Морис Леблан
Тайны Арсена Люпена. Уровень 1 / Les Confi dences dArsène Lupin
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Maurice Leblanc
Les Confidences d'Arsène Lupin
Les jeux du soleil
«Lupin, racontez-moi donc quelque chose.
Eh! que voulez-vous que je vous raconte? me répondit Lupin qui somnolait sur le divan de mon cabinet de travail. Un tas de potins[1] qui nont aucun intérêt.
Aucun intérêt, votre cadeau de cinquante mille francs à la femme de Nicolas Dugrival! Aucun intérêt, la façon mystérieuse dont vous avez déchiffré lénigme des Trois tableaux!
Étrange énigme, en vérité, dit Lupin. Je vous propose un titre: Le signe de lombre[2].»
Cétait lépoque où[3] Lupin, déjà célèbre, navait pourtant pas encore livré ses plus formidables batailles[4].
Comme il se taisait, je répétai:
«Lupin, je vous en prie!»
À ma stupéfaction, il répliqua:
«Prenez un crayon, mon cher, et une feuille de papier.»
Jobéis vivement.
Vous y êtes?[5] dit-il. Inscrivez: 1921 1820 1521 20
Comment?
Inscrivez, vous dis-je.
Il était assis sur le divan, les yeux tournés vers la fenêtre ouverte, et ses doigts roulaient une cigarette de tabac oriental.
Il prononça:
«Inscrivez: 9 12 61»
Il y eut un arrêt. Puis il reprit:
«21.»
Et, après un silence:
«20 6»
Était-il fou? Je le regardai: il navait plus les mêmes yeux indifférents quaux minutes précédentes, mais que ses yeux étaient attentifs.
Cependant, il dictait, avec des intervalles entre chacun des chiffres:
«21 9 18 512 54 1.»
Et soudain, je compris, ou plutôt, je crus comprendre[6]. Par la fenêtre il comptait les reflets intermittents dun rayon de soleil qui se jouait sur la façade noircie de la vieille maison, à la hauteur du[7] second étage.
«14 7» me dit Lupin.
Le reflet disparut pendant quelques secondes, puis, coup sur coup[8], à intervalles réguliers, frappa la façade, et disparut de nouveau.
Instinctivement, javais compté, et je dis à haute voix[9]:
«5
Vous avez saisi? Pas dommage[10], ricana Lupin. À votre tour, maintenant, comptez»
Jobéis, tellement ce diable dhomme[11] avait lair de savoir[12] où il voulait en venir. Le soleil continuait à danser en face de[13] moi, avec une précision vraiment mathématique.
«Et après? me dit Lupin, à la suite dun silence plus long[14]
Ma foi[15], cela me semble terminé»
Sans bouger de son divan, Lupin reprit:
«Ayez lobligeance[16], mon cher, de remplacer chacun de ces chiffres par la lettre de lalphabet qui lui correspond en comptant, nest-ce pas, A comme 1, B comme 2, etc.»
Je notai les premières lettres: S-U-R-T-O-U-T
«Un mot! mécriai-je Voici un mot qui se forme.
Continuez donc, mon cher.»
Et je continuai.
«Ça y est? me dit Lupin, au bout dun instant[17].
Ça y est!.. Par exemple, il y a des fautes dorthographe.
Ne vous occupez pas de cela, je vous prie, lisez lentement.»
Alors je lus cette phrase inachevée:
«Surtout il faut fuire le danger, éviter les ataques, naffronter les forces enemies quavec la plus grande prudance, et»
Lupin fit quelques pas de droite et de gauche dans la pièce, puis alluma une cigarette, et me dit:
«Ayez lobligeance dappeler au téléphone le baron Repstein et de le prévenir que je serai chez lui à dix heures du soir[18].
Le baron Repstein? demandai-je, le mari de la fameuse baronne?
Oui.
Cest sérieux?
Très sérieux.»
Absolument confondu, je décrochai lappareil[19]. Mais, à ce moment, Lupin marrêta dun geste autoritaire et prononça:
«Non Cest inutile de le prévenir Il y a quelque chose de plus urgent»
Rapidement, il empoigna sa canne et son chapeau.
«Partons. Si je ne me trompe pas, cest une affaire qui demande une solution immédiate.»
