Le Leurre Zéro - Джек Марс 8 стр.


– Peut-être que si tu m’avais laissé finir… bougonna Alan. J’ai déjà cherché tout ça aussi. Écoute Zéro, je suis vraiment bon lorsqu’il s’agit de faire disparaître des personnes qui souhaitent disparaître et, presque tout ce que je sais, je l’ai appris à la CIA. Donc, soit ton gars est mort, soit il n’est pas dans ce classeur et, dans ce cas-là, il y a de grandes chances qu’il n’existe nulle part. Ni sur papier, ni sur ordinateur.

– Il doit bien être quelque part, murmura Zéro. Il suffirait d’un infime détail, une toute petite chose qu’ils auraient oublié de faire disparaître. Un compte bancaire secret, un abonnement à un club de gym ou une garantie qui aurait expiré…

– Et comment veux-tu que l’on s’y prenne pour trouver cette information ?

– Je ne sais pas. Il ouvrit le classeur au hasard et commença à lire une des pages. Je veux dire, comment peut-on être sûr que ce ne soit pas ce gars-là, par exemple ? C’était un agent prétendument tué au cours d’une opération au Liban. Ça pourrait être un mensonge.

– Possible, admit Alan, mais cela signifierait qu’il est mort et ce n’est pas non plus ce que tu veux.

– Non, en effet. Réfléchis, Zéro. Tu es forcément passé à côté de quelque chose. On peut au moins supposer qu’il s’agissait d’un agent. Nous sommes quand même les plus faciles à faire disparaître. Ils auraient très bien pu prétendre qu’il avait été envoyé quelque part et n’était jamais revenu…

– Tu spécules, là, le prévint Alan et, si quelqu’un nous observe, ça va commencer à paraître bizarre.

– Oui », murmura-t-il. Leur petite réunion dans la voiture ne pouvait pas durer trop longtemps au cas où des yeux indiscrets les observeraient réellement. « Tu as raison. »

Alan se pencha pour couper le moteur, mais Zéro ne bougeait toujours pas.

Qu’est-ce que qui m’échappe ?

Les mots qu’avait prononcés Bixby la semaine précédente, dans la Saskatchewan, lui revinrent soudain à l’esprit.

Après que le suppresseur a été installé et alors qu’il se réveillait de l’anesthésie, le neurochirurgien l’a appelé Connor. Je m’en souviens très clairement. Il a dit : ‘Sais-tu qui tu es, Connor ?’

« Attends ! Zéro stoppa Alan avant qu’il n’ait le temps de couper le moteur. Mais oui, c’est ça ! Je n’arrive pas à croire que je sois passé à côté. Le neurochirurgien l’a appelé Connor !

– Quoi ?

– C’est ce que m’a dit Bixby, expliqua-t-il rapidement. J’étais tellement obnubilé par ce Connor que je n’ai même pas pensé à essayer de retrouver le neurochirurgien ! Combien peut-il y en avoir dans les dossiers de la CIA sur les cinq dernières années ? Beaucoup moins que ça, je parie ! » dit-il en secouant le classeur, tout excité. Au lieu d’une centaine ou plus, les possibilités pourraient être réduites à, eh bien… Zéro ne savait pas exactement. Une petite douzaine, peut-être moins ?

Alan soupira. « OK. Donc tu veux que je fasse une autre…

– Je veux que tu fasses une autre recherche, oui.

– Tu sais que ce classeur m’a coûté 5000 dollars ?!

– Je te payerai un verre ! » fit Zéro avec un sourire malicieux qui disparut rapidement. « S’il te plaît.

– Tu sais que je ferais n’importe quoi pour toi, mon pote. » Alan coupa le moteur ; il n’y avait pas de « mais », cette fois-ci. C’était une évidence et Zéro le savait. Alan lui avait non seulement sauvé la vie plus d’une fois, mais aussi celle de ses filles. Il s’était plié en quatre pour le sortir des ennuis tant de fois qu’il en avait perdu le compte. Alan était même allé jusqu’à simuler sa propre mort et faire une croix sur sa vie en disparaissant de la circulation pendant plusieurs années, tout ça pour le bénéfice de Zéro. De plus, l’inverse était vrai. Zéro ferait n’importe quoi pour Alan… et pourtant, celui-ci ne lui avait jamais rien demandé. Du moins, rien d’aussi significatif que ce qu’il avait fait pour Zéro et qu’il n’hésiterait pas à refaire si nécessaire. Le moteur cessa ses vrombissements, mais le silence qui suivit dans l’habitacle de la Skylark était tout aussi assourdissant.

