Daniel mit la valise dans le coffre, puis prit Patricia dans ses bras. Chantelle s’accrochait à elle.
— Je t’aime Mamie Patty, s’exclama-t-elle. Reviens bientôt, s’il te plaît.
— Je le ferai, chérie, dit Patricia en lui caressant la tête. Ce ne sera pas long du tout.
Puis ce fut au tour d’Emily. Elle serra sa mère dans ses bras, se sentant remplie de gratitude et de reconnaissance. Il avait peut-être fallu des années pour en arriver là – et l’horrible choc de la maladie de Roy, qui donnait à réfléchir – mais il semblait que les choses allaient enfin changer pour le mieux entre elles.
— S’il te plaît, reste en contact, dit Emily à sa mère.
— Je le ferai, répondit Patricia. Je te le promets.
Elles se relâchèrent et Patricia monta dans le taxi. Emily rejoignit sa famille, sentant le bras de Daniel passer autour de ses épaules et les mains de Chantelle s’accrocher à elle. Elle berça son ventre d’une main et salua sa mère de l’autre. Ils restèrent là jusqu’à ce que le taxi ait disparu.
Alors qu’ils retournaient vers l’auberge, Emily entendit le téléphone se mettre à sonner. Elle alla à la réception et y répondit. C’était la voix d’Amy à l’autre bout.
— Em, je viens juste de voir le bulletin à l’extérieur de la mairie, dit-elle.
Emily avait encore du mal à se faire à l’idée qu’Amy était une résidente de Sunset Harbor, qu’elle prêtait attention à ce qui se passait dans leur petite ville.
— Quel bulletin ? demanda Emily.
— L’hôtel de Raven ! La réunion est demain. Celle qu’ils ont reporté à après Thanksgiving.
— Demain ? s’exclama Emily. C’est un peu au dernier moment ! Et c’est loin d’être un report !
— Je sais, je sais. À ton avis, qu’est-ce que ça veut dire que ce soit si tôt ?
— Je ne peux que supposer que cela signifie que le conseil d’urbanisme a pris une décision rapide et unanime, lui dit Emily en se remémorant le processus d’obtention de son propre permis pour l’auberge.
— Un oui unanime ou un non unanime ?
— On le saura bien assez tôt.
Amy avait l’air incroyablement stressée à propos de tout cela, ce qu’Emily trouva un peu étrange étant donné qu’elle était celle qui serait la plus affectée par le résultat.
— Nous devons aller à la réunion, dit-elle brusquement. Tu peux libérer ton agenda ?
— Peut-être. Je ne vois pas pourquoi je devrais le faire, par contre. J’ai déjà dit ce que j’avais à dire.
Elle pouvait entendre l’impatience d’Amy dans sa voix.
— Emily, tu dois y aller. Tu dois l’abattre ! Si Raven ouvre un hôtel à Sunset Harbor, ton entreprise sera en difficultés.
— Tu devrais avoir plus confiance en moi, lui dit Emily. La concurrence ne m’inquiète pas.
— Eh bien, ça devrait, lui dit Amy. Surtout venant de Raven Kingsley. Elle va t’écraser.
Emily pensa aux moments qu’elle avait passés avec Raven. Elles ne s’étaient pas liées d’amitié en tant que telles, mais elles étaient en bons termes. Raven l’avait aidée quand Daniel avait eu son accident de bateau, et elle était même venue au dîner de Thanksgiving qu’Emily avait organisé pour la ville. Elle percevait l’auberge de Raven comme une compétition amicale.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? dit Emily en secouant la tête. Raven est comme n’importe quel autre chef d’entreprise. Elle veut travailler dur et réussir. Je sais qu’elle a été un peu un vautour par le passé, mais elle veut s’installer ici. Son mari l’a quittée et elle veut juste que les enfants soient au même endroit pour une certaine stabilité.
— Je pense que tu es naïve, dit Amy. Chasse le naturel, il revient au galop.
— Amy, ma mère vient de boire du chocolat chaud avec de la crème et des guimauves et a coupé un sapin de Noël à la scie. Le naturel peut changer.
Mais Amy ne reculait pas.
