Aventures Et Mesaventures Du Baron De Munchhausen - Burger Gottfried August 10 стр.


Je fis trois fois le tour du cratere – dont vous pouvez avoir une idee en vous figurant un immense entonnoir -, et, reconnaissant que j’aurais beau tourner, cela ne m’avancerait guere, je pris bravement ma resolution, et je me decidai a sauter dedans. A peine eus-je execute le saut, que je me sentis comme plonge dans un bain de vapeur brulante; les charbons ardents qui jaillissaient sans relache endommagerent et brulerent en tous sens mon pauvre corps.

Mais quelle que fut la violence avec laquelle s’elancaient les matieres incandescentes, je descendais plus rapidement quelles ne montaient, grace a la loi de la pesanteur, et au bout de quelques instants je touchai le fond. La premiere chose que je remarquai fut un bruit epouvantable, un concert de jurements, de cris et de hurlements qui semblaient s’elever autour de moi. J’ouvris les yeux, et qu’est-ce que je vis?… Vulcain en personne accompagne de ses cyclopes. Ces messieurs, que mon bon sens avait depuis longtemps relegues dans le domaine de la fiction, etaient depuis trois semaines en querelle au sujet d’un article du reglement interieur, et c’etait cette dispute qui remuait la surface externe. Mon apparition retablit comme par enchantement la paix et la concorde dans la tapageuse assemblee.

Vulcain courut aussitot clopin-clopant vers son armoire, en tira des onguents et des emplatres qu’il m’appliqua de sa propre main, et, quelques minutes apres, mes blessures etaient gueries. Il m’offrit ensuite des rafraichissements, un flacon de nectar et d’autres vins precieux, comme n’en boivent que les dieux, et les deesses. Des que je fus a peu pres remis, il me presenta a Venus, son epouse, en lui recommandant de me prodiguer tous les soins qu’exigeait ma position. La somptuosite de la chambre ou elle me conduisit, le moelleux du sofa sur lequel elle me fit asseoir, le charme divin qui regnait dans toute sa personne, la tendresse de son c?ur, il n’y a pas de mots dans les langues terrestres pour exprimer cela; rien que d’y penser, la tete me tourne!

Vulcain me fit une description tres detaillee de l’Etna. Il m’expliqua comme quoi cette montagne n’etait qu’un amas de cendres sorties de la fournaise; qu’il etait souvent oblige de sevir contre ses ouvriers; qu’alors, dans sa colere, il leur jetait des charbons ardents qu’ils paraient avec une grande adresse en les laissant passer sur la terre, afin de le laisser epuiser ses munitions. «Nos dissensions, ajouta-t-il, durent quelquefois plusieurs mois, et les phenomenes qu’elles produisent a la surface de la terre sont ce que vous appelez, je crois, des eruptions. Le mont Vesuve est egalement une de mes forges: une galerie de trois cent cinquante milles de longueur m’y conduit en passant sous le lit de la mer: la aussi des dissensions semblables amenent sur la terre des accidents analogues.»

Si je me plaisais a la conversation instructive du mari, je goutais encore davantage la societe de la femme, et je n’aurais peut-etre jamais quitte ce palais souterrain, si quelques mauvaises langues n’avaient mis la puce a l’oreille au seigneur Vulcain, et n’avaient allume dans son c?ur le feu de la jalousie. Sans me prevenir le moins du monde, il me saisit un matin au collet, comme j’assistais la belle deesse a sa toilette, et m’emmena dans une chambre que je n’avais pas encore vue: la il me tint suspendu au-dessus d’une espece de puits profond, et me dit: «Ingrat mortel, retourne dans le monde d’ou tu es venu!»

En prononcant ces mots et sans me permettre de rien repliquer pour ma defense, il me precipita dans l’abime.

Je tombai avec une rapidite toujours croissante, jusqu’a ce que l’effroi m’eut fait perdre entierement connaissance. Mais je fus tout d’un coup tire de mon evanouissement en me sentant plonge dans une immense masse d’eau illuminee par les rayons du soleil: c’etait le paradis et le repos en comparaison de l’affreux voyage que je venais d’accomplir.

