L'Agent Zéro - Джек Марс 4 стр.


“Quel est votre emploi ?” demanda l’interrogateur.

“Je suis professeur d’Histoire de l’Europe à l’Université de Columbia.”

“Depuis combien de temps êtes-vous professeur à l’université ?”

“Treize ans,” répondit Reid avec franchise. “J’ai été professeur assistant pendant cinq ans, puis professeur adjoint en Virginie pendant six années de plus. Je suis désormais professeur associé à New York depuis deux ans.”

“Êtes-vous déjà allé à Téhéran ?”

“Non.”

“ Êtes-vous déjà allé à Zagreb ?”

“Non !”

“ Êtes-vous déjà allé à Madrid ?”

“N—oui. Une fois, il y a quatre ans à peu près. C’était pour un congrès, je représentais l’université.”

Les aiguilles restaient stables.

“Vous voyez ?” Reid avait tellement envie de hurler qu’il luttait pour garder son calme. “Vous vous êtes trompés de personne. Je ne sais pas qui vous cherchez, mais ce n’est pas moi.”

L’interrogateur souffla par les narines, mais ce fut sa seule réaction. La brute serra ses mains devant lui, faisant ressortir ses veines sur sa peau.

“Avez-vous déjà rencontré un homme du nom de Cheikh Mustafar ?” demanda l’interrogateur.

Reid secoua la tête. “Non.”

“Il ment !” Un homme grand et maigre entra dans la pièce : l’un des deux autres hommes qui l’avaient assailli chez lui, le même qui lui avait demandé son nom en premier. Il avança à grandes enjambées, son regard hostile dirigé sur Reid. “On peut tromper cette machine. Nous le savons bien.”

“Il y aurait des signes,” répondit calmement l’interrogateur. “Un langage corporel, de la sueur, des signes vitaux… Tout laisse ici à penser qu’il dit la vérité.” Reid ne put s’empêcher de penser qu’ils parlaient en anglais pour qu’il puisse comprendre.

Le grand homme tourna les talons et commença à faire les cent pas le long de la pièce nue, murmurant de colère en arabe. “Demande-lui pour Téhéran.”

“C’est déjà fait,” répondit l’interrogateur.

Le grand homme se tourna de nouveau vers Reid, furieux. Reid retint son souffle, s’attendant de nouveau à recevoir des coups.

Au lieu de ça, l’homme reprit sa marche. Il prononça quelques mots rapides en arabe. L’interrogateur lui répondit, et la brute observa Reid avec attention.

“S’il vous plait !” dit-il assez fort pour couvrir leur bavardage. “Je ne suis pas la personne que vous croyez. Je n’ai aucun souvenir de ce que vous me demandez…”

Le grand homme s’arrêta de parler et ses yeux s’écarquillèrent. Il se tapa le front, avant de se remettre à parler à l’interrogateur d’un ton excité. L’homme impassible au kufi se caressait le menton.

“Possible,” dit-il en anglais. Il se leva et prit le visage de Reid à deux mains.

“Qu’est-ce qui se passe ? Que faites-vous ?” demanda Reid. Les doigts de l’homme tâtaient méticuleusement le contour de son visage à la naissance des cheveux.

“Du calme,” dit posément l’homme. Il sonda le cuir chevelu de Reid, sa nuque, ses oreilles… “Ah !” dit-il brusquement. Il appela sa cohorte qui déboula d’un coup, penchant violemment la tête de Reid d’un côté.

L’interrogateur fit courir un doigt le long de l’os mastoïdien de Reid, cette petite section d’os temporal juste derrière l’oreille. Il y avait une masse oblongue sous la peau, à peine plus grande qu’un grain de riz.

L’interrogateur aboya des ordres au grand homme, et ce dernier quitta précipitamment la pièce. Le cou de Reid le faisait souffrir à cause de l’angle peu confortable auquel sa tête était maintenue.

“Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ?” demanda-t-il.

“Cette boule, ici,” dit l’interrogateur en passant de nouveau son doigt dessus. “C’est quoi ?”

“C’est… C’est juste un éperon osseux,” dit Reid. “Je l’ai depuis un accident de voiture, quand j’avais la vingtaine.”

