Le Souvenir Zéro - Джек Марс 7 стр.


“J’ai vu les infos.” Veronika prit une courte inspiration en comprenant d’un coup. “C’était toi ? Tu étais l’interprète de cette réunion ?”

“Oui.” Karina lui raconta rapidement ce qui s’était passé, du moment passé avec les deux présidents jusqu’à sa fuite pour échapper à l’agent des Services Secrets. Elle essaya de garder le calme dans sa voix en concluant, “S’ils me retrouvent, ils vont me tuer, V.”

“Mon dieu,” dit Veronika dans un souffle. “Karina, il faut que tu dises ce que tu sais à quelqu’un !”

“Je te le dis à toi. Tu ne comprends pas ? Je ne peux pas refiler ça à la presse. Ils vont étouffer l’affaire. Ils vont nier. Tu es la seule personne à qui je peux confier cette information. Il faut que j’arrive à te transmettre ces boucles d’oreilles.”

“Tu les as ?” demanda Veronika. “Tu as enregistré la réunion ?”

“Oui, chacun des mots.”

Sa sœur resta pensive un long moment. “Le FIS a un contact à Richmond. Tu peux t’y rendre ?”

Veronika, la sœur aînée de Karina qui avait deux ans de plus, était agent secret au FIS, la version ukrainienne de la CIA. Karina savait pertinemment que le FIS avait plusieurs agents dormants aux États-Unis. L’idée d’être sous leur protection était attrayante, mais elle réalisa qu’elle ne pouvait pas courir ce risque.

“Non,” finit-elle par dire. “Ils vont s’attendre à ce que je m’enfuie. Je suis sûre qu’ils vont surveiller attentivement les aéroports et les autoroutes.”

“Alors, je vais lui dire de venir te chercher…”

“Tu ne comprends pas, Veronika. S’ils me trouvent, ils me tueront, ainsi que tous ceux qui seront avec moi. Je ne veux pas être responsable de ça.” Sa gorge se serra. Debout dans l’arrière-boutique sombre d’un magasin de téléphonie mobile pourri, les événements de ces dernières heures finirent par la rattraper. Mais elle n’allait pas laisser ses émotions prendre le dessus. “J’ai peur, V. J’ai besoin d’aide. Il faut me sortir de là.”

“Je ne permettrai pas qu’il t’arrive quoi que ce soit,” lui promit sa sœur. “J’ai une idée. Je vais demander à notre contact de passer un coup de fil anonyme à DC Metro en disant que la réunion a été enregistrée…”

“Quoi ? Tu es folle ?” cria Karina.

“Et je vais faire en sorte qu’il le dise aux médias aussi.”

“Bon sang, V, tu as perdu la tête !”

“Non. Écoute-moi, Karina. S’ils pensent que tu possèdes un enregistrement, alors tu as une monnaie d’échange. Sans ça, ils te tueront. Alors qu’ainsi, ils te voudront vivante. Et si l’appel vient de Richmond, ils penseront que tu as quitté la ville. Pendant ce temps, je vais travailler à ton extraction et te sortir de ce merdier.”

“La situation est trop tendue pour que tu envoies quelqu’un de chez toi me récupérer,” dit Karina. “Je veux que personne ne soit compromis ou tué à cause de moi.”

“Mais tu ne peux pas gérer ça toute seule, sestra.” Veronika resta silencieuse un moment avant d’ajouter, “Je crois que je connais quelqu’un qui pourrait peut-être t’aider.”

“FIS ?” demanda Karina.

“Non. Un américain.”

“Veronika…”

“C’est un ancien agent de la CIA.”

Elle s’emporta. Sa sœur avait vraiment perdu la tête, et Karina ne se gêna pas pour le lui dire.

“Est-ce que tu me fais confiance ?” demanda Veronika.

“Il y a encore une minute, je t’aurais répondu que oui…”

“Alors, continue, Karina. Et aies confiance en cet homme aussi. Je te dirai où aller et quand t’y rendre.”

Karina soupira. Quel autre choix avait-elle ? V avait raison. Elle ne pouvait pas échapper aux Services Secrets, aux russes et à tous ceux qu’ils allaient envoyer à ses trousses. Elle avait besoin d’aide. Et elle avait confiance en sa sœur, même si son plan semblait délirant.

“Très bien. Comment est-ce que je reconnaîtrai cet homme ?”

“S’il fait toujours bien son boulot, tu ne le reconnaîtras pas,” dit Veronika. “Mais lui, il te reconnaîtra.”