Dans lescalier, il passa son bras sous le mien et me dit:
«Je sais ce que tout le monde sait. Le baron Repstein, financier et sportsman, dont le cheval Etna a gagné cette année le Derby dEpsom et le Grand-Prix de Longchamp, le baron Repstein a été la victime de sa femme, qui sest enfuie voilà quinze jours[20], emportant avec elle[21] une somme de trois millions, volée à son mari[22], et toute une collection de diamants, de perles et de bijoux, que la princesse de Berny lui avait confiée[23] et quelle devait acheter. Le baron Repstein offre une prime de cent mille francs à qui fera retrouver sa femme.
Seulement, je ne vois pas, en vérité, le rapport qui existe entre cette histoire et la phrase énigmatique»
Lupin ne daigna pas me répondre. Il descendit du trottoir et se mit à examiner[24] un immeuble de construction déjà ancienne.
«Daprès mes calculs, me dit-il, cest dici que partaient les signaux, sans doute de cette fenêtre encore ouverte.»
Il se dirigea vers la concierge et lui demanda:
«Est-ce quun de vos locataires ne serait pas en relation avec le baron Repstein?
Comment donc! Mais oui, sécria la bonne femme, nous avons ce brave M. Lavernoux, qui est le secrétaire, lintendant du baron. Il est bien malade, ce pauvre monsieur
Malade?
Depuis quinze jours depuis laventure de la baronne Et son docteur défend quon entre dans sa chambre. Il ma repris la clef.
Qui?
Le docteur. Un vieux à barbe grise et à lunettes, tout cassé[25] Mais où allez-vous, monsieur?
Je monte.»
Lun derrière lautre[26], ils montèrent les trois étages. Lupin ouvrit la porte. Nous entrâmes. Lupin poussa un cri[27]:
«Trop tard!»
Je vis un homme à moitié nu gisait sur le tapis[28].
«Il est mort, fit Lupin, après un examen rapide. On laura saisi dune main à la gorge, et de lautre on laura piqué au cœur[29]. Je dis «piqué», car vraiment, la blessure est imperceptible.»
Soudain, comme la concierge se lamentait et appelait au secours, Lupin se jeta sur elle et la bouscula:
«Taisez-vous!..[30] Écoutez-moi et répondez. Cest dune importance considérable.[31] M. Lavernoux avait un ami dans cette rue, nest-ce pas? à droite et sur le même côté un ami intime?[32]
Oui.
Son nom?
Monsieur Dulâtre.
Son adresse?
Au 92 de la rue.
Un mot encore: ce vieux médecin, à barbe grise et à lunettes, dont vous mavez parlé, venait depuis longtemps?
Non. Je ne le connaissais pas. Il est venu le soir même où M. Lavernoux est tombé malade.»
Sans en dire davantage[33], Lupin mentraîna de nouveau, redescendit et, une fois dans la rue, tourna sur la droite, ce qui nous fit passer devant[34] mon appartement. Quatre numéros plus loin, il sarrêtait en face du 92. Lupin sinforma si M. Dulâtre se trouvait chez lui.
«M. Dulâtre est parti, répondit le marchand voilà peut-être une demi-heure Il semblait très agité, et il a pris une automobile, ce qui nest pas son habitude[35]. Il a crié ladresse assez fort! «À la Préfecture de Police»«
Lupin demanda encore si personne nétait venu après le départ de M. Dulâtre.
«Si, un vieux monsieur à barbe grise et à lunettes.
Je vous remercie, monsieur,» dit Lupin.
Il se mit à marcher lentement, sans madresser la parole[36]. Nous étions arrivés sur les boulevards. Lupin entra dans un cabinet de lecture[37] et consulta très longuement les journaux de la dernière quinzaine[38].
La nuit était venue[39], nous dînâmes dans un petit restaurant et je remarquai que le visage de Lupin sanimait peu à peu. Quand nous partîmes, cétait vraiment le Lupin qui a résolu dagir[40] et de gagner la bataille.
Le baron Repstein habitait dans un hôtel à trois étages.
«Halte![41] dit Lupin tout à coup. Crebleu![42] le combat sera rude. Allez-vous coucher, mon bon ami. Demain, je vous raconterai mon expédition si elle ne me coûte pas la vie.»
Il déclama:
«Plantez un saule au cimetière,
Jaime son feuillage éploré»[43]
Je méloignai aussitôt. Trois minutes plus tard Lupin sonnait à la porte de lhôtel Repstein.
«M. le baron est-il chez lui?
Oui, répondit le domestique.
