Le Royaume des Dragons - Морган Райс 5 стр.


“J'ai dit 'retire tes sales pattes',” répéta le prince, sa main se déplaça vers le couteau à sa ceinture.

Devin le repoussa aussi doucement que possible. Il espérait que les choses s'arrangeraient à l'amiable, bien qu'il ne sache que trop, désormais, ce qui risquait d'arriver.

“Vous n'allez pas faire ça, Votre Altesse.”

Vars lui lança un regard noir haineux, le souffle court.

“Je n'ai pas fait d'erreur, moi, espèce de traître,” gronda le prince Vars, d'une voix n'augurant rien de bon.

Vars posa son marteau et s'empara d'une épée posée sur un banc, Devin comprit sur le champ qu'il ne savait pas la manier.

“C'est exact—tu es un traître. Agresser un membre de la famille royale équivaut à une trahison, les traîtres doivent mourir.”

Il brandit son épée en direction de Devin, qui s'empara instinctivement de la première chose qui lui tomba sous la main, en l'occurrence un de ses marteaux de forgeron qu'il leva pour parer le coup, le bruit du fer contre fer retentit tandis qu'il empêchait l'épée de lui fendre le crâne en deux. Ses mains tremblaient sous l'impact mais il n'avait pas le temps d'y songer. Le marteau se frotta contre la lame de l'épée et l'arracha violemment de la main du prince, l'envoyant valser parmi le tas d'armures disloquées.

Il s’arrêta de lui-même. Il était fâché que le prince entre et se permette de s’en prendre à lui mais Devin avait une sainte patience. Le travail du métal l’exigeait. Un homme impatient à la forge se blessait forcément.

“Vous avez vu ?” lança le prince Vars en pointant un doigt tremblant de colère ou de peur. “Il m’a frappé ! Emparez-vous de lui. Qu’on l’enferme dans le cachot le plus sombre du château, il sera pendu au matin.”

Les jeunes hommes qui l’entouraient ne paraissaient pas pressés de réagir, mais ils n’allaient évidemment pas rester plantés là sans rien faire alors qu’un moins que rien comme Devin affrontait un prince en duel. La plupart tenaient encore les lances ou épées qu’ils avaient maladroitement essayées, Devin était encerclé par des armes pointant vers son cœur.

“Je ne cherche pas la bagarre,” répondit Devin, ne sachant que répondre. Il laissa tomber le marteau dans un bruit mat, il n’en avait désormais plus besoin. Que pouvait-il faire, seul contre tous ? Bien qu’il subodore être une meilleure lame que les hommes ici présents, ils étaient trop nombreux pour qu’il tente quoi que ce soit, et quand bien même ? Où se réfugierait-il, que deviendrait sa famille ?

“La prison ne sera pas nécessaire,” lança le prince Vars. “Je vais lui trancher la tête en public. Mettez-le à genoux. J’ai dit 'à genoux' !” répéta-t-il devant la lenteur de ses hommes.

Quatre d’entre eux s’approchèrent et mirent Devin à terre, les autres le mettaient en joue. Entre temps, le prince Vars, avait ramassé son épée. Il la souleva en la soupesant ostensiblement, Devin comprit qu’il allait mourir. La peur l’envahit, il n’avait aucune échappatoire. Peu importait qu’il réfléchisse à toute allure et qu’il soit fort, ça n’y changerait rien. Les autres n’étaient peut-être pas d’accord avec la décision du prince mais ils se devaient d’être là. Ils le regarderaient se faire trancher la tête par le prince …

… la Terre cessa de tourner l’espace d’un instant, les battements de son cœur s'amenuisaient. A cet instant précis, il aurait presque pu voir les muscles du prince se dessiner, l'étincelle de ses pensées le parcourir. Les atteindre et les modifier serait d’une facilité déconcertante.

“Aïe ! Mon bras !” hurla le prince Vars, lâchant son épée dans un bruit fracassant.

Devin regarda derrière lui, abasourdi. Il essayait de comprendre ce qui venait de faire.

ll était terrorisé par son pouvoir.

Le prince tenait son bras, tentant de dissiper la sensation bizarre qui s'était emparée de ses doigts.

