La Queue Entre les Jambes - Блейк Пирс 4 стр.


Un mélange de fureur, d’horreur et d’incompréhension traversa Riley. Elle ne s’était pas préparée à ça. Derrick Caldwell avait choisi de lui consacrer ses derniers instants. Assise derrière cette vitre incassable, elle était impuissante, incapable d’y faire quoi que ce soit.

Elle l’avait rendu à la justice mais, à la fin de leur histoire, il avait eu sa revanche, de la plus écoeurante façon.

La main frêle de Gail saisit la sienne.

Mon Dieu, elle veut me consoler, pensa Riley.

Riley ravala sa nausée.

Caldwell posa une dernière question :

— Je vais sentir quand ça va commencer ?

Encore une fois, il n’y eut pas de réponse. Riley vit le liquide monter dans les tubes de l’intraveineuse. Caldwell prit plusieurs longues inspirations, avant de fermer les yeux comme pour s’endormir. Son pied droit trembla, puis s’immobilisa.

Au bout d’un moment, l’un des gardes pinça ses orteils. Il n’y eut aucune réaction. C’était un geste étrange. Riley comprit qu’il vérifiait que le sédatif avait bien fonctionné et que Caldwell était inconscient.

Le garde s’adressa alors à l’équipe derrière le rideau de plastique bleu. On injecta un autre liquide dans les tubes. Cette fois, le composé chimique arrêterait ses poumons. Dans quelques minutes, ce serait son cœur.

La respiration de Caldwell se mit à ralentir. Riley eut tout le temps de réfléchir à ce qu’elle était en train de regarder. Elle avait déjà fait usage de la violence. Etait-ce vraiment différent ? En service, elle avait tué plusieurs meurtriers.

Non, c’était différent. Cette exécution avait quelque chose d’étrangement clinique et programmé. Ce ne semblait pas correct. Les pensées de Riley défilèrent…

Je n’aurais pas dû laisser faire ça.

Elle savait qu’elle avait tort. Elle avait arrêté Caldwell avec professionnalisme, en suivant toutes les règles. Mais tout de même…

J’aurais dû le tuer moi-même.

Gail ne lui lâcha pas la main pendant dix longues minutes. Enfin, un membre de l’équipe prononça des mots que Riley n’entendit pas.

Un homme sortit de sa cachette derrière le rideau bleu et prit la parole d’une voix claire et forte, pour être entendu de tous les témoins :

— L’exécution s’est terminée avec succès à neuf heures sept du matin.

Le rideau tomba à nouveau devant la vitre. Les témoins avaient vu ce qu’ils étaient venus voir. Des gardiens les invitèrent à quitter la pièce aussi vite que possible.

Gail saisit à nouveau la main de Riley.

— Je suis désolée qu’il ait dit ce qu’il a dit.

Riley sursauta. Comment Gail pouvait-il s’inquiéter de l’état de Riley, dans un moment pareil, alors que la justice venait de rattraper le meurtrier de sa fille ?

— Comment allez-vous, Gail ? demanda-t-elle en se dirigeant d’un pas brusque vers la sortie.

Gail ne répondit pas tout de suite. L’expression de son visage était vide.

— C’est fait, dit-elle d’une voix froide. C’est fait.

Elles firent quelques pas dehors. La lumière matinale les éclaboussa. Devant le bâtiment, deux groupes distincts se faisaient entendre, derrière les cordons de sécurité. D’un côté, les gens fêtaient l’exécution de Caldwell en brandissant des pancartes aux slogans haineux, profanes ou obscènes. Ils jubilaient, pour des raisons évidentes. De l’autre côté, on protestait contre la peine de mort. Les militants étaient restés toute la nuit. Ils étaient beaucoup plus calmes.

Riley ne ressentait aucune compassion ou sympathie pour l’un ou l’autre groupe. Ils étaient là pour eux-mêmes, pour montrer leur indignation et leur vertu. Aux yeux de Riley, ils n’avaient rien à faire ici, parmi des gens dont la peine et le chagrin étaient réels.

Une nuée de journalistes les attendait entre les camionnettes de télévision. Une femme se précipita vers Riley, avec un micro et un caméraman.

— Agent Paige ? Vous êtes l’agent Paige ? demanda-t-elle.

Riley ne répondit pas. Elle essaya de contourner la journaliste.

Celle-ci la suivit à la trace.

