Gwen sentit quelque chose se briser en elle-même. Elle savait ce qu’il adviendrait à ceux qui restaient en surface. Pourquoi son peuple devait-il toujours être si obstiné ?
Puis cela arriva – le premier des feu des dragons se déversa sur eux, assez loin pour ne pas les brûler, mais assez près pour que Gwen puisse sentir la chaleur dessécher son visage. Elle observa avec horreur alors que des cris s’élevaient, venant de eux de l’autre côté de la cour qui avaient décidés d’attendre en surface, dans leurs demeures ou dans le fort de Tirus. Le fort de pierres, si invincible quelques instants auparavant, était maintenant en train de flamber, des flammes jaillissant des côtés et de l’avant et de l’arrière, comme si ce n’était rien d’autre qu’une maison de flammes, ses pierres carbonisées et brûlées en un instant. Gwen déglutit difficilement, sachant que s’ils avaient essayés d’attendre dans le fort, ils seraient tous morts.
D’autres n’avaient pas été aussi chanceux : ils hurlaient, en feu, et couraient dans les rues avant de s’effondrer au sol. L’horrible odeur de chairs brûlées envahit les airs.
« Ma dame », dit Steffen, « nous devons descendre. Maintenant ! »
Gwen ne pouvait se résoudre à se détourner, et pourtant elle savait qu’il avait raison. Elle se laissa être emmenée par les autres, être tirée à travers les portes, le long des marches, dans l’obscurité, tandis qu’une vague de feu roulait vers elle. Les portes d’acier se refermèrent en claquant une seconde avant qu’elles ne l’atteignent, et tandis qu’elle les entendait se réverbérer derrière elle, elles furent comme une porte se refermant dans son cœur.
CHAPITRE DEUX
Alistair s’agenouilla en sanglotant à côté du corps d’Erec, le serra dans ses bras, sa robe de mariage couverte de se son sang. Tandis qu’elle le tenait, son univers tout entier tournoyant, elle sentit son flux vital commencer à le quitter. Erec, blessé à l’arme blanche, gémissait, et elle pouvait sentir à son pouls qu’il était en train de mourir.
« NON ! » gémit Alistair, le tenant et le berçant dans ses bras. Elle sentit son cœur se déchirer en deux tandis qu’elle le tenait, avait le sentiment qu’elle mourrait elle-même. Cet homme qu’elle avait été sur le point d’épouser, qui l’avait contemplée avec tant d’amour à peine quelques instants auparavant, était à présent étendu presque sans vie dans ses bras ; elle pouvait difficilement l’imaginer. Il avait reçu ce coup tout en étant si serein, tellement empli d’amour et de joie ; il avait été pris au dépourvu à cause d’elle. À cause de son jeu idiot, lui demandant de fermer les yeux pendant qu’elle approchait avec sa robe. Alistair se sentit envahie de culpabilité, comme si tout était de sa faute.
« Alistair », gémit-il.
Elle baissa les yeux et vit les siens à moitié ouverts, les vit s’assombrir, la vie commencer à le quitter.
« Sache que ce n’est pas de ta faute », murmura-t-il. « Et sache combien je t’aime. »
Alistair pleura, le tenant contre sa poitrine, le sentant se refroidir. Ce faisant, quelque chose en elle se cassa net, quelque chose qui ressentait l’injustice de tout cela, quelque chose qui refusait absolument de le laisser mourir.
Alistair éprouva soudainement un sentiment familier et un picotement, comme des milliers de piqûre d’épingles dans le bout de ses doigts, et elle sentit son corps tout entier s’empourprer sous l’effet de la chaleur, de la tête aux pieds. Une force étrange la submergea, quelque chose de fort et de primal, quelque chose qu’elle ne comprenait pas ; cela vint plus fortement que n’importe quelle poussée d’énergie qu’elle ait jamais eu dans sa vie, comme un esprit extérieur s’emparant de son corps. Elle sentit ses mains et ses bras brûler, et par réflexe elle les tendit et posa ses paumes sur le torse et le front d’Erec.