CHAPITRE CINQ

Sara s’inspecta dans le miroir de la salle de bains en ajustant sa queue de cheval. Elle détestait ses cheveux. Ils étaient trop longs : elle ne les avait pas coupés depuis des mois. Les extrémités étaient bien fourchues. Environ six semaines plus tôt, elle avait laissé Camilla les lui teindre en rouge avec une coloration achetée au supermarché et, même si elle avait bien aimé le résultat sur le coup, ses racines blondes atteignaient à présent plus de deux centimètres et demi sur son crâne. C’était vraiment moche.

Elle détestait le polo bleu marine qu’elle devait porter au travail. Il était trop grand d’une taille pour sa carrure fine, et les mots “Friperie Swift” étaient inscrits à gauche, au niveau de la poitrine. Les lettres étaient délavées et les bords s’étaient écaillés à cause des lavages répétés.

Elle détestait aller à la friperie, avec son odeur permanente de sueur et de boules de naphtaline, et faire semblant d’être sympa avec des gens désagréables. Elle détestait ne pas pouvoir faire mieux que toucher neuf dollars de l’heure à seize ans, sans diplôme de fin de lycée.

Mais elle avait pris une décision. Elle était indépendante, ou presque.

La porte de la salle de bains s’ouvrit soudain de l’extérieur. Tommy s’arrêta net quand il la vit debout devant le miroir.

“Qu’est-ce que tu fous, Tommy !” cria Sara. “C’est occupé !”

“Alors pourquoi t’as pas fermé à clé ?” répliqua-t-il.

“C’était fermé, non ?”

“Bon, dépêche-toi ! J’ai envie de pisser !”

“Sors, putain !” Elle poussa la porte pour la refermer et laissa le garçon plus âgé qu’elle proférer des jurons de l’autre côté. La vie en colocation était loin d’être glamour, mais elle s’y était habituée depuis un an qu’elle vivait ici Ou est-ce que ça faisait plus longtemps ? Treize mois à peu près, se dit-elle.

Elle mit du mascara sur ses cils et s’inspecta une fois de plus. Ça ira, songea-t-elle. Elle n’aimait pas trop se maquiller, malgré tous les efforts de Camilla. D’ailleurs, ça la vieillissait à chaque fois.

Elle sortit de la salle de bains qui donnait sur la cuisine, juste à temps pour voir Tommy, penché au-dessus du lavabo, se redresser et remonter sa braguette.

“Oh mon dieu.” Elle grimaça. “Dis-moi que tu ne viens pas juste de pisser dans l’évier.”

“Tu as mis trop de temps aussi.”

“Bon dieu, tu me dégoute.” Elle se dirigea vers le vieux frigo beige et prit une bouteille d’eau… Il était clair qu’elle ne voulait pus boire l’eau du robinet maintenant. Puis, en refermant la porte, le tableau lui sauta aux yeux.

Elle fit de nouveau la grimace.

Sur la porte du frigo, se trouvait un tableau effaçable aimanté avec six noms notés au marqueur noir, celui de chacun des colocataires. En dessous de chaque nom, se trouvait un nombre. Ils étaient tous les six redevables d’une partie égale du loyer et des factures mensuelles. S’ils ne pouvaient pas payer leur dû, ils avaient un délai de trois mois pour régler leur dette, faute de quoi ils devaient partir. Et le montant sous le nom de Sara était le plus élevé.

La colocation était loin d’être le pire endroit où vivre à Jacksonville. La vieille maison avait besoin de quelques réparations, mais ce n’était pas un taudis. Il y avait quatre chambres, dont trois étaient occupées par deux personnes, tandis que la quatrième servait de lieu de stockage et de bureau.

Leur propriétaire, Monsieur Egelmeyer, était un allemand de quarante ans à peine qui avait tout un tas de propriétés de ce type dans la zone métropolitaine de Jacksonville. Il était plutôt cool, tout bien considéré En fait, il insistait pour qu’on l’appelle simplement “Aiguille,” ce qui sonnait, pour Sara, comme le nom d’un dealer de drogue. Mais Aiguille était un type conciliant. Ça ne le dérangeait pas que quelques potes passent à la coloc ou qu’ils fassent la fête de temps en temps. Il se fichait aussi pas mal qu’il y ait de la drogue dans les lieux. Il n’avait que trois règles principales : Si vous êtes arrêtés, je vous fous dehors. Si vous ne pouvez plus payer au bout de trois mois, je vous fous dehors. Si vous agressez un autre colocataire, je vous fous dehors.

