Les Trois Mousquetaires / Три мушкетера - Александр Дюма 13 стр.


 Je vous ai dit que je croyais le connaître.

 Son nom ?

 Je ne le sais pas ; ce que je sais seulement, cest que cest une créature du cardinal, son âme damnée.

 Mais vous lavez vu ?

 Oui, ma femme me la montré un jour.

 A-t-il un signalement auquel on puisse le reconnaître ?

 Oh ! certainement, cest un seigneur de haute mine, poil noir, teint basané, oeil perçant, dents blanches et une cicatrice à la tempe.

 Une cicatrice à la tempe ! sécria dArtagnan, et avec cela dents blanches, oeil perçant, teint basané, poil noir, et haute mine ; cest mon homme de Meung !

 Cest votre homme, dites-vous ?

 Oui, oui ; mais cela ne fait rien à la chose. Non, je me trompe, cela la simplifie beaucoup, au contraire : si votre homme est le mien, je ferai dun coup deux vengeances, voilà tout ; mais où rejoindre cet homme ?

 Je nen sais rien.

 Vous navez aucun renseignement sur sa demeure ?

 Aucun ; un jour que je reconduisais ma femme au Louvre, il en sortait comme elle allait y entrer, et elle me la fait voir.

 Diable ! diable ! murmura dArtagnan, tout ceci est bien vague ; par qui avez-vous su lenlèvement de votre femme ?

 Par M. de La Porte.

 Vous a-t-il donné quelque détail ?

 Il nen avait aucun.

 Et vous navez rien appris dun autre côté ?

 Si fait, jai reçu

 Quoi ?

 Mais je ne sais pas si je ne commets pas une grande imprudence ?

 Vous revenez encore là-dessus ; cependant je vous ferai observer que, cette fois, il est un peu tard pour reculer.

 Aussi je ne recule pas, mordieu ! sécria le bourgeois en jurant pour se monter la tête. Dailleurs, foi de Bonacieux

 Vous vous appelez Bonacieux ? interrompit dArtagnan.

 Oui, cest mon nom.

 Vous disiez donc : foi de Bonacieux ! pardon si je vous ai interrompu ; mais il me semblait que ce nom ne métait pas inconnu.

 Cest possible, monsieur. Je suis votre propriétaire.

 Ah ! ah ! fit dArtagnan en se soulevant à demi et en saluant, vous êtes mon propriétaire ?

 Oui, monsieur, oui. Et comme depuis trois mois que vous êtes chez moi, et que distrait sans doute par vos grandes occupations vous avez oublié de me payer mon loyer ; comme, dis-je, je ne vous ai pas tourmenté un seul instant, jai pensé que vous auriez égard à ma délicatesse.

 Comment donc ! mon cher monsieur Bonacieux, reprit dArtagnan, croyez que je suis plein de reconnaissance pour un pareil procédé, et que, comme je vous lai dit, si je puis vous être bon à quelque chose

 Je vous crois, monsieur, je vous crois, et comme jallais vous le dire, foi de Bonacieux, jai confiance en vous.

 Achevez donc ce que vous avez commencé à me dire. »

Le bourgeois tira un papier de sa poche, et le présenta à dArtagnan.

« Une lettre ! fit le jeune homme.

 Que jai reçue ce matin. »

DArtagnan louvrit, et comme le jour commençait à baisser, il sapprocha de la fenêtre. Le bourgeois le suivit.

« Ne cherchez pas votre femme, lut dArtagnan, elle vous sera rendue quand on naura plus besoin delle. Si vous faites une seule démarche pour la retrouver, vous êtes perdu. »

« Voilà qui est positif, continua dArtagnan ; mais après tout, ce nest quune menace.

 Oui, mais cette menace mépouvante ; moi, monsieur, je ne suis pas homme dépée du tout, et jai peur de la Bastille.

 Hum ! fit dArtagnan ; mais cest que je ne me soucie pas plus de la Bastille que vous, moi. Sil ne sagissait que dun coup dépée, passe encore.

 Cependant, monsieur, javais bien compté sur vous dans cette occasion.

 Oui ?

 Vous voyant sans cesse entouré de mousquetaires à lair fort superbe, et reconnaissant que ces mousquetaires étaient ceux de M. de Tréville, et par conséquent des ennemis du cardinal, javais pensé que vous et vos amis, tout en rendant justice à notre pauvre reine, seriez enchantés de jouer un mauvais tour à Son Éminence.

