— Oh ? Et qu’est-ce qu’il a dit ? demanda Emily avec curiosité.
— C’est encore son dos, dit Daniel. Jack s’était blessé au travail il n’y avait pas si longtemps et n’avait pas récupéré depuis. Tu sais à quel point ça lui cause des problèmes. Eh bien, sa femme a finalement réussi à le convaincre de réduire ses heures de travail. Elle a hérité d’un peu d’argent et veut qu’ils prennent une retraite anticipée, partent en croisière dans les Caraïbes, ce genre de choses.
Emily fronça les sourcils.
— Ta nouvelle excitante est que Jack et sa femme vont partir en croisière ?
Daniel rit.
— Oui !
— Je ne comprends pas, ajouta-t-elle, en regardant avec perplexité les expressions excitées de Chantelle et d’Amy. C’est quoi la blague ? Qu’est-ce que je rate ?
Daniel poursuivit.
— Penses-y, l’encouragea-t-il. Il aura besoin de quelqu’un pour gérer l’atelier en son absence. De quelqu’un pour s’occuper du magasin.
— Tu veux dire… toi ? s'exclama Emily.
Chantelle ne pouvait plus se contenir. Sa joie éclata.
— Papa a eu une promotion !
Emily mit la main devant la bouche.
— C’est incroyable ! cria-t-elle. Tu le mérites.
Elle n’en croyait pas ses yeux et sauta de son tabouret, se mit derrière Daniel et le serra dans ses bras.
Daniel rougit timidement. Il n’était pas du genre à accepter les compliments.
— Il va me donner une augmentation et un nouveau poste. Mais cela voudra dire plus d’heures, ajouta-t-il, l’air très sérieux. Il faudra que je sois le premier à ouvrir et le dernier à être là le soir pour bien tout fermer. Il y a des équipements et des produits chers et Jack ne laisse jamais personne d’autre fermer à clef, alors c’est assez important pour lui de me confier les rênes. J’aurai donc un rythme de travail très inhabituel. Jack n’avais jamais de souci à aller à l’atelier et à en partir à n’importe quelle heure, mais maintenant qu’on s’attend à ce que je fasse la même chose, ce sera un ajustement.
Emily ne voulait pas encore penser aux inconvénients possibles de la bonne nouvelle. De longues journées de travail, des responsabilités supplémentaires en matière de sûreté et de sécurité, et le stress inévitable que cela allait lui causer étaient des choses auxquelles elle devait faire face au fur et à mesure. Pour l’instant, elle voulait profiter de la bonne nouvelle.
— Je suis si fière de toi, dit-elle en déposant un baiser au sommet de sa tête.
— Tu devrais faire quelque chose pour fêter ça, dit Amy de l’autre côté de la table de bar.
— Définitivement, convint Emily.
— Je pense qu’on devrait aller à la plage ! suggéra Chantelle.
— Eh bien, tant que le temps est comme ça, je ne vois pas pourquoi nous n’irions pas, dit Emily. On ne devrait pas gâcher l’occasion.
Chantelle agita un poing dans l’air. Elle adorait la plage, l’extérieur en général. Chaque fois qu’elle avait l’occasion de courir et de sprinter dans la nature, elle la saisissait avec avidité.
— Amy ? demanda Emily. Tu te joins à nous ?
Amy consulta sa montre.
— En fait, je suis censé retrouver Harry bientôt, donc je n’aurai pas le temps.
Emily ne pouvait pas en être sûre, mais elle pensait avoir décelé quelque chose dans le ton de son amie, une sorte d’exaspération. Elle se demandait s’il y avait un problème entre elle et Harry.
Mais elles n’avaient pas le temps d’en discuter maintenant. La famille Morey était en pleine action, Chantelle s’était précipitée à la recherche des laisses des chiens, Daniel ouvrait les portes des placards et sortait des sacs, des briquettes de jus et des snacks.
Emily toucha la main d’Amy de l’autre côté de la table.
— On parlera plus tard, dit-elle.
Amy hocha de la tête, l’air un peu déprimée. Puis Emily fut emportée dans le chaos de sa famille, comme une tornade qui l’entraînait dans son sillage.
— Allons-y ! À la plage !