M. le baron connaît lassassinat de son intendant Lavernoux?»
Une voix cria den haut[44]:
«Faites monter, Antoine.»
Le domestique conduisit Lupin au premier étage. Là, le baron Repstein lattendait.
Cétait un homme très grand. Il portait des vêtements de coupe élégante[45].
Il introduisit Lupin dans son cabinet de travail et demanda:
«Vous savez quelque chose?
Oui, monsieur le baron.»
Lupin sassit, et commença:
« Eh bien, monsieur le baron. Tantôt, de sa chambre, Lavernoux, qui, depuis quinze jours, était tenu par son docteur en une sorte de réclusion[46], a télégraphié certaines révélations à laide de signaux, que jai notés en partie[47]. Lui-même a été surpris au milieu de cette communication[48] et assassiné.
Mais par qui? par qui?
Par son docteur?
Le nom de ce docteur?
Je lignore. Mais le résultat, monsieur le baron, cest que votre hôtel est cerné. Douze agents se promènent sous vos fenêtres. Dès que le soleil sera levé, ils entreront au nom de la loi[49], et ils arrêteront le coupable.»
Le baron Repstein se leva:
«Allez jusquau bout[50], monsieur. Il mest impossible dattendre davantage.»
Lupin reprit dune voix lente et qui hésitait:
«Cest que voilà lexplication devient difficile Il sagit aussi de votre femme, la baronne
Je ne comprends pas.
Il faut pourtant que vous compreniez, Monsieur le baron Eh bien, il y a une excellente raison pour quon ne lait pas revue après sa fuite.
Laquelle?
Cest que la baronne Repstein a été assassinée
Assassinée!.. la baronne!.. mais vous êtes fou![51]
Assassinée, et ce soir-là, tout probablement.
Et cet assassin?
Celui-là même qui, depuis quinze jours, sachant que Lavernoux, par la situation quil occupait dans cet hôtel, a découvert la vérité, le tient enfermé; celui-là même qui, surprenant Lavernoux en train de communiquer avec un de ses amis, le supprime froidement dun coup de stylet au cœur.
Le docteur, alors? Mais qui est ce docteur? Et je le connais?
Oui.
Qui est-ce?
Vous!
Moi!..»
Laccusation était portée[52], précise, violente, implacable.
Il répéta:
«Vous êtes coupable, vous avez assassiné la baronne pour vous débarrasser delle et manger les millions[53] avec une autre femme, oh! alors, tout sexplique.»
Le baron ayant sorti de son bureau un revolver[54] revint auprès de Lupin, mit larme dans sa poche, et dit très calmement:
«Vous excuserez, monsieur, cette petite précaution, que je suis obligé de prendre au cas, dailleurs invraisemblable, où vous seriez devenu fou.»
Il avait une voix émue, et ses yeux tristes semblaient mouillés de larmes[55].
Lupin frissonna. Sétait-il trompé? Un détail attira son attention[56]: par léchancrure du gilet, il aperçut la pointe de lépingle[57] fixée à la cravate du baron, et il constata ainsi la longueur insolite de cette épingle. De plus, la tige dor en était triangulaire[58], et formait comme un menu poignard[59], très fin, très délicat, mais redoutable en des mains expertes.
«Vous êtes rudement fort, car il est évident que la baronne na fait quobéir à vos ordres[60]. Et il est évident que la personne qui est sortie de votre hôtel avec un sac de voyage, nétait pas votre femme, mais une complice, votre amie, probablement. Que risque cette femme puisque cest la baronne que lon cherche?[61] Et comment chercherait-on une autre femme que la baronne, puisque vous avez promis une prime de cent mille francs à qui retrouverait la baronne? Dieu! que cest drôle!»
Le baron savança vers Lupin et lui dit:
«Qui êtes-vous?»
Lupin éclata de rire[62]:
«Mettons que je sois lenvoyé du destin[63], et que je surgisse de lombre pour vous perdre! Ou pour te sauver, baron. Écoute-moi. Ta fuite est prête. Cette nuit, bien déguisé, méconnaissable, toutes tes précautions prises, tu rejoignais ta maîtresse[64], celle pour qui tu as tué: Nelly Darbel. Un seul obstacle, soudain, imprévu, la police, les douze agents que les révélations de Lavernoux ont postés sous tes fenêtres. Tu es fichu![65] Eh bien, je te sauve. Un coup de téléphone et, vers trois ou quatre heures du matin, vingt de mes amis suppriment lobstacle. Comme condition, presque rien, une bêtise pour toi, le partage des millions et des bijoux. Ça colle?[66]«
Le baron chuchota:
«Je commence à comprendre, cest du chantage
Chantage ou non, appelle ça comme tu veux, mon bonhomme.»