 Sans doute.

 Et puis javais pensé que, me devant trois mois de loyer dont je ne vous ai jamais parlé

 Oui, oui, vous mavez déjà donné cette raison, et je la trouve excellente.

 Comptant de plus, tant que vous me ferez lhonneur de rester chez moi, ne jamais vous parler de votre loyer à venir

 Très bien.

 Et ajoutez à cela, si besoin est, comptant vous offrir une cinquantaine de pistoles si, contre toute probabilité, vous vous trouviez gêné en ce moment.

 À merveille ; mais vous êtes donc riche, mon cher monsieur Bonacieux ?

 Je suis à mon aise, monsieur, cest le mot ; jai amassé quelque chose comme deux ou trois mille écus de rente dans le commerce de la mercerie, et surtout en plaçant quelques fonds sur le dernier voyage du célèbre navigateur Jean Mocquet ; de sorte que, vous comprenez, monsieur Ah ! mais sécria le bourgeois.

 Quoi ? demanda dArtagnan.

 Que vois-je là ?

 Où ?

 Dans la rue, en face de vos fenêtres, dans lembrasure de cette porte : un homme enveloppé dans un manteau.

 Cest lui ! sécrièrent à la fois dArtagnan et le bourgeois, chacun deux en même temps ayant reconnu son homme.

 Ah ! cette fois-ci, sécria dArtagnan en sautant sur son épée, cette fois-ci, il ne méchappera pas. »

Et tirant son épée du fourreau, il se précipita hors de lappartement.

Sur lescalier, il rencontra Athos et Porthos qui le venaient voir. Ils sécartèrent, dArtagnan passa entre eux comme un trait.

« Ah çà, où cours-tu ainsi ? lui crièrent à la fois les deux mousquetaires.

 Lhomme de Meung ! » répondit dArtagnan, et il disparut.

DArtagnan avait plus dune fois raconté à ses amis son aventure avec linconnu, ainsi que lapparition de la belle voyageuse à laquelle cet homme avait paru confier une si importante missive.

Lavis dAthos avait été que dArtagnan avait perdu sa lettre dans la bagarre. Un gentilhomme, selon lui et, au portrait que dArtagnan avait fait de linconnu, ce ne pouvait être quun gentilhomme , un gentilhomme devait être incapable de cette bassesse, de voler une lettre.

Porthos navait vu dans tout cela quun rendez-vous amoureux donné par une dame à un cavalier ou par un cavalier à une dame, et quétait venu troubler la présence de dArtagnan et de son cheval jaune.

Aramis avait dit que ces sortes de choses étant mystérieuses, mieux valait ne les point approfondir.

Ils comprirent donc, sur les quelques mots échappés à dArtagnan, de quelle affaire il était question, et comme ils pensèrent quaprès avoir rejoint son homme ou lavoir perdu de vue, dArtagnan finirait toujours par remonter chez lui, ils continuèrent leur chemin.

Lorsquils entrèrent dans la chambre de dArtagnan, la chambre était vide : le propriétaire, craignant les suites de la rencontre qui allait sans doute avoir lieu entre le jeune homme et linconnu, avait, par suite de lexposition quil avait faite lui-même de son caractère, jugé quil était prudent de décamper.

IX. DArtagnan se dessine

Comme lavaient prévu Athos et Porthos, au bout dune demi-heure dArtagnan rentra. Cette fois encore il avait manqué son homme, qui avait disparu comme par enchantement. DArtagnan avait couru, lépée à la main, toutes les rues environnantes, mais il navait rien trouvé qui ressemblât à celui quil cherchait, puis enfin il en était revenu à la chose par laquelle il aurait dû commencer peut-être, et qui était de frapper à la porte contre laquelle linconnu était appuyé ; mais cétait inutilement quil avait dix ou douze fois de suite fait résonner le marteau, personne navait répondu, et des voisins qui, attirés par le bruit, étaient accourus sur le seuil de leur porte ou avaient mis le nez à leurs fenêtres, lui avaient assuré que cette maison, dont au reste toutes les ouvertures étaient closes, était depuis six mois complètement inhabitée.

Pendant que dArtagnan courait les rues et frappait aux portes, Aramis avait rejoint ses deux compagnons, de sorte quen revenant chez lui, dArtagnan trouva la réunion au grand complet.

« Eh bien ? dirent ensemble les trois mousquetaires en voyant entrer dArtagnan, la sueur sur le front et la figure bouleversée par la colère.

