Aventures Et Mesaventures Du Baron De Munchhausen - Burger Gottfried August 7 стр.


Maintenant, messieurs, vous connaissez a fond le baron de Munchhausen, et j’espere que vous n’avez plus aucun doute a elever a l’endroit de sa veracite; mais afin que vous ne puissiez point non plus soupconner la mienne, il faut que je vous dise en peu de mots qui je suis.

Mon pere etait originaire de Berne en Suisse. Il y exercait l’emploi d’inspecteur des rues, allees, ruelles et ponts; ces sortes de fonctionnaires portent dans cette ville le titre, le titre… hum!… le titre de balayeurs. Ma mere, native des montagnes de la Savoie, portait au cou un goitre d’une grosseur et d’une beaute remarquables, ce qui n’est pas rare chez les dames de ce pays. Elle abandonna fort jeune ses parents, et sa bonne etoile l’amena dans la ville ou mon pere avait recu le jour. Elle vagabonda quelque peu: mon pere ayant parfois le defaut analogue, ils se rencontrerent un jour dans la maison de detention. Ils devinrent amoureux l’un de l’autre et se marierent. Cette union ne fut pas heureuse; mon pere ne tarda pas a quitter ma mere en lui assignant pour toute pension alimentaire le revenu d’une hotte de chiffonnier qu’il lui mit sur le dos. La brave femme s’attacha a une troupe ambulante qui montrait des marionnettes; la fortune finit par la conduire a Rome, ou elle etablit un commerce d’huitres.

Vous avez sans doute entendu parler du pape Ganganelli, connu sous le nom de Clement XIV, et vous savez combien il aimait les huitres. Un vendredi qu’il allait en grande pompe dire la messe a l’eglise de Saint-Pierre, il apercut les huitres de ma mere – elles etaient remarquablement belles et extremement fraiches, m’a-t-elle dit souvent – et ne put faire autrement que de s’arreter pour en gouter; il fit faire halte aux cinq cents personnes qui le suivaient, et envoya dire a l’eglise qu’il ne pourrait pas celebrer la messe ce matin-la. Il descendit de cheval – car les papes vont a cheval dans les grandes occasions -, entra dans la boutique de ma mere, et avala toutes les huitres qui s’y trouvaient; mais comme il y en avait encore a la cave, il appela sa suite qui epuisa completement la provision: le pape et ses gens resterent jusqu’au soir, et avant de partir ils l’accablerent d’indulgences non seulement pour ses fautes passees et presentes, mais encore pour tous ses peches a venir.

Maintenant, messieurs, vous me permettrez de ne pas vous expliquer plus clairement ce que j’ai de commun avec cette histoire d’huitres: je pense que vous m’avez suffisamment compris pour etre fixe sur ma naissance.

CHAPITRE XIII Le baron reprend son recit.

Comme on peut bien le penser, les amis du baron ne cessaient de le supplier de continuer le recit aussi instructif qu’interessant de ses singulieres aventures; mais ces prieres resterent longtemps inutiles. Le baron avait la louable habitude de ne rien faire qu’a sa fantaisie, et l’habitude plus louable encore de ne se detourner sous aucun pretexte de ce principe bien arrete. Enfin le soir tant desire arriva, et un gros rire du baron annonca a ses amis que l’inspiration etait venue et qu’il allait satisfaire a leurs instances:

«

Pendant le dernier siege de Gibraltar, je m’embarquai sur une flotte commandee par Lord Rodney et destinee a ravitailler cette forteresse; je voulais rendre visite a mon vieil ami, le general Elliot, qui gagna a la defense de cette place des lauriers que le temps ne pourra fletrir. Apres avoir donne quelques instants aux premiers epanchements de l’amitie, je parcourus la forteresse avec le general, afin de reconnaitre les travaux et les dispositions de l’ennemi. J’avais apporte de Londres un excellent telescope a miroir, achete chez Dollon. Grace a cet instrument, je decouvris que l’ennemi pointait sur le bastion ou nous nous trouvions une piece de trente-six. Je le dis au general, qui verifia le fait et vit que je ne me trompais pas.

