Elle comprenait. Sara avait bien reçu le message.
Maya recommença, bougeant aussi lentement que possible. Il n’y avait pas d’urgence et elle devait s’assurer que Sara comprenne bien chaque mot.
Dès que tu peux, marqua-t-elle, tu cours.
Ne te retourne pas.
Ne m’attend pas.
Trouve de l’aide. Trouve Papa.
Sara resta calme et parfaitement immobile pendant toute la rédaction du message. Il était trois heures et quart quand Maya eut terminé. Pour finir, elle sentit le contact froid d’un fin doigt dans la paume de sa main gauche, nichée en partie sous la joue de Sara. Le doigt traçait quelque chose sur sa paume, la lettre P.
Pas sans toi, disait le message de Sara.
Maya ferma les yeux et soupira.
Il le faut, répondit-elle. Sinon, nous n’avons aucune chance.
Elle ne laissa pas à Sara l’occasion de répondre. Une fois son message achevé, elle se racla la gorge et dit calmement, “Je dois aller aux toilettes.”
Rais leva un sourcil et fit un geste pour désigner la porte ouverte de la salle de bains à l’autre bout de la pièce. “Je t’en prie.”
“Mais…” Maya leva son poignet lié.
“Et alors ?” rétorqua l’assassin. “Emmène-la avec toi. Il te reste une main libre.”
Maya se mordit la lèvre. Elle savait pourquoi il faisait ça : la seule fenêtre de la salle de bains était petite, à peine assez grande pour que Maya puisse passer à travers, ce qui était totalement impossible en étant menottée à sa sœur.
Elle se glissa lentement hors du lit, faisant signe à sa sœur de la suivre. Sara se leva mécaniquement, comme si elle avait oublié comment utiliser normalement ses membres.
“Tu as une minute. Ne verrouille pas la porte,” avertit Rais. “Si tu le fais, je l’enfoncerai à coups de pied.”
Maya passa devant et ferma la porte de la minuscule salle de bains, à peine assez grande pour qu’elles se tiennent debout à deux. Elle alluma la lumière, presque sûre d’avoir vu un cafard aller se mettre à l’abri sous le lavabo, puis le ventilateur qui se mit à tourner bruyamment au-dessus de leurs têtes.
“Hors de question,” chuchota Sara presque immédiatement. “Je ne partirai pas sans…”
Maya se hâta de brandir un doigt devant ses propres lèvres pour demander le silence. D’après elle, Rais devait se trouver juste derrière la porte avec une oreille collée dessus. Il ne prenait aucun risque.
Elle sortit rapidement le stylo à bille de l’ourlet à la taille de son pantalon. Il fallait qu’elle trouve quelque chose sur quoi écrire et le seul truc disponible était du papier toilette. Maya en déchira quelques carrés et les posa sur le petit rebord du lavabo mais, à chaque fois qu’elle appuyait le stylo dessus, le papier se déchirait. Elle essaya de nouveau avec quelques nouvelles feuilles, mais le papier se fendit encore.
Ce n’est pas la peine, pensa-t-elle amèrement. Le rideau de douche n’allait pas lui servir non plus : c’était juste une feuille de plastique suspendue par-dessus la baignoire. Et il n’y avait pas de rideaux à la petite fenêtre.
Mais il y avait bien quelque chose qu’elle pouvait utiliser.
“Ne bouge pas,” murmura-t-elle à l’oreille de sa sœur. Le pantalon de pyjama de Sara était blanc, avec des ananas dessus, et il avait des poches. Maya retourna l’une des poches pour la faire sortir et la déchira aussi discrètement que possible jusqu’à récupérer un morceau de tissu triangulaire à bords irréguliers avec l’imprimé fruit d’un côté, mais tout blanc de l’autre.
Elle l’aplatit rapidement sur le meuble du lavabo et écrivit soigneusement sous l’œil de sa sœur. Le stylo fit plusieurs accrocs sur le tissu, mais Maya se mordit la langue pour éviter de râler de frustration et de colère en écrivant son mot.
Port Jersey.
Dubrovnik.
