Bel-Ami / Милый друг - Мопассан Ги Де 16 стр.


Tous avaient l'air hautain, la lèvre fière, l'œil insolent, ceux à favoris et ceux à moustaches.

Duroy riait toujours, répétant: «C'est du propre, tas de crapules, tas d'escarpes!»

Mais une voiture passa, découverte, basse et charmante, traînée au grand trot par deux minces chevaux blancs dont la crinière et la queue voltigeaient, et conduite par une petite jeune femme blonde, une courtisane connue qui avait deux grooms assis derrière elle. Duroy s'arrêta, avec une envie de saluer et d'applaudir cette parvenue de l'amour qui étalait avec audace dans cette promenade et à cette heure des hypocrites aristocrates, le luxe crâne gagné sur ses draps. Il sentait peut-être vaguement qu'il y avait quelque chose de commun entre eux, un lien de nature, qu'ils étaient de même race, de même âme, et que son succès aurait des procédés audacieux de même ordre.

Il revint plus doucement, le cœur chaud de satisfaction, et il arriva, un peu avant l'heure, à la porte de son ancienne maîtresse.

Elle le reçut, les lèvres tendues, comme si aucune rupture n'avait eu lieu, et elle oublia même, pendant quelques instants, la sage prudence qu'elle opposait, chez elle, à leurs caresses. Puis elle lui dit, en baisant les bouts frisés de ses moustaches:

 Tu ne sais pas l'ennui qui m'arrive, mon chéri? J'espérais une bonne lune de miel, et voilà mon mari qui me tombe sur le dos pour six semaines; il a pris un congé. Mais je ne veux pas rester six semaines sans te voir, surtout après notre petite brouille, et voilà comment j'ai arrangé les choses. Tu viendras me demander à dîner lundi, je lui ai déjà parlé de toi. Je te présenterai.

Duroy hésitait, un peu perplexe, ne s'étant jamais trouvé encore en face d'un homme dont il possédait la femme. Il craignait que quelque chose le trahît, un peu de gêne, un regard, n'importe quoi. Il balbutiait:

 Non, j'aime mieux ne pas faire la connaissance de ton mari.

Elle insista, fort étonnée, debout devant lui et ouvrant des yeux naïfs.

 Mais pourquoi? quelle drôle de chose? Ça arrive tous les jours, ça! Je ne t'aurais pas cru si nigaud, par exemple.

Il fut blessé:

 Eh bien, soit, je viendrai dîner lundi.

Elle ajouta:

 Pour que ce soit bien naturel, j'aurai les Forestier. Ça ne m'amuse pourtant pas de recevoir du monde chez moi.

Jusqu'au lundi, Duroy ne pensa plus guère à cette entrevue; mais voilà qu'en montant l'escalier de Mme de Marelle, il se sentit étrangement troublé, non pas qu'il lui répugnât de prendre la main de ce mari, de boire son vin et de manger son pain, mais il avait peur de quelque chose, sans savoir de quoi.

On le fit entrer dans le salon, et il attendit, comme toujours. Puis la porte de la chambre s'ouvrit, et il aperçut un grand homme à barbe blanche, décoré, grave et correct, qui vint à lui avec une politesse minutieuse:

 Ma femme m'a souvent parlé de vous, et je suis charmé de faire votre connaissance.

Duroy s'avança en tâchant de donner à sa physionomie un air de cordialité expressive, et il serra avec une énergie exagérée la main tendue de son hôte. Puis, s'étant assis, il ne trouva rien à lui dire.

M. de Marelle remit un morceau de bois au feu, et demanda:

 Voici longtemps que vous vous occupez de journalisme?

Duroy répondit:

 Depuis quelques mois seulement.

 Ah! vous avez marché vite.

 Oui, assez vite.

Et il se mit à parler au hasard, sans trop songer à ce qu'il disait, débitant toutes les banalités en usage entre gens qui ne se connaissent point. Il se rassurait maintenant et commençait à trouver la situation fort amusante. Il regardait la figure sérieuse et respectable de M. de Marelle, avec une envie de rire sur les lèvres, en pensant: «Toi, je te fais cocu, mon vieux, je te fais cocu.» Et une satisfaction intime, vicieuse, le pénétrait, une joie de voleur qui a réussi et qu'on ne soupçonne pas, une joie fourbe, délicieuse. Il avait envie, tout à coup, d'être l'ami de cet homme, de gagner sa confiance, de lui faire raconter les choses secrètes de sa vie.

