Le Destin Des Dragons - Морган Райс 5 стр.


Depuis qu’il l’avait vue pour la première fois, Erec n’avait guère pu penser à autre chose. Qui était cette fille, se demandait-il, qui semblait si noble mais travaillait comme domestique à la cour du Duc ? Pourquoi l'avait-elle évité aussi promptement ? Après toutes ces années de fréquentation de femmes de sang royal, pourquoi était-ce la seule femme qui ait réussi à lui ravir son cœur ?

Ayant baigné dans la royauté toute sa vie, étant lui-même fils de roi, Erec savait détecter la royauté en un clin d’œil et, à l’instant où il l’avait aperçue, il avait su qu’elle était d’un rang bien plus élevé que le simple poste qu’elle occupait. Il était dévoré par la curiosité de savoir qui elle était, d’où elle venait et ce qu’elle faisait ici. Il voulait une autre occasion de pouvoir poser les yeux sur elle, de voir si tout cela n’était que le fruit de son imagination ou s’il ressentirait de nouveau la même chose.

“Mes domestiques m’ont dit qu’elle vivait à la périphérie de la ville”, expliqua le Duc tout en marchant. Alors qu’ils avançaient, les gens ouvraient leurs volets le long des rues et quelle n’était pas leur surprise de découvrir le Duc et son entourage dans les rues du peuple.

“Apparemment, il semblerait qu’elle soit la domestique d’un aubergiste. Personne ne connaît ses origines ni d’où elle vient. Tout ce qu’ils savent, c’est qu’elle est arrivée dans notre ville un jour et qu’elle a signé un contrat avec cet aubergiste. Son passé semble être un mystère.”

Ils tournèrent dans une nouvelle rue. Les pavés devinrent plus inégaux sous leurs pas et les petits logements de plus en plus délabrés au fur et à mesure qu’ils progressaient. Le Duc s’éclaircit la gorge.

“Je fais parfois appel à elle en tant que domestique à ma cour lors d’événements spéciaux. Elle est discrète et posée. On en sait peu à son sujet. Erec”, dit finalement le Duc en se tournant vers lui et en lui posant une main sur le poignet, “es-tu sûr de ce que tu fais ? Qui qu’elle soit, cette femme n’est qu’une simple citoyenne. Tu pourrais avoir n’importe quelle femme du royaume.”

Erec lui retourna le même regard.

“Il faut que je la revoie. Peu m'importe qui elle est.”

Le Duc secoua la tête d'un air désapprobateur et ils poursuivirent leur marche, tournant dans les rues, traversant des allées étroites et tortueuses. Au fur et à mesure de leur progression, ce quartier de Savaria devenait de plus en plus miteux. Les rues s’emplissaient d’hommes ivres et étaient envahies par les ordures, les poules et les chiens errants. Ils passèrent devant une série de tavernes et les cris des clients retentirent dans les rues. Quelques ivrognes titubèrent devant eux. On alluma peu à peu des torches dans les rues tandis que la nuit tombait.

“Faites place au Duc !” s’écria le domestique en tête du cortège tout en écartant les ivrognes. Des types peu ragoûtants s’écartaient de part et d’autre des rues, stupéfaits de voir passer le Duc aux côtés d’Erec.

Ils arrivèrent enfin devant une humble petite auberge en stuc avec un toit en ardoise à deux versants. La taverne du rez-de-chaussée semblait pouvoir contenir une cinquantaine de clients et quelques chambres pour les clients se trouvaient à l’étage. La porte d’entrée était tordue, une fenêtre était cassée et la lampe de l’entrée, qui pendait de travers, ne donnait qu'une lumière vacillante en raison du peu de cire qu'elle contenait. Les cris des ivrognes jaillissaient par les fenêtres lorsqu’ils s’arrêtèrent devant la porte.

Comment une fille aussi raffinée peut-elle travailler dans un endroit pareil ? se demanda Erec, horrifié, en entendant les cris et les railleries qui provenaient de l’intérieur. Il eut le cœur brisé à la pensée du manque de respect dont elle devait souffrir dans un tel endroit. Ce n’est pas juste, pensa-t-il. Il n’en fut que plus déterminé à la sauver de cet environnement.

“Pourquoi te rends-tu au pire endroit qu’il soit pour chercher ta fiancée ?” demanda le Duc en se tournant vers Erec.

