Président Élu - Джек Марс 2 стр.


Il n’avait pas fait de feu depuis que la tempête était survenue. Depuis quarante heures, il n’avait pas quitté la tente sauf pour uriner. Il était à 1200 mètres du sommet, et il semblait qu’il n’allait pas y arriver. Certains pourraient dire qu’il n’arriverait nulle part.

Il était venu ici avec un manque cruel de préparation, il s’en rendait compte à présent. Il avait apporté assez d’eau pour quatre jours – et il n’en avait plus depuis deux jours. Depuis lors, il mangeait de la neige et de la glace pour s’abreuver. Ce n’était pas grave. Le pire, c’était la nourriture. Il avait apporté un tas de repas secs tout prêts. La plupart d’entre eux étaient engloutis maintenant. À l’arrivée de la tempête, il s’était mis à rationner la nourriture. Il mangeait moins de la moitié des calories quotidiennes dont il avait besoin – heureusement, il avait à peine bougé en deux jours, et il économisait son énergie.

Il ne s’était pas soucié d’apporter un réchaud. Il n’avait pas de radio, donc aucune idée de la météo. Il avait été amené ici par un hélicoptère privé, et n’avait pas laissé d’itinéraire au service du parc. Personne ne savait qu’il était ici à part le pilote de l’hélico, à qui il avait dit qu’il l’appellerait quand il aurait fini.

– Est-ce que j’essaie de me tuer ? se demanda-t-il à voix haute, surpris par le son de sa propre voix.

Il connaissait la réponse : non. Pas nécessairement. Si cela se produisait, tant pis, mais il n’essayait pas activement de mourir. On pourrait dire qu’il prenait le risque que cela arrive, qu’il prenait même des risques insensés, et qu’il le faisait depuis la mort de Becca.

Il désirait vivre. Il voulait juste devenir meilleur. Et s’il n’y arrivait pas…

Il avait échoué en tant que mari. Il avait échoué en tant que père. À 41 ans, sa carrière était derrière lui – il avait démissionné de son travail au gouvernement deux ans plus tôt et n’avait rien cherché d’autre. Il n’avait pas consulté son compte bancaire depuis un moment, mais il était raisonnable de supposer qu’il était presque à sec. La seule chose pour laquelle il avait toujours été assez doué, c’était de survivre dans un milieu rude et impitoyable. Et de tuer – il était bon pour ça aussi. Autrement, sa vie n’était qu’un échec total et abject.

Il risquait de mourir sur cette montagne, mais cette perspective ne le terrorisait pas du tout.

Il était vide, creux… indifférent.

– Faut que je trouve un moyen de sortir d’ici, dit-il.

Mais c’était juste pour meubler la conversation. Il pouvait partir… ou pas. Ce serait un bon endroit pour mourir, et chose facile. Tout ce qu’il avait à faire, c’était… rien. D’ici peu, il serait à court de nourriture. Boire de la neige fondue ne le ferait pas durer très longtemps. Il s’affaiblirait graduellement, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus redescendre de la montagne par ses propres moyens. Il mourrait de faim. À un moment donné, il sombrerait dans le sommeil et ne se réveillerait plus jamais.

Que décider ? Que décider ?

Il se mit à crier tout à coup, surpris par sa propre voix :

– Donne-moi un signe ! Dis-moi quoi faire !

C’est alors que son téléphone fit quelque chose qu’il n’avait pas fait depuis longtemps : il sonna. Le son le fit sursauter, et son cœur manqua un battement. La sonnerie était à sa puissance maximale. C’était un morceau de rock que son fils Gunner avait mis dans son téléphone deux ans plus tôt. Luke ne l’avait jamais changé. Mieux, il l’avait laissé à dessein. Il chérissait cette chanson, qui constituait le dernier lien entre eux deux.

Il regarda le téléphone. Il lui évoquait une chose vivante, une vipère venimeuse, à manipuler avec précaution. Il le ramassa, jeta un œil au numéro affiché, et répondit :

– Allo ?

La ligne était brouillée. Naturellement, l’épaisseur de la toile de tente bloquait le signal satellite. Il allait devoir sortir pour prendre cet appel – une perspective peu réjouissante.

– Je vous rappelle ! cria-t-il dans l’appareil.

