Les Trois Mousquetaires / Три мушкетера - Александр Дюма 10 стр.


 Volontiers, répondit M. de La Trémouille ; mais je vous préviens que je suis bien renseigné, et tout le tort est à vos mousquetaires.

 Vous êtes un homme trop juste et trop raisonnable, monsieur, dit M. de Tréville, pour ne pas accepter la proposition que je vais faire.

 Faites, monsieur, jécoute.

 Comment se trouve M. Bernajoux, le parent de votre écuyer ?

 Mais, monsieur, fort mal. Outre le coup dépée quil a reçu dans le bras, et qui nest pas autrement dangereux, il en a encore ramassé un autre qui lui a traversé le poumon, de sorte que le médecin en dit de pauvres choses.

 Mais le blessé a-t-il conservé sa connaissance ?

 Parfaitement.

 Parle-t-il ?

 Avec difficulté, mais il parle.

 Eh bien, monsieur ! rendons-nous près de lui ; adjurons-le, au nom du Dieu devant lequel il va être appelé peut-être, de dire la vérité. Je le prends pour juge dans sa propre cause, monsieur, et ce quil dira je le croirai. »

M. de La Trémouille réfléchit un instant, puis, comme il était difficile de faire une proposition plus raisonnable, il accepta.

Tous deux descendirent dans la chambre où était le blessé. Celui-ci, en voyant entrer ces deux nobles seigneurs qui venaient lui faire visite, essaya de se relever sur son lit, mais il était trop faible, et, épuisé par leffort quil avait fait, il retomba presque sans connaissance.

M. de La Trémouille sapprocha de lui et lui fit respirer des sels qui le rappelèrent à la vie. Alors M. de Tréville, ne voulant pas quon pût laccuser davoir influencé le malade, invita M. de La Trémouille à linterroger lui-même.

Ce quavait prévu M. de Tréville arriva. Placé entre la vie et la mort comme létait Bernajoux, il neut pas même lidée de taire un instant la vérité, et il raconta aux deux seigneurs les choses exactement, telles quelles sétaient passées.

Cétait tout ce que voulait M. de Tréville ; il souhaita à Bernajoux une prompte convalescence, prit congé de M. de La Trémouille, rentra à son hôtel et fit aussitôt prévenir les quatre amis quil les attendait à dîner.

M. de Tréville recevait fort bonne compagnie, toute anticardinaliste dailleurs. On comprend donc que la conversation roula pendant tout le dîner sur les deux échecs que venaient déprouver les gardes de Son Éminence. Or, comme dArtagnan avait été le héros de ces deux journées, ce fut sur lui que tombèrent toutes les félicitations, quAthos, Porthos et Aramis lui abandonnèrent non seulement en bons camarades, mais en hommes qui avaient eu assez souvent leur tour pour quils lui laissassent le sien.

Vers six heures, M. de Tréville annonça quil était tenu daller au Louvre ; mais comme lheure de laudience accordée par Sa Majesté était passée, au lieu de réclamer lentrée par le petit escalier, il se plaça avec les quatre jeunes gens dans lantichambre. Le roi nétait pas encore revenu de la chasse. Nos jeunes gens attendaient depuis une demi-heure à peine, mêlés à la foule des courtisans, lorsque toutes les portes souvrirent et quon annonça Sa Majesté.

À cette annonce, dArtagnan se sentit frémir jusquà la moelle des os. Linstant qui allait suivre devait, selon toute probabilité, décider du reste de sa vie. Aussi ses yeux se fixèrent-ils avec angoisse sur la porte par laquelle devait entrer le roi.

Louis XIII parut, marchant le premier ; il était en costume de chasse, encore tout poudreux, ayant de grandes bottes et tenant un fouet à la main. Au premier coup doeil, dArtagnan jugea que lesprit du roi était à lorage.

Cette disposition, toute visible quelle était chez Sa Majesté, nempêcha pas les courtisans de se ranger sur son passage : dans les antichambres royales, mieux vaut encore être vu dun oeil irrité que de nêtre pas vu du tout. Les trois mousquetaires nhésitèrent donc pas, et firent un pas en avant, tandis que dArtagnan au contraire restait caché derrière eux ; mais quoique le roi connût personnellement Athos, Porthos et Aramis, il passa devant eux sans les regarder, sans leur parler et comme sil ne les avait jamais vus. Quant à M. de Tréville, lorsque les yeux du roi sarrêtèrent un instant sur lui, il soutint ce regard avec tant de fermeté, que ce fut le roi qui détourna la vue ; après quoi, tout en grommelant, Sa Majesté rentra dans son appartement.