En ce moment, les yeux rivés sur le tableau blanc du frigo, Sara s’inquiétait pour la deuxième règle. C’est alors qu’elle entendit une voix juste derrière son oreille qui lui fit s’inquiéter aussi pour la troisième règle.

“Qu’est-ce qui se passe ma petite ? Tu t’inquiètes de ce gros chiffre flippant sous ton nom ?” Tommy rigola comme s’il venait de sortir une bonne blague. Il avait dix-neuf ans, et il était maigre et dégingandé, avec des tatouages sur les deux bras. Avec sa petite amie Jo, il partageait l’une des chambres de la coloc. Aucun des deux ne travaillait. Les parents de Tommy lui envoyaient de l’argent tous les mois, plus qu’assez pour couvrir leurs dépenses à la colocation. Ils dépensaient le reste en cocaïne.

Tommy se prenait pour un dur à cuire. Mais c’était juste un gamin de banlieue en vacances.

Sara se retourna lentement. Ce garçon plus âgé mesurait trente centimètres de plus qu’elle et, ainsi debout à quelques centimètres d’elle, il la dominait de sa haute taille. “Je crois,” dit-elle lentement, “que tu devrais reculer de quelques pas et dégager de ma vue.”

“Sinon quoi ?” Il esquissa un sourire malicieux. “Tu vas me taper ?”

“Bien sûr que non. Ce serait contraire aux règles.” Elle fit un sourire innocent. “Mais tu sais, l’autre soir, j’ai fait une petite vidéo, de toi et Jo en train de vous faire un rail sur la table basse.”

Une lueur de peur traversa le visage de Tommy, mais il donna le change. “Et alors ? Aiguille s’en fiche pas mal.”

“C’est vrai, il s’en fout.” Sara baissa sa voix jusqu’au murmure. “Mais Thomas Howell, cadre chez Binder & Associés ? Lui, il ne s’en foutra peut-être pas.” Elle pencha la tête d’un côté. “C’est ton père, pas vrai ?”

“Comment est-ce que tu… ?” Tommy secoua la tête. “Tu n’oserais pas faire ça.”

“Peut-être pas, ça dépend de toi.” Elle passa devant lui en lui mettant un gros coup d’épaule. “Arrête de pisser dans l’évier. C’est dégueulasse.” Puis, elle se dirigea vers l’étage.

Quand Sara avait quitté la Virginie plus d’un an auparavant, c’était une gamine peureuse et naïve de quinze ans. C’était il y a à peine plus d’un an, mais elle avait changé. Dans le bus entre Alexandria et Jacksonville, elle s’était édicté deux règles. La première était qu’elle ne comptait rien demander à personne, surtout pas à son père. Et elle s’y était tenue. Maya l’aidait un peu de temps en temps, et Sara lui en était reconnaissante, mais elle ne lui avait jamais rien demandé.

La deuxième règle était de n’accepter aucune saloperie de la part de quiconque. Elle avait vécu trop de trucs. Elle avait vu des choses dont elle ne pourrait jamais parler à personne. Des choses qui la tenaient encore éveillée la nuit. Des choses qu’un type comme Tommy ne pourrait jamais imaginer. Elle avait dépassé la mesquinerie et l’angoisse de l’adolescence, dépassé son propre passé.

Une fois à l’étage, elle ouvrit la porte de la chambre qu’elle partageait avec Camilla. Elle était aménagée comme un dortoir avec les deux lits collés contre les murs opposés et un espace entre eux, avec une table de chevet commune. Elles avaient une petite coiffeuse et un placard qu’elles se partageaient aussi. La colocataire en question était encore allongée dans son lit, sur le dos, en train de traîner sur les réseaux sociaux sur son téléphone.

“Coucou,” dit-elle en baillant à l’arrivée de Sara. Camilla avait dix-huit ans et, heureusement, elle était sympa. C’était la première amie que Sara s’était faite en Floride. C’était grâce à son annonce en ligne à la recherche d’une colocataire que Sara avait atterri là. Elles s’entendaient très bien. En fait, Camilla lui apprenait à conduire. Elle lui avait appris à mettre du mascara et à choisir des fringues qui flattaient sa carrure menue. Sara lui avait emprunté de nombreux termes et beaucoup de manières, comme à une grande sœur en quelque sorte.

Le genre de grande sœur qui ne t’abandonne pas avec un homme que tu ne supportes pas.

