La Mort et Un Chien - Грейс Фиона 4 стр.


Et c’est ainsi que tout le plan s’était mis en place. Lacey avait acheté le sextant (et la console, qu’elle avait laissé tomber dans son excitation et qu’elle avait presque oublié de reprendre), décidé d’un thème naval, puis s’était mise au travail en organisant la vente aux enchères et en faisant circuler l’information à ce sujet.

Le son de la cloche au-dessus de la porte tira Lacey de sa rêverie. Elle leva les yeux pour voir sa voisine Gina, vêtue d’un cardigan et aux cheveux gris, entrer avec Boudicca, son border collie, sur ses talons.

— Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda Lacey. Je pensais qu’on se voyait pour déjeuner.

— C’est le cas ! répondit Gina en montrant la grande horloge en laiton et en fer forgé accrochée au mur.

Lacey jeta un coup d’œil. Avec tout ce qui se trouvait dans le “coin nordique”, l’horloge faisait partie de ses éléments décoratifs préférés dans le magasin. C’était un objet ancien (bien évidemment), et on aurait dit qu’elle avait été autrefois fixée à la façade d’une maison de correction victorienne.

— Oh ! s’exclama Lacey en remarquant enfin l’heure. Il est une heure et demie. Déjà ? La journée passe vite.

C’était la première fois que les deux amies avaient prévu de fermer boutique pendant une heure et de prendre un véritable déjeuner ensemble. Et par “prévu”, ce qui s’était vraiment passé, c’est que Gina avait fait boire trop de vin à Lacey un soir et lui avait forcé la main jusqu’à ce qu’elle cède et accepte. Il était vrai que presque tous les habitants et les visiteurs de la ville de Wilfordshire passaient de toute façon l’heure du déjeuner dans un café ou un pub, plutôt que de parcourir les rayons d’un magasin d’antiquités, et que la fermeture d’une heure ne risquait pas de nuire au commerce de Lacey, mais maintenant que Lacey avait appris que c’était un lundi férié, elle commençait à avoir des hésitations.

— Peut-être que ce n’est pas une bonne idée après tout, dit Lacey.

Gina mit ses mains sur ses hanches.

— Pourquoi ? Quelle excuse as-tu trouvée cette fois-ci ?

— Eh bien, je n’avais pas réalisé que c’était un jour férié aujourd’hui. Il y a des tonnes de gens en plus que d’habitude.

— Des tonnes de personnes en plus, pas des tonnes de clients en plus, dit Gina. Parce que chacun d’entre eux sera assis dans un café ou un pub ou un café-restaurant dans une dizaine de minutes, comme nous devrions l’être ! Allez, Lacey. On en a déjà parlé. Personne n’achète d’antiquités pendant l’heure du déjeuner !

— Mais si certains d’entre eux sont des Européens ? dit Lacey. Tu sais qu’ils font tout plus tard sur le continent. S’ils dînent à 21 ou 22 heures, à quelle heure déjeunent-ils ? Probablement pas à une heure !

Gina la prit par les épaules.

— Tu as raison. Mais ils passent l’heure du déjeuner à faire une sieste à la place. S’il y a des touristes européens, ils seront en train de dormir pendant l’heure qui suit. Pour le dire avec des mots que tu puisses comprendre, pas en en train de faire du shopping dans un magasin d’antiquités !

— OK, très bien. Donc les Européens vont être en train de dormir. Mais et s’ils viennent de plus loin et que leurs horloges biologiques sont toujours désynchronisées, qu’ils n’ont alors pas faim pour le déjeuner et ont envie d’acheter des antiquités à la place ?

Gina croisa juste les bras.

— Lacey, dit-elle d’une manière maternelle. Tu as besoin d’une pause. Tu vas t’user jusqu’à la corde si tu passes chaque minute de chaque jour entre ces quatre murs, aussi artistiquement décorés soient-ils.

Lacey plissa les lèvres. Puis elle posa le sextant sur le comptoir et se dirigea vers l’espace de vente.

— Tu as raison. Quel mal une heure peut-elle vraiment faire ?

C’étaient des mots que Lacey allait bientôt regretter.

CHAPITRE TROIS

— Je mourrais d’envie de visiter le nouveau salon de thé, dit Gina avec exubérance, alors qu’elle et Lacey se promenaient sur le front de mer, pendant que leurs compagnons canins s’élançaient dans les vagues en remuant la queue avec excitation.