 Eh bien, sécria celui-ci en jetant son épée sur le lit, il faut que cet homme soit le diable en personne ; il a disparu comme un fantôme, comme une ombre, comme un spectre.

 Croyez-vous aux apparitions ? demanda Athos à Porthos.

 Moi, je ne crois que ce que jai vu, et comme je nai jamais vu dapparitions, je ny crois pas.

 La Bible, dit Aramis, nous fait une loi dy croire : lombre de Samuel apparut à Saül, et cest un article de foi que je serais fâché de voir mettre en doute, Porthos.

 Dans tous les cas, homme ou diable, corps ou ombre, illusion ou réalité, cet homme est né pour ma damnation, car sa fuite nous fait manquer une affaire superbe, messieurs, une affaire dans laquelle il y avait cent pistoles et peut-être plus à gagner.

 Comment cela ? » dirent à la fois Porthos et Aramis.

Quant à Athos, fidèle à son système de mutisme, il se contenta dinterroger dArtagnan du regard.

« Planchet, dit dArtagnan à son domestique, qui passait en ce moment la tête par la porte entrebâillée pour tâcher de surprendre quelques bribes de la conversation, descendez chez mon propriétaire, M. Bonacieux, et dites-lui de nous envoyer une demi-douzaine de bouteilles de vin de Beaugency : cest celui que je préfère.

 Ah çà, mais vous avez donc crédit ouvert chez votre propriétaire ? demanda Porthos.

 Oui, répondit dArtagnan, à compter daujourdhui, et soyez tranquilles, si son vin est mauvais, nous lui en enverrons quérir dautre.

 Il faut user et non abuser, dit sentencieusement Aramis.

 Jai toujours dit que dArtagnan était la forte tête de nous quatre, fit Athos, qui, après avoir émis cette opinion à laquelle dArtagnan répondit par un salut, retomba aussitôt dans son silence accoutumé.

 Mais enfin, voyons, quy a-t-il ? demanda Porthos.

 Oui, dit Aramis, confiez-nous cela, mon cher ami, à moins que lhonneur de quelque dame ne se trouve intéressé à cette confidence, à ce quel cas vous feriez mieux de la garder pour vous.

 Soyez tranquilles, répondit dArtagnan, lhonneur de personne naura à se plaindre de ce que jai à vous dire. »

Et alors il raconta mot à mot à ses amis ce qui venait de se passer entre lui et son hôte, et comment lhomme qui avait enlevé la femme du digne propriétaire était le même avec lequel il avait eu maille à partir à lhôtellerie du Franc Meunier.

« Votre affaire nest pas mauvaise, dit Athos après avoir goûté le vin en connaisseur et indiqué dun signe de tête quil le trouvait bon, et lon pourra tirer de ce brave homme cinquante à soixante pistoles. Maintenant, reste à savoir si cinquante à soixante pistoles valent la peine de risquer quatre têtes.

 Mais faites attention, sécria dArtagnan quil y a une femme dans cette affaire, une femme enlevée, une femme quon menace sans doute, quon torture peut-être, et tout cela parce quelle est fidèle à sa maîtresse !

 Prenez garde, dArtagnan, prenez garde, dit Aramis, vous vous échauffez un peu trop, à mon avis, sur le sort de Mme Bonacieux. La femme a été créée pour notre perte, et cest delle que nous viennent toutes nos misères. »

Athos, à cette sentence dAramis, fronça le sourcil et se mordit les lèvres.

« Ce nest point de Mme Bonacieux que je minquiète, sécria dArtagnan, mais de la reine, que le roi abandonne, que le cardinal persécute, et qui voit tomber, les unes après les autres, les têtes de tous ses amis.

 Pourquoi aime-t-elle ce que nous détestons le plus au monde, les Espagnols et les Anglais ?

 LEspagne est sa patrie, répondit dArtagnan, et il est tout simple quelle aime les Espagnols, qui sont enfants de la même terre quelle. Quant au second reproche que vous lui faites, jai entendu dire quelle aimait non pas les Anglais, mais un Anglais.

 Eh ! ma foi, dit Athos, il faut avouer que cet Anglais était bien digne dêtre aimé. Je nai jamais vu un plus grand air que le sien.

 Sans compter quil shabille comme personne, dit Porthos. Jétais au Louvre le jour où il a semé ses perles, et pardieu ! jen ai ramassé deux que jai bien vendues dix pistoles pièce. Et toi, Aramis, le connais-tu ?