Devin se contentait de le dévisager. Il avait bien fait quelque chose ? Comment ? Il avait réussi à provoquer une crampe, par la seule volonté de sa pensée ?

Il se remémora son rêve …

“Ça suffit,” lança une voix, les interrompant. “Laisse-le.”

Le prince Rodry franchit le barrage des armes, les jeunes hommes les baissèrent pour toute réponse, poussant presque un soupir de soulagement.

Devin était soulagé mais gardait néanmoins le prince Vars et l’arme qu'il tenait à l’œil.

“Ça suffit, Vars,” dit Rodry. Il s'interposa entre Devin et le prince Vars, qui hésita un instant. Devin craignait qu'il lui assène un coup d'épée malgré la présence de son frère.

Il finit par l'écarter.

“Je ne voulais pas venir, de toute façon,” lança-t-il avant de partir en trombe.

Le prince Rodry se tourna vers Devin, les hommes qui le retenaient le relâchèrent aussitôt. “Tu as fait preuve de courage en défendant ton ami,” dit-il en soulevant sa lance. “Et tu travailles bien. Il paraît que c'est toi qui l'as faite.”

“Oui, Votre Altesse,” répondit Devin. Il ne savait que penser. En l'espace de quelques secondes, il avait failli être décapité, puis relâché, on l'avait pris pour un traître et complimenté pour son travail. C'était insensé, mais après tout, pourquoi les choses devaient forcément avoir un sens dans un monde où il était investi de pouvoirs … magiques ?

Le prince Rodry acquiesça et se tourna pour s'en aller. “Sois plus attentif à l'avenir. Je ne serai pas toujours là pour te tirer d'affaire.”

Devin mit de longues secondes avant de se relever, sa respiration était saccadée. Il regarda Nem comprimer la blessure de son bras replié, effrayé et secoué par ce qui venait de se produire.

Le vieux Gund vint à sa rescousse, s'occupa du bras de Nem qu'il enveloppa dans une bandelette de tissu. Il regarda alors Devin.

“Tu ne pouvais pas te mêler de tes affaires ?”

“Je n'allais pas laisser Nem se faire frapper,” répondit Devin. Il le referait sans hésiter si c'était à refaire.

“Il s'en serait tiré au pire avec une bonne raclée,” asséna Gund. “On a vu pire. Et maintenant … va-t'en.”

“M'en aller ?” répondit Devin. “Maintenant ?”

“Maintenant et les jours suivants, imbécile,” annonça Gund. “Crois-tu que nous puissions garder parmi nous un homme qui affronte un prince dans la Maison des Armes ?”

Devin sentit son cœur s'arrêter. Quitter la Maison des Armes ? Sa seule et unique vraie maison ?

“Mais je n'ai—” commença Devin avant de s'arrêter.

Il n'était pas comme Nem, qui croyait que tout se passait toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes. Gund l'aurait forcément fichu dehors ; Devin savait que son intervention lui coûterait sa place, avant même de s'en mêler.

Devin baissa les yeux et acquiesça, il n'avait rien d'autre à ajouter. Il se détourna comme pour s'en aller.

“Attends,” Nem le rappela. Il courut à son établi et revint avec une chose enveloppée dans un chiffon. “Je … ce n'est pas grand-chose. Tu m'as sauvé la vie. C'est à toi.”

“Je l'ai fait parce que je suis ton ami,” lui répondit Devin. “Inutile de me faire un présent.”

“Ça me fait plaisir. S'il avait brisé ma main, je n'aurais plus été capable de rien, prends, c'est moi qui l'ai fait.”

Il la donna à Devin, qui s'en saisit soigneusement et l'ouvrit … c'était une épée, enfin, pas vraiment. Un long couteau, un 'messer', trop long pour un couteau à proprement parler, pas suffisamment pour une épée. Une lame à simple tranchant, avec une poignée en saillie d'un seul côté, de forme arrondie, une arme de paysan n'ayant rien à voir avec les épées à deux mains ni celles des chevaliers mais elle était légère, fatale, très belle. Devin comprit au premier coup d'œil, tandis qu'elle étincelait à la lumière, qu'elle serait bien plus rapide et meurtrière qu'une simple épée. Une arme demandant rapidité, ruse et adresse, parfaite pour la silhouette élancée et le jeune âge de Devin.

