Арсен Люпен против Херлока Шолмса / Arsène Lupin contre Herlock Sholmès - Морис Леблан 2 стр.


Exaspéré, M. Gerbois commit la faute énorme de montrer cette lettre et den laisser prendre copie. Son indignation le poussait à toutes les sottises.

 Rien il naura rien! sécria-t-il devant lassemblée des reporters. Partager ce qui mappartient? Jamais. Quil déchire son billet, sil le veut!

 Cependant cinq cent mille francs valent mieux que rien.

 Il ne sagit pas de cela, mais de mon droit, et ce droit je létablirai devant les tribunaux.

 Attaquer Arsène Lupin? Ce serait drôle.

 Non, mais le Crédit Foncier. Il doit me délivrer le million.

 Contre le dépôt du billet, ou du moins contre la preuve que vous lavez acheté.

 La preuve existe, puisque Arsène Lupin avoue quil a volé le secrétaire.

 La parole dArsène Lupin suffira-t-elle aux tribunaux?

 Nimporte, je poursuis.

La galerie trépignait. Des paris furent engagés, les uns tenant que Lupin réduirait M. Gerbois, les autres quil en serait pour ses menaces. Et lon éprouvait une sorte dappréhension, tellement les forces étaient inégales entre les deux adversaires, lun si rude dans son assaut, lautre effaré comme une bête quon traque.

Le vendredi, on sarracha lÉcho de France, et on scruta fiévreusement la cinquième page à lendroit des petites annonces. Pas une ligne nétait adressée à M. Ars. Lup. Aux injonctions dArsène Lupin, M. Gerbois répondait par le silence. Cétait la déclaration de guerre.

Le soir, on apprenait par les journaux lenlèvement de Mlle Gerbois.

Ce qui nous réjouit dans ce quon pourrait appeler les spectacles dArsène Lupin, cest le rôle éminemment comique de la police. Tout se passe en dehors delle. Il parle, lui, il écrit, prévient, commande, menace, exécute, comme sil nexistait ni chef de la Sûreté, ni agents, ni commissaires, personne enfin qui pût lentraver dans ses desseins. Tout cela est considéré comme nul et non avenu. Lobstacle ne compte pas.

Et pourtant elle se démène, la police! Dès quil sagit dArsène Lupin, du haut en bas de léchelle, tout le monde prend feu, bouillonne, écume de rage. Cest lennemi, et lennemi qui vous nargue, vous provoque, vous méprise, ou, qui pis est, vous ignore.

Et que faire contre un pareil ennemi? À dix heures moins vingt, selon le témoignage de la bonne, Suzanne partait de chez elle. À dix heures cinq minutes, en sortant du lycée, son père ne lapercevait pas sur le trottoir où elle avait coutume de lattendre. Donc tout sétait passé au cours de la petite promenade de vingt minutes qui avait conduit Suzanne de chez elle jusquau lycée, ou du moins jusquaux abords du lycée.

Deux voisins affirmèrent lavoir croisée à trois cents pas de la maison. Une dame avait vu marcher le long de lavenue une jeune fille dont le signalement correspondait au sien. Et après? Après on ne savait pas.

On perquisitionna de tous côtés, on interrogea les employés des gares et de loctroi. Ils navaient rien remarqué ce jour-là qui pût se rapporter à lenlèvement dune jeune fille. Cependant, à Ville-dAvray, un épicier déclara quil avait fourni de lhuile à une automobile fermée qui arrivait de Paris. Sur le siège se tenait un mécanicien, à lintérieur une dame blonde excessivement blonde, précisa le témoin. Une heure plus tard lautomobile revenait de Versailles. Un embarras de voiture lobligea de ralentir, ce qui permit à lépicier de constater, à côté de la dame blonde déjà entrevue, la présence dune autre dame, entourée, celle-ci, de châles et de voiles. Nul doute que ce ne fût Suzanne Gerbois.

Mais alors il fallait supposer que lenlèvement avait eu lieu en plein jour, sur une route très fréquentée, au centre même de la ville!

Comment? À quel endroit? Pas un cri ne fut entendu, pas un mouvement suspect ne fut observé.

