Une Cour de Voleurs - Морган Райс 4 стр.


Alors, ils encerclèrent Sophia et la fixèrent du regard comme un cuisinier aurait pu examiner une pièce de boucherie au marché en se demandant à quoi elle pourrait être bonne et en essayant de voir si elle portait des traces de moisissure ou si elle avait trop de nerfs. Une femme ordonna à Sophia de la regarder et Sophia fit de son mieux pour obéir.

“Elle a un bon teint”, dit la femme, “et je suppose qu'elle pourrait être assez jolie.”

“Dommage qu'on ne puisse pas la voir avec un garçon”, dit un gros homme avec un soupçon d'accent qui suggérait qu'il venait de l'autre rive du Knifewater. Ses soieries coûteuses étaient tachées d'une vieille sueur dont la puanteur était déguisée par un parfum qui aurait probablement mieux convenu à une femme. Il jeta un coup d’œil vers les sœurs comme si Sophia n'était pas là. “A moins que vous n'ayez changé d'avis, mes sœurs ?”

“Ce lieu appartient encore à la Déesse”, dit la sœur O’Venn, et Sophia entendit une franche désapprobation dans sa voix. Il était étrange qu'elle refuse ce genre de chose, elle qui ne refusait presque rien d'autre, se dit Sophia.

Elle essaya de se servir de son talent, de lire autant que possible dans les pensées des personnes présentes. Cela dit, elle ne savait pas ce qu'elle espérait accomplir parce qu'elle ne connaissait aucun moyen d'exercer une quelconque influence sur l'opinion qu'ils avaient d'elle d'une façon ou d'une autre. En fait, cela ne lui donnait que la possibilité de voir les mêmes cruautés, les mêmes buts violents, encore et encore. Tout ce qu'elle pouvait espérer, c'était la servitude. Le pire la faisait frissonner de peur.

“Mmm, elle est vraiment belle quand elle frissonne comme ça”, dit un homme. “Elle est trop belle pour les mines, à mon avis, mais je vais quand même faire mon offre.”

Il alla rejoindre la sœur O’Venn et lui murmura un montant. Un par un, les autres firent de même. Quand ils eurent terminé, la sœur O’Venn regarda dans la pièce.

“Actuellement, c'est Maître Karg qui a fait l'offre la plus généreuse”, dit la sœur O’Venn. “Quelqu'un souhaite-t-il proposer plus ?”

Deux ou trois personnes semblèrent envisager de le faire. La femme qui avait voulu regarder Sophia dans les yeux s'avança vers la sœur masquée et murmura probablement un autre montant.

“Merci à tous”, dit finalement la sœur O’Venn. “Nous en avons terminé. Maître Karg, le contrat synallagmatique vous appartient, maintenant. Je dois vous rappeler que, s'il est remboursé un jour, cette fille sera libre de s'en aller.”

Le gros homme laissa échapper un rire méprisant sous son voile, qu'il retira pour montrer un visage rougeaud avec beaucoup trop de mentons et enlaidi par la présence d'une moustache foisonnante.

“Cela n'est jamais arrivé avec mes filles”, répliqua-t-il. Il tendit une main grassouillette. La sœur O’Venn prit le contrat et le lui tendit.

Les autres personnes présentes produisirent de petits sons d'irritation mais Sophia entendit que plusieurs d'entre eux pensaient déjà à d'autres possibilités. La femme qui avait élevé son offre pensait que c'était dommage d'avoir perdu mais seulement comme si un de ses chevaux venait de perdre une course contre ceux de ses voisins.

Pendant tout ce temps-là, Sophia resta assise, figée par l'idée que toute sa vie allait si facilement être confiée à quelqu'un d'autre qu'elle. Quelques jours auparavant, elle avait été sur le point d'épouser un prince et maintenant … maintenant, elle était sur le point de devenir la propriété de cet homme ?

“Il reste juste le problème de l'argent à régler”, dit la sœur O’Venn.

Le gros homme, Maître Karg, hocha la tête. “Je vais m'en occuper dès maintenant. Quand on a un navire à prendre, il vaut mieux payer en liquide qu'en promesse de banquier.”

Un navire ? Quel navire ? Où cet homme prévoyait-il de l'emmener ? Qu'allait-il faire d'elle ? Les réponses à cette question étaient très faciles à trouver dans ses pensées et cette idée suffit à pousser Sophia à se lever à moitié, prête à s'enfuir.