« Merci, dit doucement Zéro. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi.

– Sans moi, tu serais mort , plaisanta Alan, même si ce n’était que la stricte vérité. Donc nous retrouvons le neurochirurgien…

– Pour lui soutirer toutes les informations qu’il pourra nous fournir…

– Nous retrouvons l’agent…

– En espérant qu’il n’est pas déjà mort, compléta Zéro.

– Un jeu d’enfant, ricana Alan avant de redevenir sérieux. On va trouver cet agent. Mais tu me devras deux verres. »

*

Étrangement, le centre social avait une odeur de copeaux de cèdre. Toutes les pièces, même le couloir, sentaient comme l’intérieur d’une cage à hamster. Sara s’était imaginée que cette odeur provenait sans doute de la cour de récréation située à l’extérieur, mais on était en plein mois de février, bon sang ! Les fenêtres étaient fermées et le sol était gelé. Pourquoi cette odeur de copeaux de cèdre persistait-elle ?

Elle essaya de ne pas y penser en appliquant des petits coups de pinceaux à la toile devant elle. Ils étaient quatorze dans la classe, des personnes dont l’âge allait du sien à celui d’un homme voûté et chauve, qu’elle présumait être dans la soixantaine. Ils étaient assis sur des tabourets derrière des chevalets placés en cercle avec, trônant au centre, un bol de fruits en cire sur un piédestal. On appelait cela une nature morte.

Sara ricana presque en pensant à l’ironie de la situation. Une nature morte. Jusqu’à, il y a encore quelques semaines, cela aurait été une métaphore plutôt bien adaptée pour décrire ce qu’elle ressentait.

Le professeur qui leur enseignait l’art était une femme frêle au style bohémien qui s’appelait Madame Guest. Elle portait des caftans, des petites lunettes rondes qui lui donnait un air à la fois sérieux et intelligent et des foulards qui recouvraient ses cheveux blonds crépus. Elle déambulait lentement entre les étudiants, s’arrêtant de temps à autre pour murmurer des mots d’encouragements tels que « Oui, bien » et « Excellente perspective, Mark ».

Sara sentit sa colonne vertébrale se raidir instinctivement – en réaction de défense – tandis que le professeur s’arrêtait derrière son chevalet.

« Mon Dieu, lui souffla Madame Guest à l’oreille. Une telle vision, Sara ! Il n’y a pas de mauvaises réponses, mais, s’il te plaît, explique-moi ce qui t’a poussée à peindre la banane en rose ? »

Son premier réflexe avait été de vouloir se moquer gentiment d’elle, de la regarder avec de grands yeux innocents et dire : Que voulez-vous dire ? Ce n’est pas la bonne couleur ? C’est pourtant comme ça que je la vois. Mais au lieu de cela, elle avait pris sur elle et réfléchi à une réponse qu’un professeur d’art de centre social puisse trouver profonde.

« Parce que, dit Sara en prenant un air dramatique et en esquissant un petit coup de pinceau, tout le monde la peint en jaune. »

Madame Guest posa une main sur son cœur. « Ma chère, tu accompliras de grandes choses dans la vie. »

Sara retint un ricanement tandis que le professeur continuait sa déambulation. Peut-être que les leçons d’art étaient une erreur, finalement, mais elle n’avait rien dessiné ou peint depuis un long moment et, même si elle haïssait la thérapeute de cet endroit ridicule qu’on appelait centre de désintoxication, celle-ci avait peut-être eu une infime dose de bon sens lorsqu’elle avait suggéré que Sara devrait se trouver une passion, quelque chose qu’elle adorerait et à quoi elle pourrait se raccrocher dans les moments difficiles. Son choix s’était alors porté sur la peinture.

Il y avait encore des moments difficiles, mais les affres de son addiction semblaient être derrière elle. Même si parfois il lui arrivait d’avoir des envies presque irrépressibles, elles étaient toutefois beaucoup moins présentes. Elle n’avait plus touché à quoi que ce soit, pas même une aspirine, depuis Thanksgiving, mais elle redoutait toujours la noirceur qu’elle portait en elle, la possibilité beaucoup trop réelle que ses démons reviennent la hanter à n’importe quel moment. Qu’un jour, ils puissent soudainement s’emparer d’elle jusqu’à la consumer entièrement, qu’ils l’entraînent dans un gouffre si profond qu’elle ne puisse plus jamais en sortir.