— Raven te poussera à la faillite, puis passera à la ville suivante. C’est ce qu’elle fait. Elle a l’habitude de le faire, de détruire des quartiers avec ses grands hôtels tape-à-l’œil. C’est entièrement du business, sans âme. La dernière chose dont la ville a besoin. Et elle en a tellement qu’elle met le prix des chambres très bas pour commencer. Même si elle subit une perte pendant les cinq premières années, elle le fera, juste pour pouvoir éliminer la concurrence !
Emily n’arrivait pas à concilier la Raven dont parlait Amy et celle qu’elle connaissait. Mais entendre ce qu’Amy avait à dire commençait à la secouer.
— Viens juste à la réunion, dit Amy.
— D’accord, dit Emily.
Alors qu’elle reposait le combiné, elle se demanda si Amy avait raison. Peut-être que Raven était aussi impitoyable. Mais si Emily n’avait pas l’auberge, qu’adviendrait-il d’elle ? De sa famille ? Soudain, elle eut l’impression que le sol sous ses pieds devenait instable. Et si la vie de rêve qu’elle vivait s’avérait être temporaire après tout… ?
CHAPITRE TROIS
Le lendemain, après avoir déposé Chantelle à l’école, Daniel conduisit Emily chez Harry et Amy avant de se rendre au travail. Quand Emily sonna à la porte, Amy vint ouvrir, rayonnante et souriant d’une oreille à l’autre.
— Prête ? demanda Emily.
Le sourire d’Amy s’élargit.
— Bien sûr que oui !
Aujourd’hui, Amy avait prévu une journée de shopping endiablée, avec des rendez-vous dans des lieux de mariage potentiels et plusieurs visites de maisons avec des agents immobiliers. Et comme Harry travaillait au restaurant toute la journée, Emily était disponible pour lui offrir son soutien et ses paroles de sagesse. Elle était, bien sûr, ravie d’aider.
Elles prirent la Chrysler blanche d’Amy et partirent.
— Où est la première visite ? demanda Emily depuis le siège passager.
— Eastern Road, dit Amy, en tendant le cou pour vérifier la circulation. Ne voyant rien, elle tourna sur la rue principale.
— Ooh, dit Emily. C’est un joli quartier. De l’autre côté du port pour moi, mais quand même proche.
— Surtout par rapport à New York, plaisanta Amy. Il y a une brochure dans la boîte à gants. Jette un coup d’œil.
Emily tendit la main à l’intérieur et, trouvant le dossier brillant, l’ouvrit. Elle parcourut les feuilles à l’intérieur. Parmi les informations légales et les détails sur la propriété – trois chambres à coucher, Emily nota avec un sourire entendu – elle trouva une sélection de photographies. La maison était magnifique. Si Harry et Amy prévoyaient en effet de fonder leur propre famille bientôt, ce serait l’endroit idéal pour le faire ! En son for intérieur, elle sourit, mais elle aperçut alors l’énorme prix de vente qu’elle demandait et faillit s’étouffer.
— Celle-ci a un studio à l’extérieur, dit Amy à Emily tout en conduisant. Ils l’utilisent comme atelier d’artiste en ce moment, mais je le transformerais en bureau. Si je dois travailler à la maison à plein temps, j’aimerais avoir un endroit à part, tu vois ?
— Bien sûr, répondit Emily en pensant aux inconvénients de vivre et de travailler dans le même espace qu’elle devait affronter chaque jour. Cet endroit serait parfait pour ça.
Elles passèrent le port. C’était une journée calme, aussi Stuart, Evan et Clyde s’étaient-ils rendus sur l’île pour mener leurs travaux de rénovation. Emily se sentait très chanceuse que le temps ait été si doux. Ils semblaient définitivement en voie d’avoir tout terminé pour les réservations d’avril. C’était une chose de moins dont il fallait s’inquiéter !
— Tu as pensé à la lune de miel prénatale ? demanda Amy.
— Pas vraiment, lui dit Emily.
— Tu devrais y aller, insista Amy. Vous n’avez presque plus le temps ! Elle opina vers le ventre rond d’Emily. Puis elle ajouta : Il y a de jolis hôtels qui font de superbes forfaits pour une lune de miel prénatale.
Emily plissa les yeux, suspicieuse.
— Tu as fait des recherches ?
Amy sourit diaboliquement.