Brandt se tourna également vers lui.

“Dernière chance, mon ami”, dit Brandt. “Il y a un château plein de femmes de sang royal là-bas, et elles n’attendent que toi.”

Cependant, Erec secoua la tête, déterminé.

“Ouvrez la porte”, ordonna-t-il.

L’un des hommes du Duc se précipita et l’ouvrit d’un coup. Une odeur de bière périmée leur déferla dessus et les fit reculer.

A l’intérieur, des hommes ivres étaient vautrés sur le bar ou assis à des tables en bois, criant trop fort, riant, raillant et se bousculant les uns les autres. D’un coup d’œil, en voyant leur gros ventre, leurs joues non rasées et leurs vêtements sales, Erec se rendit compte qu’il s’agissait d’hommes plutôt rustres. Aucun guerrier ne se trouvait parmi eux.

Erec fit quelques pas à l’intérieur à la recherche de la fille. Il ne pouvait concevoir qu’une femme comme elle puisse travailler dans ce genre d’endroit. Il se demanda s’ils s’étaient présentés au mauvais endroit.

“Excusez-moi, monsieur, je suis à la recherche d’une femme”, demanda Erec à un homme grand, large, mal rasé et au gros ventre qui se tenait debout devant lui.

“Vraiment ?” s’écria l’homme moqueur. “Et bien, tu es au mauvais endroit ! Ce n’est pas un bordel, ici. Cela dit, il y en a un de l’autre côté de la rue et j’ai entendu dire que les femmes y étaient raffinées et rondelettes !”

L’homme se mit à rire trop fort au nez d’Erec et quelques-uns de ses compagnons se joignirent à lui.

“Je ne cherche pas de bordel”, répondit Erec sans rire, “mais une femme particulière qui travaille ici.”

“Tu parles sûrement de la domestique de l’aubergiste”, répondit une autre voix appartenant à un autre ivrogne gros et large. “Elle est probablement quelque part derrière en train de récurer le sol. C’est dommage, je préférerais qu’elle soit sur mes genoux en ce moment !”

Les hommes éclatèrent de rire, satisfaits de leurs propres blagues et Erec en devint rouge rien que d'y penser. Il eut honte pour elle. Qu’elle en soit réduite à servir ce genre d’hommes était un affront qu'il ne pouvait envisager.

“Et tu t'appelles ?” demanda une autre voix.

Un homme s’avança. Encore plus imposant que les autres, il avait une barbe et des yeux noirs, un air renfrogné, une large mâchoire et était entouré d’une bande de minables. Il était fait de muscles plus que de graisse et il s’approcha d’Erec d’une façon menaçante et très territoriale.

“Essaies-tu de me voler ma domestique ?” demanda-t-il. “Dehors !”

Il s’avança et tenta d’agripper Erec.

Cependant, ce dernier, un des meilleurs chevaliers du royaume endurci par des années d’entraînement, avait des réflexes dépassant de loin tout ce que cet homme pouvait imaginer. Au moment où sa main toucha Erec, ce dernier passa à l’action. Il lui attrapa le poignet, lui fit un crochet et, retournant l’homme à la vitesse de la lumière, le saisit par le dos de sa chemise et l’envoya promener au travers de la pièce.

L’homme imposant vola comme un boulet de canon et s’écrasa au sol en entraînant quelques-uns des hommes comme un jeu de quilles.

La salle entière se fit silencieuse. Tous les hommes s’arrêtèrent et regardèrent ce qui était en train de se dérouler.

“BATS-TOI ! BATS-TOI !” scandèrent les hommes.

Sonné, l’aubergiste se remit péniblement debout et chargea Erec en hurlant.

Cette fois-ci, Erec n’attendit pas pour réagir. Il s’avança à la rencontre de son assaillant, leva un bras et abattit son coude directement sur le visage de l’homme en lui cassant ainsi le nez.

L’aubergiste tituba puis s’effondra sur le sol.

Erec revint vers lui et, malgré sa taille imposante, le souleva haut au-dessus de sa tête. Il fit quelques pas et jeta une fois de plus l’homme en l'air, ce qui eut pour résultat d’envoyer à terre la moitié de la salle avec lui.

