Aventures Et Mesaventures Du Baron De Munchhausen - Burger Gottfried August 3 стр.


Alors que cette interessante bete etait encore levrier ou, pour parler plus exactement, levrette, elle fit lever un lievre qui me parut extremement gros. Ma chienne etait pleine a ce moment, et cela me peinait de voir les efforts qu’elle faisait pour courir aussi vite que d’habitude.

Tout a coup j’entendis des jappements, comme si c’eut ete une meute entiere qui les poussat, mais faibles et incertains, si bien que je ne savais d’ou cela partait: lorsque je me fus approche, je vis la chose la plus surprenante du monde.

Le lievre, ou plutot la hase, car c’etait une femelle, avait mis bas en courant; ma chienne en avait fait autant, et il etait ne precisement autant de petits lievres que de petits chiens. Par instinct les premiers avaient fui, et, par instinct aussi, les seconds les avaient non seulement poursuivis, mais pris, de sorte que je me trouvai terminer avec six chiens et six lievres une chasse que j’avais commencee avec un seul lievre et un seul chien.

Au souvenir de cette admirable chienne, je ne puis m’empecher de rattacher celui d’un excellent cheval lituanien, une bete sans prix! Je l’eus par suite d’un hasard qui me donna l’occasion de montrer glorieusement mon adresse de cavalier. Je me trouvais dans un des biens du comte Przobowski, en Lituanie, et j’etais reste dans le salon a prendre le the avec les dames, tandis que les hommes etaient alles dans la cour examiner un jeune cheval de sang arrive recemment du haras. Tout a coup nous entendimes un cri de detresse.

Je descendis en toute hate l’escalier, et je trouvai le cheval si furieux, que personne n’osait ni le montrer, ni meme l’approcher; les cavaliers les plus resolus restaient immobiles et fort embarrasses: l’effroi se peignait sur tous les visages lorsque d’un seul bond je m’elancai sur la croupe du cheval; je le surpris et le matai tout d’abord par cette hardiesse; mes talents hippiques acheverent de le dompter et de le rendre doux et obeissant. Afin de rassurer les dames, je fis sauter ma bete dans le salon en passant par la fenetre; je fis plusieurs tours au pas, au trot et au galop, et, pour terminer, je vins me placer sur la table meme, ou j’executai les plus elegantes evolutions de la haute ecole, ce qui rejouit fort la societe. Ma petite bete se laissa si bien mener, qu’elle ne cassa pas un verre, pas une tasse. Cet evenement me mit si fort en faveur aupres des dames et du comte, qu’il me pria avec sa courtoisie habituelle de vouloir bien accepter ce jeune cheval, qui me conduirait a la victoire dans la prochaine campagne contre les Turcs, qui allait s’ouvrir sous les ordres du comte Munich.

CHAPITRE IV Aventures du baron de Munchhausen dans la guerre contre les Turcs.

Certes, il eut ete difficile de me faire un cadeau plus agreable que celui-la, dont je me promettais beaucoup de bien pour la prochaine campagne et qui devait me servir a faire mes preuves. Un cheval aussi docile, aussi courageux, aussi ardent – un agneau et un bicephale tout a la fois -, devait me rappeler les devoirs du soldat, et en meme temps les faits heroiques accomplis par le jeune Alexandre dans ses fameuses guerres.

Le but principal de notre campagne etait de retablir l’honneur des armes russes qui avait quelque peu ete atteint sur le Pruth, du temps du tsar Pierre: nous y parvinmes apres de rudes mais de glorieux combats, et grace aux talents du grand general que j’ai nomme plus haut. La modestie interdit aux subalternes de s’attribuer de beaux faits d’armes; la gloire doit en revenir communement aux chefs, si nuls qu’ils soient, aux rois et au reines qui n’ont jamais senti bruler de poudre qu’a l’exercice, et n’ont jamais vu man?uvrer d’armee qu’a la parade.