Même en s’activant, il lui fallut plusieurs minutes pour enfiler les couches de vêtements nécessaires. Il faisait trop froid dehors pour faire les choses à moitié. Il ouvrit la tente, rampa à travers la minuscule entrée et s’extirpa dans la tempête. Le vent et la glace cinglèrent en même temps son visage. Il devait faire vite.

Il accrocha un fanal lumineux aux montants de la tente et s’éloigna du bruit de la toile battant au vent, trébuchant à chaque pas dans la neige épaisse. Il avait pris une torche puissante et se retournait tous les quelques pas pour repérer la direction de son campement. Il n’y avait aucune lumière dehors, et la visibilité ne portait pas à plus de vingt mètres. La neige et la glace tourbillonnaient autour de lui.

Il appuya sur le bouton d’appel et glissa le téléphone dans la capuche de sa parka. Figé comme une statue, il écouta les bips tandis que le téléphone se connectait au satellite et que l’appel tentait de passer.

– Stone ? répondit une grosse voix masculine.

– Oui.

– Restez en ligne, je vous passe la présidente des États-Unis.

Il y eut une courte attente.

– Luke ? s’enquit une voix féminine.

– Madame la présidente ! cria Luke. (Il ne put s’empêcher de sourire.) Ça fait longtemps.

– Bien trop longtemps, répondit Susan Hopkins.

– Que me vaut cet honneur ?

– J’ai des ennuis, dit-elle. J’ai besoin de vous ici.

Luke y réfléchit un instant.

– Heu, je suis loin de tout en ce moment. Ça va être un peu compliqué de…

– Peu importe, trancha-t-elle. Où que vous soyez, je vous envoie un avion. Ou un hélicoptère. Tout ce qu’il vous faut.

– Un bon gros saint-bernard ferait l’affaire pour commencer, répondit Luke. Avec un petit tonnelet de whisky autour du cou.

– C’est fait. Il vous apportera aussi un sandwich, au cas où vous auriez faim.

Luke se retint de rire.

– C’est rien de le dire. Et quand j’aurai mangé, j’aurai vraiment besoin de cet hélico.

– Fait aussi. Avant de raccrocher, je vous passe quelqu’un qui va prendre vos coordonnées et enverra quelqu’un vous chercher. On se met en quatre ici. On croit au service à domicile.

Luke devait bien admettre qu’il ressentit un bref soulagement. Un instant plus tôt, il ne voyait aucun moyen de quitter cette montagne, pas de seconde chance dans sa vie. À présent, il en avait une. Avant, il ne savait plus s’il voulait vivre ou mourir – mais il en était sûr maintenant. Il le savait à la façon dont son sang n’avait fait qu’un tour quand elle lui avait offert une issue. Intellectuellement, il hésitait toujours, mais viscéralement, son corps s’était clairement exprimé.

Il voulait vivre.

Malgré tout l’enfer qu’il avait traversé, d’une façon ou d’une autre, il voulait vivre.

– Qu’est-ce qui se passe ? s’enquit-il.

Elle hésita, et quand elle parla, sa voix frémit légèrement. Il put l’entendre malgré le vent qui le fouettait.

– Hier, c’était l’élection présidentielle.

Luke considéra la chose. Il était hors circuit depuis si longtemps qu’il n’avait plus aucune idée de la date. Quelque part, loin d’ici, des gens faisaient campagne pour le poste suprême. Les roues du gouvernement continuaient de tourner. Il y avait des politiques à débattre et des décisions importantes à prendre. Il y avait une couverture médiatique et des moulins à paroles qui s’écharpaient. Il n’avait pas songé à tout cela depuis quelque temps. En fait, il en avait presque oublié l’existence.

Un long silence plana entre eux.

– Luke, reprit Susan. J’ai été battue.

CHAPITRE TROIS

08:03, heure normale de l’Est

Bureau ovale

Maison-Blanche, Washington DC


– Ce sale enfoiré, proféra-t-on dans la pièce. Il l’a truquée, purement et simplement.

Debout au milieu du grand bureau, Susan Hopkins regardait le large écran TV plat fixé au mur. Elle était toujours paralysée, presque en état de choc. Elle avait beau s’efforcer de se concentrer sur ce qu’elle voyait, elle peinait à avoir les idées claires. C’était trop à intégrer.