— Il parait que Caldwell vous a adressé ses derniers mots. Un commentaire ?

D’autres journalistes s’approchèrent avec la même question. Riley serra les dents et se fraya un chemin. Elle réussit à se dégager. En trottinant jusqu’à sa voiture, elle repensa à Meredith et à Bill. Ils l’avaient suppliée de prendre cette nouvelle affaire. Et elle avait évité de leur donner une réponse claire.

Pourquoi ? se demanda-t-elle.

Elle venait de fuir des journalistes. Fuyait-elle Bill et Meredith également ? Fuyait-elle la personne qu’elle était en réalité ? Fuyait-elle ce qu’elle avait à faire ?

*

Riley referma avec soulagement la porte de sa maison. La mort à laquelle elle avait assistée l’avait laissée vide et le retour à Fredericksburg avait été long et fatiguant. Cependant, elle se rendit compte rapidement que quelque chose n’allait pas.

La maison était étrangement silencieuse. April aurait dû être rentrée de l’école. Et où était Gabriela ?

Riley jeta un coup d’œil dans la cuisine. La pièce était vide. Il y avait un mot sur la table.

Me voy a la tienda. Gabriela était partie faire les courses.

Riley se raccrocha au dossier d’une chaise pour ne pas tomber. Une fois, Gabriela était partie faire des courses, et April avait été enlevée devant la maison de son père.

Les ténèbres. Une flamme.

Riley monta quatre à quatre les marches de l’escalier.

— April ! cria-t-elle.

Pas de réponse. Personne dans les chambres. Personne dans le petit bureau.

Le cœur de Riley battit un peu plus fort contre ses côtes. Bien sûr, elle savait qu’elle n’était pas raisonnable, qu’elle n’avait pas les idées claires, mais son corps ne l’écoutait plus.

Elle dévala les escaliers et se précipita sur la terrasse.

— April ! hurla-t-elle.

Personne ne jouait dans le jardin des voisins. Pas un seul gosse en vue.

Riley se retint de crier à nouveau. Elle ne voulait que les voisins pensent qu’elle était folle. Pas tout de suite.

Elle attrapa d’un geste fébrile son téléphone portable dans sa poche et envoya un message à April.

Pas de réponse.

Riley retourna s’asseoir sur le canapé, la tête dans les mains.

Elle était enfermée sous le parquet, allongée par terre, dans l’obscurité.

Une petite lumière dansait vers elle. Elle aperçut sa grimace cruelle derrière le halo aveuglant. Mais venait-il pour elle ou pour April ?

Non, elle devait distinguer ce cauchemar de la réalité.

Peterson est mort, dit-elle avec conviction. Il ne nous fera plus rien, ni à moi, ni à April.

Elle s’obligea à se concentrer. Elle avait une nouvelle maison et une nouvelle vie. Gabriela était partie faire les courses. April ne devait pas être loin.

Sa respiration s’apaisa, mais Riley ne put se résoudre à se lever. Elle eut peur de hurler à nouveau.

Au terme de ce qui lui parut une éternité, Riley entendit la porte d’entrée s’ouvrir.

April entra en chantonnant.

Cette fois, Riley bondit sur ses pieds.

— Mais où tu étais, merde ?

April resta bouche bée.

— C’est quoi, ton problème, Maman ?

— Où tu étais ? Pourquoi tu n’as pas répondu à mon message ?

— Désolée, mon téléphone était en silencieux. Maman, j’étais chez Cécé. De l’autre côté de la rue. Quand on est descendues du bus, sa mère nous a proposé d’aller manger une glace.

— Comment j’étais censée le savoir ?

— Je ne pensais pas que tu rentrerais si tôt.

Riley s’entendit hurler, mais elle ne put se retenir :

— Je me fiche de ce que tu penses ! Tu dois toujours me dire…

Les larmes qui brillèrent dans les yeux de sa fille l’interrompirent.

Riley reprit son souffle. Elle fit un pas en avant et étreignit April. Le corps de sa fille, rigide de colère, se détendit lentement dans ses bras. Riley se rendit compte qu’elle pleurait également.

— Je suis désolée, souffla-t-elle. Je suis désolée. Mais après tout ce qu’on a vécu… toutes ces horreurs…

— Mais c’est fini, dit April. Maman, c’est fini.