Lépicier donna le signalement de lautomobile, une limousine 24 chevaux de la maison Peugeon, à carrosserie bleu foncé. À tout hasard, on sinforma auprès de la directrice du Grand-Garage, Mme Bob-Walthour, qui sest fait une spécialité denlèvements par automobile. Le vendredi matin, en effet, elle avait loué pour la journée une limousine Peugeon à une dame blonde quelle navait du reste point revue.

 Mais le mécanicien?

 Cétait un nommé Ernest, engagé la veille sur la foi dexcellents certificats.

 Il est ici?

 Non, il a ramené la voiture, et il nest pas revenu.

 Ne pouvons-nous retrouver sa trace?

 Certes, auprès des personnes dont il sest recommandé. Voici leurs noms.

On se rendit chez ces personnes. Aucune delles ne connaissait le nommé Ernest.

Ainsi donc, quelque piste que lon suivît pour sortir des ténèbres, on aboutissait à dautres ténèbres, à dautres énigmes.

M. Gerbois nétait pas de force à soutenir une bataille qui commençait pour lui de façon si désastreuse. Inconsolable depuis la disparition de sa fille, bourrelé de remords, il capitula.

Une petite annonce parue à lÉcho de France, et que tout le monde commenta, affirma sa soumission pure et simple, sans arrière-pensée.

Cétait la victoire, la guerre terminée en quatre fois vingt-quatre heures.

Deux jours après, M. Gerbois traversait la cour du Crédit Foncier. Introduit auprès du gouverneur, il tendit le numéro 514 série 23. Le gouverneur sursauta.

 Ah! vous lavez? Il vous a été rendu?

 Il a été égaré, le voici, répondit M. Gerbois.

 Cependant vous prétendiez il a été question

 Tout cela nest que racontars et mensonges.

 Mais il nous faudrait tout de même quelque document à lappui.

 La lettre du commandant suffit-elle?

 Certes.

 La voici.

 Parfait. Veuillez laisser ces pièces en dépôt. Il nous est donné quinze jours pour vérification. Je vous préviendrai dès que vous pourrez vous présenter à notre caisse. Dici là, Monsieur, je crois que vous avez tout intérêt à ne rien dire et à terminer cette affaire dans le silence le plus absolu.

 Cest mon intention.

M. Gerbois ne parla point, le gouverneur non plus. Mais il est des secrets qui se dévoilent sans quaucune indiscrétion soit commise, et lon apprit soudain quArsène Lupin avait eu laudace de renvoyer à M. Gerbois le numéro 514 série 23! La nouvelle fut accueillie avec une admiration stupéfaite. Décidément cétait un beau joueur que celui qui jetait sur la table un atout de cette importance, le précieux billet! Certes, il ne sen était dessaisi quà bon escient et pour une carte qui rétablissait léquilibre. Mais si la jeune fille séchappait? Si lon réussissait à reprendre lotage quil détenait?

La police sentit le point faible de lennemi et redoubla defforts. Arsène Lupin désarmé, dépouillé par lui-même, pris dans lengrenage de ses combinaisons, ne touchant pas un traître sou du million convoité du coup les rieurs passaient dans lautre camp.

Mais il fallait retrouver Suzanne. Et on ne la retrouvait pas, et pas davantage, elle ne séchappait!

Soit, disait-on, le point est acquis, Arsène gagne la première manche. Mais le plus difficile est à faire! Mlle Gerbois est entre ses mains, nous laccordons, et il ne la remettra que contre cinq cent mille francs. Mais où et comment sopérera léchange? Pour que cet échange sopère, il faut quil y ait rendez-vous, et alors qui empêche M. Gerbois davertir la police et, par là, de reprendre sa fille tout en gardant largent?

On interviewa le professeur. Très abattu, désireux de silence, il demeura impénétrable.

 Je nai rien à dire, jattends.

 Et Mlle Gerbois?

 Les recherches continuent.

 Mais Arsène Lupin vous a écrit?

 Non.

 Vous laffirmez?

 Non.

 Donc cest oui. Quelles sont ses instructions?

 Je nai rien à dire.

On assiégea Maître Detinan. Même discrétion.

 M. Lupin est mon client, répondait-il avec une affectation de gravité, vous comprendrez que je sois tenu à la réserve la plus absolue.

