— Et s’il était trop petit, il n’aurait pas pu atteindre leur cou, ajouta Shelley. Les victimes ont probablement toutes été tuées debout, ce qui signifie qu’il devait être capable d’atteindre leur gorge facilement.
Zoe devait admettre qu’elle était impressionnée — même si ce n’était que dans sa tête. Elle écrivit « taille moyenne ou au-dessus de la moyenne — entre un mètre soixante-dix et un mètre quatre-vingt-cinq », se basant sur le rapport du médecin légiste, et « carrure standard ou mince » sur la feuille.
— Parlons psychologie maintenant, dit Zoe. Quelque chose le pousse à tuer, même si ce n’est pas quelque chose qui puisse sembler logique. S’il n’y a aucun réel lien entre les victimes, nous devons considérer que sa motivation vient de l’intérieur.
— On dirait des crimes d’opportunité à mon avis. Il ne s’attaque qu’à des femmes, peut-être parce qu’elles sont plus faibles. Elles sont seules, sans défenses, dans une zone sans caméras de surveillance et où il avait peu de chances d’être interrompu.
— Je vois deux possibilités. La première c’est que quelque chose le pousser à tuer et par conséquent il cherche des victimes dont le profil est parfait pour qu’il ne se fasse pas prendre. Pour une raison ou pour une autre, il fait cela maintenant et tout d’un coup — il y a donc eu un évènement déclencheur, dit Zoe en tapotant le bout de son stylo contre son menton. L’autre possibilité, c’est que ce sont ces victimes en particulier qui le poussent à tuer. Dans ce cas, il ne sait même pas qu’il va les tuer avant le moment même.
— En d’autres termes, soit il cherche des femmes à tuer délibérément, soit il tue uniquement en raison de l’opportunité et de quelque chose chez les femmes qui le pousse à l’acte, dit Shelley en plissant les yeux d’un air pensif.
— Réfléchis, fit remarquer Zoe en secouant la tête et en faisant les cent pas devant le chevalet. C’est trop parfait pour être aléatoire. Un par nuit — ça veut dire que c’est compulsif. Si sa seule motivation venait de moments déclencheurs précis, les attaques seraient plus espacées. Il serait chez lui certains soir ou du moins, il ne rencontrerait personne qui le pousserait à tuer. Non, c’est délibéré et calculé. Il a tué chacune de ces femmes pour une raison, c’est un message ou un rituel.
Elle s’approcha de nouveau et écrivit « un meurtre par jour — rituel » sur la feuille.
— Et quid des lieux ? demanda Shelley en désignant les lieux alignés sur la même route en-dessous de la dernière punaise sur le bas de la feuille de papier.
Zoe égrena une liste qu’elle lut sur la carte en faisant de petits écarts de chaque côté au cas où il se fût écarté de sa route comme il l’avait fait auparavant.
— On devrait contacter les autorités de chacune de ces villes afin de nous assurer qu’elles soient toutes au courant de ce qui pourrait arriver. Une sécurité renforcée et une force publique sur ses gardes pourraient aider à l’attraper.
Elles regardèrent toutes les deux le profil en silence tout en réfléchissant. Zoe, pour sa part, essayait de voir la séquence. Il n’y avait que trois choses qui avaient du sens à ses yeux : le fait que toutes les victimes étaient des femmes, la chronologie ou quelque chose en lien avec les lieux. Mais qu’était-ce ?
Elle repensa aux bonbons colorés éparpillés sur le sol de la station-service. Il y en avait près du corps de Linda, sur le parking et à l’endroit où elle avait dû passer pour se rendre à l’arrière du bâtiment avant de revenir sur ses pas. C’était si étrange. Il était tout à fait possible qu’un enfant les eût fait tomber plus tôt dans la journée après s’être arrêté avec ses parents, mais… il y avait quelque chose qui la travaillait.
C’était peut-être simplement le fait que c’était incohérent. Des bonbons colorés et joyeux sur la scène d’un violent meurtre nocturne. Des points colorés sur un sol taché de sang. Cela n’avait peut-être aucune signification.
— On n’a pas grand-chose, finit-elle par soupirer. Mais c’est un début. Si on y ajoute le fait qu’il est probablement jeune, au moins plus jeune que l’âge moyen, en se basant sur les statistiques sur l’âge auquel les tueurs en série commencent à tuer, on a assez réduit les possibilités pour avoir quelque chose à présenter. Je vais demander aux médecins légistes de nous donner des chiffres plus concrets basés sur leurs découvertes, comme ça, on pourra au moins donner une description de quel genre de personne chercher.
C’était à peine une mince consolation, pensa-t-elle, si le tueur allait faire une autre victime cette nuit-là — et elles n’étaient en aucun cas en position de faire quoi que ce soit pour l’en empêcher.
CHAPITRE SIX
Il y aurait un autre corps cette nuit-là.