— Juste un peu. Regarde dans la poche derrière ton siège.
En levant jovialement les yeux au ciel, Emily se pencha en arrière et trouva une pile de magazines brillants. Elle les sortit.
— Un peu ? plaisanta-t-elle.
— D’accord, peut-être beaucoup, avoua Amy. Je veux juste que vous fassiez une pause ! Ma préférée est sur le dessus. Le spa au Québec.
Emily regarda le premier de la sélection d’Amy. Situé dans la vieille ville de Québec, il ressemblait plus à un château qu’à un hôtel.
— C’est pile dans le vieux centre de la ville, dit Amy. Donc il y a plein de culture et tout ça. Les remparts de la ville. Une citadelle. Des musées à profusion.
— Tu es sûre que tu ne veux pas y aller ? plaisanta Emily en levant un sourcil.
Amy rit.
— Bien sûr que si. Quand ce sera mon tour, bien sûr. Mais pour l’instant, je me concentre sur le mariage et la maison. Quand ce sera le moment de la lune de miel prénatale, j’irai là-bas, promis. Elle se pencha et tapota le haut du magazine.
Emily jeta à nouveau un coup d’œil au magnifique château. Ce n’était peut-être pas une si mauvaise idée. Le forfait lune de miel prénatale comprenait un massage prénatal spécial pour la future maman et un massage anti-stress pour le futur papa. De plus, tous les produits étaient naturels, sans produits chimiques nocifs, et toute la nourriture était biologique. Cela semblait idyllique. La docteur Arkwright approuverait certainement qu’Emily réduise son niveau de stress. Mieux vaut tard que jamais !
— Daniel trouvera probablement une raison très logique et pratique pour laquelle nous ne devrions pas y aller, dit Emily. Elle compta sur ses doigts. Chantelle. L’île. Ma date d’accouchement imminente. Pour n’en nommer que quelques-uns. Mais elle glissa quand même le magazine dans son sac pour le lui montrer plus tard. Peut-être pourrait-elle le convaincre.
Ils s’arrêtèrent sur le parking de la première visite. Emily adora tout de suite. La pelouse à l’avant était grande avec une haie pour plus d’intimité, et il y avait assez d’espace pour garer au moins deux voitures dehors. La maison était encore plus jolie en vrai. Il y avait un joli porche à l’avant, pas aussi grand que celui de l’auberge, mais il y avait de la place pour un fauteuil à bascule et une table de bistro avec des chaises.
— Je peux déjà dire que je vais l’adorer, dit Emily.
Mais Amy n’avait pas l’air si convaincue.
— C’est un peu décevant, dit-elle.
— Tu es folle ? sursauta Emily. On la dirait sortie d’un film !
— Oui, continua Amy, d’une voix distraite. Un film ennuyeux.
Emily leva les yeux au ciel face au perfectionnisme d’Amy, mais en même temps, elle savait qu’elle ne devait pas être si dure. La vie d’Amy était complètement différente de celle d’Emily. Son entreprise fondée dans un dortoir universitaire avait marché et elle avait acheté son appartement à New York alors qu’elle avait encore une vingtaine d’années. Pour Amy, la maison avait toujours été synonyme d’indépendance. Maintenant, cela aller signifier la domesticité. Emily dut admettre que, pour les goûts d’Amy, c’était peut-être un peu trop raisonnable. Il n’y avait pas d’ascenseur à négocier, pas de bourdonnement de circulation au loin. Bref, il n’y avait pas de défi. Si Amy voulait être heureuse dans cette nouvelle étape de sa vie, Emily se rendit compte qu’elle devait trouver une maison exceptionnelle, pas seulement une belle.
*
Après une longue journée de visites de maisons et de lieux du mariage, Emily avait besoin de faire une sieste à l’auberge. Elle commençait à être incroyablement fatiguée dans ces dernières semaines de grossesse, mais elle savait qu’il lui fallait s’y habituer car à la naissance de bébé Charlotte, la situation ne ferait qu’empirer !
Elle s’endormit dans son lit, dans un demi-sommeil, profitant d’une maison vide pour laisser les chiens dormir au bout du lit – ce qui était habituellement interdit. Elle feuilleta la brochure du spa au Québec, réfléchissant à la façon dont elle allait présenter l’idée à Daniel. Puis elle se souvint d’une promesse qu’elle avait faite à Chantelle : inviter Papa Roy à Noël.
