Alors qu’elle s’enfonçait dans l’obscurité, son téléphone vibra et elle vit que c’était un message de Charlotte.
Elle allait lire le message, mais la guide de la visite commença à expliquer l’histoire du château. Comme elle ne voulait rater aucun mot, Olivia remit son téléphone dans son sac à main. Elle lirait le message plus tard, décida-t-elle.
– Au douzième siècle, ce château appartenait à la famille Pazzi. Cette famille s’opposait aux puissants Médicis, qui dominaient la région à cette époque. En fait, les Pazzi avaient monté une conspiration pour tuer le duc de Médicis dans ce château-là, expliqua la guide en souriant et en secouant sa queue de cheval foncée. On dit que même l’Archevêque de Pise faisait partie de la conspiration, car les Médicis étaient détestés par beaucoup de gens et leur mort rapporterait gros à beaucoup de ces gens.
Olivia sentit un frisson lui parcourir l’échine et cela n’avait rien à voir avec la froideur des températures de cet endroit souterrain. Il semblait que les motivations malveillantes et le meurtre fassent partie intégrale de l’histoire de cette région. En essayant de se mettre à la place des conspirateurs, elle se demanda s’ils avaient discuté de leur plan ici, dans cet espace souterrain froid. L’idée la faisait frissonner, c’était sûr.
Elle fut reconnaissante envers Danilo quand il retira sa veste et la posa sur ses épaules pendant que le groupe se rassemblait pour admirer une série de vieux bocaux d’olives.
Il avait beaucoup de considération, se dit Olivia, qui craignait maintenant qu’il n’ait froid, mais contente de bénéficier de cette couche supplémentaire de chaleur qui dégageait encore un peu de la chaleur corporelle du jeune homme.
– À l’origine, le plan était d’empoisonner les deux frères Médicis à un banquet mais, quand un des frères tomba malade, les conspirateurs décidèrent de les attaquer le lendemain, pendant la messe à la cathédrale de Florence. Il y eut un moment de chaos dans la cathédrale quand les conspirateurs passèrent à l’attaque avec des poignards et des épées, mais le meurtre échoua. Un des frères Médicis fut tué mais l’autre survécut, conclut la guide.
Après avoir appris l’histoire mouvementée du château, Olivia fut contente de remonter et de trouver un siège dans la salle de dégustation chaude et attrayante. Elle feuilleta une brochure et apprit que, au vingtième siècle, le château avait été abandonné et était tombé en ruine.
Comment pouvait-on abandonner un endroit aussi magnifique ? Olivia se sentit choquée. Cela dit, se rappela-t-elle, sa ferme avait été abandonnée, elle aussi. Personne n’y avait habité pendant des décennies.
Elle apprit que, dans les années 1960, les nouveaux propriétaires avaient entrepris la tâche immense de restaurer les bâtiments et les terrains décrépits. L’endroit avait ainsi connu une deuxième vie en tant que vignoble productif et destination touristique. Le menu de dégustation comprenait le magnifique Chianti de l’exploitation viticole ainsi que le célèbre Assemblage Spécial toscan et, au grand plaisir d’Olivia, un des vins rouges vieillis en amphore.
– Ce vin a une texture belle et profonde, observa Olivia. Je veux absolument en commander quelques bouteilles.
– J’imagine que l’argile se situe à mi-chemin entre l’acier et le chêne. Il permet la maturation et l’échange d’air, mais sans saveur de chêne. Ça en fait un vin rouge très inhabituel, convint Danilo.
De la table située dans la pièce voisine, Olivia entendit le groupe de visiteurs prononcer un nom familier en discutant du vin. Elle écouta la conversation avec une inquiétude croissante.
– Rien d’étonnant à ce que Raffaele di Maggio ait donné une évaluation aussi bonne à ce Chianti, dit la femme la plus proche. C’est un vin extrêmement bien fait.
Son ami se pencha plus près et hocha la tête avec enthousiasme.
– Il semble être très perspicace et il est certain que, ces derniers temps, il n’a pas apprécié beaucoup de vins. Au moins, quand il déteste un vin, il n’a pas peur de le dire, mais je suis d’accord avec lui en ce qui concerne la qualité de cet excellent rouge. S’il ne recommande aucune autre exploitation viticole dans les environs, nous pourrons peut-être passer l’après-midi à faire du shopping.
Subitement, les peurs d’Olivia se réveillèrent et son estomac se noua. Un moment auparavant, elle avait rêvé passionnément de la nourriture qui conviendrait le mieux à ce vin et sa préoccupation principale avait été le déjeuner. Maintenant, elle pensait qu’elle n’arriverait même pas à avaler un gressin.
Danilo la regardait avec inquiétude.
– Est-ce que tout va bien ? demanda-t-il.
– Oui, je passe un très bon moment, dit Olivia en entendant trembler sa voix.