Avec sa permission, je me fis apporter une piece de quarante-huit prises a la batterie voisine, et je la pointai si juste – car pour ce qui est de l’artillerie, je puis dire sans me vanter que je n’ai pas encore trouve mon maitre -, que j’etais sur d’atteindre mon but.

J’observai alors avec la plus grande attention les mouvements des canonniers ennemis, et, au moment ou ils approchaient la meche de la lumiere, je donnai aux notres le signal de faire feu: les deux boulets parvenus a moitie de leur trajet se rencontrerent et se heurterent avec une violence terrible qui produisit un effet des plus surprenants. Le boulet ennemi retourna si vivement sur ses pas, que non seulement il broya la tete du canonnier qui l’avait envoye, mais qu’encore il decapita seize autres soldats qui s’enfuyaient vers la cote d’Afrique. Avant d’atteindre le pays de Barbarie, il coupa le grand mat de trois vaisseaux qui se trouvaient dans le port ranges en ligne les uns derriere les autres, penetra a deux cents milles anglais dans l’interieur des terres, effondra le toit d’une hutte de paysan, et, apres avoir enleve a une pauvre vieille qui y dormait sur le dos la seule dent qui lui restait, s’arreta enfin dans son gosier. Son mari, rentrant quelques instants apres, essaya de retirer le boulet: n’y pouvant reussir, il eut l’heureuse idee de l’enfoncer avec un maillet dans l’estomac de sa femme, d’ou il sortit quelque temps apres par la methode naturelle.

Ce ne fut pas la le seul service que nous rendit notre boulet: il ne se contenta pas de refouler de la facon que je viens de raconter celui de l’ennemi; mais, continuant son chemin, il enleva de son affut la piece pointee contre nous et la lanca avec une telle violence dans la coque d’un batiment, que ce dernier prit une voie d’eau enorme et sombra peu a peu avec un millier de matelots et un grand nombre de soldats de marine qui s’y trouvaient.

Ce fut sans contredit un fait extraordinaire. Je ne veux cependant pas me l’attribuer a moi seul: il est vrai que l’honneur de l’idee premiere en revient a ma sagacite, mais le hasard me seconda dans une certaine proportion. Ainsi je m’apercus, la chose faite, que notre piece de quarante-huit avait recu double charge de poudre; de la l’effet merveilleux produit sur le boulet ennemi, et la portee extreme de notre projectile.

Le general Elliot, pour me recompenser de ce service signale, m’offrit un brevet d’officier que je refusai, me contentant des remerciements qu’il me fit le soir meme a diner, en presence de tout son etat-major.

Comme je suis fort porte pour les Anglais, qui sont un peuple vraiment brave, je me mis dans la tete de ne pas quitter cette forteresse sans avoir rendu un nouveau service a ceux qui la defendaient; trois semaines apres l’affaire du canon de quarante-huit, il se presenta enfin une bonne occasion.

Je me deguisai en pretre catholique, sortis de la forteresse vers une heure du matin, et reussis a penetrer dans le camp de l’ennemi a travers ses lignes. Je me rendis a la tente ou le comte d’Artois avait reuni les chefs de corps et un grand nombre d’officiers pour leur communiquer le plan d’attaque de la forteresse, a laquelle il voulait donner l’assaut le lendemain. Mon deguisement me protegea si bien, que personne ne pensa a me repousser et que je pus ecouter tranquillement tout ce qui se dit. Le conseil fini, ils allerent se coucher, et je vis bientot l’armee entiere, tout le camp, jusqu’aux sentinelles, plonge dans le plus profond sommeil. Je me mis aussitot a l’?uvre: je demontai tous leurs canons au nombre de plus de trois cents, depuis les pieces de quarante-huit jusqu’a celles de vingt-quatre, et je les jetai a la mer, ou ils tomberent a environ trois milles de la: comme je n’avais personne pour m’aider, je puis dire que c’est le travail le plus penible que j’aie jamais accompli, a l’exception d’un seul cependant qu’on vous a fait connaitre en mon absence: je veux parler de l’enorme canon turc decrit par le baron Tott et avec lequel je traversai le canal a la nage.