Une fois encore, elle faillit rire d’elle-même. Une âme si torturée. Si Maya était là, elle aurait pu suggérer que Sara utilisait le sarcasme d’autodérision comme mécanisme de défense. Toutefois, Maya n’était pas là, alors, faute de mieux, Sara peignait en rose des fruits en cire. Le soir, elle étudiait pour passer le GED, le diplôme de fin d’études secondaires. D’ordinaire, elle n’aurait pas été bien motivée, du moins pas autant qu’il aurait fallu, mais – et même si elle ne l’admettrait jamais ouvertement – son père avait tellement changé d’attitude dernièrement que cela avait quelque chose de motivant. Bien qu’elle se moquât gentiment de lui, les efforts qu’il faisait étaient les bienvenus.

C’était quand même très bizarre. Les gens ne changeaient pas comme cela. Il y avait toujours une raison, un événement déclencheur. Pour elle, c’était clairement de s’être sortie de sa dépendance à la drogue. Son père leur cachait ses motivations, de ça elle était certaine. Mais elle et Maya avaient leurs propres problèmes à gérer, donc, ni l’une ni l’autre n’irait chercher plus loin.

« J’ai bien peur que ce soit tout pour aujourd’hui », annonça Madame Guest. « Je dois aller donner mes cours de céramique. Vous pouvez laisser vos peintures ici pour qu’elles sèchent, mais, s’il vous plaît, nettoyez vos pinceaux avant de partir. Merci ! »

Sara soupira. Elle était en train de peindre sa pomme en orange et pensait la transformer en citrouille, mais cela devrait attendre. Elle nettoya consciencieusement son poste de travail, hissa son sac à dos sur son épaule et rejoignit le couloir à l’odeur de copeaux de cèdre.

Elle prit son temps, traînant les pieds, pas du tout pressée de rentrer chez elle à vélo par ce froid glacial. Maya lui avait proposé de venir la chercher une fois son cours terminé, mais Sara ne voulait pas l’embêter ou devoir compter sur quiconque, et puis, le vent froid qui lui fouettait le visage lui permettait de garder les idées claires.

En parcourant le couloir qui menait vers la sortie, elle jeta de rapides coups d’œil dans les différentes pièces du centre social. Une leçon de gymnastique était en cours, juste une bande de gamins qui roulaient sur des tapis ou essayaient de faire le poirier. Elle passa également devant une classe de poterie, une autre d’anglais langue étrangère, puis d’informatique…

La porte sur sa gauche était presque fermée, entrouverte d’à peine quelques centimètres, pas assez pour qu’elle puisse voir à l’intérieur mais, alors qu’elle passait devant, un fragment de conversation lui parvint.

« Je m’étais promise que jamais plus je ne toucherais à l’héroïne. »

Sara se figea presque littéralement sur place, son pied encore en l’air, puis essaya de jeter un œil par l’entrebâillement de la porte.

« Mais, comme vous pouvez l’imaginer, dit sombrement une jeune femme à l’intérieur, mon addiction, elle, avait d’autres plans en réserve. Et, après une très mauvaise après-midi, elle a eu raison de moi. Je connaissais un type, juste au coin de la rue, et je l’ai appelé. »

Il y avait une note sur la porte, une simple feuille de papier blanc avec quelques mots imprimés à l’encre noire, le tout maintenu par des morceaux de scotch.

Des liens communs

Partager les traumatismes, Partager l’espoir

« Ça n’a pris qu’une minute. » La femme baissa encore la voix, si bien que Sara n’arrivait presque plus à l’entendre. Elle poussa la porte d’à peine quelques centimètres. « J’ai laissé mon fils de deux ans tout seul dans l’appartement, mais seulement pour quelques minutes. » Dans la pièce, Sara apercevait des femmes assises en arc-de-cercle qui se faisaient face. Leurs mines étaient sombres, presque funèbres.

