Une Concession d’Armes - Морган Райс 3 стр.


– Les règnes illégitimes ne durent jamais, rétorqua Kendrick. Vous pouvez nous tuer, mais vous ne convaincrez jamais Andronicus de vous donner le trône. Quoi qu’il arrive, vous et moi, nous savons bien que vous ne régnerez pas longtemps. La traîtrise que vous nous enseignez signera également votre mort.

Tirus eut l’air peu impressionné.

– Dans ce cas, je savourerai mon règne bref… Et j’applaudirai l’homme qui me trahira avec autant de talent que je ne vous ai trahis !

– Assez parlé ! s’écria le commandant impérial. Rendez-vous ou vos hommes mourront !

Kendrick lui renvoya son regard, furieux. Il savait qu’il devait obéir, mais il n’en avait pas la moindre envie.

– Déposez vos armes, dit Tirus calmement et d’une voix rassurante. Je vous traiterai avec respect, comme des soldats. Vous serez mes prisonniers de guerre. Je ne partage pas vos lois mais j’honore le code des guerriers. Je vous promets qu’aucun mal ne vous sera fait sous ma garde.

Kendrick jeta un coup d’œil à Bronson, à Srog, puis à Erec, qui lui renvoyèrent son regard. Tous se tenaient fièrement assis sur le dos de leurs chevaux qui piaffaient, silencieux et immobiles.

– Comment vous faire confiance ? cria Bronson à Tirus. Vous nous avez prouvé que votre parole ne vaut rien. Je préfère mourir sur le champ de bataille, si cela peut faire disparaître votre sourire narquois.

Tirus lui jeta un regard noir.

– Tu prends la parole alors que tu n’es pas un MacGil ! Tu es un McCloud. Tu n’as pas le droit de te mêler des affaires des MacGils.

Kendrick prit aussitôt la défense de son ami.

– Bronson est aussi MacGil que nous tous. Il parle pour nous.

Tirus serra les dents, visiblement agacé.

– C’est votre choix. Regardez autour de vous : nos milliers d’archers sont prêts à tirer. Vous êtes tombés dans notre piège. Si vous tendez la main vers vos armes, vos hommes tomberont comme des mouches. Ce n’est pas ce que vous voulez. Parfois, il faut se battre et, parfois, il faut se rendre. Si vous voulez protéger vos hommes, vous ferez ce que tout bon commandant ferait. Baissez vos armes.

Kendrick serra la mâchoire, consumé par la fureur. Il détestait l’admettre mais Tirus avait raison. Il regarda autour de lui et comprit immédiatement que la plupart de ses hommes mourraient s’ils essayaient de combattre, peut-être même tous ses hommes. Malgré son mépris pour Tirus, Kendrick devinait également qu’il disait la vérité et que ses hommes ne seraient pas en danger sous sa garde. Aussi longtemps qu’ils vivraient, ils pourraient se battre un autre jour, dans un autre endroit, un autre champ de bataille.

Il échangea un regard avec Erec, l’homme qui avait combattu bien des fois à ses côtés, le champion de l’Argent, et vit qu’il pensait la même chose. Se comporter en chef ou en guerrier, ce n’était pas la même chose : un guerrier pouvait se battre avec l’énergie du désespoir, mais un chef devait penser aux autres en premier.

– Parfois, il faut se battre. Parfois, il faut se rendre, cria Erec. Nous entendons votre promesse de soldat : nos hommes ne seront pas en danger. Sur ces conditions, nous déposons nos armes. Si vous brisez cette promesse, que Dieu ait pitié de votre âme, car nous reviendrons de l’enfer pour venger nos hommes, jusqu’au dernier.

Tirus hocha la tête, satisfait, et Erec jeta à terre son épée encore dans son fourreau. Elle atterrit avec un bruit métallique.

Kendrick l’imita, tout comme Bronson et Srog. Tous étaient réticents mais c’était la seule chose à faire.

Derrière eux, un fracas métallique retentit, comme des milliers d’armes tombaient sur le sol glacé par l’hiver : l’Argent, les MacGils et les Silésiens se rendaient.

Le sourire de Tirus s’élargit.

– Maintenant, mettez pied à terre, ordonna-t-il.

L’un après l’autre, tous mirent pied à terre.

Tirus sourit, ravi de sa victoire.