Tous ces mystères irritaient la galerie. Évidemment des plans se tramaient dans lombre. Arsène Lupin disposait et resserrait les mailles de ses filets, pendant que la police organisait autour de M. Gerbois une surveillance de jour et de nuit. Et lon examinait les trois seuls dénouements possibles: larrestation, le triomphe, ou lavortement ridicule et piteux.

Mais il arriva que la curiosité du public ne devait être satisfaite que de façon partielle, et cest ici dans ces pages que, pour la première fois, lexacte vérité se trouve révélée.

Le mardi 12 mars, M. Gerbois reçut, sous une enveloppe dapparence ordinaire, un avis du Crédit Foncier.

Le jeudi, à une heure, il prenait le train pour Paris. À deux heures, les mille billets de mille francs lui furent délivrés.

Tandis quil les feuilletait un à un, en tremblant cet argent, nétait-ce pas la rançon de Suzanne?  deux hommes sentretenaient dans une voiture arrêtée à quelque distance du grand portail. Lun de ces hommes avait des cheveux grisonnants et une figure énergique qui contrastait avec son habillement et ses allures de petit employé. Cétait linspecteur principal Ganimard, le vieux Ganimard, lennemi implacable de Lupin. Et Ganimard disait au brigadier Folenfant:

 Ça ne va pas tarder avant cinq minutes, nous allons revoir notre bonhomme. Tout est prêt?

 Absolument.

 Combien sommes-nous?

 Huit, dont deux à bicyclette.

 Et moi qui compte pour trois. Cest assez, mais ce nest pas trop. À aucun prix il ne faut que le Gerbois nous échappe sinon bonsoir: il rejoint Lupin au rendez-vous quils ont dû fixer, il troque la demoiselle contre le demi-million, et le tour est joué.

 Mais pourquoi donc le bonhomme ne marche-t-il pas avec nous? Ce serait si simple! En nous mettant dans son jeu il garderait le million entier.

 Oui, mais il a peur. Sil essaye de mettre lautre dedans, il naura pas sa fille.

 Quel autre?

 Lui.

Ganimard prononça ce mot dun ton grave, un peu craintif, comme sil parlait dun être surnaturel dont il aurait déjà senti les griffes.

 Il est assez drôle, observa judicieusement le brigadier Folenfant, que nous en soyons réduits à protéger ce Monsieur contre lui-même.

 Avec Lupin, le monde est renversé, soupira Ganimard!

Une minute sécoula.

 Attention, fit-il.

M. Gerbois sortait. À lextrémité de la rue des Capucines, il prit les boulevards, du côté gauche. Il séloignait lentement, le long des magasins, et regardait les étalages.

 Trop tranquille, le client, disait Ganimard. Un individu qui vous a dans la poche un million na pas cette tranquillité.

 Que peut-il faire?

 Oh! Rien, évidemment Nimporte, je me méfie. Lupin, cest Lupin.

À ce moment M. Gerbois se dirigea vers un kiosque, choisit des journaux, se fit rendre de la monnaie, déplia lune des feuilles, et, les bras étendus, tout en savançant à petits pas, se mit à lire. Et soudain, dun bond il se jeta dans une automobile qui stationnait au bord du trottoir. Le moteur était en marche, car elle partit rapidement, doubla la Madeleine et disparut.

 Non de nom! sécria Ganimard, encore un coup de sa façon!

Il sétait élancé, et dautres hommes couraient, en même temps que lui, autour de la Madeleine.

Mais il éclata de rire. À lentrée du boulevard Malesherbes, lautomobile était arrêtée, en panne, et M. Gerbois en descendait.

 Vite, Folenfant le mécanicien cest peut-être le nommé Ernest.

Folenfant soccupa du mécanicien. Cétait un nommé Gaston, employé à la Société des fiacres automobiles; dix minutes auparavant, un Monsieur lavait retenu et lui avait dit dattendre «sous pression», près du kiosque, jusquà larrivée dun autre Monsieur.

 Et le second client, demanda Folenfant, quelle adresse a-t-il donnée?

 Aucune adresse «Boulevard Malesherbes avenue de Messine double pourboire» Voilà tout.

Mais, pendant ce temps, sans perdre une minute, M. Gerbois avait sauté dans la première voiture qui passait.

 Cocher, au métro de la Concorde.