« Malheureusement, pendant ce laps de temps, mon ancien compagnon – le père de mon bébé – a décidé de passer nous voir à l’improviste. » La femme qui s’exprimait gardait les yeux rivés au sol. Sa peau était pâle, elle ne portait pas de maquillage et ses cheveux châtains avaient été noués hâtivement en une queue de cheval. « Je suis revenue en tenant à la main mon petit sachet pour trouver mon fils dans ses bras. Ce jour-là, je l’ai perdu… »

Un visage apparut soudainement dans l’entrebâillement de la porte, faisant sursauter Sara qui fit un bond en arrière. La femme qui lui souriait avait un air de jeune matrone, un peu comme une mère de famille de banlieue qui inviterait les amis de ses enfants à dîner et n’accepterait aucun refus.

« Bonjour », murmura-t-elle afin de ne pas interrompre la réunion qui se déroulait derrière elle. « Es-tu là pour “Des liens communs” ?

– Je, Euh… Sara s’éclaircit la gorge et secoua rapidement la tête. Non. Pas du tout. Je jetais juste un coup d’œil. Désolée.

– Pas de soucis. » La femme fit un petit pas dans le couloir et referma doucement la porte derrière elle. « Nous sommes un groupe de soutien pour des femmes ayant vécu toutes sortes de traumatismes. Dépendance à la drogue, violence conjugale, syndrome de stress post-traumatique, dépression… Nous partageons nos expériences et, à travers ce partage…

– Vous créez des liens communs, marmonna Sara. Oui, je vois. »

La femme sourit. « Exactement. » Puis elle fit quelque chose d’étrange : elle regarda Sara droit dans les yeux et fronça les sourcils sans jamais se départir de son sourire.

Cela perturba Sara. C’était comme si la femme pouvait… lire en elle.

« Es-tu sûre de ne pas vouloir entrer ? Tu peux juste venir t’asseoir et écouter. Tu n’as pas besoin de parler.

– Non. Merci. Je… ça va. » Sara fit un pas en arrière. « En fait, j’étais sur le point de partir. » Elle avait réussi à s’en sortir sans l’aide d’un centre de désintoxication ; elle n’avait certainement pas besoin d’un « groupe de soutien ».

Elle se détourna, mais la femme continua de lui parler. « Au fait, je m’appelle Maddie.

– Sara, répondit-elle par-dessus son épaule.

– J’ai été ravie de te rencontrer. À très bientôt, Sara. »

Non, je ne pense pas. Sara pressa le pas le long du couloir. Soudain, le froid de février du Maryland lui sembla beaucoup plus accueillant.

CHAPITRE SIX

Maya regardait fixement le téléphone qui reposait au creux de sa main. L’historique des appels était affiché à l’écran, le numéro était juste là. Il lui suffirait de cliquer dessus.

Peut-être demain.

Elle était assise les jambes en tailleur sur son lit deux places, dans le coin de la chambre, à un mètre environ de celui de Sara, dans la chambre qu’elles partageaient. L’espace était parfois un peu exigu, mais ce n’était rien en comparaison des baraquements auxquels elle s’était habituée à West Point. Quant à Sara, elle avait eu quatre colocataires lorsqu’elle vivait à Jacksonville, donc, cet arrangement leur allait très bien à toutes les deux. Elles avaient refusé plus d’une fois la proposition de leur père d’occuper la plus grande des deux chambres de l’appartement.

Maya jeta le téléphone sur le couvre-lit, à côté d’un exemplaire à peine lu d’Ulysse (un « triomphe du masochisme », comme l’appelait son père) et d’une barre protéinée à moitié entamée. Elle voulait passer cet appel et elle le ferait, mais pas aujourd’hui.

Le numéro, si elle arrivait à trouver le courage de l’appeler, la mettrait en relation avec le bureau du doyen de West Point, le brigadier-général Joanne Hunt. Le bureau du doyen Hunt avait essayé de joindre Maya pas moins de quatre fois au cours des deux dernières semaines, sans toutefois laisser de messages ni aucune information sur la raison de ses appels.

Ce n’était pas nécessaire ; elle savait de quoi il s’agissait. Victime d’une traumatisante agression par trois garçons dans le vestiaire des filles, Maya en avait brutalisé deux et presque tué le troisième. À la suite de cela, le doyen Hunt lui avait gracieusement proposé de rentrer chez elle jusqu’à la fin du semestre et de ne revenir qu’en janvier après les vacances d’hiver.

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