“Salut, toi. Sors du lit, il est presque dix heures.” Sara attrapa son sac sur la table de chevet et s’assura qu’elle avait tout ce qu’il lui fallait.

“J’ai fini tard hier soir.” Camilla travaillait comme serveuse et barmaid dans un restaurant de fruits de mer. “Mais regarde-moi ce pactole.” Elle sortit une épaisse liasse de billets, les pourboires de la veille au soir.

“Génial,” murmura Sara. “Je dois partir bosser.”

“Cool. Je ne bosse pas ce soir. Tu veux que je te refasse une couleur ? Ces racines, ça craint un peu…”

“Ouais, je sais, c’est trop moche,” répondit Sara sur un ton irrité.

“Wow, du calme.” Camilla fronça les sourcils. “Qu’est-ce qui t’arrives ?”

“Désolé, c’est juste Tommy qui me gonfle.”

“Oublie ce type. C’est un gros naze.”

“Je sais.” Sara soupira et se frotta le visage. “Allez, je pars bosser.”

“Attends. Tu as l’air plutôt tendue. Tu veux un remontant ?”

Sara secoua la tête. “Non, c’est bon.” Elle fit deux pas en direction de la porte, puis s’arrêta net. “Oh et puis merde ! D’accord.”

Camilla sourit en s’asseyant sur le lit. Elle fouilla dans son propre sac et en sortit deux trucs : un flacon orange sans étiquette dessus et un petit cylindre en plastique avec un couvercle rouge. Elle sortit un seul Xanax oblong et bleu du flacon, le mit dans le grinder, et vissa le couvercle rouge bien serré pour transformer le cachet en poudre. “Passe-moi ta main.”

Sara tendit la main droite, paume vers le bas, et Camilla fit tomber la poudre sur la chair entre la naissance de son pouce et de son index. Sara leva la main vers son visage, pencha la tête, colla sa narine et sniffa le tout.

“Tu es une guerrière.” Camilla lui mit une petite claque sur les fesses. “Maintenant, pars vite avant de te mettre en retard.”

Sara lui fit le signe peace de la main en refermant la porte derrière elle. Elle pouvait sentir le goût amer de la poudre au fond de sa gorge. Elle savait qu’elle ne mettrait pas longtemps pour agir, mais qu’un seul cachet ne lui tiendrait pas plus de la moitié de la journée, dans le meilleur des cas.

Il faisait encore bon dehors pour un mois d’octobre, le genre d’été indien qu’ils avaient parfois en Virginie. Mais elle s’habituait à ce climat. Elle aimait bien ce soleil présent quasiment toute l’année et la proximité par rapport à la plage. La vie n’était pas toujours extra, mais elle était bien mieux que deux étés plus tôt.

Sara était presque à la porte quand son téléphone sonna dans son sac. Elle savait déjà qui ce serait, l’une des seules personnes à l’appeler.

“Coucou,” répondit-elle en marchant.

“Salut.” La voix de Maya semblait fatiguée et tendue. Sara sut tout de suite qu’un truc la contrariait. “Tu as une minute à m’accorder ?”

“Euh, ouais, pas longtemps, je suis en route pour le boulot.” Sara regarda autour d’elle. Elle ne vivait pas dans un sale quartier, mais ça devenait un peu moins cool aux abords de la friperie. Elle n’avait jamais eu de soucis personnellement, mais elle restait sur ses gardes et avançait la tête haute. Une fille distraite par son téléphone était une cible potentielle. “Qu’est-ce qui se passe ?”

“J’ai, euh…” Maya hésitait. Être maussade et réticente à parler était inhabituel chez elle. “J’ai vu Papa hier soir.”

Sara s’arrêta net, mais ne répondit rien. Son estomac se noua instinctivement, comme si elle se préparait à prendre un coup de poing dans le ventre.

“Ça… ne s’est pas très bien passé.” Maya soupira. “J’ai fini par crier des horreurs et me casser…”

“Pourquoi est-ce que tu me racontes ça ?” demanda Sara.

“Quoi ?”

“Tu sais que je ne veux pas le voir. Je ne veux pas entendre parler de lui. Je ne veux même pas penser à lui. Donc pourquoi est-ce que tu me racontes ça ?”

“J’ai juste pensé que tu voudrais le savoir.”

“Non,” répondit fermement Sara. “Tu as eu une mauvaise expérience, et tu voulais en parler à quelqu’un qui puisse te comprendre. Mais je ne veux rien savoir, j’en ai fini avec lui. Ok ?”

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