Le mystère de la chambre jaune / Тайна желтой комнаты. Книга для чтения на французском языке - Гастон Леру 7 стр.


Et, sur ses chaussettes, il s'avança dans la chambre. La première chose qu'il fit fut de se pencher sur les meubles renversés et de les examiner avec un soin extrême. Nous le regardions en silence. Le père Jacques lui disait, de plus en plus ironique:

«Oh! mon p'tit! Oh! mon p'tit! Vous vous donnez bien du mal!…»

Mais Rouletabille redressa la tête:

«Vous avez dit la pure vérité, père Jacques, votre maîtresse n'avait pas, ce soir-là, ses cheveux en bandeaux; c'est moi qui étais une vieille bête de croire cela!…»

Et, souple comme un serpent, il se glissa sous le lit.

Et le père Jacques reprit:

«Et dire, monsieur, et dire que l'assassin était caché là-dessous! Il y était quand je suis entré à dix heures, pour fermer les volets et allumer la veilleuse, puisque ni M. Stangerson, ni Mlle Mathilde, ni moi, n'avons plus quitté le laboratoire jusqu'au moment du crime.»

On entendait la voix de Rouletabille, sous le lit:

«À quelle heure, monsieur Jacques, M. et Mlle Stangerson sont-ils arrivés dans le laboratoire pour ne plus le quitter?

– À six heures!»

La voix de Rouletabille continuait:

«Oui, il est venu là-dessous… c'est certain… Du reste, il n'y a que là qu'il pouvait se cacher… Quand vous êtes entrés, tous les quatre, vous avez regardé sous le lit?

– Tout de suite… Nous avons même entièrement bousculé le lit avant de le remettre à sa place.

– Et entre les matelas?

– Il n'y avait, à ce lit, qu'un matelas sur lequel on a posé Mlle Mathilde. Et le concierge et M. Stangerson ont transporté ce matelas immédiatement dans le laboratoire. Sous le matelas, il n'y avait que le sommier métallique qui ne saurait dissimuler rien, ni personne. Enfin, monsieur, songez que nous étions quatre, et que rien ne pouvait nous échapper, la chambre étant si petite, dégarnie de meubles, et tout étant fermé derrière nous, dans le pavillon.»

J'osai une hypothèse:

«Il est peut-être sorti avec le matelas! Dans le matelas, peut-être… Tout est possible devant un pareil mystère! Dans leur trouble, M. Stangerson et le concierge ne se seront pas aperçus qu'ils transportaient double poids… et puis, si le concierge est complice!… Je vous donne cette hypothèse pour ce qu'elle vaut, mais voilà qui expliquerait bien des choses… et, particulièrement, le fait que le laboratoire et le vestibule sont restés vierges des traces de pas qui se trouvent dans la chambre. Quand on a transporté mademoiselle du laboratoire au château, le matelas, arrêté un instant près de la fenêtre, aurait pu permettre à l'homme de se sauver…

– Et puis quoi encore? Et puis quoi encore? Et puis quoi encore?» me lança Rouletabille, en riant délibérément, sous le lit…

J'étais un peu vexé:

«Vraiment on ne sait plus… Tout paraît possible…»

Le père Jacques fit:

«C'est une idée qu'a eue le juge d'instruction, monsieur, et il a fait examiner sérieusement le matelas. Il a été obligé de rire de son idée, monsieur, comme votre ami rit en ce moment, car ça n'était bien sûr pas un matelas à double fond!… Et puis, quoi! s'il y avait eu un homme dans le matelas on l'aurait vu!…»

Je dus rire moi-même, et, en effet, j'eus la preuve, depuis, que j'avais dit quelque chose d'absurde. Mais où commençait, où finissait l'absurde dans une affaire pareille!

Mon ami, seul, était capable de le dire, et encore!…

«Dites donc! s'écria le reporter, toujours sous le lit, elle a été bien remuée, cette carpette-là?

– Par nous, monsieur, expliqua le père Jacques. Quand nous n'avons pas trouvé l'assassin, nous nous sommes demandé s'il n'y avait pas un trou dans le plancher…

– Il n'y en a pas, répondit Rouletabille. Avez-vous une cave?

