Une Chanson pour des Orphelines - Морган Райс 2 стр.


“Elle est innocente”, dit Kate.

“D'après le peu que tu sais”, répondit Siobhan. “Ou peut-être ne t'ai-je tout simplement pas révélé toutes les morts innombrables et toute la misère dont elle est responsable.” Kate cligna des yeux et elle se tenait de l'autre côté de la fontaine. “Ou peut-être ne t'ai-je tout simplement pas parlé de tout le bien qu'elle a fait, de toutes les vies qu'elle a sauvées.”

“Vous n'allez pas me dire ce qu'elle a vraiment fait, n'est-ce pas ?” demanda Kate.

“Je t'ai donné une tâche”, dit Siobhan. “Je m'attends à ce que tu l'exécutes. Tes questions et tes scrupules n'ont rien à voir avec ça. Il s'agit de la loyauté qu'une apprentie doit à son professeur.”

Donc, elle voulait savoir si Kate était capable de tuer seulement parce qu'elle le lui ordonnait.

“Vous pourriez tuer cette femme vous-même, n'est-ce pas ?” devina Kate. “J'ai vu ce que vous pouvez faire quand vous sortez de nulle part comme ça. Vous avez les pouvoirs qu'il faut pour tuer une seule personne.”

“Et qui pourrait prétendre que je ne suis pas en train de le faire ?” demanda Siobhan. “Peut-être la manière la plus simple est-elle d'envoyer mon apprentie.”

“Ou peut-être voulez-vous simplement voir ce que je ferai”, devina Kate. “C'est un genre de mise à l'épreuve.”

“Tout est une mise à l'épreuve, ma chère”, dit Siobhan. “Ne l'as-tu pas encore compris ? Tu vas exécuter cette tâche, je le sais.”

Que se passerait-il quand elle le ferait ? Est-ce que Siobhan lui permettrait vraiment de tuer une inconnue ? Peut-être était-ce le jeu auquel elle jouait. Peut-être comptait-elle laisser Kate frôler le meurtre juste avant de mettre fin à l'épreuve. Kate espérait que c'était le cas mais, même ainsi, elle n'aimait pas qu'on lui donne des ordres comme ça.

« N'aimait pas » n'était pas un terme assez fort pour ce que Kate ressentait à ce moment-là. Elle détestait cette idée. Elle détestait les jeux auxquels Siobhan jouait constamment, son désir permanent de transformer Kate en une sorte d'outil utilisable à volonté. Courir dans la forêt poursuivie par des fantômes avait été bien assez désagréable. Ça, c'était pire.

“Et si je refuse ?” dit Kate.

L'expression de Siobhan s'assombrit.

“Crois-tu que tu le peux ?” demanda-t-elle. “Tu es mon apprentie, tu m'as juré fidélité. Je peux faire de toi ce que je veux.”

Alors, des plantes surgirent autour de Kate, munies d'épines acérées qui en faisaient des armes. Elles ne la touchaient pas mais la menace était évidente. Pourtant, Siobhan ne semblait pas en avoir terminé. Elle fit un autre geste vers l'eau de la fontaine et la scène qu'elle montrait changea.

“Je pourrais te capturer et te livrer à l'un des jardins de plaisir de l'Issettie du Sud”, dit Siobhan. “Là-bas, il y a un roi qui pourrait accepter d'être coopératif en échange d'un présent.”

Kate aperçut brièvement des filles vêtues de soie qui couraient devant un homme deux fois plus âgé qu'elles.

“Je pourrais te capturer et te forcer à rejoindre les lignes d'esclaves des Colonies Proches”, poursuivit Siobhan qui, d'un geste, afficha une scène qui montrait de longues lignes de travailleurs qui se servaient de pioches et de pelles dans une mine à ciel ouvert. “Peut-être te dirai-je où trouver les plus belles pierres à offrir aux marchands qui font ce que je veux.”

La scène changea à nouveau, montrant ce qui était visiblement une salle de torture. Des hommes et des femmes hurlaient pendant que des figures masquées officiaient avec des fers chauffés à blanc.

“Ou peut-être te livrerai-je aux prêtres de la Déesse Masquée, auprès desquels tu devras faire acte de repentir pour tes crimes.”

“Vous ne feriez jamais ça”, dit Kate.

Siobhan tendit la main et saisit Kate si vite qu'elle eut à peine le temps de réfléchir avant que l'autre femme ne lui enfonce la tête sous la surface de l'eau de la fontaine. Kate cria mais cela signifia juste qu'elle n'eut pas le temps d'inspirer avant de plonger. Le froid de l'eau l'entoura. Elle se débattit mais eut l'impression que sa force l'avait désertée au pire des moments.