Tous les hommes présents dans la salle se figèrent et leurs cris d’encouragement cessèrent. Le silence s’installa alors qu’ils commençaient à comprendre qu’une personne spéciale se trouvait parmi eux. C’est alors que le serveur se jeta soudainement sur Erec armé d’une bouteille en verre qu’il brandissait haut au-dessus de sa tête.

Erec le vit se jeter sur lui. Il portait déjà la main à son épée mais, avant même qu’il ait eu le temps de la dégainer, son ami Brandt s’était interposé, avait sorti sa dague de sa ceinture et en pointait l’extrémité sous la gorge de l’assaillant.

Ce dernier courut droit dessus et s’arrêta juste à temps, la pointe acérée sur le point de transpercer sa peau. Il resta figé, les yeux écarquillés de terreur, suant à grosses gouttes, pétrifié sur place avec sa bouteille encore en l’air. Le silence fut tel dans la salle qu’on aurait pu entendre une épingle tomber dans l’impasse.

“Lâche ça”, ordonna Brandt.

L’homme s’exécuta et la bouteille se brisa sur le sol.

Erec dégaina son épée avec un fort bruit métallique, s’avança jusqu’à l’aubergiste qui gisait en gémissant sur le sol et il la pointa vers sa gorge.

“Je ne le dirai qu’une seule et unique fois”, décréta Erec. “Fais disparaître toute cette racaille. Sur le champ. Je demande à m’entretenir avec la dame. Seul.”

“Le Duc !” s’écria quelqu’un.

La salle entière se retourna et reconnut enfin le Duc qui se tenait à l’entrée entouré de ses hommes. Tous s’empressèrent d’ôter leurs couvre-chefs et de baisser la tête.

“Si la salle n’est pas entièrement vide d’ici la fin de ma phrase”, déclara le Duc, “vous serez immédiatement jetés en prison.”

Ce fut l’hystérie. Tous les hommes s’empressèrent de quitter les lieux, se bousculant devant le Duc et cherchant à s’engouffrer par la porte, laissant derrière eux leurs bouteilles de bières entamées.

“Et c’est valable pour toi aussi”, lança Brandt au serveur tout en abaissant sa dague et en l’attrapant par les cheveux pour le pousser vers la sortie.

La pièce qui était pleine d’agitation quelques instants auparavant se retrouva soudainement vide et silencieuse avec pour seule présence celle d’Erec, Brandt, le Duc, la dizaine de ses hommes les plus fidèles et l’aubergiste. Ils refermèrent la porte derrière eux dans un claquement retentissant.

Erec se tourna vers l’aubergiste qui, assis sur le sol, était en train d’essuyer le sang qui lui coulait du nez, encore sous le choc. Erec l’attrapa par la chemise, le souleva à l’aide des deux mains et l’assit sur l’un des bancs vides.

“Tu m'as ruiné la soirée”, se plaignit l’aubergiste. “Il faudra payer pour ça.”

Le Duc s’avança en soutien.

“Je pourrais te faire arrêter pour avoir osé porter la main sur cet homme”, le réprimanda le Duc. “Sais-tu de qui il s’agit ? C’est Erec, le meilleur chevalier du roi, le champion de l'Argent. S’il le désire, il est autorisé à te tuer sur le champ.”

L’aubergiste leva les yeux vers Erec et, pour la première fois, la terreur se lut sur son visage. Il en tremblait presque sur son siège.

“Je ne pouvais pas le savoir. Vous ne vous êtes pas présenté.”

“Où est-elle ?” demanda Erec avec impatience.

“Elle est à l’arrière en train de récurer la cuisine. Qu’est-ce que vous lui voulez ? Vous a-t-elle dérobé quelque chose ? Ce n’est qu’une domestique en servage.”

Erec s’empara de son épée et l’agita sous la gorge de l’homme.

“Appelle-la encore une fois ‘domestique’”, le prévint Erec, “et sois certain que je te trancherai la gorge. Compris ?” lui demanda-t-il d’un ton ferme en appuyant la lame sur la peau de l’homme.

Ce dernier se mit à pleurer tout en acquiesçant lentement.

“Amène-la ici et en vitesse”, lui ordonna Erec en le remettant brutalement sur ses pieds et en le poussant, le propulsant à travers la pièce vers la porte arrière.