De fortes mains la saisirent. Une fois de plus, les sœurs lui immobilisèrent les bras. Maître Karg la regarda avec un mépris nonchalant.

“Emmenez-la dans mon chariot, d'accord ? Je vais régler les choses ici et ensuite …”

Et ensuite, Sophia vit que sa vie allait devenir une chose encore plus horrible. Elle voulait se battre mais, alors que les autres l'emmenaient, elle ne pouvait rien faire. Rien du tout. Dans l'intimité de sa tête, elle hurla pour appeler sa sœur à l'aide.

Pourtant, on aurait dit que Kate n'avait pas entendu — ou qu'elle n'en avait que faire.

CHAPITRE QUATRE

Kate n'arrêtait pas de mourir.

Enfin, “mourir” … Disons plutôt que des armes imaginaires s'enfonçaient dans sa chair et que des mains fantomatiques lui faisaient perdre conscience en l'étranglant. Des flèches apparaissaient brusquement et la transperçaient. Ces armes créées par la magie de Siobhan n'étaient faites que de fumée mais chacune d'entre elles la faisait autant souffrir qu'une arme réelle.

Cela dit, aucune de ces armes fictives ne tuait Kate. En fait, chaque moment de douleur ne faisait que pousser Siobhan à exprimer sa déception pendant que, en retrait, avec ce qui semblait être un mélange d'amusement et d’exaspération, elle contemplait la lenteur à laquelle Kate apprenait.

“Fais attention, Kate”, dit Siobhan. “Tu t'imagines que j'invoque ces fragments de rêve pour m'amuser ?”

La silhouette d'un homme armé d'une épée apparut devant Kate. Il était plutôt habillé pour un duel que pour se battre jusqu'à la mort. Il la salua en baissant une rapière.

“C'est le dérobement de Finnochi”, dit-il de la même voix monocorde que les autres. Il lui envoya un coup et Kate essaya de le parer avec son épée d'entraînement en bois parce qu'elle avait au moins appris à faire ça. Elle fut assez rapide pour voir le moment où le fragment changea de direction mais le déplacement la prit quand même au dépourvu et la lame éphémère lui transperça le cœur.

“Une fois de plus !” dit Siobhan. “On n'a pas le temps.”

Malgré ce qu'elle disait, il semblait y avoir plus de temps que Kate n'aurait pu l'imaginer. Dans ce bois, les minutes semblaient s'éterniser, remplies d'attaquants qui essayaient de la tuer et, à mesure qu'ils essayaient, Kate apprenait.

Elle apprenait à les combattre, à les abattre avec son épée d'entraînement parce que Siobhan avait insisté pour qu'elle laisse de côté sa véritable épée pour éviter de se blesser réellement. Elle apprenait à frapper et à tailler, à parer et à feinter, parce que, à chaque fois qu'elle faisait une erreur, une épée fantomatique la transperçait en lui infligeant une douleur qui lui paraissait bien trop réelle.

Après les attaquants à l'épée vinrent ceux qui avaient un bâton ou une masse, un arc ou un mousquet. Kate apprit à tuer de ses mains d'une dizaine de façons et à repérer le moment où un ennemi allait lui tirer dessus et à se jeter à plat ventre. Elle apprit à courir dans la forêt, à bondir de branche en branche, à fuir ses ennemis en esquivant et en se cachant.

Elle apprit à se cacher et à bouger silencieusement parce que, à chaque fois qu'elle faisait un bruit, ses ennemis éphémères s'abattaient sur elle avec plus d'armes qu'elle ne pouvait en affronter.

“Vous ne pourriez pas simplement m'apprendre tout ça ?” demanda Kate à Siobhan en le criant entre les arbres.

“C'est ce que je fais”, répondit-elle en sortant de derrière un des arbres avoisinants. “Si tu étais ici pour apprendre la magie, nous pourrions le faire avec des tomes et des mots doux mais tu es venue ici pour devenir une tueuse. Pour cela, il n'y a pas meilleur enseignant que la douleur.”

Kate serra les dents et continua à travailler. Au moins, ici, la douleur avait un sens, pas comme dans la Maison des Oubliés. Elle repartit dans la forêt, restant à l'abri des ombres, apprenant à bouger sans bousculer la moindre brindille ou feuille alors qu'elle s'avançait discrètement vers une nouvelle série d'ennemis magiques.