Ainsi, je ne revendique pas la moindre part de la gloire que notre armee recueillit dans maint engagement. Nous fimes tous notre devoir, mot qui, dans la bouche du citoyen, du soldat, de l’honnete homme, a une signification beaucoup plus large que ne se l’imaginent messieurs les buveurs de biere. Comme je commandais alors un corps de hussards, j’eus a executer differentes expeditions ou l’on s’en remettait entierement a mon experience et a mon courage: pour etre juste, cependant, je dois dire ici qu’une grande part de mes succes revient a ces braves compagnons que je conduisais a la victoire.

Un jour que nous repoussions une sortie des Turcs sous les murs d’Oczakow, l’avant-garde se trouva chaudement engagee. J’occupais un poste assez avance; tout a coup je vis venir du cote de la ville un parti d’ennemis enveloppes d’un nuage de poussiere qui m’empechait d’apprecier le nombre et la distance. M’entourer d’un nuage semblable, c’eut ete un stratageme vulgaire, et cela m’eut, en outre, fait manquer mon but. Je deployai mes tirailleurs sur les ailes en leur recommandant de faire autant de poussiere qu’ils pourraient. Quant a moi, je me dirigeai droit sur l’ennemi, afin de savoir au juste ce qui en etait.

Je l’atteignis: il resista d’abord et tint bon jusqu’au moment ou mes tirailleurs vinrent jeter le desordre dans ses rangs. Nous le dispersames completement, en fimes un grand carnage et le refoulames non seulement dans la place, mais encore au-dela, de facon qu’il s’enfuit par la porte opposee, resultat que nous n’osions pas esperer.

Comme mon lituanien allait extremement vite, je me trouvai le premier sur le dos des fuyards, et, voyant que l’ennemi courait si bien vers l’autre issue de la ville, je jugeai bon de m’arreter sur la place du marche et de faire sonner le rassemblement. Mais figurez-vous mon etonnement, messieurs, en ne voyant autour de moi ni trompette ni aucun de mes hussards!

«Que sont-ils devenus? me dis-je; se seraient-ils repandus dans les rues?»

Ils ne pouvaient cependant pas etre bien loin, et ne devaient pas tarder a me rejoindre. En attendant, je menai mon lituanien a la fontaine qui occupait le milieu de la place, pour l’abreuver. Il se mit alors a boire d’une facon inconcevable, sans que cela parut le desalterer: j’eus bientot l’explication de ce phenomene singulier, car, en me retournant pour regarder si mes gens n’arrivaient pas, qu’imaginez-vous que je vis, messieurs? Tout l’arriere-train de mon cheval etait absent et coupe net. L’eau s’ecoulait par-derriere a mesure qu’elle entrait par-devant, sans que la bete en conservat rien.

Comment cela etait-il arrive? Je ne pouvais m’en rendre compte, lorsque, enfin, mon hussard arriva du cote oppose a celui par lequel j’etais venu et, a travers un torrent de cordiales felicitations et d’energiques jurons, me rapporta ce qui suit. Tandis que je m’etais jete pele-mele au milieu des fuyards, on avait brusquement laisse retomber la herse de la porte, qui avait tranche net l’arriere-train de mon cheval. Cette seconde partie de ma bete etait d’abord restee au milieu des ennemis et y avait exerce de terribles ravages; puis, ne pouvant penetrer dans la ville, elle s’etait dirigee vers un pre voisin, ou je la retrouverais sans aucun doute. Je tournai bride aussitot, et l’avant de mon cheval me mena au grand galop vers la prairie. A ma grande joie, j’y retrouvai en effet l’autre moitie qui se livrait aux evolutions les plus ingenieuses et passait gaiement le temps avec les juments qui erraient sur la pelouse.

Etant des lors bien assure que les deux parties de mon cheval etaient vivantes, j’envoyai chercher notre veterinaire. Sans perdre de temps, il les rajusta au moyen de rameaux de laurier qui se trouvaient la, et la blessure guerit heureusement. Il advint alors quelque chose qui ne pouvait arriver qu’a un animal aussi superieur. Les branches prirent racine dans son corps, pousserent, et formerent autour de moi comme un berceau a l’ombre duquel j’accomplis plus d’une action d’eclat.