– Pendant toutes ces années d’exil dans les Isles Boréales, j’ai envié la Cour du Roi, mon frère aîné et tout son pouvoir. Mais quel MacGil est le plus puissant, maintenant ?

– Le pouvoir de la trahison n’est rien, lança Bronson.

Tirus lui jeta un regard noir et fit signe à ses hommes.

Ceux-ci se précipitèrent pour ligoter les poignets des chefs vaincus avec des cordes de chanvre. Ils les conduisirent ensuite à travers la plaine. Une longue ligne de prisonniers.

Entraîné avec les autres, Kendrick songea soudain à Godfrey. Ils étaient partis ensemble, mais Kendrick ne l’avait pas vu depuis, ni lui, ni ses hommes. Son frère avait-il trouvé le moyen de s’échapper ? Kendrick espéra qu’il était en sécurité. Pour dire la vérité, il était presque optimiste.

Avec Godfrey, il fallait s’attendre à tout.

CHAPITRE QUATRE

Godfrey chevauchait à la tête de ses hommes, flanqué de Akorth, de Fulton, de son général silésien et du commandant impérial dont il venait d’acheter généreusement la loyauté. Un large sourire éclairait son visage. Quelle satisfaction de voir la division impériale, forte de quelques milliers d’hommes, rejoindre sa cause !

Il songea à la somme qu’il venait de leur verser, ces innombrables sacs d’or, se rappela l’expression de leurs visages… Son plan avait marché ! Il en était fou de joie. Jusqu’au dernier moment, il avait douté. Maintenant que c’était fini, il respirait plus librement. Il y a bien des façons de gagner une bataille, mais il n’y en a qu’une qui permet de gagner sans verser une seule goutte de sang. Godfrey n’était peut-être pas aussi chevaleresque ou téméraire que les autres guerriers… Mais il avait réussi. N’était-ce pas tout ce qui comptait ? Il préférait sauvegarder la vie de ses hommes en payant, plutôt que voir la moitié mourir en prenant une décision risquée.

Godfrey avait beaucoup travaillé pour en arriver là. Il avait fait jouer tous ses contacts dans les bordels, les allées sombres et les tavernes pour découvrir qui couchait avec qui, quelles maisons closes les commandants impériaux fréquentaient et lequel d’entre eux accepterait de se faire soudoyer. Godfrey avait une meilleure connaissance de ces milieux-là que bien d’autres. Il avait passé sa vie à construire son réseau. Aujourd’hui, ses efforts servaient enfin. Tout comme l’or de son défunt père.

Cependant, Godfrey n’était pas sûr de pouvoir leur faire confiance, du moins pas jusqu’à la fin. Il fallait qu’il profite de son avantage tant qu’il en avait le temps. C’était comme tirer à pile ou face : ces gens étaient aussi fiables que l’or qui les avait achetés. Heureusement, Godfrey les avait payés généreusement et ces soldats impériaux étaient pour le moment encore plus utiles que prévu.

Combien de temps encore lui resteraient-ils loyaux ? Difficile à dire. Au moins, Godfrey avait échappé à la bataille et chevauchait à leurs côtés.

– Je me suis trompé à votre sujet, dit une voix.

Godfrey se tourna vers le général silésien qui le regardait avec admiration.

– J’ai douté de vous, je le reconnais, poursuivit-il. Je vous présente mes excuses. Je n’imaginais pas que vous aviez un plan. C’est très ingénieux. Je ne douterai plus de vous.

Godfrey lui sourit avec fierté. Toute sa vie, les guerriers, les soldats et les généraux l’avaient regardé avec mépris. À la cour de son père, où l’art militaire prenait une grande importance, il n’avait connu que dédain. Maintenant, les soldats voyaient enfin que sa ruse pouvait être aussi utile que leur bravoure.

– Ne vous inquiétez pas, dit Godfrey. Je doute de moi-même également. J’apprends tous les jours. Je ne suis pas un commandant et je n’ai pas d’autre plan à long terme que celui de survivre.

– Et où allons-nous à présent ?

– Rejoindre Kendrick, Erec et les autres pour soutenir leur cause.

L’improbable alliance des soldats impériaux et des hommes de Godfrey chevauchait d’un air incertain entre les collines, le long d’une plaine désertique et desséchée, vers l’endroit où Kendrick leur avait donné rendez-vous.