Le grand homme ne tarda pas à revenir, cette fois avec un plateau en plastique. Il le posa sur le chariot, juste à côté du détecteur de mensonges. Malgré la faible luminosité et l’angle inconfortable de sa tête, Reid put clairement voir ce qui se trouvait sur le plateau. Un nœud d’effroi lui serra l’estomac.

Sur le chariot, se trouvaient un grand nombre d’instrument métalliques acérés.

“Pourquoi tout ceci ?” On sentait la panique dans sa voix. Il se tortilla contre ses liens. “Mais, qu’est-ce que vous faites ?”

L’interrogateur donna un ordre bref à la brute. Il s’avança, et la luminosité soudaine de la lampe d’examen aveugla presque Reid.

“Attendez… Attendez !” cria-t-il. “Dites-moi au moins ce que vous voulez savoir !”

La brute s’empara de la tête de Reid avec ses grandes mains et l’agrippa fermement, le forçant à rester immobile. L’interrogateur saisit un outil : un scalpel à fine lame.

“S’il vous plait, non… Je vous en prie…” La respiration de Reid était saccadée. Il était presque en train d’hyperventiler.

“Chut,” répondit calmement l’interrogateur. “Vous allez rester tranquille. Je ne voudrais pas vous couper l’oreille. Du moins, pas par accident.”

Reid hurla alors que la lame s’enfonçait dans la peau derrière son oreille, mais la brute le maintenait immobile. Chaque muscle de ses membres se crispa.

Un étrange bruit parvint à ses oreilles : une douce mélodie. L’interrogateur chantait tranquillement en arabe, alors qu’il découpait quelque chose derrière la tête de Reid.

Il laissa tomber le scalpel sanglant sur le plateau, alors que Reid essayait péniblement de souffler entre ses dents. Puis, l’interrogateur s’empara d’une paire de pinces effilées.

“Je suis navré, mais ce n’est que le début,” murmura-t-il à l’oreille de Reid. “L’étape suivante va vraiment faire mal.”

Les pinces attrapèrent quelque chose sous la peau de Reid : était-ce son os ? Puis l’interrogateur tira dessus. Reid hurla, à l’agonie, alors qu’une douleur vive envahissait son cerveau, atteignant ses terminaisons nerveuses. Ses bras tremblaient et ses pieds cognaient contre le sol.

La douleur ne cessa d’augmenter jusqu’à ce que Reid se dise qu’il ne pourrait plus la supporter. Du sang coulait dans son oreille et ses propres cris lui semblaient être des sons lointains. Puis, la lumière de la lampe s’estompa et sa vision s’assombrit, alors qu’il glissait vers l’inconscience.

CHAPITRE TROIS

À l’âge de vingt-trois ans, Reid avait eu un accident de voiture. Le feu était passé au vert et il s’était engagé sur le croisement. Un camion pick-up avait grillé le feu et avait percuté le côté passager à l’avant. Sa tête avait heurté la vitre et il était resté inconscient quelques minutes.

Sa seule blessure avait été une fracture de l’os temporal crânien. Il s’en sortait bien : la seule preuve de l’accident était une petite excroissance derrière l’oreille. Le médecin lui avait expliqué qu’il s’agissait d’un éperon osseux.

Le truc bizarre concernant cet accident, c’était que bien qu’il se souvienne de l’événement, il ne se rappelait aucunement la douleur ressentie, ni sur le moment, ni même après d’ailleurs.

Mais il la sentait bien à présent. Alors qu’il reprenait connaissance, le petit morceau d’os derrière son oreille lui faisait souffrir le martyre. La lampe d’examen brillait de nouveau dans ses yeux. Il les plissa, puis poussa un léger gémissement. Le moindre petit mouvement de tête provoquait une nouvelle piqûre dans son cou.

Soudain, son esprit fut saisi par une constatation. La lumière vive dans ses yeux n’était pas du tout celle de la lampe.

Le soleil de l’après-midi étincelle sous un ciel bleu sans nuages. Un A-10 Warthog survole la zone, virant à droite, puis plongeant en altitude sur les toits tristes et plats de Kandahar.

La vision n’était pas claire. Elle arrivait par flashs, comme plusieurs photos fixes dans une séquence, comme regarder quelqu’un qui danse sous un stroboscope.

