Au Bonheur Des Dames - Золя Эмиль 8 стр.


Chaque samedi, de quatre à six, Mme Desforges offrait une tasse de thé et des gâteaux aux personnes de son intimité, qui voulaient bien la venir voir. L'appartement se trouvait au troisième, à l'encoignure des rues de Rivoli et d'Alger; et les fenêtres des deux salons ouvraient sur le Jardin des Tuileries.

Justement, ce samedi-là, comme un domestique allait l'introduire dans le grand salon, Mouret aperçut de l'antichambre, par une porte restée ouverte, Mme Desforges qui traversait le petit salon. Elle s'était arrêtée en le voyant, et il entra par là, il la salua d'un air de cérémonie. Puis, quand le domestique eut refermé la porte, il saisit vivement la main de la jeune femme, qu'il baisa avec tendresse.

– Prends garde, il y a du monde! dit-elle tout bas, en désignant d'un signe la porte du grand salon. Je suis allée chercher cet éventail pour le leur montrer.

Et, du bout de l'éventail, elle lui donna gaiement un léger coup au visage. Elle était brune, un peu forte, avec de grands yeux jaloux. Mais il avait gardé sa main, il demanda:

– Viendra-t-il?

– Sans doute, répondit-elle. J'ai sa promesse.

Tous deux parlaient du baron Hartmann, directeur du Crédit Immobilier. Mme Desforges, fille d'un conseiller d'État, était veuve d'un homme de Bourse qui lui avait laissé une fortune, niée par les uns, exagérée par les autres. Du vivant même de celui-ci, disait-on, elle s'était montrée reconnaissante pour le baron Hartmann, dont les conseils de grand financier profitaient au ménage; et, plus tard, après la mort du mari, la liaison devait avoir continué, mais toujours discrètement, sans une imprudence, sans un éclat. Jamais Mme Desforges ne s'affichait, on la recevait partout, dans la haute bourgeoisie où elle était née. Même aujourd'hui que la passion du banquier, homme sceptique et fin, tournait à une simple affection paternelle, si elle se permettait d'avoir des amants qu'il lui tolérait, elle apportait, dans ses coups de cœur, une mesure et un tact si délicats, une science du monde si adroitement appliquée, que les apparences restaient sauves et que personne ne se serait permis de mettre tout haut son honnêteté en doute. Ayant rencontré Mouret chez des amis communs, elle l'avait détesté d'abord; puis, elle s'était donnée plus tard, comme emportée dans le brusque amour dont il l'attaquait, et, depuis qu'il manœuvrait de manière à tenir par elle le baron, elle se prenait peu à peu d'une tendresse vraie et profonde, elle l'adorait avec la violence d'une femme de trente-cinq ans déjà, qui n'en avouait que vingt-neuf, désespérée de le sentir plus jeune, tremblant de le perdre.

– Est-il au courant? reprit-il.

– Non, vous lui expliquerez vous-même l'affaire, répondit-elle, cessant de le tutoyer.

Elle le regardait, elle songeait qu'il ne devait rien savoir, pour l'employer ainsi auprès du baron, en affectant de le considérer simplement comme un vieil ami à elle. Mais il lui tenait toujours la main, il l'appelait sa bonne Henriette, et elle sentit son cœur se fondre. Silencieusement, elle tendit les lèvres, les appuya sur les siennes; puis, à voix basse:

– Chut! on m'attend… Entre derrière moi.

Des voix légères venaient du grand salon, assourdies par les tentures. Elle poussa la porte, dont elle laissa les deux battants ouverts, et elle remit l'éventail à une des quatre dames qui étaient assises au milieu de la pièce.

– Tenez! le voilà, dit-elle. Je ne savais plus, jamais ma femme de chambre ne l'aurait trouvé.

Et, se tournant, elle ajouta de son air gai:

– Entrez donc, monsieur Mouret, passez par le petit salon. Ce sera moins solennel.

Mouret salua ces dames, qu'il connaissait. Le salon, avec son meuble Louis XVI de brocatelle à bouquets, ses bronzes dorés, ses grandes plantes vertes, avait une intimité tendre de femme, malgré la hauteur du plafond; et par les deux fenêtres, on apercevait les marronniers des Tuileries, dont le vent d'octobre balayait les feuilles.