– Non, il n'y a pas de cave… Mais cela n'a pas arrêté nos recherches et ça n'a pas empêché M. le juge d'instruction, et surtout son greffier, d'étudier le plancher planche à planche, comme s'il y avait eu une cave dessous…»

Le reporter, alors, réapparut. Ses yeux brillaient, ses narines palpitaient; on eût dit un jeune animal au retour d'un heureux affût… Il resta à quatre pattes. En vérité, je ne pouvais mieux le comparer dans ma pensée qu'à une admirable bête de chasse sur la piste de quelque surprenant gibier… Et il flaira les pas de l'homme, de l'homme qu'il s'était juré de rapporter à son maître, M. le directeur de L'Époque, car il ne faut pas oublier que notre Joseph Rouletabille était journaliste!

Ainsi, à quatre pattes, il s'en fut aux quatre coins de la pièce, reniflant tout, faisant le tour de tout, de tout ce que nous voyions, ce qui était peu de chose, et de tout ce que nous ne voyions pas et qui était, paraît-il, immense.

La table-toilette était une simple tablette sur quatre pieds; impossible de la transformer en une cachette passagère… Pas une armoire… Mlle Stangerson avait sa garde-robe au château.

Le nez, les mains de Rouletabille montaient le long des murs, qui étaient partout de brique épaisse. Quand il eut fini avec les murs et passé ses doigts agiles sur toute la surface du papier jaune, atteignant ainsi le plafond auquel il put toucher, en montant sur une chaise qu'il avait placée sur la table-toilette, et en faisant glisser autour de la pièce cet ingénieux escabeau; quand il eut fini avec le plafond où il examina soigneusement la trace de l'autre balle, il s'approcha de la fenêtre et ce fut encore le tour des barreaux et celui des volets, tous bien solides et intacts. Enfin, il poussa un ouf! «de satisfaction» et déclara que, «maintenant, il était tranquille!»

«Eh bien, croyez-vous qu'elle était enfermée, la pauvre chère mademoiselle quand on nous l'assassinait! Quand elle nous appelait à son secours!… gémit le père Jacques.

 – Oui, fit le jeune reporter, en s'essuyant le front… la Chambre Jaune était, ma foi, fermée comme un coffre-fort…

– De fait, observai-je, voilà bien pourquoi ce mystère est le plus surprenant que je connaisse, même dans le domaine de l'imagination. Dans le Double Assassinat de la rue Morgue, Edgar Poe n'a rien inventé de semblable. Le lieu du crime était assez fermé pour ne pas laisser échapper un homme, mais il y avait encore cette fenêtre par laquelle pouvait se glisser l'auteur des assassinats qui était un singe!… Mais ici, il ne saurait être question d'aucune ouverture d'aucune sorte. La porte close et les volets fermés comme ils l'étaient, et la fenêtre fermée comme elle l'était, une mouche ne pouvait entrer ni sortir!

– En vérité! En vérité! acquiesça Rouletabille, qui s'épongeait toujours le front, semblant suer moins de son récent effort corporel que de l'agitation de ses pensées. En vérité! C'est un très grand et très beau et très curieux mystère!…

– La «Bête du Bon Dieu», bougonna le père Jacques, la «Bête du Bon Dieu» elle-même, si elle avait commis le crime, n'aurait pas pu s'échapper… Écoutez!… L'entendez-vous?… Silence!…»

Le père Jacques nous faisait signe de nous taire et, le bras tendu vers le mur, vers la prochaine forêt, écoutait quelque chose que nous n'entendions point.

«Elle est partie, finit-il par dire. Il faudra que je la tue… Elle est trop sinistre, cette bête-là… mais c'est la «Bête du Bon Dieu»; elle va prier toutes les nuits sur la tombe de sainte Geneviève, et personne n'ose y toucher de peur que la mère Agenoux jette un mauvais sort…

– Comment est-elle grosse, la «Bête du Bon Dieu»?

– Quasiment comme un gros chien basset… c'est un monstre que je vous dis. Ah! Je me suis demandé plus d'une fois si ça n'était pas elle qui avait pris de ses griffes notre pauvre mademoiselle à la gorge… Mais «la Bête du Bon Dieu» ne porte pas des godillots, ne tire pas des coups de revolver, n'a pas une main pareille!… s'exclama le père Jacques en nous montrant encore la main rouge sur le mur. Et puis, on l'aurait vue aussi bien qu'un homme, et elle aurait été enfermée dans la chambre et dans le pavillon, aussi bien qu'un homme!…

– Évidemment, fis-je. De loin, avant d'avoir vu la «Chambre Jaune», je m'étais, moi aussi, demandé si le chat de la mère Agenoux…

– Vous aussi! s'écria Rouletabille.