Tu te trouves sur le toit beige d’un immeuble à moitié détruit, un tiers du bâtiment ayant explosé. Tu cales le manche contre ton épaule, regarde dans le viseur, puis aperçois un homme en-dessous…

Reid secoua la tête et gémit une nouvelle fois. Il était dans la salle bétonnée, sous l’œil inquisiteur de la lampe d’examen. Ses doigts tremblaient et ses membres étaient froids. De la sueur coulait sur son front. Il était probablement encore sous le choc. À sa gauche, il pouvait voir que sa chemise était trempée de sang au niveau de l’épaule.

“Éperon osseux,” prononça la voix placide de l’interrogateur. Puis, il partit d’un rire sardonique. Une main fine apparut dans le champ de vision de Reid, tenant la paire de pinces effilées. Calée entre ses lames, se trouvait quelque chose de minuscule et d’argenté, mais Reid ne distinguait pas ses contours. Sa vision était floue et la pièce lui semblait tournoyer légèrement. “Savez-vous ce que c’est ?”

Reid secoua lentement la tête.

“J’avoue que je n’ai vu ça qu’une fois auparavant,” dit l’interrogateur. “Une puce de suppression de mémoire. C’est très utile pour les gens dans votre cas unique.” Il laissa tomber les pinces et le petit grain argenté sur le plateau en plastique.

“Non,” grommela Reid. “Impossible.” Le dernier mot sortit à peine plus fort qu’un murmure. Suppression de mémoire ? On nageait en pleine science-fiction. Pour que ça puisse marcher, il faudrait que la totalité du système limbique du cerveau soit affectée.

Le cinquième étage du Ritz à Madrid. Tu ajustes ta cravate noire avant de mettre un grand coup de talon dans la porte, juste au-dessus de la poignée. L’homme à l’intérieur est pris par surprise. Il bondit sur ses pieds et s’empare d’un pistolet sur le bureau. Mais avant qu’il puisse le lever sur toi, tu saisis son arme et la retourne vers lui. La force fait facilement rompre son poignet…

Reid chassa cette séquence confuse de son cerveau, alors que son interrogateur prenait place dans la chaise en face de lui.

“Vous m’avez fait quelque chose,” murmura-t-il.

“Oui,” acquiesça l’interrogateur. “Nous venons de vous libérer de votre prison mentale.” Il se pencha en avant avec un petit sourire narquois, cherchant quelque chose dans les yeux de Reid. “Vous vous souvenez. C’est fascinant à observer. Vous êtes perdu. Vos pupilles sont anormalement dilatées, malgré la lumière. Qu’est-ce qui est réel, ‘Professor Lawson’ ?”

Le Cheikh. Par tous les moyens nécessaires.

“Quand notre mémoire nous fait défaut…”

Dernière cachette connue : une maison sécurisée de Téhéran.

“Qui sommes-nous ?”

Une balle fait le même bruit dans toutes les langues… Qui a dit ça ?

“Qui devenons-nous ?”

C’est toi qui as dit ça.

Reid se sentit de nouveau glisser dans le vide. L’interrogateur lui mit deux gifles, afin qu’il revienne à ce qui se passait dans la pièce. “À présent, nous pouvons nous y remettre sérieusement. Alors, je vous pose de nouveau la question. Quel… est… votre… nom ?”

Tu entres seul dans la salle d’interrogatoire. Le suspect est menotté à un anneau fixé à la table. Tu cherches dans la poche intérieure de ton veston et en sort un badge d’identification en cuir…

“Reid. Lawson.” Sa voix était hésitante. “Je suis professeur… d’histoire de l’Europe…”

L’interrogateur soupira de déception. Il fit un signe de la main à la brute renfrognée. Un lourd poing s’abattit alors contre la joue de Reid. Une de ses molaires ricocha sur le sol dans une giclée de sang frais.

Pendant un moment, il n’y eut même pas de douleur. Son visage était engourdi, palpitant sous l’impact. Puis une nouvelle agonie nébuleuse prit le dessus.

“Arggh…” Il essayait de former des mots, mais ses lèvres refusaient de bouger.

“Je vous le demande encore,” continua l’interrogateur. “Téhéran ?”

Le cheikh se terrait dans une maison sécurisée, camouflée par une usine textile abandonnée.

“Zagreb ?”

Deux iraniens, sur le point de monter dans un avion charter pour Paris, sont appréhendés sur une piste privée.

“Madrid ?”

Le cinquième étage du Ritz : une cellule dormante activée avec une bombe dans une valise. Destination présumée : la Plaza de Cibeles.