Une fois que l’aubergiste fut sorti, ils entendirent un remue-ménage de casseroles, des cris étouffés et quelques instants plus tard la porte s’ouvrit sur un petit groupe de femmes vêtues de blouses et de haillons, portant des bonnets et couvertes de graisse de cuisine. Le groupe était constitué de trois femmes âgées de la soixantaine et Erec se demanda l’espace d’un instant si l’aubergiste savait de qui il parlait.

Puis elle apparut et le cœur d’Erec cessa de battre dans sa poitrine.

Il avait peine à respirer. C’était elle.

Elle portait un tablier couvert de taches de graisse et, n'osant pas lever les yeux, gardait la tête baissée. Ses cheveux étaient attachés, couverts par du tissu, ses joues recouvertes de crasse et malgré tout Erec était complètement épris d’elle. Sa peau était tellement jeune, tellement parfaite. Ses joues étaient hautes et bien dessinées, tout comme sa mâchoire, son petit nez était couvert de taches de rousseur et ses lèvres étaient pleines. Elle arborait un front large et royal et ses cheveux blonds s’échappaient de dessous son bonnet.

L’espace d’un court instant, elle releva la tête vers lui et ses grands et magnifiques yeux vert amande, qui tendaient vers un bleu cristallin à la lumière, se clouèrent sur place. Il fut surpris de réaliser qu’elle le fascinait encore plus à présent que la première fois où il l’avait rencontrée.

Derrière elle réapparut l’aubergiste à l’air mauvais, qui continuait d’essuyer le sang qui lui coulait du nez. Entourée des autres femmes plus âgées, la fille s’avança timidement vers Erec et fit une révérence. Devant elle, Erec se redressa tout comme le firent certains membres de l’entourage du Duc.

“Monseigneur”, dit-elle d’une voix légère et douce qui remplit le cœur à Erec. “Veuillez s’il vous plaît me dire ce que j’ai fait pour vous offenser. Je n’en ai aucune idée et je m’excuse d’avance de ce que j’ai pu faire et qui justifie la présence de la cour du Duc.”

Erec sourit. Ses mots, sa façon de parler, le son de sa voix, tout l’apaisait. Il ne voulait pas qu’elle cesse de parler.

Erec tendit la main et lui toucha le menton, relevant lentement son visage jusqu’à ce que leurs regards se croisent. Son cœur s’accéléra lorsqu’il plongea son regard dans le sien. C’était comme se perdre dans le bleu de l’océan.

“Milady, vous n’avez rien fait qui m’ait offensé. Je ne pense pas que vous puissiez un jour faire une telle chose. Je viens à vous sans colère aucune, mais rempli d’amour. Depuis que je vous ai vue, je ne peux plus penser à rien d’autre.”

La fille rougit et baissa immédiatement les yeux vers le sol en cillant un certain nombre de fois. Elle se tortillait les mains, nerveuse et bouleversée. A l’évidence, elle n’avait vraiment pas l’habitude de ce genre de compliments.

“S’il vous plaît, Milady, auriez-vous l’amabilité de me dire votre nom ?”

“Alistair”, répondit-elle humblement.

“Alistair”, répéta Erec, bouleversé à son tour. C’était le plus beau prénom qu’il ait jamais entendu.

“Cependant, je ne comprends pas en quoi cela peut vous être utile”, ajouta-t-elle doucement, en continuant à regarder le sol. “Vous êtes un seigneur et je ne suis qu’une domestique.”

“C’est ma domestique, pour être exact”, dit méchamment l’aubergiste en avançant d’un pas. “Elle est à mon service. Elle a signé un contrat il y a des années de cela. Elle s’est engagée pour sept ans et, en retour, je lui donne le gîte et le couvert. Cela fait trois ans, maintenant. Vous voyez, c’est une perte de temps. Elle m’appartient. Elle est à moi. Vous ne me la prendrez pas. Elle m’appartient. Vous comprenez ?”

Erec ressentit pour l’aubergiste une haine qui dépassait tout ce qu’il avait jamais ressenti pour un être humain. Il était à deux doigts de dégainer son épée et de la lui planter dans le cœur pour en finir avec lui mais, bien que l’homme mérite grandement ce sort, Erec ne voulait pas enfreindre la loi du Roi. Après tout, ses actes avaient des répercussions pour le Roi.

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