– Et vous? demandai-je.

– Moi non, pas une minute… depuis que j'ai lu l'article du Matin, je sais qu'il ne s'agit pas d'une bête! Maintenant, je jure qu'il s'est passé là une tragédie effroyable… Mais vous ne parlez pas du béret retrouvé, ni du mouchoir, père Jacques?

– Le magistrat les a pris, bien entendu», fit l'autre avec hésitation.

Le reporter lui dit, très grave:

«Je n'ai vu, moi, ni le mouchoir, ni le béret, mais je peux cependant vous dire comment ils sont faits.

– Ah! vous êtes bien malin…», et le père Jacques toussa, embarrassé.

«Le mouchoir est un gros mouchoir bleu à raies rouges, et le béret, est un vieux béret basque, comme celui-là, ajouta Rouletabille en montrant la coiffure de l'homme.

– C'est pourtant vrai… vous êtes sorcier…»

Et le père Jacques essaya de rire, mais n'y parvint pas.

«Comment qu'vous savez que le mouchoir est bleu à raies rouges?

– Parce que, s'il n'avait pas été bleu à raies rouges, on n'aurait pas trouvé de mouchoir du tout!»

Sans plus s'occuper du père Jacques, mon ami prit dans sa poche un morceau de papier blanc, ouvrit une paire de ciseaux, se pencha sur les traces de pas, appliqua son papier sur l'une des traces et commença à découper. Il eut ainsi une semelle de papier d'un contour très net, et me la donna en me priant de ne pas la perdre.

Il se retourna ensuite vers la fenêtre et, montrant au père Jacques, Frédéric Larsan qui n'avait pas quitté les bords de l'étang, il s'inquiéta de savoir si le policier n'était point venu, lui aussi, «travailler dans la Chambre Jaune».

«Non! répondit M. Robert Darzac, qui, depuis que Rouletabille lui avait passé le petit bout de papier roussi, n'avait pas prononcé un mot. Il prétend qu'il n'a point besoin de voir la «Chambre Jaune», que l'assassin est sorti de la «Chambre Jaune» d'une façon très naturelle, et qu'il s'en expliquera ce soir!

En entendant M. Robert Darzac parler ainsi, Rouletabille – chose extraordinaire – pâlit.

«Frédéric Larsan posséderait-il la vérité que je ne fais que pressentir! murmura-t-il. Frédéric Larsan est très fort… très fort… et je l'admire… Mais aujourd'hui, il s'agit de faire mieux qu'une œuvre de policier… mieux que ce qu'enseigne l'expérience!… il s'agit d'être logique, mais logique, entendez-moi bien, comme le bon Dieu a été logique quand il a dit: 2 + 2 = 4…! IL S'AGIT DE PRENDRE LA RAISON PAR LE BON BOUT!»

Et le reporter se précipita dehors, éperdu à cette idée que le grand, le fameux Fred pouvait apporter avant lui la solution du problème de la «Chambre Jaune!»

Je parvins à le rejoindre sur le seuil du pavillon.

«Allons! lui dis-je, calmez-vous… vous n'êtes donc pas content?

– Oui, m'avoua-t-il avec un grand soupir. Je suis très content. J'ai découvert bien des choses…

– De l'ordre moral ou de l'ordre matériel?

– Quelques-unes de l'ordre moral et une de l'ordre matériel. Tenez, ceci, par exemple.»

Et, rapidement, il sortit de la poche de son gilet une feuille de papier qu'il avait dû y serrer pendant son expédition sous le lit, et dans le pli de laquelle il avait déposé un cheveu blond de femme.

VIII. Le juge d'instruction interroge Mlle Stangerson

Cinq minutes plus tard, Joseph Rouletabille se penchait sur les empreintes de pas découvertes dans le parc, sous la fenêtre même du vestibule, quand un homme, qui devait être un serviteur du château, vint à nous à grandes enjambées, et cria à M. Robert Darzac qui descendait du pavillon:

«Vous savez, monsieur Robert, que le juge d'instruction est en train d'interroger mademoiselle.»

M. Robert Darzac nous jeta aussitôt une vague excuse et se prit à courir dans la direction du château; l'homme courut derrière lui.

«Si le cadavre parle, fis-je, cela va devenir intéressant.

– Il faut savoir, dit mon ami. Allons au château.»

Et il m'entraîna. Mais, au château, un gendarme placé dans le vestibule nous interdit l'accès de l'escalier du premier étage. Nous dûmes attendre.