Cette operation terminee, je transportai tous les affuts et tous les caissons au milieu du camp, et, de peur que le roulement des roues ne reveillat les gens, je les pris deux a deux sous les bras. Cela faisait un beau tas, aussi eleve pour le moins que les rochers de Gibraltar. Je saisis alors un fragment d’une piece de fer de quarante-huit, et me procurai du feu en le frappant contre un pan de mur, reste d’une construction mauresque, et qui etait enterre de vingt pieds au moins: j’allumai une meche et mis le feu au tas. J’oubliais de vous dire que j’avais jete sur le sommet toutes les munitions de guerre.

Comme j’avais soin de placer dans le bas les matieres les plus combustibles, la flamme s’elanca bientot haute et eclatante. Pour ecarter de moi tout soupcon, je fus le premier a donner l’alarme. Comme vous pouvez le penser, le camp se trouva saisi d’epouvante; on supposa, pour expliquer ce desastre, que les gens de la forteresse avaient fait une sortie, tue les sentinelles, et etaient parvenus a detruire l’artillerie.

M. Drinkwater, dans la relation qu’il a faite de ce siege celebre, parle bien d’une grande perte eprouvee par l’ennemi a la suite d’un incendie, mais il n’a pas su a quoi en attribuer la cause: cela, du reste, ne lui etait guere possible, car – bien que j’aie, a moi tout seul, dans cette nuit, sauve Gibraltar – je n’ai mis personne dans ma confidence, pas meme le general Elliot. Le comte d’Artois, pris d’une panique, s’enfuit avec tous ses gens, et, sans s’arreter en route, arriva d’une traite a Paris. La terreur que leur avait inspiree ce desastre fut telle, qu’ils ne purent manger de trois mois, et vecurent simplement de l’air du temps, a la facon des cameleons.

Environ deux mois apres que j’eus rendu cet eclatant service aux assieges, je me trouvais a dejeuner avec le general Elliot, quand tout a coup une bombe – je n’avais pas eu le temps d’envoyer les mortiers de l’ennemi rejoindre ses canons – penetra dans la chambre et tomba sur la table. Le general fit ce qu’aurait fait tout le monde en pareil cas, il sortit immediatement de la salle. Moi, je saisis la bombe avant qu’elle n’eclatat, et la portai au sommet du rocher. De cet observatoire j’apercus sur une falaise, non loin du camp ennemi, un grand rassemblement de gens; mais je ne pouvais distinguer a l’?il nu ce qu’ils faisaient. Je pris mon telescope, et je reconnus que c’etait l’ennemi qui, ayant arrete deux des notres, un general et un colonel avec lesquels j’avais dine la veille, et qui s’etaient introduits le soir dans le camp des assiegeants, s’appretait a les pendre en qualite d’espions.

La distance etait trop grande pour qu’il fut possible de lancer avec succes la bombe a la main. Heureusement je me souvins que j’avais dans ma poche la fronde dont David se servit si avantageusement contre Goliath. J’y placai ma bombe et la projetai au milieu du rassemblement. En touchant terre, elle eclata, et tua tous les assistants, a l’exception des deux officiers anglais, qui, pour leur bonheur, etaient deja pendus: un eclat sauta contre le pied de la potence et la fit tomber.

Nos deux amis, des qu’ils se sentirent sur la terre ferme, chercherent a s’expliquer ce singulier evenement; et voyant les gardes, les bourreaux et toute l’assistance occupes a mourir, ils se debarrasserent reciproquement de l’incommode cravate qui leur serrait le col, coururent au rivage, sauterent dans une barque espagnole, et se firent conduire a nos vaisseaux par les deux bateliers qui s’y trouvaient.

Quelques minutes apres, comme j’etais en train de raconter le fait au general Elliot, ils arriverent, et, apres un cordial echange de remerciements et d’explications, nous celebrames cette journee memorable le plus gaiement du monde.