Elle était très consciente de la tenue qu’elle portait : un tailleur bleu nuit et un chemisier blanc. Elle ne se sentait pas à l’aise dedans. Jadis, il lui allait très bien – en fait, il avait été taillé sur mesures – mais c’était clair aujourd’hui que son corps avait changé. À présent le tailleur tombait mal : les épaules de la veste étaient trop amples, le pantalon trop serré. Les bretelles de son soutien-gorge lui pinçaient la peau du dos.

Trop de dîners tardifs. Trop peu de sommeil. Trop peu d’exercice.

Elle soupira profondément. Ce boulot la tuait, de toute façon.

Hier à la même heure, juste après l’ouverture des bureaux de vote, elle avait été l’une des premières à voter aux États-Unis. Elle était sortie de l’isoloir avec un grand sourire et le poing en l’air – une image captée par les photographes et les caméras de télévision et devenue virale au cours de la journée. Susan avait surfé sur une vague d’optimisme pour le jour du scrutin, et les sondages d’hier matin établissaient le soutien de plus de soixante pour cent d’électeurs potentiels – un possible raz-de-marée en formation.

Et maintenant ça.

Elle vit son adversaire, Jefferson Monroe, monter à la tribune de son quartier général de Wheeling, en Virginie-Occidentale. Bien qu’il ne soit que huit heures du matin, une foule de supporters et de personnel de campagne emplissait les locaux. Les caméras faisaient des panoramiques sur des quantités de grands chapeaux rouge, blanc et bleu style Abraham Lincoln, qui étaient en quelque sorte devenus l’emblème de la campagne de Monroe. Avec les banderoles agressives devenues le cri de guerre de ses troupes : L’AMÉRIQUE EST À NOUS !

À nous ? Qu’est-ce que ça voulait dire ? Par opposition à qui ? À qui d’autre appartiendrait-elle ?

C’était clair : aux minorités, aux non-chrétiens, aux homosexuels… au choix. En particulier, cela visait nettement les immigrants chinois en Amérique, ainsi que les Américains d’origine chinoise. Quelques semaines auparavant, la Chine avait menacé de recouvrer sa dette, ce qui pouvait mettre les États-Unis en faillite. En fait, cela avait permis à Monroe de surfer sur une vague de peur antichinoise dans les derniers jours de sa campagne. Monroe prospérait grâce à la peur – la peur des Chinois en particulier. Selon lui, ces gens-là étaient des pions cachés œuvrant pour les ambitions impérialistes du gouvernement de Pékin et les oligarques chinois qui achetaient des pans entiers de l’immobilier et des intérêts commerciaux américains. Selon Monroe, si l’on ne se montrait pas sévère, la Chine prendrait le contrôle de l’Amérique.

Ses troupes avaient tout gobé.

Les ennemis jurés de Jefferson Monroe et de ses supporters étaient donc les Chinois. Ceux-ci étaient la grande némésis de l’Amérique, et l’ancien mannequin écervelé en poste à la Maison-Blanche n’avait pas d’yeux pour le voir, ou bien était une collabo vendue aux Chinois.

Monroe fixa l’assemblée de ses yeux profondément enfoncés, au regard d’acier. Âgé de 74 ans, il avait des cheveux blancs et des traits ridés et burinés – un visage paraissant plus vieux qu’il ne l’était. Si l’on ne se fiait qu’à sa figure, il aurait pu aussi bien avoir cent ans, ou mille. Mais il était grand et se tenait droit. Au dire de tous, il ne dormait que trois ou quatre heures par nuit, et cela lui suffisait.

Il portait une luxueuse chemise blanche fraîchement amidonnée, au col ouvert et sans cravate – une autre de ses signatures. Il était milliardaire ou peu s’en faut, mais par Dieu, c’était un homme du peuple ! Un homme issu de rien, un cul-terreux des montagnes de Virginie-Occidentale. Un homme qui, malgré sa récente fortune, avait méprisé les riches toute sa vie. Un homme qui méprisait plus que tout les libéraux, surtout ceux du nord-est et tout particulièrement les Newyorkais. Pas d’habits tape-à-l’œil, de costumes d’initiés « Washington DC » ni de cravates officielles pour lui. Il avait réussi à oublier – très commodément – qu’il était lui-même l’ultime initié de Washington, ayant passé vingt-quatre ans au sein du Sénat.

