pointa du doigt un emplacement sur le sentier qui remontait vers les collines.
— Le sergent Fraser a été tué ici, dit-elle. Il était sorti marcher après son service. Le coup de feu semble avoir été tiré à la même distance. Encore une fois, personne n’a rien vu, rien entendu. Nous pensons qu’il a été tué à environ Deux mille trois cents heures.
Onze heures du soir, pensa Riley.
En pointant du doigt un autre emplacement, Larson ajouta :
— C’est ici que nous avons trouvé la balle.
Riley regarda dans la direction opposée, là où devait se trouver le tireur. Elle vit des collines broussailleuses et d’innombrables endroits où le tireur aurait pu se cacher. Elle était certaine que Larson et son équipe avaient passé la zone au peigne fin.
Enfin, ils roulèrent jusqu’à l’endroit où vivaient les jeunes recrues. Larson les emmena derrière une caserne. Riley remarqua aussitôt une énorme tache sombre sur le mur, près de la porte de derrière.
Larson dit :
— C’est ici que le sergent Worthing a été tué. Il avait dû sortir pour fumer une cigarette avant l’entrainement matinal de sa section. Le coup de feu était tellement précis que la cigarette n’est pas tombée du coin de sa bouche.
La curiosité de Riley s’éveilla. Cette scène était différente des autres – et beaucoup plus instructive. Elle examina la tache et la trainée sombre qui descendait vers le sol. Elle dit :
— Il devait être appuyé contre le mur quand la balle l’a frappé. Vous devez avoir une bien meilleure idée de la trajectoire du coup de fusil.
— Bien meilleure, acquiesça Larson. Mais pas la localisation précise du tueur.
Larson pointa du doigt un endroit de l’autre côté du terrain vague, là où les collines s’élevaient.
— Le tueur devait être posté quelque part entre ces deux chênes, dit-elle. Mais il a bien nettoyé la zone. Nous n’avons trouvé aucune trace de lui.
Il devait y avoir une vingtaine de pieds entre les deux bosquets. Larson et son équipe avait fait du bon travail pour délimiter la zone.
— Quel temps faisait-il ? demanda Riley.
— Très clair, dit Larson. Une lune gibbeuse presque jusqu’à l’aube.
Riley sentit un picotement lui chatouiller le dos. Elle recevait toujours ce signal familier quand elle était sur le point de pénétrer réellement dans une scène de crime.
— J’aimerais aller voir par moi-même, dit-elle.
— Bien sûr, dit Larson. Je vous y emmène.
Riley ne sut comment lui dire qu’elle voulait y aller toute seule.
Heureusement, Bill parla à sa place.
— Laissez l’agent Paige y aller sans vous. C’est son truc.
Larson hocha la tête d’un air appréciateur.
Riley traversa le terrain vague. A chaque pas, son picotement s’intensifia.
Enfin, elle se retrouva entre les arbres. Elle comprit immédiatement pourquoi l’équipe de Larson n’avait pas réussi à trouver l’emplacement exact. Le terrain était très irrégulier et il y a avait des petits arbustes partout. Rien qu’entre les deux arbres, il y avait une demi-douzaine d’excellents emplacements pour s’accroupir ou s’allonger et tirer un coup de feu très propre en direction des casernes.
Riley commença à marcher de long en large entre les arbres. Elle savait qu’elle ne cherchait pas quelque chose que le tueur aurait pu laisser derrière lui – pas même des empreintes. Larson et son équipe n’auraient rien raté.
Tout en prenant de profondes inspirations, elle s’imagina ici aux petites heures de la matinée. Les étoiles venaient juste de disparaître et la lune jetait encore des ombres tout autour.
Elle sentit quelque chose, de plus en plus fort – la présence du tueur.
Riley prit de longues inspirations et se prépara à pénétrer dans son esprit.
CHAPITRE DIX
Riley s’imagina dans la peau du tueur. Qu’avait-il ressenti, pensé et observé en venant ici à la recherche du parfait endroit pour tirer ? Elle voulait devenir le tueur, autant qu’il était possible, pour le retrouver. Elle en était capable. C’était son don.
D’abord, elle savait qu’elle devait trouver l’endroit.
Elle chercha comme il avait dû chercher.
Tout en déambulant, elle sentit un mystérieux appel magnétique.
Elle était attirée par un saule rouge. D’un côté du buisson, il y avait de la place entre les branches et le sol. Il y avait un creux à cet emplacement.
Riley s’accroupit et examina le sol avec attention.
La terre était lisse.
Trop lisse, pensa Riley.
Partout ailleurs, le terrain était plus irrégulier.
Riley sourit.
Le tueur avait fait tellement attention à nettoyer après son passage qu’il en avait trahi sa position exacte.