CHAPITRE DEUX
La plage était d’une beauté époustouflante sous le soleil. Emily avait du mal à croire qu’il fasse si beau à cette époque de l’année. Il faisait aussi chaud et c’était aussi lumineux que n’importe quel jour d’été.
Ils se promenaient ensemble, laissant les deux chiens en liberté pour qu’ils puissent courir devant eux et aboyer sur les vagues.
Une fois qu’ils eurent trouvé un bon endroit pour s’installer, Daniel aida Emily à se mettre par terre. Elle s’assit jambes croisées, son ventre rond blotti confortablement entre ses cuisses. Chantelle s’était éloignée, pleine d’exubérance vis-à-vis de ce qui semblait être leur dernière chance de profiter de la plage cette année.
Daniel prit la main d’Emily et la caressa tendrement.
— Que penses-tu de ma promotion ? demanda-t-il. Tu t’inquiètes des heures supplémentaires qui me garderont loin de chez nous ?
— Eh bien, de combien de temps parlons-nous ? demanda Emily. Elle était maintenant prête à en savoir plus sur les subtilités, à envisager les défis auxquels ils pourraient être confrontés.
— Jack ouvre le magasin à huit heures, commença-t-il. Ce n’est pas le problème, vraiment. J’ai l’habitude de commencer mes journées tôt et ça ira bien avec les horaires de l’école. C’est l’atelier de menuiserie qui est le plus gros problème. Il y a des moments où nous recevons une grosse commande et où nous n’avons pas beaucoup de temps pour l’exécuter. Avant, quand je n’étais qu’un salarié, je n’en étais qu’un parmi tant d’autres et, tout au plus, cela ajoutait une heure ou deux de plus à chaque journée de travail. Nous pouvions répartir la charge. Mais comme c’est moi qui superviserai l’utilisation de l’équipement et qui serai le seul responsable de la qualité, je vais devoir être sur place pour chaque commande, et tout suivre jusqu’à son terme, tout comme Jack le faisait auparavant. Tu sais à quel point les journées pouvaient être longues de toute façon. Maintenant, je ne ferai plus partie de l’équipe. J’en aurai la charge, et on attend de moi que je sois là pendant les périodes d’activité intense.
Plus Daniel en parlait, plus Emily sentait son anxiété augmenter. La promotion tombait plutôt mal. L’idée que Daniel ne soit pas là quand le travail commencerai l’inquiétait. Et le congé paternité ? Pourrait-il en obtenir un ?
Mais au-delà de son anxiété, elle débordait de bonheur pour lui. Elle était aussi extrêmement fière de Daniel et ne voulait pas le décourager. Il avait tant accompli depuis qu’elle l’avait connu. Et en plus, elle avait Amy là pour prendre le relais.
— Je suis juste si heureuse pour toi, dit-elle. Tu le mérites, après tout ton travail acharné.
— L’augmentation nous serait à coup sûr utile, répondit Daniel, sa main libre touchant doucement le ventre d’Emily. Puisque nous aurons bientôt plus de bouches à nourrir.
Emily sourit et soupira de satisfaction. Malgré les difficultés auxquelles elle était confrontée, elle attendait impatiemment l’avenir et de rencontrer la petite Charlotte.
Quand Daniel reparla, il eut l’air un peu mélancolique.
— Plus de responsabilités, c’est plus de stress. J’espère que j’aurai encore assez d’énergie pour passer du temps avec les enfants.
— Tu feras des merveilles, l’encouragea Emily. Je sais que tu le feras.
Même si elle était mesure de jouer le rôle d’épouse supportrice à l’extérieur, Emily était toujours très inquiète concernant le changement de poste de Daniel. Il avait tendance à laisser le stress l’affecter, ou à se sentir accablé par les attentes qu’il percevait. C’était quelque chose qu’elle admirait chez lui. Mais cela pouvait aussi se faire au détriment de la famille, car il avait parfois l’impression de devoir faire passer tout le reste du monde avant eux. Il n’était pas toujours aisé pour Emily de se rappeler que la raison même pour laquelle il faisait parfois passer d’autres choses en premier, c’était pour elles – elle, Chantelle, l’auberge et, bien sûr, la petite Charlotte.
— Je me demande pourquoi Jack n’a pas promu l’un des autres, se demanda Daniel à haute voix. Je suis relativement nouveau là-bas comparé à certains des anciens.