Je regardai tout autour de moi, mais je ne voyais de tous cotes que de l’eau. La temperature etait tout autre que celle a laquelle je m’etais accoutume chez le seigneur Vulcain. Enfin je decouvris a quelque distance un objet qui avait l’apparence d’un enorme rocher, et qui semblait se diriger vers moi: je reconnus bientot que c’etait un glacon flottant. Apres beaucoup de recherches, je trouvai enfin un endroit ou je pus m’accrocher, et je parvins a gravir jusqu’au sommet. A mon grand desespoir, je ne decouvris aucun indice qui m’annoncat le voisinage de la terre. Enfin, avant la tombee de la nuit, j’apercus un navire qui s’avancait de mon cote. Des qu’il fut a portee de la voix, je le helai de toutes mes forces: il me repondit en hollandais. Je me jetai a la mer, et nageai jusqu’au navire ou l’on m’amena a bord. Je demandai ou nous etions. «Dans la mer du Sud», me repondit-on. Ce fait expliquait toute l’enigme. Il etait evident que j’avais traverse le centre du globe et que j’etais tombe par l’Etna dans la mer du Sud: ce qui est beaucoup plus direct que de faire le tour du monde. Personne avant moi n’avait encore tente ce passage, et si je refais jamais le voyage; je me promets bien d’en rapporter des observations du plus haut interet.

Je me fis donner quelques rafraichissements et je me couchai. Quels grossiers personnages, messieurs, que les Hollandais! Le lendemain je racontai mon aventure aux officiers aussi exactement et aussi simplement que je viens de le faire ici, et plusieurs d’entre eux, le capitaine surtout, firent mine de douter de l’authenticite de mes paroles. Cependant comme ils m’avaient donne l’hospitalite a leur bord, et que si je vivais c’etait grace a eux, il me fallut bien empocher l’humiliation sans repliquer.

Je m’enquis ensuite du but de leur voyage. Ils me repondirent qu’ils faisaient une expedition de decouverte et que si ce que je leur avais raconte etait vrai, leur but etait atteint. Nous nous trouvions precisement sur la route qu’avait suivie le capitaine Cook, et nous arrivames le lendemain a Botany Bay, lieu ou le gouvernement anglais devrait envoyer non pas ses mauvais garnements pour les punir, mais des honnetes gens pour les recompenser, tant ce pays est beau et richement dote par la nature.

Nous ne restames que trois jours a Botany Bay. Le quatrieme jour apres notre depart il s’eleva une effroyable tempete qui dechira toutes nos voiles, rompit notre beaupre, abattit notre mat de perroquet, lequel tomba sur la cahute ou etait enfermee notre boussole et la mit en pieces. Quiconque a navigue sait quelles peuvent etre les consequences d’un pareil accident. Nous ne savions plus ou nous etions, ni ou aller. Enfin la tempete s’apaisa, et fut suivie d’une bonne brise continue. Nous naviguions depuis trois mois et nous devions avoir fait enormement de chemin, lorsque tout a coup nous remarquames un changement singulier dans tout ce qui nous entourait. Nous nous sentions tout gais et tout dispos, notre nez s’emplissait des odeurs les plus douces et les plus balsamiques; la mer elle-meme avait change de couleur: elle n’etait plus verte, mais blanche.

Bientot apres nous apercumes la terre, et a quelque distance un port vers lequel nous nous dirigeames et que nous trouvames spacieux et profond. Au lieu d’eau, il etait rempli d’un lait exquis. Nous descendimes a terre et nous vimes que l’ile tout entiere consistait en un immense fromage. Nous ne nous en serions peut-etre pas apercus, si une circonstance particuliere ne nous avait mis sur la trace. Nous avions sur notre navire un matelot qui professait pour le fromage une antipathie naturelle. En posant le pied sur la terre, il tomba evanoui. Quand il revint a lui, il demanda qu’on retirat le fromage de dessous ses pieds; on verifia, et on reconnut qu’il avait parfaitement raison, cette ile n’etait comme je viens de vous le dire, qu’un enorme fromage. La plupart des habitants s’en nourrissaient; les parties mangees pendant le jour etaient remplacees pendant la nuit. Nous vimes dans cette ile une grande quantite de vignes chargees de grosses grappes, lesquelles, lorsqu’on les pressait, ne donnaient que du lait. Les insulaires etaient sveltes et beaux, la plupart avaient neuf pieds de haut; ils avaient trois jambes et un bras, et les adultes portaient sur le front une corne dont ils se servaient avec une adresse remarquable. Ils font des courses sur la surface du lait, et s’y promenent sans y enfoncer avec autant d’assurance que nous sur une pelouse.