« Les affaires vont mal, dit Athos en souriant, et nous ne serons pas encore fait chevaliers de lordre cette fois-ci.

 Attendez ici dix minutes, dit M. de Tréville ; et si au bout de dix minutes vous ne me voyez pas sortir, retournez à mon hôtel : car il sera inutile que vous mattendiez plus longtemps. »

Les quatre jeunes gens attendirent dix minutes, un quart dheure, vingt minutes ; et voyant que M. de Tréville ne reparaissait point, ils sortirent fort inquiets de ce qui allait arriver.

M. de Tréville était entré hardiment dans le cabinet du roi, et avait trouvé Sa Majesté de très méchante humeur, assise sur un fauteuil et battant ses bottes du manche de son fouet, ce qui ne lavait pas empêché de lui demander avec le plus grand flegme des nouvelles de sa santé.

« Mauvaise, monsieur, mauvaise, répondit le roi, je mennuie. »

Cétait en effet la pire maladie de Louis XIII, qui souvent prenait un de ses courtisans, lattirait à une fenêtre et lui disait : « Monsieur un tel, ennuyons-nous ensemble. »

« Comment ! Votre Majesté sennuie ! dit M. de Tréville. Na-t-elle donc pas pris aujourdhui le plaisir de la chasse ?

 Beau plaisir, monsieur ! Tout dégénère, sur mon âme, et je ne sais si cest le gibier qui na plus de voie ou les chiens qui nont plus de nez. Nous lançons un cerf dix cors, nous le courons six heures, et quand il est prêt à tenir, quand Saint-Simon met déjà le cor à sa bouche pour sonner lhallali, crac ! toute la meute prend le change et semporte sur un daguet. Vous verrez que je serai obligé de renoncer à la chasse à courre comme jai renoncé à la chasse au vol. Ah ! je suis un roi bien malheureux, monsieur de Tréville ! je navais plus quun gerfaut, et il est mort avant-hier.

 En effet, Sire, je comprends votre désespoir, et le malheur est grand ; mais il vous reste encore, ce me semble, bon nombre de faucons, déperviers et de tiercelets.

 Et pas un homme pour les instruire, les fauconniers sen vont, il ny a plus que moi qui connaisse lart de la vénerie. Après moi tout sera dit, et lon chassera avec des traquenards, des pièges, des trappes. Si javais le temps encore de former des élèves ! mais oui, M. le cardinal est là qui ne me laisse pas un instant de repos, qui me parle de lEspagne, qui me parle de lAutriche, qui me parle de lAngleterre ! Ah ! à propos de M. le cardinal, monsieur de Tréville, je suis mécontent de vous. »

M. de Tréville attendait le roi à cette chute. Il connaissait le roi de longue main ; il avait compris que toutes ses plaintes nétaient quune préface, une espèce dexcitation pour sencourager lui-même, et que cétait où il était arrivé enfin quil en voulait venir.

« Et en quoi ai-je été assez malheureux pour déplaire à Votre Majesté ? demanda M. de Tréville en feignant le plus profond étonnement.

 Est-ce ainsi que vous faites votre charge, monsieur ? continua le roi sans répondre directement à la question de M. de Tréville ; est-ce pour cela que je vous ai nommé capitaine de mes mousquetaires, que ceux-ci assassinent un homme, émeuvent tout un quartier et veulent brûler Paris sans que vous en disiez un mot ? Mais, au reste, continua le roi, sans doute que je me hâte de vous accuser, sans doute que les perturbateurs sont en prison et que vous venez mannoncer que justice est faite.

 Sire, répondit tranquillement M. de Tréville, je viens vous la demander au contraire.

 Et contre qui ? sécria le roi.

 Contre les calomniateurs, dit M. de Tréville.

 Ah ! voilà qui est nouveau, reprit le roi. Nallez-vous pas dire que vos trois mousquetaires damnés, Athos, Porthos et Aramis et votre cadet de Béarn, ne se sont pas jetés comme des furieux sur le pauvre Bernajoux, et ne lont pas maltraité de telle façon quil est probable quil est en train de trépasser à cette heure ! Nallez-vous pas dire quensuite ils nont pas fait le siège de lhôtel du duc de La Trémouille, et quils nont point voulu le brûler ! ce qui naurait peut-être pas été un très grand malheur en temps de guerre, vu que cest un nid de huguenots, mais ce qui, en temps de paix, est un fâcheux exemple. Dites, nallez-vous pas nier tout cela ?