Pendant ce temps-là, voici ce qui se passait dans la chambre de la victime. Le médecin de la famille, trouvant que Mlle Stangerson allait beaucoup mieux, mais craignant une rechute fatale qui ne permettrait plus de l'interroger, avait cru de son devoir d'avertir le juge d'instruction… et celui-ci avait résolu de procéder immédiatement à un bref interrogatoire. À cet interrogatoire assistèrent M. de Marquet, le greffier, M. Stangerson, le médecin. Je me suis procuré plus tard, au moment du procès, le texte de cet interrogatoire. Le voici, dans toute sa sécheresse juridique:

Demande. – Sans trop vous fatiguer, êtes-vous capable, mademoiselle, de nous donner quelques détails nécessaires sur l'affreux attentat dont vous avez été victime?

Réponse. – Je me sens beaucoup mieux, monsieur, et je vais vous dire ce que je sais. Quand j'ai pénétré dans ma chambre, je ne me suis aperçue de rien d'anormal.

D. – Pardon, mademoiselle, si vous me le permettez, je vais vous poser des questions et vous y répondrez. Cela vous fatiguera moins qu'un long récit.

R. – Faites, monsieur.

D. – Quel fut ce jour-là l'emploi de votre journée? Je le désirerais aussi précis, aussi méticuleux que possible. Je voudrais, mademoiselle, suivre tous vos gestes, ce jour-là, si ce n'est point trop vous demander.

R. – Je me suis levée tard, à dix heures, car mon père et moi nous étions rentrés tard dans la nuit, ayant assisté au dîner et à la réception offerts par le président de la République, en l'honneur des délégués de l'académie des sciences de Philadelphie. Quand je suis sortie de ma chambre, à dix heures et demie, mon père était déjà au travail dans le laboratoire. Nous avons travaillé ensemble jusqu'à midi; nous avons fait une promenade d'une demi-heure dans le parc; nous avons déjeuné au château. Une demi-heure de promenade, jusqu'à une heure et demie, comme tous les jours. Puis, mon père et moi, nous retournons au laboratoire. Là, nous trouvons ma femme de chambre qui vient de faire ma chambre. J'entre dans la «Chambre Jaune» pour donner quelques ordres sans importance à cette domestique qui quitte le pavillon aussitôt et je me remets au travail avec mon père. À cinq heures, nous quittons le pavillon pour une nouvelle promenade et le thé.

D. – Au moment de sortir, à cinq heures, êtes-vous entrée dans votre chambre?

R. – Non, monsieur, c'est mon père qui est entré dans ma chambre, pour y chercher, sur ma prière, mon chapeau.

D. – Et il n'y a rien vu de suspect?

M. STANGERSON. – Évidemment non, monsieur.

D. – Du reste, il est à peu près sûr que l'assassin n'était pas encore sous le lit, à ce moment-là. Quand vous êtes partie, la porte de la chambre n'avait pas été fermée à clef?

Mlle STANGERSON. – Non. Nous n'avions aucune raison pour cela…

D. – Vous avez été combien de temps partis du pavillon à ce moment-là, M. Stangerson et vous?

R. – Une heure environ.

D. – C'est pendant cette heure-là, sans doute, que l'assassin s'est introduit dans le pavillon. Mais comment? On ne le sait pas. On trouve bien, dans le parc, des traces de pas qui s'en vont de la fenêtre du vestibule, on n'en trouve point qui y viennent. Aviez-vous remarqué que la fenêtre du vestibule fût ouverte quand vous êtes sortie avec votre père?

R. – Je ne m'en souviens pas.

M. STANGERSON. – Elle était fermée.

D. – Et quand vous êtes rentrés?

Mlle STANGERSON. – Je n'ai pas fait attention.

M. STANGERSON. – Elle était encore fermée…, je m'en souviens très bien, car, en rentrant, j'ai dit tout haut: «Vraiment, pendant notre absence, le père Jacques aurait pu ouvrir!…»

D. – Étrange! Étrange! Rappelez-vous, monsieur Stangerson, que le père Jacques, en votre absence, et avant de sortir, l'avait ouverte. Vous êtes donc rentrés à six heures dans le laboratoire et vous vous êtes remis au travail?

Mlle STANGERSON. – Oui, monsieur.

D. – Et vous n'avez plus quitté le laboratoire depuis cette heure-là jusqu'au moment où vous êtes entrée dans votre chambre?

Назад Дальше