– Mais il n'est pas vilain du tout, ce chantilly! s'écria Mme Bourdelais, qui tenait l'éventail.

C'était une petite blonde de trente ans, le nez fin, les yeux vifs, une amie de pension d'Henriette, qui avait épousé un sous-chef du ministère des Finances. De vieille famille bourgeoise, elle menait son ménage et ses trois enfants, avec une activité, une bonne grâce, un flair exquis de la vie pratique.

– Et tu as payé le morceau vingt-cinq francs? reprit-elle en examinant chaque maille de la dentelle. Hein? tu dis à Luc, chez une ouvrière du pays?… Non, non, ce n'est pas cher… Mais il a fallu que tu le fisses monter.

– Sans doute, répondit Mme Desforges. La monture ne coûte deux cents francs.

Alors, Mme Bourdelais se mit à rire. Si c'était là ce qu'Henriette appelait une occasion! Deux cents francs, une simple monture d'ivoire, avec un chiffre! et pour un bout de chantilly, qui lui avait bien fait économiser cent sous! On trouvait à cent vingt francs les mêmes éventails tout montés. Elle cita une maison, rue Poissonnière.

Cependant, l'éventail faisait le tour de ces dames. Mme Guibal lui accorda à peine un coup d'œil. Elle était grande et mince, de cheveux roux, avec un visage noyé d'indifférence, où ses yeux gris mettaient par moments, sous son air détaché, les terribles faims de l'égoïsme. Jamais on ne la voyait en compagnie de son mari, un avocat connu au Palais, qui, disait-on, menait de son côté la vie libre, tout à ses loisirs et à ses plaisirs.

– Oh! murmura-t-elle en passant l'éventail à Mme de Boves, je n'en ai pas acheté deux dans ma vie… On vous en donne toujours de trop.

La comtesse répondit d'une voix finement ironique:

– Vous êtes heureuse, ma chère, d'avoir un mari galant.

Et, se penchant vers sa fille, une grande personne de vingt ans et demi:

– Regarde donc le chiffre, Blanche. Quel joli travail!… C'est le chiffre qui a dû augmenter ainsi la monture.

Mme de Boves venait de dépasser la quarantaine. C'était une femme superbe, à encolure de déesse, avec une grande face régulière et de larges yeux dormants, que son mari, inspecteur général des haras, avait épousée pour sa beauté. Elle paraissait toute remuée par la délicatesse du chiffre, comme envahie d'un désir dont l'émotion pâlissait son regard. Et, brusquement:

– Donnez-nous donc votre avis, Monsieur Mouret. Est-ce trop cher, deux cents francs, cette monture?

Mouret était resté debout, au milieu des cinq femmes, souriant, s'intéressant à ce qui les intéressait. Il prit l'éventail, l'examina; et il allait se prononcer, lorsque le domestique ouvrit la porte, en disant:

– Madame Marty.

Une femme maigre entra, laide, ravagée de petite vérole, mise avec une élégance compliquée. Elle était sans âge, ses trente-cinq ans en valaient quarante ou trente, selon la fièvre nerveuse qui l'animait. Un sac de cuir rouge, qu'elle n'avait pas lâché, pendait à sa main droite.

– Chère madame, dit-elle à Henriette, vous m'excusez, avec mon sac… Imaginez-vous, en venant vous voir, je suis entrée au Bonheur, et comme j'ai encore fait des folies, je n'ai pas voulu laisser ceci en bas, dans mon fiacre, de peur d'être volée.

Mais elle venait d'apercevoir Mouret, elle reprit en riant:

– Ah! monsieur, ce n'était point pour vous faire de la réclame, puisque j'ignorais que vous fussiez là… Vous avez vraiment en ce moment des dentelles extraordinaires.

