Riley ne put s’empêcher de sourire à cette idée. Aller camper avec Crivaro et se faire passer pour sa nièce lui semblait tellement étrange que cela en était comique.
Nous ne duperons jamais personne, pensa-t-elle.
Elle réalisa que les conseils incessants de Harry montraient à quel point il était investi dans cette affaire. Le silence sinistre de Jillian lui indiquait que la femme de Harry était bien consciente de son état d’esprit.
Alors que Harry n’arrêtait pas de parler de la façon dont Riley et Crivaro devraient enquêter sur l’affaire, ils passèrent devant des complexes de golf et des ranchs touristiques juste à l’extérieur de la ville de Tunsboro.
Quand ils arrivèrent à Tunsboro même, Riley avait l’air d’une vieille ville de western où la modernisation n’avait pas été un franc succès. Des bâtiments à fausses façades carrées bordaient la rue principale. Une rangée de auvents en fer-blanc branlant, retenus par de lourds poteaux de bois ornait les bâtiments. Malgré un peu de peinture fraîche ici et là, rien dans cet endroit ne semblait prêt pour l’an 2000 qui approchait.
En fait, c’était le trottoir de béton, les feux de circulation et surtout les voitures qui ne semblaient pas à leur place ici.
Harry se gara devant le poste de police, qui avait lui aussi une de ces devantures démodées.
Il se tourna vers Riley et Crivaro.
— J’imagine que le chef Webster sera surpris de vous voir. Je n’ai pas parlé de contacter l’UAC. Au moins, il me connaît pour m’avoir parlé au téléphone. Peut-être que je devrais vous accompagner à l’intérieur et…
— N’y pense même pas, Harry, l’interrompit brusquement Jillian.
Harry regarda sa femme avec une expression suppliante.
— Ça ne prendras pas plus d’une minute, chérie, dit-il.
— Tu n’en auras pas pour une minute, et tu le sais. Nous laissons descendre tes amis ici, puis nous retournons directement chercher le reste du camping-car et nous prendrons la route de la forêt de Coronado. Voilà ce que nous allons faire.
— Mais chérie…
— Il n’y a pas de « mais », Harry. Si tu entres dans ce commissariat, je prends le volant et je pars sans toi.
Harry soupira et se mit à rire.
— Eh bien, vous avez entendu la dame, dit-il à Crivaro et à Riley. Comme je l’ai dit, une laisse bien serrée. Nous allons y aller maintenant. Bonne chasse, vous deux. Et encore merci d’avoir accepté d’enquêter là-dessus.
En descendant du camion, Riley et Crivaro entendirent Harry marmonner…
— Ça ne me dérangerait pas que tu me tiennes au courant pour la suite.
— Non ! remarqua brusquement Jillian.
Riley et Jake restèrent un moment à regarder Harry et sa femme quitter la ville.
C’était très étrange pour Riley d’être ici, soudainement coincé au milieu de cette étrange petite ville.
Crivaro ressentait apparemment la même chose. Il regardait le sol et agitait les pieds en secouant la tête.
— C’est de la folie, dit-il. Nous n’avons rien à faire ici.
Riley rit.
— Ce n’était pas vraiment mon idée, dit-elle.
Puis une idée commença à prendre forme dans son esprit.
— D’un autre côté, ajouta-t-elle, pour autant que nous sachions, Harry a raison pour tout.
Crivaro la regarda l’air incertain.
— Eh bien, il se trompe sur le fait que toi et moi allions camper. C’est vraiment trop ridicule. Il faut bien tracer la ligne quelque part.
— Je suis bien d’accord, dit Riley.
Crivaro se tourna et se dirigea vers le bâtiment.
— Viens, on va se présenter au chef, dit-il.
Ils entrèrent dans le petit poste de police, où une réceptionniste les redirigea vers le bureau du chef Everett Webster. Ils le trouvèrent assis sur le bord de son bureau en train de parler à un de ses adjoints. La conversation semblait sérieuse.
Riley était sûre qu’ils parlaient du récent meurtre.
Quand Riley et Crivaro montrèrent leurs insignes et se présentèrent, la surprise de Webster fut flagrante.
— Bon Dieu, s’exclama-t-il. Qu’est-ce que viennent foutre deux fédéraux par ici ?
— Vous avez trouvé une femme assassinée sur un sentier de randonnée près d’ici, dit Crivaro.
— C’est vrai, mais le FBI n’a pas besoin de venir ici pour ça, s’agaça Webster. C’est une affaire locale dont on peut se charger.
Puis il loucha sur Riley et Crivaro.
— Attendez une minute, continua-t-il. Vous n’êtes pas là à cause de ce taré du Colorado, n’est-ce pas ? Le type qui a appelé pour me convaincre qu’il y avait un lien entre ce meurtre et un autre il y a un an ?
Crivaro haussa les épaules.
— Nous sommes juste ici pour vérifier les choses.
— Wally, dit Webster à son adjoint en secouant la tête, tu peux nous laisser quelques minutes ?
Wally hocha la tête et quitta le bureau.
Webster commença à faire les cent pas devant son bureau. Riley le voyait comme un homme plutôt laid, avec un énorme menton en saillie et un front incliné qui le faisait ressembler à un homme des cavernes. Mais ses yeux semblaient alertes et plutôt intelligents.
Il se tourna vers Riley et Crivaro.
— Je ne sais pas comment ce type a convaincu le FBI de vous envoyer ici, mais c’est vraiment un déplacement inutile, et je suis désolé qu’on vous ait dérangés pour ça. Mes hommes et moi pouvons gérer ça.