Imaginant la scène par une nuit bien éclairée, Riley baissa les yeux vers la pente et vers le terrain vague devant les casernes.
Elle imagina ce que le tueur avait vu – la silhouette lointaine du sergent Worthing sortant par la porte de derrière.
Riley sentit un sourire se former sur le visage du tueur.
Elle l’entendit penser…
« Pile à l’heure ! »
Et maintenant, comme le tueur l’avait prévu, le sergent allumait une cigarette et s’adossait au mur.
C’était le moment. Il fallait être rapide.
Le ciel commençait à s’éclaircir là où le soleil allait se lever.
Comme l’avait probablement fait le tueur, Riley s’allongea dans le creux de terrain. Oui, c’était l’emplacement idéal, la forme parfaite pour un tueur armé d’un fusil de précision.
Comment était l’arme entre ses mains ?
Riley n’avait jamais manipulé de fusil M110 mais, quelques années plus tôt, elle s’était entrainée avec le modèle précédent, le M24. Chargé et assemblé, le M24 pesait seize livres. Riley avait lu que le M110 n’était pas beaucoup plus léger.
S’il utilisait en plus une visée nocturne, l’arme devait peser lourd.
Riley imagina ce qu’il voyait à travers la lunette. L’image du sergent Worthing était granuleuse.
Ce n’était pas un problème pour un vrai sniper. C’était même un tir facile. Pourtant, Riley sentait que le tueur n’était pas satisfait.
Qu’est-ce qui l’ennuyait ?
A quoi pensait-il ?
Puis une pensée lui vint…
« J’aimerais bien voir sa tête. »
Riley comprit avec un sursaut.
Le meurtre était personnel. C’était un acte de haine, ou au moins de mépris.
Mais il n’allait pas repousser l’échéance sous prétexte qu’il n’était pas satisfait. Il pouvait bien se passer de voir l’expression sur le visage de sa proie.
Elle sentit la résistance quand elle pressa la détente, puis le brusque recul du fusil quand la balle fusa.
C’était un coup de feu loin d’être assourdissant. Le silencieux et le cache-flamme avaient dû atténuer le bruit et l’éclair.
Le tueur craignait-il d’avoir été entendu ?
Juste un instant, Riley en était certaine. Il avait abattu deux autres hommes de la même distance et personne n’avait rien entendu. Ou s’ils avaient entendu les coups de feu, personne n’y avait pensé à deux fois.
Que faisait le tueur maintenant qu’il avait tiré ?
Il continue de regarder à travers la visée, se dit Riley.
Il suivit avec sa visée le mouvement du corps qui s’affaissait contre le mur, jusqu’à s’accroupir maladroitement.
Une fois encore, le tueur pensa…
« J’aimerais bien voir sa tête. »
Comme le tueur avait dû le faire, Riley se releva. Elle imagina le tueur en train de nettoyer le sol pour effacer sa trace, puis repartir comme il était venu.
Riley poussa un soupir de satisfaction. Sa tentative de se glisser dans la tête du tueur lui avait appris plus encore qu’elle ne l’espérait.
Du moins, elle avait une intuition maintenant.
Elle pensa à ce que le colonel Larson avait dit sur le fait que les meurtres soient des attentats terroristes.
« Ces temps-ci, c’est notre hypothèse par défaut. »
L’intuition de Riley lui disait que cette hypothèse était fausse. Mais elle n’était pas prête à le dire à ses collègues. Etant donné les circonstances, Larson avait raison de suivre la piste du terrorisme. C’était une question de procédure. Pendant ce temps, Riley faisait mieux de garder son intuition pour elle – du moins, tant qu’elle n’aurait pas de preuves.
Riley regarda sa montre. Elle se rendit compte qu’il était l’heure d’assister à des funérailles.
CHAPITRE ONZE
En regardant les six hommes en uniforme porter le cercueil du sergent Worthing, drapé d’un drapeau américain, en direction du cimetière, Riley admira leur cadence solennelle et la précision de leurs gestes.
Elle fut également frappée par le contraste entre cette cérémonie et les circonstances de sa mort. Le meurtre du sergent Worthing avait été brutal et bref.
Ces funérailles avaient lieu dans l’élégance et la dignité.
Le cimetière militaire était un endroit charmant, perché sur une colline dans une région reculée de Fort Nash Mowat. Riley apercevait l’océan Pacifique au loin.
Riley, Lucy et Bill se tenaient en retrait. Riley repéra la veuve et la famille du sergent Worthing assis sur des chaises pliables à côté de la tombe. Les cinquante jeunes hommes et femmes du peloton d’entrainement de Worthing se tenaient au garde-à-vous.
Riley remarqua également des civils qui n’avaient peut-être pas été invités – un groupe de journalistes et de photographes massés derrière une barrière.
Elle poussa un grognement de découragement.