Pourtant, elle mourrait quand même.

A chaque fois qu'elle réussissait, un nouvel ennemi ou une nouvelle menace apparaissait, plus redoutable que les précédents. Quand Kate apprenait à éviter les yeux humains, Siobhan faisait apparaître des chiens dont la peau avait l'air de former des rouleaux de fumée à chaque pas qu'ils faisaient. Quand Kate apprenait à contourner les défenses de l'épée d'un duelliste, l'ennemi suivant portait une armure et elle ne pouvait donner de coups que dans les interstices entre les plaques.

Dès qu'elle s'arrêtait, Siobhan semblait toujours être là pour lui apporter des conseils, des suggestions ou des encouragements ou juste pour lui témoigner cette sorte d'amusement exaspérant qui incitait Kate à s’améliorer. A présent, elle était plus rapide et plus forte mais il semblait que ce ne soit pas suffisant pour la femme qui contrôlait la fontaine. Elle avait la sensation que Siobhan la préparait à quelque chose mais l'autre femme ne voulait ni dire de quoi il s'agissait ni répondre aux questions qui ne concernaient pas ce qu'il fallait que Kate fasse ensuite.

“Il faut que tu apprennes à utiliser le talent avec lequel tu es née”, dit Siobhan. “Tu dois apprendre à voir les intentions d'un ennemi avant qu'il ne frappe, apprendre à repérer où se trouvent tes ennemis avant qu'ils ne te trouvent, toi.”

“Comment puis-je m'entraîner si je n'ai que des illusions à affronter ?” demanda Kate.

“Comme c'est moi qui les dirige, je vais te donner accès à une fraction de mon esprit”, dit Siobhan. “Cela dit, fais attention. Il y a des endroits où il vaut mieux que tu évites de regarder.”

Cet avertissement éveilla l'intérêt de Kate. Elle s'était déjà heurtée aux murs que l'autre femme érigeait pour l'empêcher de lire dans ses pensées. Allait-elle pouvoir espionner, maintenant ? Quand elle sentit se déplacer les murs de Siobhan, Kate plongea aussi loin que les nouvelles frontières le lui permettaient.

Ce n'était pas loin mais c'était quand même assez loin pour se faire une idée d'un esprit étranger, plus loin de l'esprit d'une personne normale que tout ce que Kate avait jamais vu. Kate recula devant la pure étrangeté de cet esprit et se retira. Elle le fit juste à temps pour qu'un ennemi éphémère lui transperce la gorge d'un coup d'épée.

“Je t'avais dit de faire attention”, dit Siobhan pendant que Kate manquait de s'étouffer. “Allez, essaye encore.”

Un autre soldat armé d'une épée apparut devant Kate. Elle se concentra et, cette fois-ci, elle entendit le moment où Siobhan lui dit d'attaquer. Elle se baissa rapidement et tua son ennemi.

“C'est mieux”, dit Siobhan. C'était ce que la sorcière offrait de plus chaleureux comme compliment mais les compliments n'arrêtaient pas la mise à l'épreuve permanente. Cela signifiait seulement d'autres ennemis, plus de travail, plus d'entraînement. Siobhan poussa Kate jusqu'à ce que, même avec la nouvelle force qu'elle avait, elle se sente prête à s'écrouler de fatigue.

“Je n'en ai pas fait assez ?” demanda Kate. “Je n'en ai pas fait assez ?”

Elle vit Siobhan sourire sans amusement. “Tu t'imagines que tu es prête, apprentie ? Tu es vraiment aussi impatiente que ça ?”

Kate secoua la tête. “C'est juste que —”

“C'est juste que tu crois en avoir appris assez pour la journée. Tu t'imagines que tu sais ce qui arrive ou ce qu'il faut faire.” Siobhan ouvrit les mains. “Peut-être as-tu raison. Peut-être as-tu maîtrisé ce que je veux que tu apprennes.”

Alors, Kate entendit l'agacement de la sorcière. Siobhan n'était pas une enseignante dotée de la patience de Thomas.

“Je suis désolée”, dit Kate.

“C'est trop tard pour s'excuser”, dit Siobhan. “Je veux voir ce que tu as appris.” Elle frappa dans ses mains. “Je vais te tester. Viens avec moi.”