En chemin, un million de pensées diverses traversaient l’esprit de Godfrey. Kendrick et Erec allaient-ils bien ? S’étaient-ils retrouvés en difficulté ? Godfrey s’en sortirait-il dans une vraie bataille ? Maintenant, il ne pouvait plus l’éviter. Il avait épuisé tous ses tours de passe-passe : il n’avait plus d’or pour payer les ennemis.

Il avala sa salive avec difficulté, nerveux. Il n’était pas aussi courageux que les autres, qui semblaient êtres nés chevaliers. Tous avaient l’air de ne jamais craindre la mort. Ils étaient si téméraires… Godfrey devait le reconnaître : lui, il avait peur. Toutefois, il ne s’esquiverait pas, même s’il était maladroit, même s’il n’avait pas le talent militaire de ses frères… Il se demandait seulement combien de fois les dieux de la chance lui sauverait la vie.

Les autres ne semblaient pas se soucier de vivre ou de mourir, comme s’ils étaient toujours prêts à donner leur vie pour la gloire. Godfrey aimait la gloire, mais il aimait la vie plus encore. Il aimait la bière. Il aimait manger. Ici et maintenant, il ressentit soudain dans son estomac le désir brûlant de retrouver la sécurité d’une taverne. La bataille, ce n’était vraiment pas pour lui.

Godfrey pensa alors à Thor, tout seul, là-bas, prisonnier. Il pensa à sa famille qui se battait pour une juste cause. Son honneur, quoique souillé, lui commandait de ne pas faire demi-tour.

Ils chevauchèrent longtemps quand, soudain, atteignant le sommet d’une crête, ils eurent une vue plongeant sur la vallée. Ils s’arrêtèrent. Godfrey plissa les yeux devant le soleil aveuglant, pour comprendre ce qui se passait en contrebas. Il leva une main en visière et contempla la scène, confus.

Alors, à sa grande horreur, tout s’éclaira et son cœur manqua un battement : en contrebas, les milliers d’hommes de Kendrick, Erec et Srog étaient emmenés ailleurs, ligotés comme des prisonniers. Voilà les soldats qu’il était censé rejoindre : cernés de tous les côtés par des divisions impériales dix fois plus nombreuses. Ils étaient à pied, liés par les poignets, et suivaient leurs vainqueurs. Godfrey savait que ni Kendrick, ni Erec n’aurait accepté de se rendre sans une très bonne raison. Selon toute vraisemblance, ils étaient tombés dans une embuscade.

Godfrey resta un instant pétrifié, le souffle coupé par la panique. Comment était-ce possible ? Il avait cru les trouver au milieu d’une bataille féroce mais sensiblement équilibrée. Au lieu de cela, il les voyait disparaître à l’horizon. Il ne faudrait pas moins de quelques heures pour les rattraper.

Le général impérial se porta à la hauteur de Godfrey, sourcils froncés.

– On dirait que vos hommes ont perdu la bataille, dit-il. Cela ne faisait pas partie du marché.

Godfrey se tourna vers lui et vit qu’il était anxieux.

– Je vous ai payés généreusement, dit-il en prenant soin de prendre l’air assuré malgré sa nervosité. Vous avez promis de rejoindre ma cause.

Mais le général secoua la tête.

– J’ai promis de combattre à vos côtés, pas d’effectuer une mission suicidaire. Mes quelques milliers d’hommes ne font pas le poids devant l’armée de Andronicus. Notre marché vient de changer. Vous les combattrez tout seul. Et je garde l’or.

Le général se retourna, poussa un cri et éperonna sa monture pour cavaler dans la direction opposée, ses hommes sur ses talons. Bientôt, ils disparurent de l’autre côté de la vallée.

– Il a notre or ! dit Akorth. On ne devrait pas le prendre en chasse ?

Godfrey secoua la tête, tout en regardant le groupe s’éloigner.

– Pour quoi faire ? Ce n’est que de l’or. Je ne vais pas risquer nos vies pour ça. Qu’il s’en aille. On peut trouver autre chose.

Godfrey se tourna vers l’horizon, où disparaissaient les hommes de Kendrick et de Erec. Maintenant, il n’avait plus de renforts et il était encore plus isolé qu’avant. Toute sa stratégie tombait à l’eau.

– Et maintenant ? demanda Fulton.

Godfrey haussa les épaules.

– Je n’en ai aucune idée, avoua-t-il.