Le professeur sortit du métro place du Palais-Royal, courut vers une autre voiture et se fit conduire place de la Bourse. Deuxième voyage en métro, puis, avenue de Villiers, troisième voiture.

 Cocher, 25, rue Clapeyron.

Le 25 de la rue Clapeyron est séparé du boulevard des Batignolles par la maison qui fait langle. Il monta au premier étage et sonna. Un Monsieur lui ouvrit.

 Cest bien ici que demeure Maître Detinan?

 Cest moi-même. Monsieur Gerbois, sans doute.

 Parfaitement.

 Je vous attendais, Monsieur. Donnez-vous la peine dentrer.

Quand M. Gerbois pénétra dans le bureau de lavocat, la pendule marquait trois heures, et tout de suite il dit:

 Cest lheure quil ma fixée. Il nest pas là?

 Pas encore.

M. Gerbois sassit, sépongea le front, regarda sa montre comme sil ne connaissait pas lheure, et reprit anxieusement:

 Viendra-t-il?

Lavocat répondit:

 Vous minterrogez, Monsieur, sur la chose du monde que je suis le plus curieux de savoir. Jamais je nai ressenti pareille impatience. En tout cas, sil vient, il risque gros, cette maison est très surveillée depuis quinze jours on se méfie de moi.

 Et de moi encore davantage. Aussi je naffirme pas que les agents, attachés à ma personne, aient perdu ma trace.

 Mais alors

 Ce ne serait point de ma faute, sécria vivement le professeur, et lon na rien à me reprocher. Quai-je promis? Dobéir à ses ordres. Eh bien, jai obéi aveuglément à ses ordres, jai touché largent à lheure fixée par lui, et je me suis rendu chez vous de la façon quil ma prescrite. Responsable du malheur de ma fille, jai tenu mes engagements en toute loyauté. À lui de tenir les siens.

Et il ajouta, de la même voix anxieuse:

 Il ramènera ma fille, nest-ce pas?

 Je lespère.

 Cependant vous lavez vu?

 Moi? Mais non! Il ma simplement demandé par lettre de vous recevoir tous deux, de congédier mes domestiques avant trois heures, et de nadmettre personne dans mon appartement entre votre arrivée et son départ. Si je ne consentais pas à cette proposition, il me priait de len prévenir par deux lignes à lÉcho de France. Mais je suis trop heureux de rendre service à Arsène Lupin et je consens à tout.

M. Gerbois gémit:

 Hélas! Comment tout cela finira-t-il?

Il tira de sa poche les billets de banque, les étala sur la table et en fit deux paquets de même nombre. Puis ils se turent. De temps à autre M. Gerbois prêtait loreille navait-on pas sonné?

Avec les minutes son angoisse augmentait, et Maître Detinan aussi éprouvait une impression presque douloureuse.

Un moment même lavocat perdit tout sang-froid. Il se leva brusquement:

 Nous ne le verrons pas Comment voulez-vous? Ce serait de la folie de sa part! Quil ait confiance en nous, soit, nous sommes dhonnêtes gens incapables de le trahir. Mais le danger nest pas seulement ici.

Et M. Gerbois, écrasé, les deux mains sur les billets, balbutiait:

 Quil vienne, mon Dieu, quil vienne! Je donnerais tout cela pour retrouver Suzanne.

La porte souvrit.

 La moitié suffira, Monsieur Gerbois.

Quelquun se tenait sur le seuil, un homme jeune, élégamment vêtu, en qui M. Gerbois reconnut aussitôt lindividu qui lavait abordé près de la boutique de bric-à-brac, à Versailles. Il bondit vers lui.

 Et Suzanne? Où est ma fille?

Arsène Lupin ferma la porte soigneusement et, tout en défaisant ses gants du geste le plus paisible, il dit à lavocat:

 Mon cher Maître, je ne saurais trop vous remercier de la bonne grâce avec laquelle vous avez consenti à défendre mes droits. Je ne loublierai pas.

Maître Detinan murmura:

 Mais vous navez pas sonné je nai pas entendu la porte

 Les sonnettes et les portes sont des choses qui doivent fonctionner sans quon les entende jamais. Me voilà tout de même, cest lessentiel.

 Ma fille! Suzanne! Quen avez-vous fait? répéta le professeur.

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