Susan supposait qu’il y avait un minimum de vérité dans son affectation. Il avait eu une éducation misérable dans les Appalaches, c’était de notoriété publique. Et il s’en était sorti à la force du poignet. Mais il n’était pas l’ami de l’homme ou de la femme de la rue. Pour orchestrer son ascension, il s’était toujours, dès ses débuts, aligné sur les éléments les plus rétrogrades de la société américaine. Dans sa jeunesse, il avait été une petite frappe de Pinkerton, attaquant les mineurs en grève à coups de gourdin et de manche de hache. Il avait passé toute sa carrière dans les petits papiers des grands lobbies du charbon, se battant avec constance pour moins de réglementation, moins de sécurité au travail et moins de droits pour les travailleurs. Et ses efforts avaient été largement récompensés.

– Je vous l’avais dit ! lança-t-il dans le micro.

L’assistance explosa en vivats tapageurs. Monroe la tempéra d’un signe de la main.

– Je vous avais dit que nous allions reprendre l’Amérique. (Nouvelles acclamations.) Vous et moi ! cria Monroe. Nous l’avons fait !

Les vivats changeaient, se transformaient peu à peu en un slogan que Susan ne connaissait que trop bien. Ce slogan avait une drôle de cadence, comme une valse un peu gauche, ou une sorte de répons :

– L’AMÉRIQUE ! EST À NOUS ! L’AMÉRIQUE ! EST À NOUS ! L’AMÉRIQUE ! EST À NOUS !

Et cela continuait, en une litanie qui nouait les tripes de Susan. Au moins, ils n’avaient pas commencé par ce slogan « Foutez-la dehors ! » qui était devenu populaire un moment. La première fois qu’elle l’avait entendu, elle en avait eu les larmes aux yeux. Elle savait que beaucoup de ceux qui le clamaient ne faisaient sans doute que fanfaronner. Mais un certain nombre de ces tarés voulaient vraiment la pendre, soi-disant parce qu’elle était une traîtresse de mèche avec la Chine. À cette pensée, elle ressentait un creux dans sa poitrine.

– Plus d’usines vides ! criait Monroe. (C’était maintenant son tour de lever un poing triomphant.) Plus de villes livrées au crime ! Plus de crasse humaine ! Plus de trahisons chinoises !

– PLUS JAMAIS ÇA ! scandait l’assistance à l’unisson – un autre de ses slogans favoris. PLUS JAMAIS ÇA ! PLUS JAMAIS ÇA ! PLUS JAMAIS ÇA !

Kurt Kimball, vif, alerte, grand et fort comme d’habitude, au crâne parfaitement chauve, s’avança devant la télé et coupa le son à l’aide de la télécommande.

Ce fut comme si un sort avait été brisé. Tout à coup Susan reprit totalement conscience de son environnement. Elle se trouvait dans l’espace salon du Bureau ovale avec Kurt et son assistante personnelle Amy, Kat Lopez, le ministre de la Défense Haley Lawrence et quelques autres. C’était là certains de ses conseillers de confiance.

La vice-présidente Marybeth Horning assistait à la réunion sur un moniteur vidéo en circuit fermé. Après la catastrophe de Mount Weather, les protocoles de sécurité avaient changé. Marybeth et Susan ne devaient jamais se trouver au même endroit au même moment. Ce qui était bien dommage.

Marybeth était une héroïne pour Susan. Ancienne sénatrice ultralibérale de Rhode Island, elle avait enseigné à l’université Brown pendant plus de vingt ans. Elle avait l’air frêle et effacée, avec ses cheveux gris coupés au carré et ses lunettes de grand-mère à monture ronde.

Mais chez elle, les apparences étaient trompeuses. Elle était aussi une foudre de guerre pour les droits des travailleurs, des femmes, des homosexuels et pour l’environnement. Elle était le cerveau de l’initiative réussie en matière de santé que l’administration de Susan avait lancée. Marybeth était à la fois un génie modeste, une férue d’histoire et une combattante politique féroce, qui ne se laissait pas marcher sur les pieds.

Назад Дальше