Vous desirez tous, messieurs, je le lis dans vos yeux, savoir comment je possede un tresor aussi precieux que la fronde dont je viens de vous parler. Eh bien! je vais vous le dire. Je descends, vous ne l’ignorez sans doute pas, de la femme d’Urie, qui eut, comme vous savez, des relations tres intimes avec David. Mais avec le temps – cela se voit souvent – Sa Majeste se refroidit singulierement a l’endroit de la comtesse, car elle avait recu ce titre trois mois apres la mort de son mari. Un jour ils se prirent de querelle au sujet d’une question de la plus haute importance, qui etait de savoir dans quelle contree fut construite l’Arche de Noe et a quel endroit elle s’etait arretee apres le Deluge. Mon aieul avait la pretention de passer pour un grand antiquaire, et la comtesse etait presidente d’une societe historique: lui, avait cette faiblesse commune a la plupart des grands et a tous les petits, de ne pas souffrir la contradiction, et elle, ce defaut, special a son sexe, de vouloir avoir raison en toute chose; bref, une separation s’ensuivit.

Elle l’avait souvent entendu parler de cette fronde comme d’un objet des plus precieux, et trouva bon de l’emporter, sous pretexte de garder un souvenir de lui. Mais, avant que mon aieule eut franchi la frontiere, on s’apercut de la disparition de la fronde, et on lanca six hommes de la garde du roi pour la reprendre. La comtesse poursuivie se servit si bien de cet objet qu’elle atteignit un de ces soldats qui, plus zele que les autres, s’etait avance en tete de ses compagnons, precisement a la place ou Goliath avait ete frappe par David. Les gardes, voyant leur camarade tomber mort, delibererent murement et penserent que ce qu’il y avait de mieux a faire, c’etait d’en referer au roi: la comtesse, de son cote, jugea prudent de continuer son voyage vers l’Egypte, ou elle comptait de nombreux amis a la cour.

J’aurais du vous dire d’abord que de plusieurs enfants qu’elle avait eus de Sa Majeste, elle avait emmene dans son exil un fils, son fils bien-aime. La fertilite de l’Egypte ayant donne a ce fils plusieurs freres et s?urs, la comtesse lui laissa par un article particulier de son testament la fameuse fronde; et c’est de lui qu’elle m’est venue en ligne directe.

Mon arriere-arriere-grand-pere, qui possedait cette fronde, et qui vivait il y a environ deux cent cinquante ans, fit, dans un voyage en Angleterre, la connaissance d’un poete qui n’etait rien moins que plagiaire, et n’en etait que d’autant plus incorrigible braconnier; il s’appelait Shakespeare. Ce poete, sur les terres duquel, par droit de reciprocite sans doute, les Anglais et les Allemands braconnent aujourd’hui impudemment, emprunta maintes fois cette fronde a mon pere et tua, au moyen de cette arme, tant de gibier a Sir Thomas Lucy, qu’il faillit encourir le sort de mes deux amis de Gibraltar. Le pauvre homme fut jete en prison, et mon aieul lui fit rendre la liberte par un procede tout particulier.

La reine Elisabeth, qui regnait alors, etait devenue vers la fin de sa vie a charge a elle-meme. S’habiller, se deshabiller, manger, boire, accomplir enfin maintes autres fonctions que je n’enumerai point, lui rendaient la vie insupportable. Mon aieul la mit en etat de faire tout cela selon son caprice, par elle-meme ou par procuration. Et que pensez-vous que demanda mon pere en recompense de ce signale service, – la liberte de Shakespeare. La reine ne put lui rien faire accepter de plus. Cet excellent homme avait pris le poete en telle affection, qu’il eut volontiers donne une partie de sa vie pour prolonger celle de son ami.

Du reste, je puis vous assurer, messieurs, que la methode pratiquee par la reine Elisabeth, de vivre sans nourriture, n’obtint aucun succes aupres de ses sujets, au moins aupres de ces gourmands affames auxquels on a donne le nom de mangeurs de b?uf. Elle-meme n’y resista pas plus de sept ans et demi, au bout desquels elle mourut d’inanition.

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