Mme de Marelle entra brusquement, et les ayant couverts d'un coup d'œil souriant et impénétrable, elle alla vers Duroy qui n'osa point, devant le mari, lui baiser la main, ainsi qu'il le faisait toujours.

Elle était tranquille et gaie comme une personne habituée à tout, qui trouvait cette rencontre naturelle et simple, en sa rouerie native et franche. Laurine apparut, et vint, plus sagement que de coutume, tendre son front à Georges, la présence de son père l'intimidant. Sa mère lui dit:

 Eh bien, tu ne l'appelles plus Bel-Ami, aujourd'hui.

Et l'enfant rougit, comme si on venait de commettre une grosse indiscrétion, de révéler une chose qu'on ne devait pas dire, de dévoiler un secret intime et un peu coupable de son cœur.

Quand les Forestier arrivèrent, on fut effrayé de l'état de Charles. Il avait maigri et pâli affreusement en une semaine et il toussait sans cesse. Il annonça d'ailleurs qu'ils partaient pour Cannes le jeudi suivant, sur l'ordre formel du médecin.

Ils se retirèrent de bonne heure, et Duroy dit en hochant la tête:

 Je crois qu'il file un bien mauvais coton. Il ne fera pas de vieux os.

Mme de Marelle affirma avec sérénité:

 Oh! il est perdu! En voilà un qui avait eu de la chance de trouver une femme comme la sienne.

Duroy demanda:

 Elle l'aide beaucoup?

 C'est-à-dire qu'elle fait tout. Elle est au courant de tout, elle connaît tout le monde sans avoir l'air de voir personne; elle obtient ce qu'elle veut, comme elle veut, et quand elle veut. Oh! elle est fine, adroite et intrigante comme aucune, celle-là. En voilà un trésor, pour un homme qui veut parvenir.

Georges reprit:

 Elle se remariera bien vite, sans doute?

Mme de Marelle répondit:

 Oui. Je ne serais même pas étonnée qu'elle eût en vue quelqu'un un député à moins que qu'il ne veuille pas, car car, il y aurait peut-être de gros obstacles moraux Enfin, voilà. Je ne sais rien.

M. de Marelle grommela avec une lente impatience:

 Tu laisses toujours soupçonner un tas de choses que je n'aime pas. Ne nous mêlons jamais des affaires des autres. Notre conscience nous suffit à gouverner. Ce devrait être une règle pour tout le monde.

Duroy se retira, le cœur troublé et l'esprit plein de vagues combinaisons.

Il alla le lendemain faire une visite aux Forestier et il les trouva terminant leurs bagages. Charles, étendu sur un canapé, exagérait la fatigue de sa respiration et répétait:

 Il y a un mois que je devrais être parti.

Puis il fit à Duroy une série de recommandations pour le journal, bien que tout fût réglé et convenu avec M. Walter.

Quand Georges s'en alla, il serra énergiquement les mains de son camarade:

 Eh bien, mon vieux, à bientôt!

Mais, comme Mme Forestier le reconduisait jusqu'à la porte, il lui dit vivement:

 Vous n'avez pas oublié notre pacte? Nous sommes des amis et des alliés, n'est-ce pas? Donc, si vous avez besoin de moi, en quoi que ce soit, n'hésitez point. Une dépêche ou une lettre et j'obéirai.

Elle murmura:

 Merci, je n'oublierai pas.

Et son œil aussi lui dit: «Merci», d'une façon plus profonde et plus douce.

Comme Duroy descendait l'escalier, il rencontra, montant à pas lents, M. de Vaudrec, qu'une fois déjà il avait vu chez elle. Le comte semblait triste de ce départ, peut-être?

Voulant se montrer homme du monde, le journaliste le salua avec empressement.

L'autre lui rendit avec courtoisie, mais d'une manière un peu fière.

Le ménage Forestier partit le jeudi soir.


VII

La disparition de Charles donna à Duroy une importance plus grande dans la rédaction de la Vie Française. Il signa quelques articles de fond, tout en signant aussi ses échos, car le patron voulait que chacun gardât la responsabilité de sa copie. Il eut quelques polémiques dont il se tira avec esprit; et ses relations constantes avec les hommes d'État le préparaient peu à peu à devenir à son tour un rédacteur politique adroit et perspicace.