— Je n’en doute pas, dit Crivaro d’une voix agréable. Mais tant qu’on est là, vous pourrez peut-être nous dire tout ce que vous savez sur le meurtre. Nous sommes de l’Unité d’Analyse Comportementale, et il semblerait que ce tueur soit un peu inhabituel. On pensait juste qu’on pourrait aider ici.
— L’UAC ? remarqua Webster dans un haussement d’épaules. C’est un cas étrange, je dois l’admettre. La victime s’appelait Brett Parma. Je viens de passer un coup de fil pour en savoir plus sur elle.
Webster prit quelques notes sur son bureau et les regarda à travers ses lunettes de lecture.
— Il semble qu’elle ait travaillé comme réceptionniste dans un cabinet de médecin à North Platte, dans le Nebraska. Elle est venue ici pour trois semaines de vacances. Elle avait passé quelques nuits au terrain de camping du Wren’s Nest près d’ici, puis elle en est partie le samedi. C’est la dernière fois qu’on l’a vue, du moins jusqu’à ce qu’un randonneur la croise hier soir sur un sentier pédestre. Apparemment, elle avait une réservation au camping Beavertail, tout près d’ici. Mais elle n’y est jamais arrivée.
Webster remit les notes en place.
— Ce qui est bizarre, continua-t-il, c’est qu’elle n’a pas été tuée sur le sentier pédestre. Il semble qu’elle ait été tailladée ailleurs et saignée à mort. Puis on a jeté son corps à cet endroit.
Webster croisa les bras.
— Écoutez, ça ne me dérange pas de vous le dire, je le prends personnellement quand quelqu’un est assassiné dans ma juridiction. C’est mauvais pour le tourisme, et ça représente à peu près toute l’économie de Tunsboro, du moins depuis que les mines ont fermé il y a longtemps. Mes gars et moi avons l’intention de résoudre cette affaire bientôt. Ne le prenez pas mal, mais je ne veux pas d’interférence de Quantico.
Crivaro hocha la tête.
— Je comprends, et je respecte ça. Mais tant qu’on est là, ça vous dérange si mon partenaire et moi jetons un coup d’œil sur la scène du crime ? Nous serons en mesure de dire assez rapidement si nous avons quelque chose à faire ici… et probablement que non. Alors on pourra vous débarrasser le plancher.
Webster se détendit visiblement un peu.
— Ça me semble correct, dit-il. Il se trouve que je m’apprêtais à y retourner. Vous pouvez nous accompagner.
Riley et Jake accompagnèrent Webster devant le poste, puis montèrent en voiture avec lui.
Tandis que Webster les conduisait hors de la ville, Riley pensa à la façon dont il avait dit que Brett Parma était morte.
« Elle a été tailladée ailleurs et saignée à mort. »
Riley frissonna en se souvenant de la dernière affaire sur laquelle Crivaro et elle avaient travaillé, celle du tueur aux barbelés. Ses victimes, elles aussi, avaient été lentement saignée à mort, et cette similitude la troubla.
Elle pensa également à ce que Crivaro venait de dire.
« On pourra vous débarrasser le plancher. »
Elle se demandait s’il le pensait vraiment.
Riley ne savait pas si Harry avait raison et si les deux meurtres étaient liés. Mais une chose était absolument certaine : une femme avait récemment été sauvagement assassinée tout près d’ici.
Pourraient-ils ne pas se mêler de cette affaire ?
Est-ce qu’ils allaient vraiment retourner à Quantico sans même essayer de la résoudre ?
Elle commençait à trouver cela difficile à croire.
Et si Crivaro insiste ?
Elle devrait accepter sa décision, et il n’avait jusque-là pas montré de réel intérêt pour cette affaire.
Peut-être parce que l’agent spécial Jake Crivaro avait vu tant de morts au cours de ses longues années à l’UAC.
En fait, pensa-t-elle, l’agent spécial Riley Sweeney a vu plus de meurtres que la plupart des gens de son âge.
Et personnellement, elle n’était pas prête à fermer les yeux sur ce meurtre.
CHAPITRE SEPT
Alors que le chef Webster conduisait la voiture de police hors de Tunsboro, Riley sentit l’appréhension monter.
C’est juste moi ? se demanda-t-elle.
Elle n’avait vu aucun signe d’intérêt sur le visage de l’agent Crivaro. À présent, assis à côté du chef, il avait même l’air de s’ennuyer.
Crivaro ne se soucie pas du tout de cette affaire ? Pas même après nous avoir traînés si loin à travers tout le pays ?
Avec un soupir, Riley remua sur le siège arrière. Elle espérait que son partenaire montrerait plus d’enthousiasme une fois sur les lieux du crime.
Webster tourna la tête vers Crivaro.
— Ce Harry Carnes, celui qui m’a appelé, vous le connaissez ?
— Un peu, répondit simplement Crivaro.
Riley devinait que Crivaro ne voulait pas admettre que leur présence ici était une faveur personnelle pour un vieil ami. C’était probablement aussi bien de faire croire à Webster qu’ils avaient été officiellement envoyés ici par l’UAC.
— Eh bien, c’est un vrai moulin à paroles, dit Webster. J’ai à peine pu en placer une quand je l’ai eu au téléphone.
Riley remarqua un léger sourire sur le visage de Crivaro. Il était facile de deviner à quoi il pensait…
« Moulin à paroles » c’est peu dire.
Harry avait parlé presque sans arrêt pendant tout le temps qu’ils avaient passé avec lui.