– Tu n’es pas censé dire ça, commenta Fulton. Tu es commandant, maintenant.

Mais Godfrey se contenta de hausser les épaules une fois encore.

– C’est pourtant la vérité.

– C’est pas facile, les trucs de guerriers, dit Akorth en se gratouillant le ventre et en retirant son heaume. Ça ne se goupille pas bien comme tu le voulais, hein ?

Godfrey se tassa sur la selle de sa monture, en secouant la tête. Que pouvait-il faire, à présent ? La tournure des événements le prenait par surprise et il n’avait aucun plan de secours.

– On fait demi-tour ? demanda Fulton.

– Non, s’entendit dire Godfrey, surpris lui-même par son assurance.

Tous tournèrent vers lui des regards stupéfaits et se pressèrent pour écouter son plan.

– Je ne suis peut-être pas un guerrier, dit Godfrey, mais ce sont mes frères. Ils ont été emmenés. Nous ne pouvons pas faire demi-tour. Même si cela veut dire courir à notre mort.

– Êtes-vous fou ? s’exclama le général silésien. Tous ces braves guerriers de l’Argent, de l’armée MacGil, des Silésiens, tous ensemble, ils n’ont pu repousser l’Empire. Comment croyez-vous que quelques milliers de nos hommes pourraient y parvenir sous votre commandement ?

Godfrey lui jeta un coup d’œil agacé. Il commençait à en avoir marre que l’on doute de lui.

– Je n’ai jamais dit que nous allions gagner, rétorqua-t-il. J’ai seulement dit que c’était la bonne chose à faire. Je ne les abandonnerai pas. Mais si vous souhaitez rentrer chez vous, allez-y. Je les attaquerai tout seul.

– Vous n’avez pas d’expérience, grogna son interlocuteur. Vous ne savez pas ce que vous dites. Vous menez les hommes à une mort certaine.

– C’est vrai, dit Godfrey, mais vous avez promis de ne plus douter de moi. Et je ne me détournerai pas.

Godfrey talonna sa monture pour la conduire vers une élévation. D’ici, tous les hommes le verraient.

– SOLDATS ! cria-t-il d’une voix tonnante. Je sais que vous ne me considérez pas comme un commandant aussi admirable que Kendrick, Erec ou Srog. Et vous avez raison. Je n’ai pas leur talent. Mais j’ai du cœur et du courage, du moins à l’occasion. Tout comme vous. Ce que je sais, c’est que nos frères sont retenus prisonniers. Quant à moi, je préfère mourir plutôt que vivre en les sachant loin de nous, mourir plutôt que retourner à la maison comme des chiens en attendant que l’Empire nous abatte. Car, soyez-en sûrs : ils nous tueront un jour. Nous pouvons mourir maintenant, sur le champ de bataille, à la poursuite de l’ennemi. Ou bien nous pouvons mourir dans la honte et le déshonneur. Le choix vous appartient. Chevauchez à mes côtés et, que vous viviez ou non, vous chevaucherez vers la gloire !

Une acclamation s’éleva parmi les hommes, si enthousiaste qu’elle prit Godfrey par surprise. Tous levèrent leurs épées haut vers le ciel et ce spectacle lui redonna de l’espoir.

Il réalisait seulement ce qu’il venait de dire. Il n’avait pas vraiment réfléchi aux mots qu’il avait employés : tout était arrivé si vite. À présent, sa promesse et sa propre bravoure le stupéfiaient.

Comme les hommes préparaient leurs chevaux et leurs armes pour charger vers une mort certaine, Akorth et Fulton s’approchèrent.

– À boire ? proposa Akorth.

Godfrey baissa les yeux et vit son compagnon mettre la main sur une outre à vin. Il s’en saisit vivement et renversa la tête pour boire, boire, boire, jusqu’à presque finir l’outre, avant de reprendre bruyamment sa respiration. Enfin, il s’essuya la bouche et rendit le vin à ses amis.

Qu’ai-je fait ? se demanda-t-il. Il venait de promettre qu’il mènerait son armée dans une bataille qu’ils ne pourraient pas gagner. Avait-il seulement réfléchi aux conséquences ?

– Je ne savais pas que tu avais ça en toi, dit Akorth en lui envoyant une bourrade dans le dos tout en rotant. Très beau discours. Mieux que dans les théâtres !

Назад Дальше