“Cheikh Mustafar ?”

Il a négocié pour garder la vie sauve. Il nous a dit tout ce qu’il savait : les noms, les lieux, les plans. Mais il en savait tellement…

“Je sais que vous vous souvenez,” reprit l’interrogateur. “Vos yeux vous trahissent… Zéro.”

Zéro. Un flash lui vint en tête : Un homme portant des lunettes de soleil aviateur et une veste de motard noire. Il est debout, à l’angle d’une rue, dans une ville européenne. Il avance parmi la foule. Personne n’en a conscience. Personne ne sait qu’il est là.

Reid tenta de nouveau de chasser les visions de son esprit. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Les images dansaient dans sa tête comme des séquences en stop-motion, mais il refusait de reconnaître qu’il s’agisse de souvenirs. Elles étaient fausses. Implantées, en quelque sorte. Il était professeur à l’université, père de deux adolescentes, vivant dans une humble maison du Bronx…

“Dites-nous ce que vous savez de nos plans,” demanda posément l’interrogateur.

Nous ne parlons pas. Jamais.

Les mots firent écho dans la caverne de son esprit, encore et encore. Nous ne parlons pas. Jamais.

“C’est trop long !” cria le grand iranien. “Force-le.”

L’interrogateur soupira. Il tira à lui le chariot métallique, mais pas pour se tourner vers le détecteur de mensonge. Au lieu de ça, ses doigts s’attardèrent sur le plateau en plastique. “Je suis un homme patient en général,” dit-il à Reid. “Mais je dois admettre que la frustration de mes associés est assez contagieuse.” Il s’empara du scalpel sanglant, l’outil utilisé pour libérer le petit grain d’argent de sa tête, et il appuya doucement la pointe de la lame contre le jean de Reid, environ dix centimètres au-dessus du genou. “Nous voulons simplement savoir ce que vous savez. Les noms. Les dates. À qui vous avez dit ce que vous savez. L’identité des autres agents de votre camp sur le secteur.”

Morris. Reidigger. Johansson. Les noms lui traversèrent l’esprit et, avec eux, des visages qu’il n’avait jamais vus auparavant. Un homme plus jeune aux cheveux noirs et au sourire arrogant. Un gars au visage rond et à l’air sympa, vêtu d’une chemise blanche. Une femme aux cheveux blonds ondulés et aux yeux gris comme l’acier.

“Et qu’est devenu le cheikh ?”

Bizarrement, Reid savait tout à coup que le cheikh en question avait été arrêté et emmené dans un endroit tenu secret, au Maroc. Ce n’était pas une vision. Il le savait, un point c’est tout.

Nous ne parlons pas. Jamais.

Un frisson glacé traversa le dos de Reid, alors qu’il luttait pour ne pas devenir fou.

“Dites-moi,” insista l’interrogateur.

“Je ne sais pas.” Les mots furent étranges, roulant dans sa bouche enflée. Il leva les yeux, alarmé, et vit l’autre homme lui sourire dans un rictus.

Il avait compris la demande prononcée en langue étrangère… et venait d’y répondre dans un arabe parfait.

L’interrogateur enfonça la pointe du scalpel dans la jambe de Reid. Il hurla, alors que la lame atteignait le muscle de sa cuisse. Il tenta instinctivement de retirer sa jambe, mais ses chevilles étaient attachées aux pieds de la chaise.

Il serra fort les dents, faisant presque délibérément souffrir sa mâchoire en guise de protestation. La blessure dans sa jambe lui faisait terriblement mal.

L’interrogateur sourit et inclina légèrement la tête. “Je dois admettre que vous êtes plus résistant que beaucoup d’autres, Zéro,” dit-il en anglais. “Malheureusement pour vous, je suis un professionnel.” Il tendit la main et retira lentement l’un des chaussettes crasseuses de Reid. “Je n’ai pas souvent recours à cette tactique.” Il se redressa et regarda Reid droit dans les yeux. “Voici ce qui va se passer maintenant : Je vais découper des petits morceaux de vous, puis vous les montrer un par un. Nous allons commencer par vos orteils. Ensuite, les doigts. Et après… Nous verrons où nous en sommes.” L’interrogateur se mit à genoux et appuya la lame contre le plus petit orteil de son pied droit.

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