Elle aurait voulu écrire plus, mais elle n’avait plus le temps. Maya rangea le stylo sous l’évier et roula la note en tissu pour former un cylindre. Puis, elle regarda désespérément autour d’elle à la recherche d’un endroit où cacher son mot. Elle ne pouvait pas juste fourrer le mot sous le lavabo avec le stylo. Ce serait trop voyant et Rais repérait tout. La douche était hors de question. Mouiller le mot allait faire partir l’encre.
Un fort coup sur la fine porte de la salle de bains les surprit toutes deux.
“Ça fait une minute,” dit Rais d’une voix distincte de l’autre côté.
“J’ai presque fini,” se dépêcha-t-elle de répondre. Elle retint son souffle en soulevant le couvercle du réservoir de la chasse des WC, espérant que le bruyant ventilateur de la salle de bains étouffe tout autre son éventuel. Ensuite, elle passa le mot enroulé dans la chaîne du mécanisme de la chasse, assez haut pour qu’il ne touche pas l’eau.
“Je t’ai dit une minute. Je vais ouvrir la porte.”
“Donnez-moi juste quelques secondes, s’il vous plaît !” implora Maya en replaçant rapidement le couvercle. Pour finir, elle s’arracha quelques cheveux et les laissa tomber sur le réservoir refermé des toilettes. Avec un peu de chance, ou plutôt beaucoup de chance, quelqu’un suivant leur trace comprendrait qu’il s’agissait d’un indice.
Il ne lui restait qu’à espérer.
La poignée de porte de la salle de bains se mit à tourner. Maya tira la chasse des toilettes et s’accroupit dans une position suggérant qu’elle était en train de remonter son pantalon de pyjama.
Rais passa la tête par la porte ouverte en regardant au sol. Lentement, il leva les yeux vers les deux filles, les inspectant tour à tour du regard.
Maya retint son souffle. Sara saisit la main enchaînée de sa sœur et leurs doigts s’entremêlèrent.
“Tu as fini ?” demanda-t-il lentement.
Elle acquiesça.
Il regarda à droite et à gauche d’un air dégoûté. “Lave-toi les mains. Cette pièce est dégueulasse.”
Maya s’exécuta, se lavant les mains avec le savon orange bon marché, tandis que le poignet de Sara pendait mollement à côté du sien. Elle s’essuya les mains sur la serviette marron et l’assassin approuva d’un signe de tête.
“Retournez au lit. Allez.”
Elle guida Sara dans la chambre et elle se remirent au lit. Rais traîna un moment, regardant partout dans la petite salle de bains. Puis il éteignit le ventilateur, la lumière et retourna dans son fauteuil.
Maya passa son bras autour de Sara elle la serra contre elle.
Papa va le trouver, pensa-t-elle avec un fol espoir. Il va le trouver. Je le sais.
CHAPITRE SIX
Reid se dirigeait vers le sud sur l’autoroute, faisant de son mieux pour respecter les limitations de vitesse, tout en voulant arriver aussi vite que possible à l’aire de repos où le pick-up de Thompson avait été retrouvé. Même s’il s’inquiétait de trouver une piste ou un indice, il commençait à se sentir optimiste en prenant la route. Son chagrin était toujours présent, bien installé dans sa gorge comme s’il avait avalé une balle de bowling mais, à présent, il était enveloppé dans une coquille de résolution et de ténacité.
Il avait déjà la sensation familière que son côté Kent Steele avait pris les rênes en roulant sur l’autoroute dans la Trans Am noire, le coffre bourré de flingues et de gadgets à sa disposition. Il y avait des moments où il fallait être Reid Lawson, mais pas maintenant. Kent était aussi leur père, que les filles le sachent ou non. Kent avait été le mari de Kate. Et Kent était un homme d’action. Il n’attendrait pas que la police trouve une piste ou qu’un autre agent fasse son boulot.
Il allait les trouver. Il fallait juste qu’il découvre où Rais les emmenait.
L’autoroute qui traversait la Virginie vers le sud était quasiment tout droit, à deux voies, entouré des deux côtés par d’épais arbres et totalement monotone. À mesure que les minutes s’écoulaient, la frustration de Reid croissait de ne pas pouvoir arriver plus vite.
Pourquoi au sud ? pensa-t-il. Où est-ce que Rais les emmenait ?
Je ferais quoi si j’étais lui ? J’irais où ?