Je veux vous raconter encore ici un petit desagrement qui resulta de cette brillante affaire. J’avais si vigoureusement, si longtemps et si impitoyablement sabre l’ennemi, que mon bras en avait conserve le mouvement, alors que les Turcs avaient depuis longtemps disparu. Dans la crainte de me blesser et surtout de blesser les miens lorsqu’ils m’approchaient, je me vis oblige de porter pendant huit jours mon bras en echarpe, comme si j’eusse ete ampute.

Lorsqu’un homme monte un cheval tel que mon lituanien, vous pouvez bien, messieurs, le croire capable d’executer un autre trait qui parait, au premier abord, tenir du fabuleux. Nous faisions le siege d’une ville dont j’ai oublie le nom, et il etait de la plus haute importance pour le feld-marechal de savoir ce qui se passait dans la place: il paraissait impossible d’y penetrer, car il eut fallu se faire jour a travers les avant-postes, les grands gardes et les ouvrages avances, personne n’osait se charger d’une pareille entreprise. Un peu trop confiant peut-etre dans mon courage et emporte par mon zele, j’allai me placer pres d’un de nos gros canons et, au moment ou le coup partait, je m’elancai sur le boulet, dans le but de penetrer par ce moyen dans la ville; mais lorsque je fus a moitie route, la reflexion me vint.

«Hum! pensai-je, aller, c’est bien, mais comment revenir? Que va-t-il arriver une fois dans la place? On te traitera en espion et on te pendra au premier arbre: ce n’est pas une fin digne de Munchhausen!»

Ayant fait cette reflexion, suivie de plusieurs autres du meme genre, j’apercus un boulet, dirige de la forteresse contre notre camp, qui passait a quelques pas de moi; je sautai dessus, et je revins au milieu des miens, sans avoir, il est vrai, accompli mon projet, mais du moins entierement sain et sauf.

Si j’etais leste et alerte a la voltige, mon brave cheval ne l’etait pas moins. Haies ni fosses, rien ne l’arretait, il allait toujours droit devant lui. Un jour, un lievre que je poursuivais coupa la grande route; en ce moment meme, une voiture ou se trouvaient deux belles dames vint me separer du gibier. Mon cheval passa si rapidement et si legerement a travers la voiture, dont les glaces etaient baissees, que j’eus a peine le temps de retirer mon chapeau et de prier ces dames de m’excuser de la liberte grande.

Une autre fois, je voulus sauter une mare, et, lorsque je me trouvai au milieu, je m’apercus qu’elle etait plus grande que je ne me l’etais figure d’abord: je tournai aussitot bride au milieu de mon elan, et je revins sur le bord que je venais de quitter, pour reprendre plus de champ; cette fois encore je m’y pris mal, et tombai dans la mare jusqu’au cou: j’aurais peri infailliblement si, par la force de mon propre bras, je ne m’etais enleve par ma propre queue [1], moi et mon cheval que je serrai fortement entre les genoux.

CHAPITRE V Aventures du baron de Munchhausen pendant sa captivite chez les Turcs. Il revient dans sa patrie.

Malgre tout mon courage, malgre la rapidite, l’adresse et la souplesse de mon cheval, je ne remportai pas toujours, dans la guerre contre les Turcs, les succes que j’eusse desires. J’eus meme le malheur, deborde par le nombre, d’etre fait prisonnier, et, ce qui est plus triste encore, quoique cela soit une habitude chez ces gens-la, je fus vendu comme esclave.

Reduit a cet etat d’humiliation, j’accomplissais un travail moins dur que singulier, moins avilissant qu’insupportable. J’etais charge de mener chaque matin au champ les abeilles du sultan, de les garder tout le jour et de les ramener le soir a leur ruche. Un soir, il me manqua une abeille; mais je reconnus aussitot qu’elle avait ete attaquee par deux ours qui voulaient la mettre en pieces pour avoir son miel. N’ayant entre les mains d’autre arme que la hachette d’argent qui est le signe distinctif des jardiniers et des laboureurs du sultan, je la lancai contre les deux voleurs, dans le but de les effrayer. Je reussis en effet a delivrer la pauvre abeille; mais l’impulsion donnee par mon bras avait ete trop forte; la hache s’eleva en l’air si haut, si haut, qu‘elle s’en alla tomber dans la lune. Comment la ravoir? Ou trouver une echelle pour aller la rechercher?