Cela détourna l'attention de l'éventail, que le jeune homme posa sur un guéridon. Maintenant, ces dames étaient prises du besoin curieux de voir ce que Mme Marty avait acheté. On la connaissait pour sa rage de dépense, sans force devant la tentation, d'une honnêteté stricte, incapable de céder à un amant, mais tout de suite lâche et la chair vaincue, devant le moindre bout de chiffon. Fille d'un petit employé, elle ruinait aujourd'hui son mari, professeur de cinquième au lycée Bonaparte, qui devait doubler ses six mille francs d'appointements en courant le cachet, pour suffire au budget sans cesse croissant du ménage. Et elle n'ouvrait pas son sac, elle le serrait sur ses genoux, parlait de sa fille Valentine, âgée de quatorze ans, une de ses coquetteries les plus chères, car elle l'habillait comme elle, de toutes les nouveautés de la mode, dont elle subissait l'irrésistible séduction.

– Vous savez, expliqua-t-elle, on fait cet hiver aux jeunes filles des robes garnies d'une petite dentelle… Naturellement, quand j'ai vu une valenciennes très jolie…

Elle se décida enfin à ouvrir le sac. Ces dames allongeaient le cou, lorsque, dans le silence, on entendit le timbre de l'antichambre.

– C'est mon mari, balbutia Mme Marty pleine de trouble. Il doit venir me chercher, en sortant de Bonaparte.

Vivement, elle avait refermé le sac, et elle le fit disparaître sous un fauteuil, d'un mouvement instinctif. Toutes ces dames se mirent à rire. Alors, elle rougit de sa précipitation, elle le reprit sur ses genoux, en disant que les hommes ne comprenaient jamais et qu'ils n'avaient pas besoin de savoir.

– M. de Boves, M. de Vallagnosc, annonça le domestique.

Ce fut un étonnement, Mme de Boves elle-même ne comptait pas sur son mari. Ce dernier, bel homme, portant les moustaches à l'impériale, de l'air militairement correct aimé des Tuileries, baisa la main de Mme Desforges, qu'il avait connue jeune, chez son père. Et il s'effaça pour que l'autre visiteur, un grand garçon pâle, d'une pauvreté de sang distinguée, pût à son tour saluer la maîtresse de la maison. Mais, à peine la conversation reprenait-elle, que deux légers cris s'élevèrent:

– Comment! c'est toi, Paul!

– Tiens! Octave!

Mouret et Vallagnosc se serraient les mains. À son tour, Mme Desforges témoignait sa surprise. Ils se connaissaient donc? Certes, ils avaient grandi côte à côte, au collège de Plassans; et le hasard était qu'ils ne se fussent pas encore rencontrés chez elle.

Cependant, les mains toujours liées, ils passèrent en plaisantant dans le petit salon, au moment où le domestique apportait le thé, un service de Chine sur un plateau d'argent, qu'il posa près de Mme Desforges, au milieu du guéridon de marbre, à légère galerie de cuivre. Ces dames se rapprochaient, causaient plus haut, toutes aux paroles sans fin qui se croisaient; pendant que M. de Boves, debout derrière elles, se penchait par instants, disait un mot avec sa galanterie de beau fonctionnaire. La vaste pièce, si tendre et si gaie d'ameublement, s'égayait encore de ces voix bavardes, coupées de rires.

– Ah! ce vieux Paul! répétait Mouret.

Il s'était assis près de Vallagnosc, sur un canapé. Seuls au fond du petit salon, un boudoir très coquet tendu de soie bouton d'or, loin des oreilles et ne voyant plus eux-mêmes ces dames que par la porte grande ouverte, ils ricanèrent, les yeux dans les yeux, en s'allongeant des tapes sur les genoux. Toute leur jeunesse s'éveillait, le vieux collège de Plassans, avec ses deux cours, ses études humides, et le réfectoire où l'on mangeait tant de morue, et le dortoir où les oreillers volaient de lit en lit, dès que le pion ronflait. Paul, d'une ancienne famille parlementaire, petite noblesse ruinée et boudeuse, était un fort en thème, toujours premier, donné en continuel exemple par le professeur, qui lui prédisait le plus bel avenir; tandis qu'Octave, à la queue de la classe, pourrissait parmi les cancres, heureux et gras, se dépensant au-dehors en plaisirs violents. Malgré leur différence de nature, une camaraderie étroite les avait pourtant rendus inséparables, jusqu'à leur baccalauréat, dont ils s'étaient tirés, l'un avec gloire, l'autre tout juste d'une façon suffisante, après deux épreuves fâcheuses. Puis, l'existence les avait emportés, et ils se retrouvaient au bout de dix ans, changés et vieillis.