Il croissait sur cette ile, ou plutot sur ce fromage, une grande quantite de ble dont les epis, semblables a des champignons, contenaient des pains tout cuits et prets a etre manges. En traversant ce fromage nous rencontrames sept fleuves de lait et deux de vin.

Apres un voyage de seize jours, nous atteignimes le rivage oppose a celui ou nous avions aborde. Nous trouvames dans cette partie de l’ile des plaines entieres de ce fromage bleu a force de vieillesse, dont les amateurs font si grand cas. Mais, au lieu d’y rencontrer des vers, on y voyait croitre de magnifiques arbres fruitiers, tels que cerisiers, abricotiers, pechers, et vingt autres especes que nous ne connaissons point. Ces arbres, qui sont extraordinairement grands et gros, abritaient une immense quantite de nids d’oiseaux. Nous remarquames entre autres un nid d’alcyons, dont la circonference etait cinq fois grande comme la coupole de Saint-Paul a Londres; il etait artistement construit d’arbres gigantesques, et il contenait… – attendez, que je me rappelle bien le chiffre! – il contenait cinq cents ?ufs dont le plus petit etait au moins aussi gros qu’un muid. Nous ne pumes pas voir les jeunes qui etaient dedans, mais nous les entendimes siffler. Ayant ouvert a grand-peine un de ces ?ufs, nous en vimes sortir un petit oiseau sans plumes, gros environ comme vingt de nos vautours. A peine avions-nous fait eclore le jeune oiseau que le vieux alcyon se jeta sur nous, saisit notre capitaine dans une de ses serres, l’enleva a la hauteur d’une bonne lieue, le frappa violemment avec ses ailes et le laissa tomber dans la mer.

Les Hollandais nagent comme des rats d’eau; aussi le capitaine nous eut-il bientot rejoints, et nous regagnames tous ensemble notre navire. Mais nous ne retournames pas par le meme chemin, ce qui nous permit de faire de nouvelles observations. Dans le gibier que nous tuames, il y avait deux buffles d’une espece particuliere qui ne possedait qu’une seule corne, placee entre les deux yeux. Nous regrettames plus tard de les avoir tues, car nous apprimes que les habitants les apprivoisaient et s’en servaient en guise de cheval de trait ou de selle. On nous assura que la chair en etait exquise, mais absolument inutile a un peuple qui ne vit que de lait et de fromage.

Deux jours avant d’atteindre notre navire, nous vimes trois individus pendus par les jambes a de grands arbres. Je demandai quel crime leur avait valu cette terrible punition, et j’appris qu’ils etaient alles a l’etranger, et qu’a leur retour ils avaient raconte a leurs amis une foule de mensonges, leur decrivant des lieux qu’ils n’avaient pas vus, et des aventures qui leur etaient pas arrivees. Je trouvai cette punition bien meritee, car le premier devoir d’un voyageur, c’est de ne s’ecarter jamais de la verite.

Quand nous eumes erre trois jours durant, Dieu sait ou – car nous manquions toujours de boussole -, nous arrivames dans une mer qui semblait toute noire: nous goutames ce que nous prenions pour de l’eau sale, et nous reconnumes que c’etait de l’excellent vin! Nous eumes toutes les peines du monde a empecher nos matelots de se griser. Mais notre joie ne fut pas de longue duree, car, quelques heures apres, nous nous trouvames entoures de baleines et d’autres poissons non moins gigantesques: il y en avait un d’une longueur si prodigieuse que meme avec une lunette d’approche nous n’en pumes voir le bout. Malheureusement nous n’apercumes le monstre qu’au moment ou il etait tout pres de nous: il avala d’un trait notre batiment avec ses mats dresses et toutes ses voiles dehors.