Il ne voyait qu'une tache dans tout son horizon. Elle venait d'un petit journal frondeur qui l'attaquait constamment, ou plutôt qui attaquait en lui le chef des échos de la Vie Française, le chef des échos à surprises de M. Walter, disait le rédacteur anonyme de cette feuille, appelée: La Plume. C'étaient, chaque jour, des perfidies, des traits mordants, des insinuations de toute nature.

Jacques Rival dit un jour à Duroy:

 Vous êtes patient.

L'autre balbutia:

 Que voulez-vous, il n'y a pas d'attaque directe.

Or, un après-midi, comme il entrait dans la salle de rédaction, Boisrenard lui tendit le numéro de la Plume:

 Tenez, il y a encore une note désagréable pour vous.

 Ah! à propos de quoi?

 À propos de rien, de l'arrestation d'une dame Aubert par un agent des mœurs.

Georges prit le journal qu'on lui tendait, et lut, sous ce titre: Duroy s'amuse:

«L'illustre reporter de la Vie Française nous apprend aujourd'hui que la dame Aubert, dont nous avons annoncé l'arrestation par un agent de l'odieuse brigade des mœurs, n'existe que dans notre imagination. Or la personne en question demeure 18, rue de l'Écureuil, à Montmartre. Nous comprenons trop, d'ailleurs, quel intérêt ou quels intérêts peuvent avoir les agents de la banque Walter à soutenir ceux du préfet de police qui tolère leur commerce. Quant au reporter dont il s'agit, il ferait mieux de nous donner quelqu'une de ces bonnes nouvelles à sensation dont il a le secret: nouvelles de morts démenties le lendemain, nouvelles de batailles qui n'ont pas eu lieu, annonce de paroles graves prononcées par des souverains qui n'ont rien dit, toutes les informations enfin qui constituent les «Profits Walter», ou même quelqu'une des petites indiscrétions sur des soirées de femmes à succès, ou sur l'excellence de certains produits qui sont d'une grande ressource à quelques-uns de nos confrères.»

Le jeune homme demeurait interdit, plus qu'irrité, comprenant seulement qu'il y avait là-dedans quelque chose de fort désagréable pour lui.

Boisrenard reprit:

 Qui vous a donné cet écho?

Duroy cherchait, ne se rappelant plus. Puis, tout à coup, le souvenir lui revint:

 Ah! oui, c'est Saint-Potin.

Puis il relut l'alinéa de la Plume, et il rougit brusquement, révolté par l'accusation de vénalité.

Il s'écria:

 Comment, on prétend que je suis payé pour

Boisrenard l'interrompit:

 Dame, oui. C'est embêtant pour vous. Le patron est fort sur l'œil à ce sujet. Ça pourrait arriver si souvent dans les échos

Saint-Potin, justement, entrait. Duroy courut à lui:

 Vous avez vu la note de la Plume?

 Oui, et je viens de chez la dame Aubert. Elle existe parfaitement, mais elle n'a pas été arrêtée. Ce bruit n'a aucun fondement.

Alors Duroy s'élança chez le patron qu'il trouva un peu froid, avec un œil soupçonneux. Après avoir écouté le cas, M. Walter répondit:

 Allez vous-même chez cette dame et démentez de façon qu'on n'écrive plus de pareilles choses sur vous. Je parle de ce qui suit. C'est fort ennuyeux pour le journal, pour moi et pour vous. Pas plus que la femme de César, un journaliste ne doit être soupçonné.

Duroy monta en fiacre avec Saint-Potin pour guide, et il cria au cocher:

 18, rue de l'Écureuil, à Montmartre.

C'était dans une immense maison dont il fallut escalader les six étages. Une vieille femme en caraco de laine vint leur ouvrir:

 Qu'est-ce que vous me r'voulez? dit-elle en apercevant Saint-Potin.

Il répondit:

 Je vous amène monsieur, qui est inspecteur de police et qui voudrait bien savoir votre affaire.

Alors elle les fit entrer, en racontant:

 Il en est encore r'venu deux d'puis vous pour un journal, je n'sais point l'quel.

Puis, se tournant vers Duroy:

 Donc, c'est monsieur qui désire savoir?

 Oui. Est-ce que vous avez été arrêtée par un agent des mœurs?