“Tu ne sais pas ce que je ferais et ce que je ne ferais pas”, dit Siobhan, dont la voix sembla venir de très loin. “Tu t'imagines que je vois le monde comme toi. Tu t'imagines que je vais m'arrêter juste avant de passer à l'acte, ou être gentille, ou ne pas tenir compte de tes insultes. Je pourrais t'envoyer faire tout ce que je veux et tu serais encore à moi. Je pourrais faire tout ce que je voudrais de toi.”

Alors, Kate vit des choses dans l'eau. Elle vit des silhouettes qui hurlaient, terrassées par l'agonie. Elle vit un espace rempli de douleur et de violence, de terreur et d'impuissance. Elle reconnut certaines silhouettes parce qu'elle les avait tuées, à moins que ce ne soient que leurs fantômes. Elle avait vu leurs images quand ils l'avaient poursuivie dans la forêt. C'étaient des guerriers qui avaient juré fidélité à Siobhan.

“Ils m'ont trahie”, dit Siobhan, “et ils ont payé pour leur trahison. Tu tiendras la promesse que tu m'as faite ou je te transformerai en quelque chose de plus utile. Obéis-moi ou tu les rejoindras et me serviras comme eux.”

Alors, elle relâcha Kate, qui se releva en postillonnant et en haletant. A présent, la fontaine avait disparu, elles étaient de retour dans la cour de la forge et Siobhan était à quelque distance de Kate comme si rien ne s'était passé.

“Je veux être ton amie, Kate”, dit-elle. “Tu n'as pas intérêt à m'avoir comme ennemie. Cela dit, je ferai le nécessaire.”

“Le nécessaire ?” répliqua Kate. “Vous pensez qu'il faut que vous me menaciez ou que vous fassiez massacrer des gens ?”

Siobhan ouvrit les mains. “Comme je l'ai dit, telle est la malédiction du pouvoir. Tu as le potentiel d'être très utile dans ce qui vient et je compte en profiter au maximum.”

“C'est hors de question”, dit Kate. “Je ne tuerai pas une fille que je ne connais pas sans raison.”

Alors, Kate riposta, pas physiquement mais avec ses pouvoirs. Elle rassembla sa force et la lança comme une pierre vers les murs qui se dressaient autour de l'esprit de Siobhan. Sa force rebondit et le pouvoir s'éteignit.

“Tu n'as pas le pouvoir qu'il faut pour m'affronter”, dit Siobhan, “et tu ne peux pas choisir de le faire. Je vais t'expliquer.”

Elle fit un geste et la fontaine apparut à nouveau, les eaux troubles. Cette fois-ci, quand l'image se stabilisa, elle n'eut pas besoin de demander qui elle voyait.

“Sophia ?” dit Kate. “Laissez-la tranquille, Siobhan, je vous avertis —”

Siobhan la saisit à nouveau et la força à regarder cette image avec la force démentielle qu'elle semblait posséder en ce lieu.

“Quelqu'un va mourir”, dit Siobhan. “Tu peux choisir qui : il te suffit de décider si tu acceptes de tuer Gertrude Illiard. Tu peux la tuer ou ta sœur peut mourir. C'est à toi de choisir.”

Kate la regarda fixement. Elle savait que ce n'était pas un choix, pas vraiment, parce qu'il s'agissait de sa sœur. “D'accord”, dit-elle. “Je le ferai. Je ferai ce que vous voulez.”

Elle fit demi-tour et repartit vers Ashton. Elle n'alla pas dire au revoir à Will, à Thomas ou à Winifred, en partie parce qu'elle ne voulait pas prendre le risque que Siobhan s'intéresse à eux et en partie parce qu'elle était sûre qu'ils verraient d'une façon ou d'une autre ce qu'il allait falloir qu'elle fasse par la suite et qu'ils auraient honte d'elle pour cette raison.

Kate avait honte. Elle détestait ce qu'elle allait faire et le fait de n'avoir aucun choix. Elle devait se contenter d'espérer que ce n'était qu'une mise à l'épreuve et que Siobhan l'arrêterait à temps.

“Il faut que je le fasse”, se dit-elle en marchant. “Il le faut.”

Oui, lui murmura la voix de Siobhan, il le faut.