 Aussi bien que vous, messieurs, car jétais de ceux qui lont arrêté dans le jardin dAmiens, où mavait introduit M. de Putange, lécuyer de la reine. Jétais au séminaire à cette époque, et laventure me parut cruelle pour le roi.

 Ce qui ne mempêcherait pas, dit dArtagnan, si je savais où est le duc de Buckingham, de le prendre par la main et de le conduire près de la reine, ne fût-ce que pour faire enrager M. le cardinal ; car notre véritable, notre seul, notre éternel ennemi, messieurs, cest le cardinal, et si nous pouvions trouver moyen de lui jouer quelque tour bien cruel, javoue que jy engagerais volontiers ma tête.

 Et, reprit Athos, le mercier vous a dit, dArtagnan, que la reine pensait quon avait fait venir Buckingham sur un faux avis ?

 Elle en a peur.

 Attendez donc, dit Aramis.

 Quoi ? demanda Porthos.

 Allez toujours, je cherche à me rappeler des circonstances.

 Et maintenant je suis convaincu, dit dArtagnan, que lenlèvement de cette femme de la reine se rattache aux événements dont nous parlons, et peut-être à la présence de M. de Buckingham à Paris.

 Le Gascon est plein didées, dit Porthos avec admiration.

 Jaime beaucoup lentendre parler, dit Athos, son patois mamuse.

 Messieurs, reprit Aramis, écoutez ceci.

 Écoutons Aramis, dirent les trois amis.

 Hier je me trouvais chez un savant docteur en théologie que je consulte quelquefois pour mes études »

Athos sourit.

« Il habite un quartier désert, continua Aramis : ses goûts, sa profession lexigent. Or, au moment où je sortais de chez lui »

Ici Aramis sarrêta.

« Eh bien ? demandèrent ses auditeurs, au moment où vous sortiez de chez lui ? »

Aramis parut faire un effort sur lui-même, comme un homme qui, en plein courant de mensonge, se voit arrêter par quelque obstacle imprévu ; mais les yeux de ses trois compagnons étaient fixés sur lui, leurs oreilles attendaient béantes, il ny avait pas moyen de reculer.

« Ce docteur a une nièce, continua Aramis.

 Ah ! il a une nièce ! interrompit Porthos.

 Dame fort respectable », dit Aramis.

Les trois amis se mirent à rire.

« Ah ! si vous riez ou si vous doutez, reprit Aramis, vous ne saurez rien.

 Nous sommes croyants comme des mahométistes et muets comme des catafalques, dit Athos.

 Je continue donc, reprit Aramis. Cette nièce vient quelquefois voir son oncle ; or elle sy trouvait hier en même temps que moi, par hasard, et je dus moffrir pour la conduire à son carrosse.

 Ah ! elle a un carrosse, la nièce du docteur ? interrompit Porthos, dont un des défauts était une grande incontinence de langue ; belle connaissance, mon ami.

 Porthos, reprit Aramis, je vous ai déjà fait observer plus dune fois que vous êtes fort indiscret, et que cela vous nuit près des femmes.

 Messieurs, messieurs, sécria dArtagnan, qui entrevoyait le fond de laventure, la chose est sérieuse ; tâchons donc de ne pas plaisanter si nous pouvons. Allez, Aramis, allez.

 Tout à coup, un homme grand, brun, aux manières de gentilhomme, tenez, dans le genre du vôtre, dArtagnan.

 Le même peut-être, dit celui-ci.

 Cest possible, continua Aramis, sapprocha de moi, accompagné de cinq ou six hommes qui le suivaient à dix pas en arrière, et du ton le plus poli : Monsieur le duc, me dit-il, et vous, madame, continua-t-il en sadressant à la dame que javais sous le bras

 À la nièce du docteur ?

 Silence donc, Porthos ! dit Athos, vous êtes insupportable.

 Veuillez monter dans ce carrosse, et cela sans essayer la moindre résistance, sans faire le moindre bruit. »

 Il vous avait pris pour Buckingham ! sécria dArtagnan.

 Je le crois, répondit Aramis.

 Mais cette dame ? demanda Porthos.

 Il lavait prise pour la reine ! dit dArtagnan.

 Justement, répondit Aramis.

 Le Gascon est le diable ! sécria Athos, rien ne lui échappe.

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