“Elle n'est pas terminée,” lui dit Nem, “mais je sais que tu la finiras mieux que moi, je te jure que l'acier est de bonne qualité.”

Devin donna un coup pour voir, la lame fendit l'air. Il voulait lui dire que c'était trop, qu'il ne pouvait pas accepter mais il voyait bien que Nem avait plaisir à la lui offrir.

“Merci, Nem.”

“Vous avez terminé, tous les deux ?” demanda Gund en regardant Devin. “Ton départ me chagrine. Tu es un bon ouvrier, meilleur forgeron que la plupart de mes hommes mais je ne peux pas te garder, ça pourrait nous retomber dessus. Tu dois t'en aller, mon garçon. Maintenant.”

Devin voulut répondre, tout en sachant que cela ne servirait à rien, sa place n'était plus ici. Il ne voulait pas passer pour un indésirable. Ce n'était pas ainsi qu'il voyait les choses. Travailler ici était un simple moyen de subsistance. Il rêvait d'être chevalier et voilà que …

Son rêve le conduisait à se comporter étrangement. Il devait en avoir le cœur net.

Ta vie changera à tout jamais.

Etait-ce ce que l'enchanteur avait voulu dire ?

Devin n'avait pas le choix. Il ne pouvait pas retourner en arrière, retourner à la forge et faire comme si de rien n'était.

Il s'élança vers la cité. Vers son destin.

L'avenir lui tendait les bras.

CHAPITRE SIX

Nerra se promenait seule dans la forêt, se faufilait parmi les arbres, savourant la sensation des rayons de soleil sur son visage. Elle imaginait que son absence ne serait pas passée inaperçue au château mais supposait que personne n'en avait cure. Sa présence ne ferait que compliquer les préparatifs du mariage.

Elle se sentait chez elle, ici, dans les bois. Elle avait piqué des fleurs dans ses tresses brunes, retiré ses bottes qu'elle portait nouées sur son épaule, elle aimait sentir l'humus sous ses pieds nus. Sa silhouette élancée sinuait entre les arbres, sa robe à manches longues aux couleurs automnales se fondait dans le paysage. Sa mère n'avait eu de cesse de lui seriner qu'elle était contrainte de sortir les bras couverts. Sa famille exceptée, personne n'était au courant de son infirmité.

Elle adorait le grand air, les plantes et leurs noms, la jacinthe et la berce, le chêne et l'orme, la lavande et les champignons. Elle connaissait leurs noms mais également leurs vertus médicinales, tantôt bénéfiques, tantôt vénéneuses. Elle espérait secrètement passer sa vie ici, libre, en paix. Qui sait ; elle parviendrait peut-être à persuader son père de lui bâtir une maison en pleine forêt, elle pourrait alors mettre ses aptitudes au service des malades et des blessés.

Nerra esquissa un pâle sourire, elle savait que son rêve ne se réaliserait jamais, alors … Nerra n'osait y songer mais elle ne tiendrait plus bien longtemps. Si tel était le cas, elle ne voulait plus vivre cette vie. La maladie la tuerait ou la transformerait bien assez tôt.

Nerra ramassa un bout d'écorce de saule, c'était bon pour les douleurs, elle mit les morceaux dans sa sacoche.

J'en aurais besoin très prochainement, songeait-elle. Elle ne ressentait aucune douleur aujourd'hui mais le fils de la veuve Merril, en ville, en aurait peut-être besoin. On disait qu'il avait la fièvre, Nerra était naturellement douée pour soigner les malades.

J'aimerais pouvoir passer un jour sans y penser.

Le fait d'y penser provoqua un étourdissement à Nerra, qui dut prendre appui contre un tronc pour ne pas tomber. Elle s'y accrocha, haletante, attendant que la sensation de vertige disparaisse. Elle sentait la pulsation dans son bras droit, ça la brûlait, la piquait, comme si quelque chose rampait sous sa peau.

Nerra s'assit sous les hautes frondaisons et fit ce qu'elle n'osait jamais faire au château : relever ses manches, dans l'espoir que la fraîcheur ambiante lui soit bénéfique, tous les autres remèdes ayant échoué jusqu'alors.