CHAPITRE DEUX

Sophia repartit vers le camp qu'elle avait dressé avec les autres. Elle ne savait pas quoi faire, quoi penser, ni même quoi ressentir. Dans l'obscurité, il fallait qu'elle se concentre sur chaque pas qu'elle faisait mais, en vérité, elle n'arrivait pas à se concentrer, pas après tout ce qu'elle venait de découvrir. Elle trébuchait sur les racines, se tenait aux arbres pour ne pas tomber tout en essayant de donner un sens à cette nouvelle. Elle sentait les feuilles se prendre dans ses longs cheveux roux et l'écorce dessiner des rayures vert mousse sur sa robe.

La présence de Sienne la calmait. La chatte de la forêt se poussait contre ses jambes, la ramenait vers l'endroit où se trouvait le chariot et le cercle de lumière qu'émettait le feu de camp semblait être le seul lieu de sécurité dans un monde qui avait soudain perdu ses fondations. Cora et Emeline étaient là. L'ex-domestique liée par contrat synallagmatique au palais et la femme frêle qui avait le talent de lire dans les pensées regardaient Sophia comme si elle s'était transformée en fantôme.

A ce moment-là, Sophia n'était pas sûre de ne pas en être devenue un. Elle se sentait désincarnée, irréelle, comme si le moindre souffle pouvait l'envoyer voler dans une dizaine de directions différentes sans qu'elle puisse jamais retrouver sa cohérence passée. Sophia savait que son retour au camp entre les arbres devait lui avoir donné l'air d'une sauvage. Assise contre une des roues du chariot, elle regardait dans le vide pendant que Sienne se blottissait contre elle presque à la manière d'une chatte domestique, pas de la grande prédatrice qu'elle était.

“Que se passe-t-il ?” demanda Emeline. Est-ce qu'il t'est arrivé quelque chose ? ajouta-t-elle mentalement.

Cora s'approcha aussi de Sophia et lui toucha l'épaule. “Y a-t-il un problème ?”

“Je …” Sophia rit, bien que le rire soit tout sauf une réaction appropriée à ce qu'elle ressentait. “Je crois que je suis enceinte.”

Quelque part au milieu de ces paroles, le rire se transforma en larmes et, quand elles commencèrent à couler, Sophia ne put plus les arrêter. Elles se déversèrent et même elle n'aurait pas pu dire si elles étaient des larmes de joie ou de désespoir, des larmes de tension à l'idée de tout ce qui l'attendait peut-être ou dues à tout à fait autre chose.

Les autres s'approchèrent et la prirent dans leurs bras pendant qu'elle voyait le monde flou dans la brume de ses émotions.

“Ça ira”, dit Cora. “On se débrouillera.”

Sophia ne voyait pas comment elles allaient pouvoir y arriver.

“C'est Sebastian le père ?” demanda Emeline.

Sophia hocha la tête. Comment aurait-il pu y avoir quelqu'un d'autre ? Alors, elle comprit … Emeline pensait à Rupert et demandait si sa tentative de viol était allée plus loin qu'elles ne le pensaient.

“Sebastian …” réussit à dire Sophia. “Je n'ai jamais couché qu'avec lui. C'est son enfant.”

Leur enfant. Ou du moins il le serait un jour.

“Que vas-tu faire ?” demanda Cora.

C'était la question à laquelle Sophia n'avait pas de réponse. C'était la question qui menaçait de la submerger une fois de plus et qui semblait la faire pleurer dès qu'elle tentait de l'envisager. Elle n'arrivait pas à imaginer ce qui se passerait ensuite. Elle était incapable de supposer comment les choses allaient se dérouler.

Cela dit, elle faisait de son mieux pour y réfléchir. Dans un monde idéal, elle et Sebastian seraient maintenant mariés et elle aurait trouvé qu'elle était enceinte entourée par des gens qui l'aideraient, dans une maison chaude et sûre où elle pourrait bien élever son enfant.

En fait, elle était dehors, dans le froid et l'humidité et, quand elle avait appris la nouvelle, elle n'avait eu que Cora et Emeline à qui le dire, sans même que sa sœur soit là pour l'aider.

Kate ? dit-elle par télépathie dans l'obscurité. Tu m'entends ?

Il n'y eut aucune réponse. Peut-être était-ce dû à la distance ou peut-être Kate était-elle trop occupée pour répondre. Peut-être y avait-il une dizaine d'autres causes parce que, en vérité, Sophia connaissait trop imparfaitement le talent qu'elle partageait avec sa sœur pour savoir ce qui était susceptible de le limiter. Tout ce qu'elle savait, c'était que l'obscurité avalait ses paroles aussi sûrement que si elle les avait simplement hurlées.