Je me rappelai alors que le pois de Turquie croit tres rapidement et a une hauteur extraordinaire. J’en plantai immediatement un, qui se mit a pousser et alla de lui-meme contourner sa pointe autour d’une des cornes de la lune. Je grimpai lestement vers l’astre, ou j’arrivai sans encombre. Ce ne fut pas un petit travail que de rechercher ma hachette d’argent dans un endroit ou tous les objets sont egalement en argent. Enfin je la trouvai sur un tas de paille.

Alors je songeai au retour. Mais, o desespoir! la chaleur du soleil avait fletri la tige de mon pois, si bien que je ne pouvais descendre par cette voie sans risquer de me casser le cou. Que faire? Je tressai avec la paille une corde aussi longue que je pus: je la fixai a l’une des cornes de la lune, et je me laissai glisser. Je me soutenais de la main droite, j’avais ma hache dans la gauche: arrive au bout de ma corde, je tranchai la portion superieure et la rattachai a l’extremite inferieure: je reiterai plusieurs fois cette operation, et je finis, au bout de quelques temps, par discerner au-dessous de moi la campagne du sultan.

Je pouvais bien etre encore a une distance de deux lieues de la terre, dans les nuages, lorsque la corde se cassa, et je tombai si rudement sur le sol, que j’en restai tout etourdi. Mon corps, dont le poids s’etait accru par la vitesse acquise et par la distance parcourue, creusa dans la terre un trou d’au moins neuf pieds de profondeur. Mais la necessite est bonne conseillere. Je me taillai avec mes ongles de quarante ans une sorte d’escalier, et je parvins de cette facon a revoir le jour.

Instruit par cette experience, je trouvai un meilleur moyen de me debarrasser des ours qui en voulaient a mes abeilles et a mes ruches. J’enduisis de miel le timon d’un chariot, et je me placai non loin de la en embuscade, pendant la nuit. Un ours enorme, attire par l’odeur du miel, arriva et se mit a lecher si avidement le bout du timon, qu’il finit par se le passer tout entier dans la gueule, dans l’estomac et dans les entrailles: lorsqu’il fut bien embroche, j’accourus, je fichai dans le trou place a l’extremite du timon une grosse cheville, et coupant ainsi la retraite au gourmand, je le laissai dans cette position jusqu’au lendemain matin. Le sultan, qui vint se promener dans les environs, faillit mourir de rire en voyant le tour que j’avais joue a l’ours.

Peu de temps apres, les Russes conclurent la paix avec les Turcs, et je fus renvoye a Saint-Petersbourg avec nombre d’autres prisonniers de guerre. Je pris mon conge, et je quittai la Russie au moment de cette grande revolution qui eut lieu il y a environ quarante ans, et a la suite de laquelle l’empereur au berceau, avec sa mere et son pere, le duc de Brunswick, le feld-marechal Munich et tant d’autres, fut exile en Siberie. Il sevit cette annee-la un tel froid dans toute l’Europe, que le soleil lui-meme y gagna des engelures, dont on voit encore les marques qu’on observe sur sa face. Aussi eus-je beaucoup plus a souffrir a mon retour que lors de mon premier voyage.

Mon lituanien etant reste en Turquie, j’etais oblige de voyager en poste. Or, il advint que, nous trouvant engages dans un chemin creux borde de haies elevees, je dis au postillon de donner avec son cor un signal, afin d’empecher une autre voiture de s’engager en meme temps dans l’autre bout de chemin. Mon drole obeit et souffla de toutes ses forces dans son cor, mais ses efforts furent vains: il ne put en tirer une note, ce qui etait d’abord incomprehensible, et ensuite fort genant, car nous ne tardames pas a voir arriver sur nous une voiture qui occupait toute la largeur de la route.

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