Elle n’avait pas eu le cœur de dire à Chantelle quand elle le lui avait demandé que son père n’avait pas pris contact depuis plusieurs jours et que les messages vocaux qu’elle lui avait laissés étaient restés sans réponse. En fait, elle se rendit compte maintenant qu’elle n’avait pas eu le courage de se l’admettre. Elle l’avait complètement occulté, ne voulant même pas penser une seule seconde à ce que cela pouvait signifier ; que son père était décédé. Même maintenant, elle refusait de se permettre de véritablement l’envisager. Il avait Vladi, son ami proche, pour s’occuper de lui, et elle avait fait promettre au vieux grec d’appeler en cas de problème. Elle choisissait plutôt de croire que Roy était parti à l’aventure, s’amusant trop pour remarquer que les jours passaient.
Elle prit son ordinateur portable et rédigea un petit mail. L’approche téléphonique ne fonctionnait manifestement pas, et même s’il était beaucoup moins réceptif aux courriels, il semblait être une bonne idée de changer de tactique.
Cher papa,
J’ai appelé une paire de fois, mais je n’ai pas eu de nouvelles, ce qui je suppose veut dire que tu profites au maximum de la météo grecque et que tu fais du bateau avec Vladi ! Chantelle a demandé si tu viendrais pour Noël. Je sais que tu avais clairement dit que tu ne voulais pas prendre l’avion, surtout pas pour un endroit aussi froid que le Maine, mais je t’en prie. Tu sais que tu es sa personne préférée au monde !
Tout mon amour,
Emily.
Elle appuya sur Envoyer et se rendit compte que ses joues étaient mouillées de larmes. Elle les essuya.
Alors qu’elle rangeait son ordinateur portable, elle entendit le bruit de la porte de l’auberge qui se refermait. Il s’agissait probablement de Lois qui était venue commencer son court service à la réception ou Bryony qui s’installait à son poste de travail habituel, dans le salon des invités, pour travailler sur les publicités d’hiver. Mais elle entendit alors des pas qui montaient les escaliers, lourds et rapides, et les reconnut immédiatement comme étant ceux de Daniel.
— Mogsy ! Rain ! Dégagez du lit ! dit-elle précipitamment, en essayant de les chasser.
Trop tard. La porte s’ouvrit.
— Hé chérie ! s’exclama Daniel en souriant d’une oreille à l’autre.
— Que fais-tu à la maison si tôt ? demanda-t-elle, heureuse, surprise mais aussi coupable.
Comme s’il n’avait pas le moindre souci au monde, Daniel entra et s’assit au bout du lit, caressant paresseusement Rain.
— Jack est à l’atelier ce soir, dit-il en passant sa main sur ses longues oreilles. Nous avons eu une grosse commande pour un escalier de princesse féerique pour une bar mitzvah et, tu connais Jack, il prend n’importe quelle excuse pour être au travail plutôt qu’à la maison.
— Cette histoire de retraite ne marche pas vraiment pour lui, n’est-ce pas ? dit Emily en riant, son regard se posa sur le chien, puis revint sur Daniel.
— Non, répondit Daniel en riant.
Mogsy gémit pour attirer l’attention. Il prit sa tête dans ses mains et embrassa la chienne.
— Heureusement que tu vas bientôt ouvrir ton propre magasin, dit Emily, encore un peu déconcertée que Daniel ne l’ait pas grondée pour avoir laissé les chiens sur le lit. Tu lui as déjà dit ?
— Pas encore. Mais honnêtement, je ne pense pas que ça le dérangera. Cela lui donnera une excuse pour dire à sa femme qu’il doit retourner travailler. Elle me considérera peut-être comme un méchant pendant un moment, mais Jack en sera probablement très reconnaissant.
— S’il te plaît, ne soyons pas comme ça après trente ans de mariage.
Daniel gloussa.
— Pas question. Je ne vois aucun de nous deux prendre sa retraite. Toi si ?
— Bien vu, dit Emily. Elle plissa alors les yeux, toujours incertaine de ce qui n’allait pas. Tu es de très bonne humeur.