Alistair les maintint là, ses mains brûlant encore plus, et elle ferma les yeux. Des images apparurent en flash à travers son esprit. Elle vit Erec jeune, quittant les Îles Méridionales, si fier et noble, se tenant sur un grand navire ; elle le vit entrer à la Légion ; rejoindre l’Argent ; jouter ; devenant un champion, vainquant ses ennemis, défendant l’Anneau. Elle le vit assit droit, avec une posture parfaite, sur son cheval, vêtu d’argent brillant, un modèle de noblesse et de courage. Elle savait qu’elle ne pouvait le laisser mourir ; le monde ne pouvait se permettre de le laisser mourir.
Les mains d’Alistair devenaient encore plus chaudes encore, elle ouvrit les yeux et vit les siens se fermer. Elle vit aussi une lumière blanche émanant de ses paumes, s’étendant à tout le corps d’Erec ; elle le vit envahi par elle, entouré par un globe. Tandis qu’elle regardait, elle vit ses blessures, suintant de sang, commencer lentement à se cicatriser.
Les yeux d’Erec s’ouvrirent en un éclair, emplis de lumière, et elle sentit quelque chose changer en lui. Son corps, froid il y avait encore quelques instants, commença à se réchauffer. Elle sentit sa force vitale revenir.
Erec leva les yeux vers elle avec surprise et étonnement, et ce faisant, Alistair sentit sa propre énergie s’épuiser, sa propre force vitale diminuer, alors qu’elle lui transférait son énergie.
Ses yeux se fermèrent et il tomba dans un profond sommeil. Ses mains devinrent brusquement froides, et elle vérifia son pouls, le sentit revenir à la normale.
Elle soupira dans un grand soulagement, sachant qu’elle l’avait ramené à la vie. Ses mains tremblaient, tellement exténuées par l’expérience, et elle se sentit vidée, pourtant ravie.
Merci, Dieu, pensa-t-elle, alors qu’elle se penchait en avant, posait son visage sur son torse, et l’enlaçait avec des larmes de joie. Merci de ne pas m’avoir pris mon mari.
Alistair cessa de pleurer, leva les yeux et embrassa la scène du regard : elle vit l’épée de Bowyer sur le sol, sa garde et sa lame couvertes de sang. Elle haïssait Bowyer plus que ce qu’elle pouvait concevoir ; elle était déterminée à venger Erec.
Alistair tendit la main et ramassa l’épée ensanglantée ; ses paumes furent recouvertes de sang alors qu’elle la tenait et l’examinait. Elle se prépara à la jeter, à la voir aller atterrir bruyamment de l’autre côté de la pièce – quand soudain, la porte s’ouvrit avec fracas.
Alistair se tourna, l’épée ensanglantée à la main, pour voir la famille d’Erec se précipiter dans la pièce, flanquée d’une douzaine de soldats. Tandis qu’ils venaient plus près, leur expression alarmée se transforma en une d’horreur, alors que leurs regards allaient tous depuis elle à Erec inconscient.
« Qu’as-tu fait ? » s’écria Dauphine.
Alistair la dévisagea en retour, ne comprenant pas.
« Moi ? » demanda-t-elle. « Je n’ai rien fait. »
Dauphine lui lança un regard noir alors qu’elle se précipitait en avant comme un ouragan.
« Vraiment ? » dit-elle. « Tu as seulement tué notre meilleur et plus grand chevalier ! »
Alistair la fixa du regard avec horreur quand elle réalisa qu’ils la considéraient tous comme une meurtrière.
Elle baissa les yeux et vit l’épée ensanglantée dans sa main, vit les traces de sang sur ses paumes et partout sur sa robe, et elle prit conscience qu’ils pensaient tous qu’elle l’avait fait.
« Mais je ne l’ai pas poignardé ! » protesta Alistair.
« Non ? » l’accusa Dauphine. « Alors l’épée est-elle apparue par magie dans ta main ? »
Alistair regarda autour d’elle, alors qu’ils se rassemblaient tous autour d’elle.
« C’est un homme qui a fait ça. Celui qui l’a défié sur le champ au combat : Bowyer. »
Les autres se regardèrent, sceptiques.
« Oh vraiment, alors ? » répliqua Dauphine. « Et où est cet homme ? » demanda-t-elle, parcourant la pièce du regard.
Alistair ne vit aucun signe de lui, et elle réalisa qu’ils pensaient tous qu’elle mentait.
« Il a fui », dit-elle. « Après l’avoir poignardé. »
« Alors comment cette épée ensanglantée a-t-elle atterri dans ta main ? » rétorqua Dauphine.