Ce critique avait l’air impossible à satisfaire ! Elle aurait voulu s’enfuir mais, comme c’était impossible, une promenade lui permettrait peut-être d’oublier ses soucis.
– Et si on allait se promener dans les vignobles avant le déjeuner ? demanda-t-elle.
– Bonne idée, convint Danilo.
À l’extérieur, ils se tinrent un moment dans la chaleur du soleil. Ce côté du château était protégé de la brise et offrait une vue magnifique sur les rangs de vignes.
Quand Olivia contempla les plantations verdoyantes qui s’étendaient au loin et se souvint que ce qu’elle voyait avait été restauré à partie d’une ruine abandonnée, elle reprit courage. Cela lui redonna de l’espoir. Il lui en fallait beaucoup, en ce moment.
– Oh, tu as oublié ta veste dans la salle de dégustation, dit-elle à Danilo.
– Merci d’y avoir pensé, dit-il avec reconnaissance. Je vais vite la chercher. Reste au soleil.
Alors qu’Olivia attendait à cet endroit agréablement chaud, elle entendit des voix et un couple approcha sur le chemin. Olivia jeta un coup d’œil à la femme et remarqua son accent américain quand elle désigna la vue de vignes qu’elle avait admirée avec Danilo.
C’était une femme menue aux cheveux châtain roux, incroyablement mince. Olivia avait toujours voulu avoir des épaules étroites et une taille de guêpe comme cette femme. Le problème, c’était qu’elle n’était pas bâtie comme ça. Même quand elle avait été à son plus mince, les gens avaient dit qu’elle était « en forme », « athlétique » et, pire que tout, « en bonne santé ». Personne ne l’avait jamais félicitée pour sa taille minuscule et personne ne le ferait jamais.
L’homme qui avait passé le bras autour de cette taille délicate avait le dos tourné et contemplait les vignobles. La façon dont il tenait ses épaules poussa Olivia à le regarder plus attentivement. Pourquoi lui paraissait-il familier ? Le connaissait-elle ?
Il se retourna, déposa un baiser sur les cheveux châtain roux parfaitement coiffés de la femme menue et Olivia faillit tomber dans l’escalier, sous le choc.
C’était Matt, son ex-petit copain.
CHAPITRE SEPT
Alors qu’Olivia contemplait le couple, incrédule, Matt la vit.
– Hé ! Salut ! cria-t-il.
Il avait l’air étonné, ou alors, peut-être pas.
Un soupçon trouble commença à se former dans l’esprit d’Olivia quand elle se souvint qu’elle avait annoncé sur les médias sociaux qu’elle visiterait ce site historique cet après-midi.
Cette rencontre n’était peut-être pas le fruit du hasard comme elle l’avait supposé au premier abord.
– Que fais-tu ici ? demanda Olivia alors qu’il remontait l’escalier avec détermination pour aller la rejoindre.
Elle avait la voix stridente. Ce n’était pas bien. Il fallait qu’elle se maîtrise pour affronter cette situation sans précédent.
– Quel hasard ! Tu sais, j’avais totalement oublié que tu avais déménagé en Italie, déclara Matt. Je veux dire, totalement. Ce fait m’avait complètement échappé. Maintenant que je te vois ici, bien sûr, je me souviens et tout me revient. Quelle surprise ! Au fait, je te présente Xanthe, ma nouvelle petite amie. Xanthe, je te présente Olivia. T’ai-je déjà parlé d’elle ?
La jolie bouche de Xanthe s’infléchit pour former un sourire.
– Enchantée, dit-elle en sortant son téléphone et en vérifiant son rouge à lèvres avant de prendre quelques selfies avec les vignes et les collines à l’arrière-plan.
– Quel voyage romantique, dit Matt à Xanthe en passant tendrement un bras autour de sa taille minuscule.
Ses cheveux foncés, qui grisonnaient aux tempes, étaient plus longs et il portait un tee-shirt bleu marine qu’elle n’avait jamais vu. Il avait aussi une barbe de trois jours qu’il n’avait pas eue avant. Pour son travail de gestionnaire de fonds d’investissements, il était toujours resté rigoureusement glabre, donc, il se permettait peut-être de laisser pousser ses cheveux ou sa barbe tant qu’il était en vacances. Il ne travaillait peut-être même plus pour la même entreprise. Qu’en savait-elle ?
Le caractère désagréable de leur dernière rencontre, le moment où Olivia avait compris qu’il la trompait, tout cela lui revenait en couleurs criardes, comme si ces souvenirs enfouis avaient attendu de pouvoir refaire surface. C’était peut-être pour cela que Charlotte lui avait envoyé tant de messages. Elle avait dû apprendre que Matt allait se rendre en Toscane et elle avait essayé d’avertir Olivia. Olivia se dit qu’elle aurait dû lire ces messages plus tôt.