 Et qui vous a fait ce beau récit, Sire ? demanda tranquillement M. de Tréville.

 Qui ma fait ce beau récit, monsieur ! et qui voulez-vous que ce soit, si ce nest celui qui veille quand je dors, qui travaille quand je mamuse, qui mène tout au-dedans et au-dehors du royaume, en France comme en Europe ?

 Sa Majesté veut parler de Dieu, sans doute, dit M. de Tréville, car je ne connais que Dieu qui soit si fort au-dessus de Sa Majesté.

 Non monsieur ; je veux parler du soutien de lÉtat, de mon seul serviteur, de mon seul ami, de M. le cardinal.

 Son Éminence nest pas Sa Sainteté, Sire.

 Quentendez-vous par là, monsieur ?

 Quil ny a que le pape qui soit infaillible, et que cette infaillibilité ne sétend pas aux cardinaux.

 Vous voulez dire quil me trompe, vous voulez dire quil me trahit. Vous laccusez alors. Voyons, dites, avouez franchement que vous laccusez.

 Non, Sire ; mais je dis quil se trompe lui-même, je dis quil a été mal renseigné ; je dis quil a eu hâte daccuser les mousquetaires de Votre Majesté, pour lesquels il est injuste, et quil na pas été puiser ses renseignements aux bonnes sources.

 Laccusation vient de M. de La Trémouille, du duc lui-même. Que répondrez-vous à cela ?

 Je pourrais répondre, Sire, quil est trop intéressé dans la question pour être un témoin bien impartial ; mais loin de là, Sire, je connais le duc pour un loyal gentilhomme, et je men rapporterai à lui, mais à une condition, Sire.

 Laquelle ?

 Cest que Votre Majesté le fera venir, linterrogera, mais elle-même, en tête-à-tête, sans témoins, et que je reverrai Votre Majesté aussitôt quelle aura reçu le duc.

 Oui-da ! fit le roi, et vous vous en rapporterez à ce que dira M. de La Trémouille ?

 Oui, Sire.

 Vous accepterez son jugement ?

 Sans doute.

 Et vous vous soumettrez aux réparations quil exigera ?

 Parfaitement.

 La Chesnaye ! fit le roi. La Chesnaye ! »

Le valet de chambre de confiance de Louis XIII, qui se tenait toujours à la porte, entra.

« La Chesnaye, dit le roi, quon aille à linstant même me quérir M. de La Trémouille ; je veux lui parler ce soir.

 Votre Majesté me donne sa parole quelle ne verra personne entre M. de La Trémouille et moi ?

 Personne, foi de gentilhomme.

 À demain, Sire, alors.

 À demain, monsieur.

 À quelle heure, sil plaît à Votre Majesté ?

 À lheure que vous voudrez.

 Mais, en venant par trop matin, je crains de réveiller votre Majesté.

 Me réveiller ? Est-ce que je dors ? Je ne dors plus, monsieur ; je rêve quelquefois, voilà tout. Venez donc daussi bon matin que vous voudrez, à sept heures ; mais gare à vous, si vos mousquetaires sont coupables !

 Si mes mousquetaires sont coupables, Sire, les coupables seront remis aux mains de Votre Majesté, qui ordonnera deux selon son bon plaisir. Votre Majesté exige-t-elle quelque chose de plus ? quelle parle, je suis prêt à lui obéir.

 Non, monsieur, non, et ce nest pas sans raison quon ma appelé Louis le Juste. À demain donc, monsieur, à demain.

 Dieu garde jusque-là Votre Majesté ! »

Si peu que dormit le roi, M. de Tréville dormit plus mal encore ; il avait fait prévenir dès le soir même ses trois mousquetaires et leur compagnon de se trouver chez lui à six heures et demie du matin. Il les emmena avec lui sans rien leur affirmer, sans leur rien promettre, et ne leur cachant pas que leur faveur et même la sienne tenaient à un coup de dés.

Arrivé au bas du petit escalier, il les fit attendre. Si le roi était toujours irrité contre eux, ils séloigneraient sans être vus ; si le roi consentait à les recevoir, on naurait quà les faire appeler.

En arrivant dans lantichambre particulière du roi, M. de Tréville trouva La Chesnaye, qui lui apprit quon navait pas rencontré le duc de La Trémouille la veille au soir à son hôtel, quil était rentré trop tard pour se présenter au Louvre, quil venait seulement darriver, et quil était à cette heure chez le roi.