— Pourquoi ? demanda Lacey. Qu’est-ce qu’il a de si bien ?

— Rien de particulier, répondit Gina. Elle baissa la voix. C’est juste que j’ai entendu dire que le nouveau propriétaire était un ex-catcheur pro ! J’ai hâte de le rencontrer.

Lacey ne pouvait pas s’en empêcher. Elle inclina la tête en arrière et rit bruyamment de l’absurdité de cette rumeur. Mais, il n’y avait pas si longtemps, tout le monde à Wilfordshire pensait qu’elle était peut-être une meurtrière.

— Et si on prenait ce ouï-dire avec des pincettes ? suggéra-t-elle à Gina.

Son amie la “pfft”, et toutes deux se mirent à glousser.

La plage avait l’air particulièrement attrayante avec ces températures plus clémentes. Il ne faisait pas assez chaud pour bronze ou patauger, mais beaucoup plus de gens commençaient à marcher le long de la plage et à acheter des glaces auprès des camionnettes. En chemin, les deux amies se mirent à bavarder et Lacey raconta à Gina tout l’appel téléphonique de David et l’histoire touchante de l’homme et de la ballerine. Puis elles arrivèrent au salon de thé.

Il se trouvait dans ce qui avait autrefois été un garage à canoés, un emplacement de choix en bord de mer. Les anciens propriétaires avaient été ceux qui l’avaient reconverti, transformant l’ancienne remise en un café un peu miteux – ce qu’on appelait en Angleterre un “boui-boui” lui avait appris Gina. Mais le nouveau propriétaire en avait grandement amélioré le design. Il avait nettoyé la façade en briques, enlevant les traces de fientes de mouettes qui étaient probablement là depuis les années 50. Il avait mis une ardoise noire à l’extérieur, affichant café biologique dans l’écriture manuscrite d’un lettreur professionnel. Et les portes en bois d’origine avaient été remplacées par une en verre brillant.

Gina et Lacey s’approchèrent. La porte s’ouvrit automatiquement, comme pour les inviter à l’intérieur. Elles échangèrent un regard et entrèrent.

Elles furent accueillies par l’odeur très forte des grains de café frais, suivie par un parfum de bois, de terre humide et de métal. Le vieux carrelage blanc du sol au plafond avait disparu, ainsi que les box roses en vinyle et le sol en lino. Maintenant, toutes les briques anciennes avaient été exposées et le vieux plancher avait été verni avec une teinture foncée. Dans le même esprit rustique, toutes les tables et les chaises semblaient avoir été fabriquées à partir des planches de bateaux de pêche récupérés – ce qui expliquait l’odeur du bois – et des tuyaux en cuivre dissimulaient toute l’installation électrique de plusieurs grosses ampoules de style Edison qui pendaient du haut plafond – ce qui expliquait l’odeur métallique. L’odeur de terre était causée par le fait que chaque centimètre carré d’espace libre contenait un cactus.

Gina saisit le bras de Lacey et murmura, mécontente :

— Oh non. C’est… branché !

Lacey avait récemment appris lors d’une expédition pour acheter des antiquités à Shoreditch à Londres que branché n’était pas un compliment à utiliser à la place d’élégant, mais qu’il avait plutôt un sous-entendu frivole, prétentieux et arrogant.

— J’aime ça, répliqua Lacey. C’est très bien conçu. Même Saskia serait d’accord.

— Attention. Tu ne voudrais pas te faire piquer, ajouta Gina, faisant un mouvement d’esquive exagéré pour éviter un gros cactus à l’aspect piquant.

Lacey lui lança un tsss et se rendit au comptoir, qui était fait de bronze poli, et avait une vieille machine à café assortie qui devait sûrement être ornementale. Malgré ce que Gina avait entendu, il n’y avait pas un seul homme qui ressembla à un catcheur debout derrière, mais une femme avec une coupe au carré déstructurée, teinte en blond et un débardeur blanc qui soulignait sa peau dorée et ses biceps saillants.

Gina vit le regard de Lacey et fit un signe de tête aux muscles de la femme dans un tu vois, je te l’avais dit.

— Que puis-je vous servir ? demanda la femme avec l’accent australien le plus prononcé que Lacey ait jamais entendu.

Avant que Lacey n’ait pu demander un cortado, Gina lui donna un coup de coude dans les côtes.

— Elle est comme toi ! s’exclama Gina. Une Américaine !

Lacey ne put s’empêcher de rire.

— Hum… non, elle ne l’est pas.