C’était la quatrième nuit et cela signifiait qu’il devait y avoir un quatrième corps.
Il avait conduit toute la journée, s’approchant de plus en plus de son but. Bien qu’il fût dans les temps, il devenait de plus en plus nerveux tandis que le soleil se déplaçait dans le ciel. Il devrait être au bon endroit quand il serait couché ou tout aura été en vain.
Il ne pouvait pas échouer maintenant.
Il regarda de nouveau le téléphone en équilibre sur le tableau de bord et maintenu par un support attaché au conduit de la climatisation. La carte en ligne mettait du temps à s’actualiser là où il était car le réseau était plus faible. L’autoroute était longue et droite au moins, il n’avait pas besoin d’en sortir. Il ne se perdrait pas et il ne raterait pas non plus sa destination.
Il savait précisément où il devait aller. Tout était planifié pour lui, c’était écrit dans les étoiles. Excepté que cette séquence était bien plus précise et facile à lire que la masse de points qui clignotaient dans le ciel nocturne. Évidemment, un expert pouvait trouver ces séquences, même là-haut. Mais sa séquence devait être lue même par ceux qui ne voyaient pas en temps normal — et ils verraient quand il aurait enfin terminé.
Qui ce serait était une autre question. Où et quand — oui, les réponses à ces questions étaient dictées par la séquence. Mais le qui était plus une question de chance et c’était en raison de cela qu’il agitait sa jambe sur le frein, son genou sautant et heurtant presque le volant à chaque fois.
Il prit une profonde inspiration apaisante, respirant l’air qui refroidissait rapidement. Il n’était pas difficile de sentir que le soleil descendait dans le ciel, mais il n’était pas encore trop tard. Les séquences lui avaient dit ce qu’il était censé faire, et il allait le faire à présent. Il devait le croire.
Les pneus de sa berline ne cessaient de vrombir sur le bitume lisse de la route, un apaisant bruit de fond. Il ferma brièvement les yeux, confiant que la voiture resterait droite, et prit une autre profonde inspiration.
Il tapota ses doigts sur le joint de la fenêtre ouverte, tombant dans un rythme simple et répétitif, et sa respiration se calma de nouveau. Tout irait bien. Tout comme cette voiture avait bien tenu le coup toutes ces années depuis qu’il l’avait achetée, toujours fiable et sûre, les séquences ne le laisseraient pas tomber. Tant qu’il contrôlait le niveau d’huile et la faisait réviser de temps en temps, elle tiendrait le coup. Et s’il faisait en sorte d’être au bon endroit au bon moment, les séquences seraient là.
Elles étaient tout autour de lui : les lignes de l’autoroute qui s’étiraient au loin, toujours droites et de plus en plus étroites, et qui lui disaient exactement où aller. Les traînées de nuages cirrus qui semblaient elles aussi indiquer la même direction tels de longs doigts qui l’encourageaient à continuer à avancer. Même les fleurs le long de l’autoroute étaient inclinées, penchées avant et impatientes, tels des motifs de voiture de course qui avalaient les kilomètres sous ses roues.
Tout se mettait en place, tout comme la façon dont les bonbons étaient tombés avant qu’il eût tué la femme à la station-service. La façon dont cela lui avait dit exactement ce qu’il devait faire ensuite et lui avait permis de voir qu’il avait déjà trouvé le bon endroit et la bonne victime.
Les séquences s’assureraient qu’il soit récompensé à la fin.
* * *
Malgré toutes ses pensées rassurantes, son cœur commençait à tambouriner d’angoisse tandis que le soleil commençait à descendre de plus en plus vers l’horizon et qu’il n’avait toujours pas vu qui que ce soit qui convenait.
Mais la chance lui sourit de nouveau — l’heureux hasard d’être au bon endroit au bon moment et de faire confiance à l’univers pour qu’il s’occupe du reste.
Elle marchait à reculons le long de la bande d’arrêt d’urgence, un bras tendu sur le côté et le pouce levé. Elle devait s’être tournée dès qu’elle l’avait entendu approcher, son moteur et le vrombissement des roues trahissant sa présence longtemps avant qu’ils ne puissent se voir. Elle portait un sac à dos qui semblait lourd avec un sac de couchage roulé dessous et il vit qu’elle était jeune quand il s’approcha. Dix-huit ou dix-neuf ans maximum, un esprit libre en route vers une nouvelle aventure.
Elle était douce et adorable, mais cela n’avait pas d’importance. Ce genre de choses n’avait jamais d’importance. C’était les séquences qui étaient importantes.
Il fit ralentir la voiture, s’arrêta juste devant elle, puis attendit patiemment qu’elle le rattrape.
— Salut, dit-il, abaissant la fenêtre passager et penchant la tête pour la regarder. Tu as besoin qu’on te dépose ?
— Euh, ouais, dit-elle en le regardant d’un air méfiant et en se mordant la lèvre. Où est-ce que vous allez ?