Elles s’assirent toutes deux sur le canapé. C’en était un nouveau : elles l’avaient acheté tout spécialement pour la maison et pour démarrer leur nouvelle vie.

— Je sais que c’est fini, dit Riley. Je sais que Peterson est mort. J’essaye de m’y habituer.

— Maman, tout va tellement mieux ! Tu n’as pas besoin de t’inquiéter tout le temps. Et je ne suis pas une gamine débile. J’ai quinze ans.

— Et tu es très intelligente, dit Riley. Je le sais. Je dois juste me le rappeler de temps en temps. Je t’aime, April. C’est pour ça que je suis un peu bizarre, parfois.

— Je t’aime aussi, Maman, dit April, mais arrête de t’inquiéter.

Pour le plus grand plaisir de Riley, April sourit. Elle avait été enlevée, retenue prisonnière et menacée avec un chalumeau. Pourtant, elle était redevenue une adolescente parfaitement normale. C’était sa mère qui avait du mal à lâcher prise.

Riley ne pouvait s’empêcher de se demander si les tristes souvenirs traînaient encore au fond de la mémoire de sa fille, prêts à se faire entendre à tout moment.

Quant à elle, elle comprit qu’elle avait besoin de parler à quelqu’un de ses peurs et de ses cauchemars. Dès que possible.

Chapitre six

Riley se balançait nerveusement sur sa chaise. Que voulait-elle dire à Mike Nevins ?

— Prends ton temps, dit le psychiatre en la couvant d’un regard inquiet.

Riley étouffa un rire sans joie.

— C’est justement ça, le problème, dit-elle. Je n’ai pas le temps. Je traîne les pieds. Il faut que je prenne une décision. Ça fait trop longtemps que je remets à plus tard. Tu m’as déjà vu si indécise ?

Mike ne répondit pas. Il se contenta de sourire.

Riley ne l’avait jamais vu comme ça. L’élégant psychiatre avait eu bien des rôles dans sa vie : celui d’un ami, d’un thérapeute et parfois même celui d’un mentor. Elle l’avait souvent appelé pour connaître son avis sur le profil d’un criminel. Cette fois, c’était différent. Elle l’avait contacté la veille, en rentrant de l’exécution, puis elle était venue ce matin.

— Quelles sont les différentes options ? demanda-t-il enfin.

— En gros, je dois décider de ce que je veux faire du reste de ma vie – enseigner ou retourner sur le terrain. Ou totalement autre chose.

Mike rit doucement.

— Attends une minute. Ne parlons pas du reste de ta vie. Parlons d’aujourd’hui, de maintenant. Meredith et Jeffreys veulent que tu prennes une affaire. Une seule. Ce n’est pas l’un ou l’autre pour le reste de ta vie. Personne n’a dit que tu devais renoncer à l’enseignement. Tu n’as que deux options très simples : oui ou non. Alors quel est le problème ?

Riley ne répondit pas. Elle ne savait pas quel était le problème. C’était pour cela qu’elle était venue.

— Je crois que quelque chose t’effraye, dit Mike.

Riley avala sa salive avec difficulté. Oui. Elle avait peur. Elle se refusait à l’admettre, même dans sa propre tête. Mike allait la faire parler.

— De quoi as-tu peur ? demanda Mike. Tu dis que tu as des cauchemars…

Riley ne répondit pas.

— Ça fait partie du stress post-traumatique, dit Mike. Tu as des visions, des souvenirs qui reviennent sous forme de flashs ?

Cette question ne surprit pas Riley. Après tout, Mike l’avait aidée plus que tout autre à s’en sortir.

Elle renversa sa tête sur le dossier de sa chaise et ferma les yeux. L’espace d’un instant, elle retourna dans la cage de Peterson et il la menaça avec la flamme de son chalumeau. Pendant des mois, après sa libération, ce souvenir avait trouvé le moyen de s’imposer à elle au moment où elle s’y attendait le moins.

Mais elle avait tué Peterson de ses propres mains. En fait, elle avait fait de son visage une bouillie à peine identifiable.

Si ce n’est pas ça, régler ses problèmes, je ne sais pas ce que c’est, pensa-t-elle.

Les souvenirs de sa captivité lui paraissaient maintenant impersonnels, comme si elle regardait défiler les images d’un film.

— Je vais mieux, dit-elle. Ça m’arrive moins souvent et ça dure moins longtemps.

— Et ta fille ?