— Je viens d’Australie, corrigea la femme avec bonhomie.

— Vraiment ? demanda Gina, l’air perplexe. Mais vous parlez exactement comme Lacey pour moi.

Le regard de la femme blonde se reposa instantanément sur Lacey.

— Lacey ? répéta-t-elle, comme si elle avait déjà entendu parler d’elle. Vous êtes Lacey ?

— Euh… ouais… dit Lacey. Il était assez bizarre pour elle que cette étrangère la connaisse, d’une façon ou d’une autre.

— Vous possédez le magasin d’antiquités, c’est ça ? ajouta la femme, en posant le petit bloc-notes qu’elle tenait et en glissant son crayon derrière son oreille. Elle tendit la main.

Encore plus déconcertée, Lacey hocha la tête et prit la main qu’on lui tendait. La femme avait une forte poigne. Lacey se demanda brièvement si les rumeurs par rapport au catch avaient quelque chose de vrai après tout.

— Désolée, mais comment savez-vous qui je suis ? l’interrogea Lacey, alors que la femme levait et baissait vigoureusement le bras avec un large sourire.

— Parce que chaque local qui vient ici et qui se rend compte que je suis une étrangère me parle immédiatement de vous ! Comment vous avez aussi déménagé de l’étranger pour venir ici toute seule. Et comment vous avez créé votre propre magasin à partir de rien. Je pense que tout le Wilfordshire nous encourage à devenir les meilleures amies.

Elle serrait encore vigoureusement la main de Lacey, et quand cette dernière parla, sa voix trembla à cause des vibrations.

— Alors vous êtes venue au Royaume-Uni seule ?

Finalement, la femme lâcha sa main.

— Ouais. J’ai divorcé de mon mari, puis j’ai réalisé que divorcer de lui ne suffisait pas. Vraiment, j’avais besoin d’être de l’autre côté de la planète par rapport à lui.

Lacey ne put s’empêcher de rire.

— Pareil. Enfin, similaire. New York n’est pas exactement autre bout du monde, mais vu comme est le Wilfordshire, parfois on a l’impression que ça pourrait tout aussi bien l’être.

Gina se racla la gorge.

— Je peux avoir un cappuccino et un sandwich au thon ?

La femme sembla se rappeler soudainement que Gina était là.

— Oh. Je suis désolée. Où sont mes bonnes manières ? Elle tendit sa main à Gina. Je suis Brooke.

Gina ne croisa pas son regard. Elle serra mollement la main de Brooke. Lacey perçut les vibrations de jalousie qu’elle émettait et ne put s’empêcher de sourire en son for intérieur.

— Gina est ma partenaire de crime, dit Lacey à Brooke. Elle travaille avec moi dans mon magasin, m’aide à trouver du stock, emmène mon chien pour des sorties, me transmet toute sa sagesse en matière de jardinage, et m’a généralement permis de rester saine d’esprit depuis que je suis arrivée à Wilfordshire.

La moue jalouse de Gina fut remplacée par un sourire penaud.

Brooke sourit.

— J’espère avoir ma propre Gina aussi, plaisanta-t-elle. C’est un plaisir de vous rencontrer toutes les deux.

Elle reprit le crayon derrière son oreille, ce qui permit à ses cheveux blonds et lisses de se remettre en place.

— Alors, ce sera un cappuccino et un sandwich au thon… dit-elle en prenant note. Et pour vous ? Elle regarda Lacey, dans l’expectative.

— Un cortado, dit Lacey en regardant le menu. Elle parcourut rapidement tout ce qui était proposé. Il y avait un large éventail de plats à l’air très savoureux, mais en réalité le menu se composait uniquement de sandwiches aux descriptions fantaisistes. Celui au thon que Gina avait commandé était en fait un “croque-monsieur au thon rouge et au cheddar fumé au bois de chêne”. Hum… La baguette à la purée d’avocat.

Brooke nota la commande.

— Et pour vos amis à quatre pattes ? ajouta-t-elle, pointant son crayon entre les épaules de Gina et Lacey vers l’endroit où Boudicca et Chester tournaient en rond dans leur tentative de se renifler l’un l’autre. Un bol d’eau et des croquettes ?

— Ce serait génial, dit Lacey, impressionnée de voir à quel point la femme était arrangeante.