Apres que nous eumes passe quelque temps dans sa gueule, il la rouvrit pour engloutir une enorme masse d’eau: notre navire, souleve par ce courant, fut entraine dans l’estomac du monstre, ou nous nous trouvions comme si nous eussions ete a l’ancre pris d’un calme plat.

L’air etait, il faut en convenir, chaud et lourd. Nous vimes dans cet estomac des ancres, des cables, des chaloupes, des barques et bon nombre de navires, les uns charges, les autres vides, qui avaient subi le meme sort que nous. Nous etions obliges de vivre a la lumiere des torches; il n’y avait plus pour nous ni soleil, ni lune, ni planetes. Ordinairement nous nous trouvions deux fois par jour a flot et deux fois a sec. Quand la bete buvait nous etions a flot, lorsqu’elle lachait l’eau nous etions a sec. D’apres les calculs exacts que nous fimes, la quantite d’eau qu’elle avalait a chaque gorgee eut suffi a remplir le lit du lac de Geneve, dont la circonference est de trente milles.

Le second jour de notre captivite dans ce tenebreux royaume, je me hasardai avec le capitaine et quelques officiers a faire une petite excursion au moment de la maree basse, comme nous disions. Nous nous etions munis de torches, et nous rencontrames successivement pres de dix mille hommes de toutes nations qui se trouvaient dans la meme position que nous. Ils s’appretaient a deliberer sur les moyens a employer pour recouvrer leur liberte. Quelques-uns d’entre eux avaient deja passe plusieurs annees dans l’estomac du monstre. Mais au moment ou le president nous instruisait de la question qui allait s’agiter, notre diable de poisson eut soif et se mit a boire; l’eau se precipita avec tant de violence que nous eumes tout juste le temps de retourner a nos navires: plusieurs des assistants, moins prompts que les autres, furent meme obliges de se mettre a la nage.

Quand le poisson se fut vide, nous nous reunimes de nouveau. On me choisit president: je proposai de reunir bout a bout deux des plus grands mats, et, lorsque le monstre ouvrirait la gueule, de les dresser de facon a l’empecher de la refermer. Cette motion fut acceptee a l’unanimite, et cent hommes choisis parmi les plus vigoureux furent charges de la mettre a execution. A peine les deux mats etaient-ils disposes selon mes instructions, qu’il se presenta une occasion favorable. Le monstre se prit a bailler; nous dressames aussitot nos deux mats de maniere que l’extremite inferieure se trouvait plantee dans sa langue, et que l’autre extremite penetrait dans la voute de son palais: il lui etait des lors impossible de rapprocher ses machoires.

Des que nous fumes a flot, nous armames les chaloupes qui nous remorquerent et nous ramenerent dans le monde. Ce fut avec une joie inexprimable que nous revimes la lumiere du soleil dont nous avions ete prives pendant ces quinze jours de captivite. Lorsque tout le monde fut sorti de ce vaste estomac, nous formions une flotte de trente-cinq navires de toutes les nations. Nous laissames nos deux mats plantes dans la gorge du poisson, pour preserver d’un accident semblable au notre ceux qui se trouveraient entraines vers ce gouffre.

Une fois delivres, notre premier desir fut de savoir dans quelle partie du monde nous etions; il nous fallut longtemps avant de parvenir a une certitude. Enfin, grace a mes observations anterieures, je reconnus que nous nous trouvions dans la mer Caspienne. Comme cette mer est entouree de tous cotes par la terre et qu’elle ne communique avec aucune autre nappe d’eau, nous ne pouvions comprendre comment nous y etions arrives. Un habitant de l’ile de fromage, que j’avais emmene avec moi, nous expliqua la chose fort raisonnablement. Selon lui, le monstre dans l’estomac duquel nous avions erre si longtemps s’etait rendu dans cette mer par quelque route souterraine. Bref, nous y etions et fort contents d’y etre; nous nous dirigeames a toutes voiles vers la terre. Je descendis le premier.

A peine avais-je pose le pied sur la terre ferme, que je me vis assailli par un gros ours.

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