Alistair baissa les yeux sur l’épée avec horreur, et elle la lança, tintant sur les pierres.
« Mais pourquoi voudrais-je tuer mon futur époux ? » demanda-t-elle.
« Tu es une sorcière », dit Dauphine, se tenant au-dessus d’elle à présent. « On ne peut faire confiance à ton espèce. Oh, mon frère ! » dit Dauphine, se précipitant en avant, tombant à genoux à côté d’Erec, se mettant entre lui et Alistair. Dauphine enlaça Erec, le serrant avec force.
« Qu’as-tu fait ? » gémit-elle, entre ses larmes.
« Mais je suis innocente ! » s’exclama Alistair.
Dauphine de tourna vers elle avec une expression de haine, puis vers les soldats.
« Arrêtez-la ! » ordonna-t-elle.
Alistair sentit des mains l’agripper par derrière, et elle fut sèchement remise sur pieds. Elle était épuisée, et elle fut incapable de résister tandis que les gardes liaient ses poignets derrière son dos et commençaient à l’emmener de force. Elle se souciait peu de ce qu’il lui arrivait – cependant, alors qu’ils l’emportaient, elle ne pouvait supporter l’idée d’être séparée d’Erec. Pas maintenant, pas quand il avait le plus besoin d’elle. Les soins qu’elle lui avait donnés étaient seulement temporaires ; elle savait qu’il avait besoin d’une autre séance, et que s’il ne l’obtenait pas, il mourrait.
« NON ! » hurla-t-elle. « Laissez-moi ! »
Mais ses cris tombèrent dans l’oreille d’un sourd tandis qu’ils l’emmenaient, l’enchaînaient, comme si elle était une vulgaire prisonnière.
CHAPITRE TROIS
Thor leva une main vers ses yeux, aveuglé par la lumière, si intense qu’il pouvait à peine voir, tandis que les portes brillantes et dorées du château de sa mère s’ouvraient en grand. Une forme sortit et s’avança vers lui, une silhouette, une femme qu’il devina, de toutes les fibres de son être, être sa mère. Le cœur de Thor battit dans sa poitrine en la voyant là debout, les bras le long du corps, face à lui.
Lentement, la lumière commença à décroitre, juste assez pour qu’il baisse la main et lui jette un regard. C’était le moment qu’il avait attendu toute sa vie, le moment qui l’avait hanté dans ses rêves. Il ne pouvait y croire : c’était vraiment elle. Sa mère. Dans ce château, perché sur la falaise. Thor ouvrit complètement les yeux et posa le regard sur elle pour la première fois, se tenant à seulement quelques mètres, le dévisageant en retour. Pour la première fois, il vit son visage.
La respiration de Thor se bloqua dans sa gorge tandis qu’il contemplait la plus belle femme qu’il ait jamais vue. Elle semblait intemporelle, à la fois vieille et jeune, sa peau presque diaphane, son visage lumineux. Elle lui sourit gentiment, ses longs cheveux blonds tombant en dessous du milieu de sa poitrine, ses grands yeux gris translucides et brillants, ses pommettes parfaitement sculptées et son menton correspondant au sien. Ce qui surprenait le plus Thor, alors qu’il la dévisageait, était qu’il pouvait reconnaître plusieurs de ses traits dans son visage – la courbe de sa mâchoire, ses lèvres, la nuance de ses yeux gris, même son front fier. D’une certaine manière, c’était comme se dévisager dans un miroir. Elle ressemblait aussi notablement à Alistair.
La mère de Thor, habillée d’une robe et d’une cape de soie blanche, le capuchon rabattu, se tenait avec les paumes dégagées de chaque côté, sans être ornés de bijoux, ses paumes lisses, sa peau comme celle d’un bébé. Pour pouvait sentir l’intense énergie qu’elle dégageait, plus ardente qu’il ne l’avait jamais senti, comme le soleil, qui l’enveloppait. Comme il s’y réchauffait, il sentit des vagues d’amour dirigées vers lui. Il n’avait jamais ressenti un amour et une acceptation aussi inconditionnels. Il avait le sentiment qu’il était à sa place.
Se tenant là à présent, devant elle, Thor eut l’impression qu’une part de lui était complète, comme si tout allait bien dans le monde.
« Thorgrin, mon fils », dit-elle.