– Tu es venue ici seule, j’imagine ? dit Matt d’un ton satisfait. Ou alors, es-tu avec un groupe de touristes ?
Olivia hésita. Elle ne savait pas quoi dire et elle rougissait parce qu’il avait deviné qu’elle était bel et bien célibataire.
Alors, elle sentit une main forte se poser sur ses épaules puis descendre pour lui prendre le bras.
– Elle est avec moi, dit Danilo de sa voix grave et caressante.
Alors, il vint se placer à côté d’elle et la contempla comme si elle était – eh bien, comme si elle était une bouteille du vin vieilli en amphore qu’ils avaient tous les deux adoré.
Sous le choc, Olivia ne put s’empêcher de remarquer que l’accent italien de Danilo paraissait plus fort qu’elle ne se souvenait l’avoir entendu. De plus, il n’avait pas encore remis sa veste. Elle sentait la bosse que formaient ses biceps contre son bras.
Danilo lui adressa un coup d’œil rapide et complice qui indiqua à Olivia qu’il comprenait la situation et faisait de son mieux pour la soutenir.
Il l’avait fait avec beaucoup d’habileté, se dit Olivia avec étonnement. Il n’avait rien dit de faux, mais avait seulement suggéré qu’Olivia pourrait être moins célibataire que Matt le supposait.
Ils se tournèrent tous les deux vers Matt, qui clignait rapidement des yeux. Il semblait désorienté par l’évolution rapide des événements.
– C’est Danilo, dit Olivia en espérant que Matt n’avait pas vu qu’elle avait été étonnée par l’intervention urgente de Danilo.
Olivia le vit observer les cheveux très soigneusement coiffés de Danilo et leurs mèches violettes. Soudain, en comparaison, les mèches de Matt avaient l’air négligées et hirsutes.
Olivia eut un moment soudain de joie quand elle le vit se passer pensivement une main dans les cheveux, mais son regard inquiet lui suggéra qu’il était plus concentré sur les muscles tonifiés de Danilo.
Matt s’était toujours plaint de ne pas avoir assez de temps pour aller en salle de gym, se souvint-elle. Il s’était plaint de n’avoir jamais obtenu les muscles qu’il aurait dû avoir avec son corps mince, bien que plutôt faible.
Olivia avait souvent pensé qu’il aurait eu le temps de s’en occuper s’il en avait moins passé à regarder les séries de science-fiction de Netflix sur son immense télévision à écran plat.
Heureusement, un costume bien coupé cachait beaucoup de défauts. Il n’était pas étonnant que Matt ne quitte jamais ses tenues chics Armani, comprit Olivia.
– Euh, dit Matt.
Olivia le vit rentrer le ventre en rapprochant Xanthe. Xanthe le regarda et orienta son téléphone pour qu’ils soient tous les deux dans le cadre.
– Souris, mon chéri, dit-elle à Matt.
Retrouvant son calme, Matt étira ses belles lèvres pour former un sourire.
– Quelles vacances merveilleuses, mon amour. Notre hôtel cinq étoiles vaut la dépense, sans parler de notre vol en classe affaires. Je me dis toujours que, si on voyage, il faut le faire avec style. Te rendre heureuse est la meilleure façon d’utiliser mon énorme bonus.
– C’est un voyage inoubliable et nous n’en sommes qu’à notre deuxième jour ! convint Xanthe en rangeant son téléphone et en déposant un baiser sur le menton légèrement barbu de Matt.
– N’oublie pas que nous avons beaucoup de shopping à faire, lui rappela tendrement Matt. Je t’ai promis que je t’achèterais un bracelet en or. Après ça, il faudra que nous passions du temps dans les boutiques de chaussures.
– Oh, je suis impatiente d’y être, s’écria Xanthe.
– Toutefois, je me dis que nous devrions peut-être rester plus longtemps dans cet endroit étonnant. Pourquoi ne pas déjeuner tard au restaurant ?
Olivia dut se retenir de pousser un cri d’inquiétude. C’était là où ils avaient prévu d’aller.
– C’est ma journée eau et laitue, tu t’en souviens ? lui rappela Xanthe en remuant sa tête châtain roux. Cela dit, j’ai vu une magnifique salade mélangée au menu. S’ils en retiraient le concombre, les artichauts, les olives et le parmesan, ce pourrait être le déjeuner idéal pour moi !
Olivia en avait assez entendu.
– Bon, amusez-vous bien. On y va.
Son soupçon d’abord hésitant s’était confirmé. Elle était sûre que Matt comptait rester par ici aussi longtemps qu’elle pour lui gâcher sa visite. Elle n’aurait pas pu avaler une seule bouchée si elle avait su qu’ils la regardaient fixement pendant que Xanthe à la taille de guêpe grignotait ses stupides feuilles de laitue.
– Nous devrions peut-être y aller, nous aussi, dit Matt en confirmant les craintes d’Olivia.