“C’est ça,” se dit-il à haute voix alors qu’une idée venait de faire irruption dans sa tête. Rais voulait être retrouvé, mais pas par la police, le FBI ou un autre agent de la CIA. Il voulait que seul Kent Steele puisse le retrouver.
Je ne dois pas réfléchir à ce qu’il pourrait faire. Je dois songer à ce que je ferais, moi, dans ce cas.
Je ferais quoi ?
Les autorités avaient déduit que Rais emmenait les filles plus au sud, étant donné que le pick-up avait été retrouvé au sud d’Alexandria. “Ce qui veut dire que j’irais…”
Ses pensées furent interrompues par la forte sonnerie du téléphone sur la console centrale.
“Au nord,” dit immédiatement Watson.
“Qu’est-ce que tu as trouvé ?”
“Rien d’intéressant à l’aire de repos. Fais demi-tour et, ensuite, on pourra parler.”
Reid ne se fit pas prier deux fois. Il posa le téléphone sur la console, rétrograda en troisième, puis fit tourner le volant à gauche. Il n’y avait pas beaucoup de voitures sur l’autoroute à cette heure-ci un dimanche. La Trans Am traversa la voie vide et dérapa dans l’herbe sur le terre-plein central. Ses roues ne crissèrent pas contre le goudron et ne perdirent pas d’adhérence en rencontrant le sol mou. Mitch avait dû installer des pneus radiaux haute-performance. La Trans Am fit une queue de poisson sur la voie du milieu, l’avant ne patinant que légèrement, en projetant une cacade de poussière derrière elle.
Reid redressa la voiture en traversant l’étroite bande entre les deux côtés de l’autoroute. Quand la voiture fut de nouveau sur l’asphalte, il appuya sur l’embrayage, passa une vitesse, et enfonça la pédale d’accélération. La Trans Am bondit en avant comme un éclair sur la voie opposée.
Reid refoula la soudaine excitation qui montait en lui. Son cerveau réagissait vivement à tout ce que l’adrénaline produisait : il aimait le frisson, la possibilité éventuelle de perdre le contrôle et le plaisir galvanisant de le reprendre.
“Je me dirige vers le nord,” dit Reid en reprenant le téléphone. “Tu as trouvé quoi ?”
“J’ai un technicien qui surveille les fréquences de la police. Aucune inquiétude, j’ai toute confiance en lui. Une berline bleue a été signalée abandonnée sur le parking d’un concessionnaire de véhicules d’occasion ce matin. Dedans, ils ont trouvé un porte-monnaie avec une pièce d’identité et des cartes qui correspondent à la femme qui a été tuée à l’aire de repos.”
Reid fronça les sourcils. Rais avait volé la voiture et s’en était rapidement débarrassé. “Où ?”
“C’est ça le truc. C’est dans le Maryland, à environ deux heures au nord de là où tu te trouves.”
Il râla de frustration. “Deux heures ? Je n’ai pas ce genre de temps à perdre. Il a déjà une belle avance sur nous.”
“J’y travaille,” répondit froidement Watson. “Autre chose : le concessionnaire a dit qu’il manquait une voiture sur son parking : un SUV blanc d’un modèle qui a huit ans. Nous ne pouvons rien faire de plus pour le pister qu’attendre qu’il soit repéré. Examiner les images satellite serait comme chercher une aiguille dans une botte de foin…”
“Non,” dit Reid. “Ce n’est pas la peine. Le SUV mènera certainement de nouveau à une impasse. Il se joue de nous à changer de direction en essayant de nous perdre pour qu’on ne sache pas où il les emmène vraiment.”
“Comment tu le sais ?”
“Parce que c’est ce que je ferais à sa place.” Il réfléchit un moment. Rais avait déjà de l’avance sur eux. Il fallait qu’ils anticipent son coup suivant, ou au moins qu’ils agissent de pair avec lui. “Demande à ton technicien de chercher les voitures déclarées volées dans les douze dernières heures à peu près, entre ici et New York.”
“On risque avoir énormément de résultats,” fit remarquer Watson.