— Probablement parce que tu es jeune, dit Emily. Parce que tu travailles dur pour ta famille. Ou peut-être parce qu’il sait que tu as le talent pour le faire tout seul.
Daniel fronça les sourcils.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Je veux dire que tu pourrais facilement ouvrir ton propre atelier de menuiserie. Ce n’est pas comme si nous n’avions pas l’espace nécessaire quelque part sur place. On pourrait convertir une des granges, après tout. Et maintenant tu as une sacrée expertise dans la fabrication de meubles. Je veux dire, tu as fait le berceau pour Charlotte pendant ton temps libre et il est phénoménal ! Les gens paieraient cher pour quelque chose comme ça, un berceau unique pour leur bébé. Tu n’as qu’à regarder le prix de ma chaise d’allaitement pour voir ça ! Elle rit en se souvenant des milliers de dollars qu’Amy avait dépensés pour le fauteuil à bascule et le pouf pour elle.
Daniel, d’un autre côté, était silencieux. Son expression était un peu rêveuse et lointaine.
— À quoi penses-tu ? lui demanda Emily.
Il reprit ses esprits.
— Je pense juste que tu as peut-être raison de dire que Jack m’a promu pour me garder au lieu de me perdre.
— Que j’ai peut-être raison ? plaisanta Emily. J’ai tout à fait raison ! Tu pourrais diriger une entreprise de fabrication de meubles sur mesure pour enfants. Ou tu pourrais même construire des bateaux si tu le voulais. Tu as le talent pour faire tout ce que tu veux.
C’était si évident pour Emily, mais Daniel avait l’air stupéfait, comme si cette pensée ne lui avait jamais traversé l’esprit.
— Je n’y avait jamais vraiment pensé de cette façon, dit-il. C’est juste un boulot pour moi, tu sais.
— Juste un boulot ! Tu es parfois trop humble pour ton propre bien, poursuit Emily. Combien de personnes ont ce genre de capacités, d’après toi ? Tu as du talent, Daniel. Tu dois juste penser plus grand parfois.
Au lieu d’être encouragé par ses paroles, Daniel parut alors se rétracter.
— Je vois grand, marmonna-t-il, sur la défensive. Je ne suis juste pas aussi bon que tu sembles le penser.
— Ce n’est pas que moi, lui dit Emily, doucement. Jack le pense clairement aussi.
Elle n’avait pas eu l’intention d’insister si fort. Elle voulait seulement que Daniel comprenne qu’il avait un talent et que cela pouvait le mener loin. Mais il semblait fléchir, se dégonfler sous le poids de sa perception.
Silencieusement, il tourna le visage vers le sable, puis se mit à ramasser des cailloux et à les jeter sur la plage.
C’est à ce moment-là que le portable d’Emily se mit à sonner. Elle soupira, d’un côté soulagée d’avoir été sauvée par le gong, mais de l’autre frustrée d’être privée de la chance d’aller au fond de l’apparent changement d’humeur de Daniel.
Elle fouilla dans son sac et attrapa son téléphone portable. Avec surprise, elle vit que l’appelant était l’agent immobilier responsable de l’île. Il lui clignotait comme un phare.
— C’est eux ! s’exclama-t-elle à haute voix, sentant l’excitation monter dans sa poitrine.
Daniel leva brusquement les yeux de là où il avait jeté des cailloux. De la rive, Chantelle se retourna au son de la voix d’Emily.
— C’est le courtier !
Emily appela Chantelle à l’autre bout de la plage.
Les deux chiens reflétaient les mouvements de Chantelle, tous les trois traversant la plage en direction d’Emily, soulevant des nuages de sable derrière eux.
Une fois arrivée à Emily, Chantelle s’arrêta en dérapant et les chiens coururent autour d’eux en cercles, l’eau de mer salée imbibant leur fourrure, tout en jappant, leur sens instinctif de compréhension leur indiquant que quelque chose d’excitant allait se produire.
Emily répondit à l’appel, le souffle court, et mit directement le haut-parleur. La famille se pressa en avant, regardant le téléphone avec impatience. C’était comme si le petit bloc de plastique tenait tout leur avenir en son pouvoir.
— Nous sommes tous là, expliqua Emily. Sur des charbons ardents. Alors, quelles sont les nouvelles ?