Un geste brusque. Le baron empoigna son revolver et tira deux fois. Lupin se jeta de côté[67] dabord, puis sabattit aux genoux du baron quil saisit par les jambes et fit basculer.
Tout à coup, Lupin sentit une douleur à la poitrine.
«Ah! canaille, hurla-t-il. Cest comme avec Lavernoux. Lépingle!..»
Il se raidit désespérément, maîtrisa le baron et létreignit à la gorge[68].
«Alors, soyez sage[69] Bien, une toute petite ficelle autour des poignets Vous permettez? Et maintenant, petit frère, attention! Et mille excuses!..»
Et Lupin lui assena au creux de lestomac[70] un coup de poing effroyable. Puis il se mit à fouiller les poches[71] du baron, prit un trousseau de clefs et se dirigea vers le coffre-fort.
Mais à ce moment, il sarrêta court; il entendait du bruit quelque part. Il écouta. Le bruit provenait den bas: les agents frappaient à la grande porte sans attendre le lever du jour.
«Crebleu! dit-il, Voilà ces Messieurs maintenant Voyons, voyons, Lupin, du sang-froid[72]! De quoi sagit-il? Douvrir en vingt secondes un coffre dont tu ignores le secret. Combien quil y a de lettres dans le mot? Quatre?»
Il continuait à réfléchir tout en parlant et tout en écoutant les allées et venues de lextérieur. Il ferma à double tour la porte de lantichambre, puis il revint au coffre.
«Quatre chiffres Quatre lettres Quatre lettres Qui diable pourrait me donner un petit coup de main[73] Qui? Mais Lavernoux, parbleu![74] Dieu! que je suis bête. Mais oui, mais oui, nous y sommes! Crénom![75] Lupin, tu vas compter jusquà dix et comprimer les battements trop rapides de ton cœur. Sinon, cest de la mauvaise ouvrage.»
Ayant compté jusquà dix, tout à fait calme, il sagenouilla devant le coffre-fort. Après quelques tentatives la serrure fonctionna.
«À nous les millions, dit-il.»
Mais, dun bond[76], il sauta en arrière. Dans le coffre-fort il vit un corps de femme à moitié vêtu.
«La baronne! bégaya-t-il, la baronne!.. Oh! le monstre!..»
Cependant, aux étages supérieurs, des cris répondaient à lappel des agents. Il était temps de songer à la retraite.[77]
Lupin passa dans la chambre voisine. Elle donnait sur un jardin. À la minute même où les agents étaient introduits, il enjambait le balcon et se laissait glisser le long dune gouttière.
«Eh bien, quen dites-vous, du baron Repstein?» sécria Lupin, après mavoir raconté tous les détails de cette nuit tragique.
Je lui demandai:
«Mais les millions? les bijoux de la princesse?
Ils étaient dans le coffre. Je me rappelle très bien avoir aperçu le paquet.
Alors?
Ils y sont toujours.
Pas possible
Ma foi, oui. Je pourrais vous dire que jai eu peur des agents, ou bien alléguer une délicatesse subite.[78] La vérité est plus simple et plus prosaïque Ça sentait trop mauvais!.. Est-ce assez idiot? Tenez, voilà tout ce que jai rapporté de mon expédition, lépingle de cravate
Encore une question, repris-je. Le mot du coffre-fort? Comment lavez-vous deviné?
Il était contenu dans les révélations télégraphiées par ce pauvre Lavernoux. Voyons, mon cher, les fautes dortographe Serait-il admissible que le secrétaire, que lintendant du baron, fît des fautes dorthographe et quil écrivît fuire avec un e final, ataque avec un seul t, enemies avec un seul n et prudance avec un a? Jai réuni les quatre lettres, et jai obtenu le mot ETNA, le nom du fameux cheval.
Et voilà, mécriai-je, cest tout simple!
Très simple. Et laventure prouve une fois de plus quil y a, dans la découverte des crimes, quelque chose de bien supérieur à lexamen des faits, à lobservation, déduction, cest, je le répète, lintuition lintuition et lintelligence Et Arsène Lupin, sans se vanter, ne manque ni de lune ni de lautre.»