– Voyons, demanda Mouret, que deviens-tu?

– Mais je ne deviens rien.

Vallagnosc, dans la joie de leur rencontre, gardait son air las et désenchanté; et, comme son ami, étonné, insistait, en disant:

– Enfin, tu fais bien quelque chose… Que fais-tu?

– Rien, répondit-il.

Octave se mit à rire. Rien, ce n'était pas assez. Phrase à phrase, il finit par obtenir l'histoire de Paul, l'histoire commune des garçons pauvres, qui croient devoir à leur naissance de rester dans les professions libérales, et qui s'enterrent au fond d'une médiocrité vaniteuse, heureux encore quand ils ne crèvent pas la faim, avec des diplômes plein leurs tiroirs. Lui, avait fait son droit par tradition de famille; puis, il était demeuré à la charge de sa mère veuve, qui ne savait déjà comment placer ses deux filles. Une honte enfin l'avait pris, et, laissant les trois femmes vivre mal des débris de leur fortune, il était venu occuper une petite place au ministère de l'Intérieur, où il se tenait enfoui, comme une taupe dans son trou.

– Et qu'est-ce que tu gagnes? reprit Mouret.

– Trois mille francs.

– Mais c'est une pitié! Ah! mon pauvre vieux, ça me fait de la peine pour toi… Comment! un garçon si fort, qui nous roulait tous! Et ils ne te donnent que trois mille francs, après t'avoir abruti pendant cinq ans déjà! Non, ce n'est pas juste!

Il s'interrompit, il fit un retour sur lui-même.

– Moi, je leur ai tiré ma révérence… Tu sais ce que je suis devenu?

– Oui, dit Vallagnosc. On m'a conté que tu étais dans le commerce. Tu as cette grande maison de la place Gaillon, n'est-ce pas?

– C'est cela… Calicot, mon vieux!

Mouret avait relevé la tête, et il lui tapa de nouveau sur le genou, il répéta avec la gaieté solide d'un gaillard sans honte pour le métier qui l'enrichissait:

– Calicot, en plein!… Ma foi, tu te rappelles, je ne mordais guère à leurs machines, bien qu'au fond je ne me sois jamais jugé plus bête qu'un autre. Quand j'ai eu passé mon bachot, pour contenter ma famille, j'aurais parfaitement pu devenir un avocat ou un médecin comme les camarades; mais ces métiers-là m'ont fait peur, tant on voit de gens y tirer la langue… Alors, mon Dieu! j'ai jeté la peau d'âne au vent, oh! sans regret, et j'ai piqué une tête dans les affaires.

Vallagnosc souriait d'un air d'embarras. Il finit par murmurer:

– Il est de fait que ton diplôme de bachelier ne doit pas te servir à grand-chose pour vendre de la toile.

– Ma foi! répondit Mouret joyeusement, tout ce que je demande, c'est qu'il ne me gêne pas… Et, tu sais, quand on a eu la bêtise de se mettre ça entre les jambes, il n'est pas commode de s'en dépêtrer. On s'en va à pas de tortue dans la vie, lorsque les autres, ceux qui ont les pieds nus, courent comme des dératés.

Puis, remarquant que son ami semblait souffrir, il lui prit les mains, il continua:

– Voyons, je ne veux pas te faire de la peine, mais avoue que tes diplômes n'ont satisfait aucun de tes besoins… Sais-tu que mon chef de rayon, à la soie, touchera plus de douze mille francs cette année? Parfaitement! un garçon d'une intelligence très nette, qui s'en est tenu à l'orthographe et aux quatre règles… Les vendeurs ordinaires, chez moi, se font trois et quatre mille francs, plus que tu ne gagnes toi-même; et ils n'ont pas coûté tes frais d'instruction, ils n'ont pas été lancés dans le monde, avec la promesse signée de le conquérir… Sans doute, gagner de l'argent n'est pas tout. Seulement, entre les pauvres diables frottés de science qui encombrent les professions libérales, sans y manger à leur faim, et les garçons pratiques, armés pour la vie, sachant à fond leur métier, ma foi! je n'hésite pas, je suis pour ceux-ci contre ceux-là, je trouve que les gaillards comprennent joliment leur époque!