Elle leva les bras:

 Jamais d' la vie, mon bon monsieur, jamais d' la vie. Voilà la chose. J'ai un boucher qui sert bien, mais qui pèse mal. Je m'en ai aperçu souvent sans rien dire, mais l'autre jour, comme je lui demandais deux livres de côtelettes, vu que j'aurais ma fille et mon gendre, je m'aperçois qu'il me pèse des os de déchet, des os de côtelettes, c'est vrai, mais pas des miennes. J'aurais pu en faire du ragoût, c'est encore vrai, mais quand je demande des côtelettes, c'est pas pour avoir le déchet des autres. Je refuse donc, alors y me traite de vieux rat, je lui réplique vieux fripon; bref, de fil en aiguille, nous nous sommes tant chamaillés qu'il y avait plus de cent personnes devant la boutique et qui riaient, qui riaient! Tant qu'enfin un agent fut attiré et nous invita à nous expliquer chez le commissaire. Nous y fûmes, et on nous renvoya dos à dos. Moi, depuis, je m'sers ailleurs, et je n' passe même pu devant la porte, pour éviter des esclandres.

Elle se tut. Duroy demanda:

 C'est tout?

 C'est toute la vérité, mon cher monsieur.

Et, lui ayant offert un verre de cassis, qu'il refusa de boire, la vieille insista pour qu'on parlât dans le rapport des fausses pesées du boucher.

De retour au journal, Duroy rédigea sa réponse:

«Un écrivaillon anonyme de la Plume, s'en étant arraché une, me cherche noise au sujet d'une vieille femme qu'il prétend avoir été arrêtée par un agent des mœurs, ce que je nie. J'ai vu moi-même la dame Aubert, âgée de soixante ans au moins, et elle m'a raconté par le menu sa querelle avec un boucher, au sujet d'une pesée de côtelettes, ce qui nécessita une explication devant le commissaire de police.

«Voilà toute la vérité.

«Quant aux autres insinuations du rédacteur de la Plume, je les méprise. On ne répond pas, d'ailleurs, à de pareilles choses, quand elles sont écrites sous le masque.

«Georges Duroy.»

M. Walter et Jacques Rival, qui venait d'arriver, trouvèrent cette note suffisante, et il fut décidé qu'elle passerait le jour même, à la suite des échos.

Duroy rentra tôt chez lui, un peu agité, un peu inquiet. Qu'allait répondre l'autre? Qui était-il? Pourquoi cette attaque brutale? Avec les mœurs brusques des journalistes, cette bêtise pouvait aller loin, très loin. Il dormit mal.

Quand il relut sa note dans le journal, le lendemain, il la trouva plus agressive imprimée que manuscrite. Il aurait pu, lui semblait-il, atténuer certains termes.

Il fut fiévreux tout le jour et il dormit mal encore la nuit suivante. Il se leva dès l'aurore pour chercher le numéro de la Plume qui devait répondre à sa réplique.

Le temps s'était remis au froid; il gelait dur. Les ruisseaux, saisis comme ils coulaient encore, déroulaient le long des trottoirs deux rubans de glace.

Les journaux n'étaient point arrivés chez les marchands, et Duroy se rappela le jour de son premier article: Les Souvenirs d'un chasseur d'Afrique. Ses mains et ses pieds s'engourdissaient, devenaient douloureux, au bout des doigts surtout; et il se mit à courir en rond autour du kiosque vitré, où la vendeuse, accroupie sur sa chaufferette, ne laissait voir, par la petite fenêtre, qu'un nez et des joues rouges dans un capuchon de laine.

Enfin le distributeur de feuilles publiques passa le paquet attendu par l'ouverture du carreau, et la bonne femme tendit à Duroy la Plume grande ouverte.

Il chercha son nom d'un coup d'œil et ne vit rien d'abord. Il respirait déjà, quand il aperçut la chose enfermée entre deux tirets.

«Le sieur Duroy, de la Vie Française, nous donne un démenti; et, en nous démentant, il ment. Il avoue cependant qu'il existe une femme Aubert, et qu'un agent l'a conduite à la police. Il ne reste donc qu'à ajouter deux mots: «des mœurs» après le mot «agent» et c'est dit.

«Mais la conscience de certains journalistes est au niveau de leur talent.

«Et je signe: Louis Langremont.»

Alors le cœur de Georges se mit à battre violemment, et il rentra chez lui pour s'habiller, sans trop savoir ce qu'il faisait. Donc, on l'avait insulté, et d'une telle façon qu'aucune hésitation n'était possible. Pourquoi? Pour rien. À propos d'une vieille femme qui s'était querellée avec son boucher.

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