Elle était habituée à voir ces traces noires sur ses bras, telles des veines marbrant sa peau d'une pâleur translucide. Les marques s'étaient-elles étendues depuis la dernière fois ? Nerra n'aurait su le dire, elle évitait de les regarder et n'osait les montrer à personne. Ses frères et sœurs savaient pour ses évanouissements mais ignoraient le fin mot de l'histoire. Seuls ses parents, Maître Grey et le médecin de confiance de son père étaient au courant.

Nerra en connaissait la raison. Les personnes portant ces marques étaient bannies par crainte de contagion, par crainte de ce que cela impliquait. On racontait que les personnes atteintes de la maladie de l'homme de pierre se métamorphosaient en créatures inhumaines, ceux qui en réchappaient en mourrait.

“Je me dois de rester seule,” dit-elle à haute voix en baissant ses manches, la vue de ses bras la peinait immensément.

La solitude lui pesait. Elle adorait la forêt mais l'absence d'amis était un réel fardeau. Elle n'avait jamais eu d'amis étant enfant, ils auraient pu s'en apercevoir, contrairement à Lenore et sa cour de suivantes et nobliaux. Elle n'avait aucun prétendant, les galants hommes ne se bousculaient pas au portillon, qui voudrait d'une malade. Nerra rêvait d'être comme elle, de mener une vie normale, d'être belle et en bonne santé. Ses parents lui auraient présenté un gentilhomme à épouser, comme Lenore. Nerra aurait eu une maison, une famille, des amis, elle aurait pu aider. Mais … non.

La forêt est triste par ma faute, songea Nerra en souriant tristement.

Elle se leva et poursuivit son chemin, bien décidée à jouir de cette belle journée. Une chasse aurait lieu demain, les nombreux participants l'empêcheraient de profiter des environs. Elle devrait discuter aimablement avec les chasseurs s'enorgueillissant de tuer les créatures peuplant la forêt, le bruit de cors de chasse serait assourdissant.

Nerra entendit quelque chose ; non pas un cor de chasse mais un bruit non loin. Elle crut apercevoir la silhouette d'un jeune garçon dans un arbre, mais n'en était pas certaine. Elle s'inquiétait. Avait-il tout vu ?

C'était certainement trois fois rien. Nerra savait que des gens arpentaient les bois. Ce pouvait être des brûleurs de charbon ou des bûcherons ; voire, des braconniers. Qui que ce soit, Nerra ne tarderait pas à les rencontrer si elle poursuivait son chemin. Elle n'aimait pas ça, elle craignait qu'ils n'en voient trop, elle décida de changer de direction, au hasard. Elle connaissait son chemin dans la forêt et ne courait aucun risque de se perdre. Elle tomba sur du houx, des bouleaux, des chélidoines et autres rosiers sauvages au fil de sa progression.

Et autre chose.

Nerra s'arrêta aux abords d'une clairière visiblement occupée, des branches étaient brisées, le sol, labouré. Par un sanglier peut-être, ou toute une horde ? A moins qu'un ours rôde dans les parages, la meute à ses trousses ? Nerra ne voyait pas d'ours parmi les arbres, rien qui suppose qu'un animal soit arrivé ici debout sur ses pattes.

Un œuf trônait au beau milieu de la clairière, couché dans l'herbe.

Elle se figea, incrédule.

C'était impossible.

Elle en avait entendu parler, les couloirs du château arboraient des reproductions figées, dépourvues de vie.

Mais … elle n'en croyait pas ses yeux …

Elle s'approcha suffisamment pour se rendre compte de la taille de l'œuf. Il était énorme, assez gros pour que les bras de Nerra en fassent difficilement le tour. Assez gros pour qu'aucun oiseau ne puisse le couver.

Il était d'un bleu profond, presque noir, veiné d'or, semblable à des lueurs d'éclair sous un ciel nocturne. Nerra s'approcha et voulut le toucher, sa surface était étonnamment chaude, contrairement aux œufs ordinaires. Cela confirmait ses doutes.

Un œuf de dragon.

C'était impossible. A quand remontait la dernière fois où on avait vu un dragon ? Les récits parlaient de gigantesques bêtes ailées volant dans les airs, mais d'œufs, jamais. Les dragons n'étaient pas des créatures sans défense mais des bêtes immenses, terrifiantes et incroyables. Nerra en était persuadée.

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