Il avait raison… Reid savait qu’une voiture était volée toutes les quarante-cinq secondes aux USA, donc ça faisait des centaines de milliers chaque année. “Très bien, alors il faut exclure les dix modèles les plus fréquemment volés,” dit-il. Même si ça l’ennuyait de l’admettre, Rais était intelligent. Il saurait certainement quelles voitures éviter et lesquelles choisir. “Écarte aussi tout ce qui est trop cher ou trop voyant, les couleurs vives, les signes particuliers, tout ce que les flics pourraient facilement trouver. Et, bien sûr, tout ce qui est assez récent pour être équipé d’un GPS. Qu’il se concentre sur les lieux où il y a peu de monde aux alentours : parkings vides, entreprises fermées, parcs industriels, ce genre de trucs.”
“D’accord,” répondit Watson. “Je te rappelle dès que j’ai des infos.”
“Merci.” Il reposa le téléphone sur la console centrale. Il ne pouvait pas perdre deux heures à conduire sur l’autoroute. Il lui fallait quelque chose de plus rapide ou une meilleure piste sur l’endroit où pouvaient se trouver ses filles. Il se demanda si Rais avait de nouveau changé de direction : peut-être qu’il avait pris au nord pour finalement tourner à l’ouest, dans les terres, ou peut-être même qu’il se dirigeait de nouveau au sud.
Il jeta un œil aux voies de trafic allant vers le sud. Si ça se trouve, ils viennent de passer juste à côté de moi. Je les ai peut-être croisés sans même le savoir.
Il fut tiré de ses pensées par un bruit perçant, mais familier : le cri régulier d’une sirène de police. Reid jura entre ses dents en regardant dans le rétroviseur. Il vit une voiture de police qui lui collait au train, dans un clignotement de lumières bleues et rouges.
Il ne manquait plus que ça. Les flics avaient dû le voir traverser le terre-plein central. Il regarda de nouveau : la voiture de police était une Caprice. Moteur 5.7-litres. Vitesse maximale de deux-cent-quarante kilomètres heure. Je doute que la Trans Am puisse rivaliser. Néanmoins, il n’avait aucune intention de s’arrêter et perdre un temps précieux.
Au lieu de ça, il enfonça de nouveau la pédale d’accélération, passant de ses cent-trente-cinq kilomètres heures de croisière à un bon cent-soixante. Le véhicule de police suivit la cadence, accélérant sans aucun mal. Mais Reid garda fermement ses deux mains posées sur le volant avec cette sensation familière de la poursuite à grande vitesse qui revenait en lui.
Néanmoins, cette fois, c’est lui qui était pris en chasse.
Le téléphone sonna à nouveau. “Tu avais raison,” dit Watson. “J’ai un… attends, c’est quoi cette sirène ?”
“Les flics,” murmura Reid. “Tu peux faire quelque chose pour ça ?”
“Moi ? Pas sur une opération non officielle.”
“Je ne peux pas aller plus vite que les flics…”
“Mais tu peux les semer,” répondit Watson. “Appelle Mitch.”
“Appeler Mitch ?” se contenta de répéter Reid. “Et lui dire quoi au juste… ? Salut ?”
Watson avait déjà raccroché. Reid jura entre ses dents et doubla un monospace, revenant sur la voie de gauche à une main en ouvrant le rabat du téléphone de l’autre. Watson lui avait dit avoir programmé le numéro du mécanicien dedans.
Il trouva un numéro du nom de “M” dans les contacts et lança l’appel, tandis que la sirène continuait de retentir derrière lui.
Quelqu’un répondit, mais ne dit pas un mot.
“Mitch ?” demanda-t-il.
Le mécanicien marmonna une réponse.
Derrière lui, le flic bifurqua sur la voie de droite et accéléra, essayant de se mettre à côté de lui. Reid tourna rapidement le volant et la Trans Am se rabattit sans encombre sur la voie, bloquant la bagnole de flics. Au-delà des vitres fermées et du rugissement du moteur, il pouvait entendre faiblement l’écho du système audio de l’officier qui lui demandait de s’arrêter.
“Mitch, je, euh…” Je suis censé dire quoi ? “Je roule à cent-soixante sur la I-95 avec une voiture de flics à mes trousses.” Il regarda dans le rétroviseur et pesta alors qu’un deuxième véhicule de police, jusqu’ici posté sur le côté pour faire des contrôles de vitesse, déboulait à présent sur l’autoroute. “Deux en fait.”