Sa voix s'était échauffée; Henriette, qui servait le thé, avait tourné la tête. Quand il la vit sourire, au fond du grand salon et qu'il aperçut deux autres dames prêtant l'oreille, il s'égaya le premier de ses phrases.

– Enfin, mon vieux, tout calicot qui débute est aujourd'hui dans la peau d'un millionnaire.

Vallagnosc se renversait mollement sur le canapé. Il avait fermé les yeux à demi, dans une pose de fatigue et de dédain, où une pointe d'affectation s'ajoutait au réel épuisement de sa race.

– Bah! murmura-t-il, la vie ne vaut pas tant de peine. Rien n'est drôle.

Et, comme Mouret, révolté, le regardait d'un air de surprise, il ajouta:

– Tout arrive et rien n'arrive. Autant rester les bras croisés.

Alors, il dit son pessimisme, les médiocrités et les avortements de l'existence. Un moment, il avait rêvé de littérature, et il lui était resté de sa fréquentation avec des poètes une désespérance universelle. Toujours, il concluait à l'inutilité de l'effort, à l'ennui des heures également vides, à la bêtise finale du monde. Les jouissances rataient, il n'y avait pas même de joie à mal faire.

– Voyons, est-ce que tu t'amuses, toi? finit-il par demander…

Mouret en était arrivé à une stupeur d'indignation. Il cria:

– Comment! si je m'amuse!… Ah! çà, que chantes-tu? Tu en es là, mon vieux!… Mais, sans doute, je m'amuse, et même lorsque les choses craquent, parce qu'alors je suis furieux de les entendre craquer. Moi, je suis un passionné, je ne prends pas la vie tranquillement, c'est ce qui m'y intéresse peut-être.

Il jeta un coup d'œil vers le salon, il baissa la voix.

– Oh! il y a des femmes qui m'ont bien embêté, ça je le confesse. Mais, quand j'en tiens une, je la tiens que diable! et ça ne rate pas toujours, et je ne donne ma part à personne, je t'assure… Puis, ce ne sont pas encore les femmes, dont je me moque après tout. Vois-tu, c'est de vouloir et d'agir, c'est de créer enfin… Tu as une idée, tu te bats pour elle, tu l'enfonces à coups de marteau dans la tête des gens, tu la vois grandir et triompher… Ah! oui, mon vieux, je m'amuse!

Toute la joie de l'action, toute la gaieté de l'existence sonnaient dans ses paroles. Il répéta qu'il était de son époque. Vraiment, il fallait être mal bâti, avoir le cerveau et les membres attaqués, pour se refuser à la besogne, en un temps de si large travail, lorsque le siècle entier se jetait à l'avenir. Et il raillait les désespérés, les dégoûtés, les pessimistes, tous ces malades de nos sciences commençantes, qui prenaient des airs pleureurs de poètes ou des mines pincées de sceptiques, au milieu de l'immense chantier contemporain. Un joli rôle, et propre, et intelligent, que de bâiller d'ennui devant le labeur des autres!

– C'est mon seul plaisir, de bâiller devant les autres, dit Vallagnosc en souriant de son air froid.

Du coup, la passion de Mouret tomba. Il redevint affectueux.

– Ah! ce vieux Paul, toujours le même, toujours paradoxal!… Hein? nous ne nous retrouvons pas pour nous quereller. Chacun a ses idées, heureusement. Mais il faudra que je te montre ma machine en branle, tu verras que ce n'est pas si bête… Allons, donne-moi des nouvelles. Ta mère et tes sœurs se portent bien, j'espère? Et n'as-tu pas dû te marier à Plassans, il y a six mois?

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