Depuis qu’ils avaient fait leur offre, Emily s’était préparée au pire. En fait, elle s’était convaincue que cela ne se réaliserait pas, qu’ils n’auraient pas l’île. Ce n’était pas le genre de chose qui arrivait aux gens normaux. Mais malgré qu’elle se soit répétée à maintes reprises que cela n’arriverait pas, elle n’avait pas réussi à étouffer ce petit soupçon d’excitation en elle, cette lueur d’espoir qui défiait la partie pessimiste de son esprit avec le simple mantra, et si… ?
Le courtier parla, la voix crépitante sur la ligne.
— De bonnes nouvelles, dit-elle. Votre offre a été acceptée. L’île est à vous !
Emily ne pouvait pas croire ce qu’elle venait d’entendre. Les parasites sur la ligne lui avaient-ils fait entendre ce qu’elle voulait ? Mais quand elle regarda Daniel dans les yeux, elle les vit scintiller de surprise et d’euphorie. Lorsque Chantelle bondit dans les airs et se mit à sautiller en agitant les bras, Emily sut qu’il n’y avait aucun doute.
Les chiens commencèrent à aboyer face à l’agitation de Chantelle, bondissant avec leurs pattes détrempées, laissant des marques de sable mouillé partout sur ses vêtements.
— Vraiment ? bégaya Emily en s’efforçant d’entendre la ligne crépitante à travers le vacarme. On l’a vraiment ?
— Vous l’avez vraiment fait, répondit le courtier. Emily pouvait entendre le sourire dans sa voix. Bien sûr, il y a encore des papiers à signer et à remplir. Mais vous êtes la bienvenue pour une visite en attendant. Elle finit avec un petit rire.
Emily était si stupéfaite qu’elle en avait perdu ses mots. Daniel prit le relais, se penchant plus près du téléphone portable entre eux.
— Vous voulez dire qu’on peut y aller maintenant ? demanda-t-il, le regard fixé sur Emily plutôt que sur le téléphone. En tant que propriétaires officiels ?
Depuis le haut-parleur, la voix du courtier se fit entendre, petite et robotique.
— Vous pouvez le faire.
Chantelle s’accroupit alors et passa les bras autour du cou de son père, si exubérante qu’elle le fit presque tomber par terre.
— On va sur l’île maintenant ? lui cria-t-elle à l’oreille.
Daniel grimaça, mais il arborait un grand sourire. Les bras de Chantelle étaient enroulés autour de son cou comme les tentacules d’une pieuvre et il leva les mains pour desserrer sa prise tout en levant les sourcils vers Emily.
— Qu’en penses-tu ? Et si nous y allions pour la voir en tant que ses propriétaires ?
Emily toucha son ventre, sentant la forme de la petite Charlotte à l’intérieur. Elle devenait de plus en plus protectrice au fil des semaines, et ne voulait pas soumettre son enfant en pleine croissance à quoi que ce soit de désagréable. Mais la mer était calme aujourd’hui, et elle était certaine qu’elle n’aurait pas le mal de mer pendant le trajet.
— Allons-y, dit-elle.
Chantelle cria avec joie.
Daniel se pencha vers le téléphone, criant presque maintenant à cause du bruit des chiens et des enfants, tandis que Chantelle le tirait sans ménagement dans tous les sens tant elle était excitée.
— Vous nous avez rendus extrêmement heureux, dit-il au courtier. Merci pour tout.
— De rien, monsieur Morey, répondit le courtier.
Ils raccrochèrent et Emily et Daniel se rassirent avec les expressions stupéfaites équivalentes, tous deux l’air aussi étourdis l’un que l’autre alors qu’ils commençaient à intégrer leur nouvelle réalité. Chantelle courait à toute allure, jetant leurs affaires n’importe comment dans un sac, se déplaçant comme si elle était en avance rapide.
— Allez, gémit-elle. Allons-y !
Daniel passa à l’action, se mit debout et aida Emily à se relever. Le port était à une courte distance à pied, mais Emily savait qu’elle devait y aller doucement. Chantelle courut devant avec les chiens, s’arrêtant périodiquement pour se dépêcher de revenir, doublant ainsi la distance qu’elle parcourait par rapport à Daniel et Emily.