“Peut-être Sebastian viendra-t-il te chercher”, dit Cora.

Emeline la regarda d'un air incrédule. “Crois-tu vraiment que cela va se passer comme ça ? Qu'un prince va venir chercher une fille qu'il a engrossée ? Qu'il va ne serait-ce que penser à elle ?”

“Sebastian n'est pas comme la plupart des occupants du palais”, dit Sophia. “Il est gentil. C'est un homme bon. Il —”

“Il t'a chassée”, signala Emeline.

Sophia ne pouvait pas dire le contraire. Quand Sebastian avait découvert que Sophia lui avait menti, il n'avait pas vraiment eu le choix, mais il aurait pu essayer de trouver un moyen de contourner les objections que sa famille aurait présentées, ou il aurait pu partir à sa recherche.

C'était agréable de se dire qu'il essayait peut-être de la retrouver mais était-ce si envisageable que ça ? Était-il réaliste d'espérer qu'il allait peut-être traverser le pays pour aller retrouver une personne qui l'avait trompé sur tout, même sur son identité ? Se croyait-elle dans une chanson où le prince galant partait par monts et par vaux pour retrouver celle qu'il aimait ? Ce n'était pas comme ça que le monde fonctionnait. L'histoire regorgeait de bâtards royaux. Un de plus ou un de moins, quelle importance ?

“Tu as raison”, dit-elle. “Je ne peux pas m'attendre à ce qu'il me recherche. Sa famille ne le permettrait pas, même s'il comptait le faire. Mais il faut que j'espère parce que, sans Sebastian … je ne crois pas que je pourrai faire ça sans lui.”

“Il y a des gens qui élèvent des enfants seuls”, dit Emeline.

Il y en avait, mais est-ce que Sophia pouvait en faire partie ? Elle savait qu'elle ne pourrait jamais, jamais confier un enfant à un orphelinat après tout ce qu'elle avait subi à la Maison des Oubliés. Pourtant, comment pouvait-elle espérer élever un enfant alors qu'elle n'arrivait même pas à trouver un endroit où vivre en sécurité ?

Peut-être y avait-il aussi des réponses à cette question qui l'attendaient ailleurs. La grande maison n'était pas visible maintenant, dans l'obscurité, mais Sophia savait qu'elle était là-bas et qu'elle l'attirait en lui promettant de lui révéler ses secrets. C'était l'endroit où ses parents avaient vécu et dont les couloirs hantaient encore ses rêves avec leurs flammes à moitié oubliées.

Elle s'y rendait pour essayer de découvrir la vérité sur qui elle était et sur la place qu'elle occupait dans le monde. Peut-être ces réponses lui apporteraient-elles assez de stabilité pour qu'elle puisse élever son enfant. Peut-être lui donneraient-elles un lieu où tout irait bien. Peut-être pourrait-elle même appeler Kate, dire à sa sœur qu'elle avait trouvé un endroit pour elles toutes.

“Tu … as plusieurs possibilités”, dit Cora, dont l'hésitation suggéra ce que ces possibilités pouvaient être avant même que Sophia ne lise dans ses pensées.

“Tu veux que je me débarrasse de mon enfant ?” dit Sophia. Rien qu'à cette idée … elle n'était pas sûre d'en être capable. Comment pourrait-elle faire une chose pareille ?

“Je veux que tu fasses ce que tu penses être le mieux”, dit Cora. Elle mit la main dans une bourse qu'elle avait à la ceinture, à côté de celles qui contenaient du maquillage. “C'est de la poudre de rakkas. Toutes les femmes liées par contrat synallagmatique apprennent vite son existence parce qu'elle ne peuvent rien refuser à leur maître et parce que l'épouse de leur maître ne veut pas de l'enfant d'une autre femme.”

Dans ce que Cora disait, Sophia sentait une douleur et une amertume qu'une partie d'elle-même voulait comprendre. Instinctivement, elle lut dans les pensées de Cora et y trouva de la douleur, de l'humiliation, un noble qui était entré dans la mauvaise pièce par erreur pendant une fête.

Il y a des choses dans lesquelles même nous ne devrions pas nous immiscer, lui dit Emeline par télépathie. L'expression de son visage ne révélait rien de ce qu'elle sentait mais Sophia comprenait qu'elle désapprouvait son attitude. Si Cora veut nous le dire, elle le fera.

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