C’était la plus belle voix qu’il ait entendu, douce, résonnant sur les anciens murs de pierre du château, semblant être descendue tout droit des cieux. Thor se tenait là, sous le choc, ne sachant ce que faire ou ce que dire. Tout cela était-il vrai ? Il se demanda rapidement si tout cela était une énième création du Pays des Druides, seulement un autre rêve, ou son esprit lui jouant des tours. Il avait voulu enlacer sa mère depuis aussi longtemps qu’il pouvait se le rappeler, et il fit un pas en avant, décidé à savoir si elle était une apparition.
Thor tendit le bras pour l’étreindre, et ce faisant, il craignit que son accolade ne traverse que de l’air, que tout ne soit qu’une illusion. Mais alors qu’il se rapprochait, il sentit ses bras s’enrouler autour d’elle, sentit qu’il enlaçait une vraie personne – et il sentit qu’elle l’étreignait en retour. C’était le sentiment le plus formidable au monde.
Elle le serra fort dans ses bras, et Thor fut rempli de joie de savoir qu’elle était réelle. Que tout cela était réel. Qu’il avait une mère, qu’elle existait vraiment, qu’elle était là en chair et en os, dans ce pays d’illusion et de rêve – et qu’elle se souciait vraiment de lui.
Après un long moment, ils se reculèrent, et Thor la regarda, des larmes aux yeux, et vit qu’il y en avait aussi dans les siens.
« Je suis si fière de toi, mon fils », dit-elle.
Il la dévisagea, à court de mots.
« Tu as achevé ton périple », ajouta-t-elle. « Tu es digne d’être ici. Tu es devenu l’homme que j’ai toujours su que tu serais. »
Thor la regarda, étudiant ses traits, toujours confondu par le fait qu’elle existe réellement, et se demandant quoi dire. Durant toute sa vie il avait eu tant de questions pour elle, mais maintenant qu’il était devant elle, il ne trouvait pas. Il ne savait même pas par où commencer.
« Viens avec moi », dit-elle en se tournant, « et je te montrerais cet endroit – cet endroit où tu es né. »
Elle sourit et lui tendit une main, et Thor la saisit.
Ils pénétrèrent côte à côte dans le château, sa mère montrant le chemin, de la lumière sourdait de son corps et se reflétait sur les murs. Thor intégrait tout cela avec émerveillement : c’était le lieu le plus resplendissant qu’il ait jamais vu, ses murs faits d’or étincelant, tout brillait, parfait, irréel. Il avait l’impression d’être arrivé dans un château magique, au paradis.
Ils passèrent le long d’un long couloir au plafond voûté, de la lumière se réverbérant partout. Thor baissa les yeux et vit que le sol était couvert de di amants, lisse, étincelant de millions de points lumineux.
« Pourquoi m’as-tu abandonné ? » demanda brusquement Thor.
C’étaient les premiers mots prononcés par Thor, et ils le surprirent même lui. De toutes les choses qu’il voulait lui demander, pour une raison ou une autre celle-ci sortit en premier, et il se sentit embarrassé et honteux de ne pas lui avoir dit quelque chose de plus gentil. Il n’avait pas voulu être si abrupt.
Mais le sourire compatissant de sa mère ne s’effaça jamais. Elle marchait à côté de lui, le contemplant avec un véritable amour, et il pouvait ressentir un tel amour et une telle acceptation de sa part, pouvait sentir qu’elle ne le jugeait pas, quoi qu’il puisse dire.
« Tu as raison d’être en colère contre moi », dit-elle. « Je dois te demander pardon. Toi et ta sœur comptaient plus que tout au monde. Je voulais t’élever ici – mais je ne le pouvais pas. Parce que vous êtes exceptionnels. Tous les deux. »
Ils tournèrent dans un autre couloir, puis sa mère s’arrêta et se tourna vers Thor.
« Tu n’es pas seulement un Druide, Thorgrin, ni juste un soldat. Tu es le plus grand guerrier qui ait jamais existé, ou existera – et le plus grand Druide, aussi. Ton destin est spécial ; ta vie est vouée à être plus importante, bien plus importante, que cet endroit. Ce sont une vie et un destin voués à être partagés avec le monde. C’est pourquoi je t’ai libéré. Je devais te laisser sortir dans le monde, pour que tu deviennes l’homme que tu es, pour que tu vives les expériences que tu as vécu et que tu apprennes à devenir le guerrier que tu étais censé être. »