Kate voulait protester mais voyait que ce serait en vain. Elle se contenta de suivre Siobhan jusqu'à un endroit où la forêt donnait sur une clairière à peu près circulaire bordée d'aubépines et de ronces, d'églantiers et d'orties. Au milieu se trouvait une épée, posée en équilibre sur une souche d'arbre.

Non, pas simplement une épée. Kate reconnut immédiatement l'épée que Thomas et Will avaient fabriquée pour elle.

“Comment …” commença-t-elle.

Siobhan secoua la tête vers l'épée. “Ton épée n'était pas finie, tout comme toi. Je l'ai finie, de la même façon que j'essaie de t'améliorer, toi.”

L'épée avait effectivement l'air différente, maintenant. Elle avait une prise en tourbillons de bois noir et léger qui, pensa Kate, irait parfaitement à sa main. Des caractères étaient gravés sur la lame en une langue que Kate ne connaissait pas et, maintenant, la lame luisait comme avec un soupçon de cruauté.

“Si tu penses que tu es prête”, dit Siobhan, “tu n'as qu'à entrer dans la clairière et y prendre ton arme. Cela dit, si tu essaies, sache que le danger est réel. Ce n'est pas un jeu.”

En une autre situation, Kate aurait pu reculer. Elle aurait pu dire à Siobhan qu'elle n'était pas intéressée et attendre un peu plus longtemps. Deux choses l'empêchèrent de le faire. La première était le sourire insupportable qui semblait ne jamais quitter le visage de Siobhan. Il raillait Kate en lui disant avec assurance qu'elle n'était pas encore assez bonne, qu'elle ne serait jamais assez bonne pour satisfaire aux exigences que Siobhan lui avait fixées. C'était une expression qui lui rappelait trop le mépris que les sœurs masquées lui avaient témoigné.

Face à ce sourire, Kate sentait monter sa colère. Elle voulait effacer ce sourire du visage de Siobhan. Elle voulait lui montrer que, quelle que soit la magie que la femme de la forêt pouvait maîtriser, Kate pouvait accomplir les tâches qu'elle lui fixait. Elle voulait obtenir quelque satisfaction pour toutes les lames fantomatiques qui l'avaient transpercée.

L'autre raison était plus simple : cette épée était à elle. Elle avait été un cadeau de Will. Siobhan n'avait pas à dire à Kate quand elle pourrait la prendre.

Kate courut, bondit sur une branche puis sauta par-dessus le cercle de plantes épineuses qui entourait la clairière. Si c'était là ce que Siobhan pouvait faire de mieux, elle prendrait son épée et ressortirait aussi facilement de cette clairière que si elle marchait sur une route royale. Elle retomba accroupie et regarda l'épée qui l'attendait.

Cela dit, maintenant, il y avait une silhouette qui la tenait et Kate se surprit à la fixer du regard. C'était elle-même.

C'était vraiment elle jusqu'au moindre détail. Les mêmes cheveux roux et courts. La même souplesse nerveuse. Cependant, cette version d'elle-même portait des vêtements différents, verts et marron comme la forêt. Elle avait aussi les yeux différents, vert feuille de bout en bout et tout sauf humains. Alors que Kate regardait, l'autre version d'elle-même tira l'épée de Will et en fendit l'air comme pour la tester.

“Tu n'es pas moi”, dit Kate.

“Tu n'es pas moi”, dit l'autre Kate avec exactement la même inflexion, exactement la même voix. “Tu n'es qu'une mauvaise copie, très inférieure.”

“Donne-moi l'épée”, demanda Kate.

L'autre Kate secoua la tête. “Je pense que je vais la garder. Tu ne la mérites pas. Tu n'es qu'une racaille de l'orphelinat. Pas étonnant que ça n'ait pas marché avec Will.”

Alors, Kate courut vers elle, maniant son épée d'entraînement avec toute la force et toute la furie qu'elle avait en elle, comme si elle pouvait briser cette chose avec la violence de son attaque. En fait, elle sentit son épée d'entraînement se heurter à l'acier de celle de son double.

Elle frappa et elle tailla, feinta et battit, attaquant avec toutes les compétences qu'elle avait accumulées grâce à l'enseignement brutal de Siobhan. Kate utilisa toutes les forces que la fontaine lui avait données, toute la vitesse qu'elle possédait pour essayer de briser les défenses de son adversaire.

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