— En ville, répondit-il en faisant un vague signe de la main vers l’avant.
C’était une autoroute. Il y aurait une ville au bout et elle pourrait deviner par elle-même de laquelle il s’agissait.
— Je suis content de t’avoir vue. Il n’y a pas beaucoup d’autres voitures sur la route à cette heure-ci. Il fait froid la nuit par ici.
Elle lui adressa un demi-sourire.
— Ça ne me poserait pas de problème.
Il lui rendit son sourire avec un plus large et plus gentil qui atteignait ses yeux.
— On peut faire mieux que « pas de problème », dit-il. Monte. Je te déposerai à un motel à la périphérie de la ville.
Elle hésitait toujours ; une jeune femme montant en voiture avec un homme seul — combien il se montrait sympathique n’avait pas d’importance. Il comprenait qu’elle resterait nerveuse. Mais elle jeta un coup d’œil de chaque côté de la route et elle dut voir que même à présent que la nuit commençait à tomber, il n’y avait pas de phares de visibles de chaque côté.
Elle ouvrit la portière passager avec un petit bruit sec, laissant glisser le sac de ses épaules, et il sourit, pour lui-même cette fois. Il n’avait qu’à avoir confiance et les choses se passerait comme les séquences lui avaient dit.
CHAPITRE SEPT
— Bon, écoutez, dit Zoe.
Elle était déjà mal à l’aise et elle le fut encore plus quand les bavardages cessèrent et que tous les yeux se posèrent sur elle.
Avoir Shelley à ses côtés n’aidait pas vraiment à faire disparaître la pression embarrassante et le poids de l’attente sur ses épaules. L’attention se dirigea vers elle comme un tuyau, palpable et troublante. Le genre de choses qu’elle essayait d’éviter chaque jour de sa vie si possible.
Mais son travail l’exigeait parfois, et bien qu’elle en eût très envie, elle ne pouvait pas forcer Shelley à présenter un profil seule. Pas en tant qu’agent supérieur.
Elle inspira et balaya du regard tous les officiers assis dans les rangées serrées de chaises provisoires dans la plus grande salle de briefing du shérif. Elle détourna ensuite les yeux et trouva un point sur le mur opposé à qui parler, c’était moins menaçant.
— Voici le profil que nous cherchons, continua Zoe. Le suspect mâle fait environ un mètre quatre-vingt d’après les calculs des trois médecins légistes et le peu de preuves physiques trouvées sur les scènes de crime. Nous pensons aussi qu’il a une carrure fine ou moyenne. Il n’est pas particulièrement fort, énergique ou intimidant.
Shelley prit le relais, s’avançant pour son moment sous les projecteurs — quelque chose qu’elle semblait apprécier plutôt que craindre, ses yeux s’illuminant.
— Il aura l’air inoffensif jusqu’au moment du meurtre. Nous pensons qu’il a été capable d’inciter ses victimes à lui parler et qu’il les a même éloignées d’une sûreté relative afin de les emmener dans un espace ouvert où il a pu manipuler la situation pour se retrouver derrière elles. Il est peut-être même charmant et poli.
— Il n’est pas du coin, ajouta Zoe. Sa voiture aura une plaque d’un autre État. Nous ne sommes pas parvenues à déterminer son État d’origine, mais il se déplace et il est probable qu’il continue.
Des images des femmes qui avaient perdu la vie apparurent sur l’écran de projection derrière elles. Elles étaient toutes les trois en vie et souriaient, voire même riaient, à l’objectif. Elles étaient normales, de vraies femmes — pas des mannequins ou des copies du même physique ou quoi que ce soit qui pourrait les rendre spéciales. Simplement des femmes qui avaient toutes vécu, respiré et ri jusqu’à voilà trois nuits.
— Il prend des femmes pour cible, dit Zoe. Une chaque nuit, dans des endroits isolés où il a peu de chances de se faire prendre sur le fait ou de se faire filmer par des caméras de surveillance. Ce sont des endroits sombres, en dehors des sentiers battus, des endroits qui lui donnent le temps et la place de mener à bien le meurtre.
— Comment est-ce qu’on est censés le coincer avec un profil comme ça ? interrompit un des policiers d’État au milieu du champ de chaises devant elle. Il doit y avoir des milliers de mecs grands et fins avec des plaques d’immatriculation d’un autre État ici.
— Nous nous rendons compte que ce n’est pas grand-chose sur quoi s’appuyer, intervint Shelley, sauvant Zoe de l’agacement qui avait menacé de lui faire lancer quelque chose de désagréable. Nous ne pouvons travailler qu’avec ce qu’on a. La chose la plus utile que nous puissions faire avec ces informations pour le moment est de diffuser un avis prévenant d’éviter les endroits isolés et de rester sur ses gardes, en particulier si l’on se fait aborder par un homme correspondant à la description.