Cette circonstance plut beaucoup à M. de Tréville, qui, de cette façon, fut certain quaucune suggestion étrangère ne se glisserait entre la déposition de M. de La Trémouille et lui.

En effet, dix minutes sétaient à peine écoulées, que la porte du cabinet souvrit et que M. de Tréville en vit sortir le duc de La Trémouille, lequel vint à lui et lui dit :

« Monsieur de Tréville, Sa Majesté vient de menvoyer quérir pour savoir comment les choses sétaient passées hier matin à mon hôtel. Je lui ai dit la vérité, cest-à-dire que la faute était à mes gens, et que jétais prêt à vous en faire mes excuses. Puisque je vous rencontre, veuillez les recevoir, et me tenir toujours pour un de vos amis.

 Monsieur le duc, dit M. de Tréville, jétais si plein de confiance dans votre loyauté, que je navais pas voulu près de Sa Majesté dautre défenseur que vous-même. Je vois que je ne métais pas abusé, et je vous remercie de ce quil y a encore en France un homme de qui on puisse dire sans se tromper ce que jai dit de vous.

 Cest bien, cest bien ! dit le roi qui avait écouté tous ces compliments entre les deux portes ; seulement, dites-lui, Tréville, puisquil se prétend un de vos amis, que moi aussi je voudrais être des siens, mais quil me néglige ; quil y a tantôt trois ans que je ne lai vu, et que je ne le vois que quand je lenvoie chercher. Dites-lui tout cela de ma part, car ce sont de ces choses quun roi ne peut dire lui-même.

 Merci, Sire, merci, dit le duc ; mais que Votre Majesté croie bien que ce ne sont pas ceux, je ne dis point cela pour M. de Tréville, que ce ne sont point ceux quelle voit à toute heure du jour qui lui sont le plus dévoués.

 Ah ! vous avez entendu ce que jai dit ; tant mieux, duc, tant mieux, dit le roi en savançant jusque sur la porte. Ah ! cest vous, Tréville ! où sont vos mousquetaires ? Je vous avais dit avant-hier de me les amener, pourquoi ne lavez-vous pas fait ?

 Ils sont en bas, Sire, et avec votre congé La Chesnaye va leur dire de monter.

 Oui, oui, quils viennent tout de suite ; il va être huit heures, et à neuf heures jattends une visite. Allez, monsieur le duc, et revenez surtout. Entrez, Tréville. »

Le duc salua et sortit. Au moment où il ouvrait la porte, les trois mousquetaires et dArtagnan, conduits par La Chesnaye, apparaissaient au haut de lescalier.

« Venez, mes braves, dit le roi, venez ; jai à vous gronder. »

Les mousquetaires sapprochèrent en sinclinant ; dArtagnan les suivait par-derrière.

« Comment diable ! continua le roi ; à vous quatre, sept gardes de Son Éminence mis hors de combat en deux jours ! Cest trop, messieurs, cest trop. À ce compte-là, Son Éminence serait forcée de renouveler sa compagnie dans trois semaines, et moi de faire appliquer les édits dans toute leur rigueur. Un par hasard, je ne dis pas ; mais sept en deux jours, je le répète, cest trop, cest beaucoup trop.

 Aussi, Sire, Votre Majesté voit quils viennent tout contrits et tout repentants lui faire leurs excuses.

 Tout contrits et tout repentants ! Hum ! fit le roi, je ne me fie point à leurs faces hypocrites ; il y a surtout là-bas une figure de Gascon. Venez ici, monsieur. »

DArtagnan, qui comprit que cétait à lui que le compliment sadressait, sapprocha en prenant son air le plus désespéré.

« Eh bien, que me disiez-vous donc que cétait un jeune homme ? cest un enfant, monsieur de Tréville, un véritable enfant ! Et cest celui-là qui a donné ce rude coup dépée à Jussac ?

 Et ces deux beaux coups dépée à Bernajoux.

 Véritablement !

 Sans compter, dit Athos, que sil ne mavait pas tiré des mains de Biscarat, je naurais très certainement pas lhonneur de faire en ce moment-ci ma très humble révérence à Votre Majesté.

 Mais cest donc un véritable démon que ce Béarnais, ventre- saint-gris ! monsieur de Tréville comme eût dit le roi mon père. À ce métier-là, on doit trouer force pourpoints et briser force épées. Or les Gascons sont toujours pauvres, nest-ce pas ?

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