Elle ferait une excellente hôtelière, pensa Lacey. Peut-être travaillait-elle dans l’hôtellerie en Australie ? Ou peut-être était-elle juste gentille. Dans tous les cas, elle avait fait une bonne première impression à Lacey. Peut-être les habitants du Wilfordshire obtiendraient-ils ce qu’ils voulaient et que toutes deux deviendraient de bonnes amies. Lacey avait toujours besoin de plus d’alliés !

Elle et Gina partirent choisir une table. Parmi les meubles de terrasse vintage, elles avaient le choix entre s’asseoir à une table faite d’une porte, avec des trônes réalisés dans des souches d’arbres, ou d’une des alcôves, qui étaient faites de moitié de barques sciées et remplies d’oreillers. Elles choisirent l’option la plus sûre – une table de pique-nique en bois.

— Elle a l’air absolument charmante, dit Lacey en se glissant sur le banc.

Gina haussa les épaules et se laissa tomber sur le banc d’en face.

— Meh. Elle avait l’air d’être OK.

Elle avait recommencé à bouder jalousement.

— Tu sais que tu es ma préférée, dit Lacey à Gina.

— Pour l’instant. Et quand toi et Brooke deviendrez copines pour parler d’expats ?

— Je peux avoir plus d’un ami.

— Je le sais. C’est juste que, avec qui vas-tu finir par vouloir passer plus de temps ? Quelqu’un de ton âge qui possède un magasin branché, ou quelqu’un d’assez âgé pour être ta mère et qui sent le mouton ?

Lacey ne put s’empêcher de rire, bien que ce soit sans malice. Elle tendit la main à travers la table et serra celle de Gina.

— Je le pensais quand je disais que tu me gardais saine d’esprit. Honnêtement, avec tout ce qui s’est passé avec Iris, la police et les tentatives de Taryn pour me chasser du Wilfordshire, j’aurais vraiment perdu la tête si tu n’avais pas été là. Tu es une bonne amie, Gina, et je ne prends pas ça pour acquis. Je ne vais pas t’abandonner juste parce qu’une ancienne catcheuse à cactus est arrivée en ville. OK ?

— Une ex-catcheuse à cactus ? dit Brooke, apparaissant à côté d’elles en tenant un plateau de cafés et de sandwiches. Vous ne parliez pas de moi, n’est-ce pas ?

Les joues de Lacey chauffèrent instantanément. Cela ne lui ressemblait pas de faire des commérages sur les gens dans leur dos. Elle avait seulement essayé de remonter le moral de Gina.

— Ha ! Lacey, ta tête ! s’exclama Brooke en la frappant dans le dos. C’est bon. Ça ne me dérange pas. Je suis fière de mon passé.

— Tu veux dire…

— Ouaip, dit Brooke en souriant. C’est vrai. Il n’y a pas grand-chose à dire, cependant, comme les gens l’ont fait croire. J’ai fait de la lutte au lycée, puis à l’université, avant de faire un an en professionnel. Les Anglais des petites villes doivent trouver ça plus exotique que ça ne l’est.

Lacey se sentait très bête maintenant. Bien sûr, tout pouvait prendre des proportions démesurées et être déformé en passant d’une personne à l’autre dans la chaîne de commérages de la petite ville. Le fait que Brooke ait été lutteuse par le passé était tout autant un non-événement que le fait que Lacey ait travaillé comme assistante d’un décorateur d’intérieur à New York ; normal pour elle, exotique pour tous les autres.

— Maintenant, pour ce qui est de manier les cactus… dit Brooke. Puis elle fit un clin d’œil à Lacey.

Elle transféra les plats du plateau sur la table, alla chercher des bols d’eau et des croquettes pour les chiens, puis laissa Lacey et Gina manger en paix.

Malgré la description excessivement compliquée du menu, les plats étaient en fait formidables. L’avocat était parfaitement mûr, assez ramolli pour perdre sa fermeté mais pas trop au point d’être pâteux. Le pain était frais, aux céréales et bien grillé. En fait, il rivalisait même avec celui de Tom et c’était le plus grand compliment que Lacey pouvait vraiment faire ! Le café était le vrai triomphe cependant. Lacey buvait du thé ces jours-ci, puisqu’on lui en offrait constamment et parce qu’il n’y avait pas un endroit dans les environs qui semblait correspondre à ses normes. Mais le café de Brooke semblait avoir été expédié directement de Colombie ! Lacey se mettrait définitivement à prendre son café du matin ici, les jours où elle commençait à travailler à une heure raisonnable plutôt qu’à un moment où la plupart des gens sains d’esprit sommeillaient encore au lit.

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