La question ouvrit une entaille dans le cœur de Riley. Un écho de l’horreur qu’elle avait ressentie après l’enlèvement de April la heurta comme un coup de fouet. Elle entendait encore sa fille appeler à l’aide.

— Je pense que je n’ai pas tourné la page, dit-elle. Je me réveille en sueur, la peur au ventre. Je suis obligée d’aller voir dans sa chambre si elle est là.

— C’est pour ça que tu ne veux pas prendre une nouvelle affaire ?

Un frisson parcourut l’échine de Riley.

— Je n’ai pas envie de lui faire subir ça de nouveau.

— Cela ne répond pas à ma question.

— Non, je suppose que non…

Un silence.

— J’ai l’impression que tu ne me dis pas tout, dit Mike. Qu’est-ce qui te donne des cauchemars ? Qu’est-ce qui te réveille la nuit ?

Avec un sursaut, une terreur enfouie plus profondément refit surface.

Oui, il y avait quelque chose d’autre.

Même les yeux grands ouverts, elle voyait son visage – le visage poupin et d’une innocence grotesque de Eugene Fisk. Riley l’avait regardé droit dans ses petits yeux au moment de leur confrontation.

Il avait menacé Lucy Vargas avec un rasoir. Riley avait agité sous son nez ce qu’il redoutait le plus. Elle lui avait parlé des chaînes – les chaînes qu’il pensait responsables de son malheur, celles qui le poussaient à commettre des meurtres.

« Les chaînes ne veulent pas que vous preniez cette femme, lui avait dit Riley. Elle ne convient pas. Vous savez ce que les chaînes veulent vraiment. »

Les yeux brillants d’effroi, il avait hoché la tête, puis il s’était donné la mort.

Il avait tranché sa propre gorge sous les yeux de Riley.

A présent, assise dans le bureau de Mike Nevins, Riley s’en étouffait presque d’horreur.

— J’ai tué Eugene, hoqueta-t-elle.

— Le tueur aux chaînes, tu veux dire. Ce n’est pas le premier que tu as mis hors d’état de nuire.

C’était vrai. Elle avait déjà fait usage de la force. Mais, Eugene, c’était différent. Elle repensait souvent à sa mort. Elle n’en avait encore jamais parlé à personne.

— Je n’ai pas utilisé mon arme, ou un caillou, ou mes poings, dit-elle. Je l’ai tué avec ma compassion. Je me suis servi de mon intellect comme d’une arme létale. Ça me terrifie, Mike.

Mike hocha la tête.

— Tu sais ce que dit Nietzsche à propos de regarder dans l’abîme.

— L’abîme regarde aussi en toi, dit Riley. Mais j’ai fait plus que regarder dans l’abîme. J’y ai vécu. Au fil des années, l’abîme est presque devenu ma maison. Ça me terrifie, Mike. Un de ces jours, je vais y descendre et je ne pourrais plus jamais remonter. Qui sait de quoi je serais capable…

— Eh bien, dit Mike en se renversant sur son dossier. On avance…

Riley n’en était pas si sûre. Et elle n’était pas plus près de prendre une décision.

*

Quand Riley rentra à la maison, April dévala les escaliers à sa rencontre.

— Maman, viens m’aider ! Vite !

Riley suivit sa fille jusqu’à sa chambre. April avait ouvert une valise sur son lit. Des habits étaient éparpillés par terre et sur la couverture.

— Je ne sais pas quoi prendre ! Je ne suis jamais partie !

La joie paniquée de sa fille fit sourire Riley, qui s’attela à la tâche. April partait le lendemain avec sa classe d’Histoire des Etats-Unis : une semaine à Washington, DC.

Quand Riley avait signé les papiers, elle avait eu quelques scrupules. Peterson avait retenu April en otage non loin de Washington. Elle avait eu peur que le voyage ravive de mauvais souvenirs. Mais April faisait preuve d’une étonnante maturité, à l’école et en dehors. Ce voyage, c’était aussi une formidable opportunité.

Alors qu’elle taquinait April sur son manque d’organisation, Riley se rendit compte qu’elle s’amusait. L’abîme dont elle avait parlé à Mike lui parut soudain très loin d’ici. Il lui restait une vie en dehors de cet abîme. C’était une belle vie. Quoi qu’elle déciderait, elle ferait tout pour la protéger.

Gabriela les rejoignit.

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