Aventures Et Mesaventures Du Baron De Munchhausen - Burger Gottfried August 8 стр.


Mon pere duquel j’heritai la fronde peu de temps avant mon depart pour Gibraltar, me raconta l’anecdote suivante, que ses amis lui ont souvent entendu rapporter, et dont personne de ceux qui ont connu le digne vieillard ne revoquera la veracite.

«Dans l’un des nombreux sejours que je fis en Angleterre, me disait-il, je me promenais une fois sur le bord de la mer non loin de Harwick. Tout d’un coup voila un cheval marin qui s’elance furieux contre moi. Je n’avais pour toute arme que ma fronde, avec laquelle je lui envoyai deux galets si adroitement lances que je lui crevai les deux yeux. Je lui sautai alors sur le dos et le dirigeai vers la mer: car, en perdant les yeux, il avait perdu toute sa ferocite, et se laissait mener comme un mouton. Je lui passai ma fronde dans la bouche en guise de bride, et le poussai au large.

«En moins de trois heures nous eumes atteint le rivage oppose: nous avions fait trente milles dans ce court espace de temps. A Helvoetsluys je vendis ma monture moyennant sept cents ducats a l’hote des

, qui montra cette bete extraordinaire pour de l’argent et s’en fit un joli revenu – on peut en voir la description dans Buffon. Mais si singuliere que fut cette facon de voyager, ajoutait mon pere, les observations et les decouvertes qu’elle me permit de faire sont encore plus extraordinaires.

«L’animal sur le dos duquel j’etais assis ne nageait pas: il courait avec une incroyable rapidite sur le fond de la mer, chassant devant lui des millions de poissons tout differents de ceux qu’on a l’habitude de voir: quelques-uns avaient la tete au milieu du corps; d’autres au bout de la queue; d’autres etaient ranges en cercle et chantaient des ch?urs d’une beaute inexprimable; d’autres construisaient avec l’eau des edifices transparents, entoures de colonnes gigantesques dans lesquelles ondulait une matiere fluide et eclatante comme la flamme la plus pure. Les chambres de ces edifices offraient toutes les commodites desirables aux poissons de distinction: quelques-unes etaient amenagees pour la conservation du frais; une suite de salles spacieuses etait consacree a l’education des jeunes poissons. La methode d’enseignement – autant que j’en pus juger par mes yeux, car les paroles etaient aussi inintelligibles pour moi que le chant des oiseaux ou le dialogue des grillons -, cette methode me semble presenter tant de rapport avec celle employee de notre temps dans les etablissements philanthropiques, que je suis persuade qu’un de ces theoriciens a fait un voyage analogue au mien, et peche ses idees dans l’eau; plutot que de les avoir attrapees dans l’air. Du reste, de ce que je viens de vous dire vous pouvez conclure qu’il reste encore au monde un vaste champ ouvert a l’exploitation et a l’observation. Mais je reprends mon recit.

«Entre autres incidents de voyage, je passai sur une immense chaine de montagnes, aussi elevee, pour le moins, que les Alpes. Une foule de grands arbres d’essences variees s’accrochaient aux flancs des rochers.

«Sur ces arbres poussaient des homards, des ecrevisses, des huitres, des moules, des colimacons de mer, dont quelques-uns si monstrueux qu’un seul eut suffi a la charge d’un chariot, et le plus petit ecrase un portefaix. Toutes les pieces de cette espece qui echouent sur nos rivages et qu’on vend dans nos marches ne sont que de la misere, que l’eau enleve des branches tout comme le vent fait tomber des arbres le menu fruit. Les arbres a homards me parurent les mieux fournis: mais ceux a ecrevisses et a huitres etaient les plus gros. Les petits colimacons de mer poussent sur des especes de buissons qui se trouvent presque toujours au pied des arbres a ecrevisses, et les enveloppent comme fait le lierre sur le chene.

«Je remarquai aussi le singulier phenomene produit par un navire naufrage. Il avait, a ce qu’il me sembla, donne contre un rocher, dont la pointe etait a peine a trois toises au-dessous de l’eau, et en coulant bas s’etait couche sur le cote. Il etait descendu sur un arbre a homards et en avait detache quelques fruits, lesquels etaient tombes sur un arbre a ecrevisses place plus bas. Comme la chose se passait au printemps et que les homards etaient tout jeunes, ils s’unirent aux ecrevisses; il en resulta un fruit qui tenait des deux especes a la fois. Je voulus, pour la rarete du fait, en cueillir un sujet; mais ce poids m’aurait fort embarrasse, et puis mon pegase ne voulait pas s’arreter.

«J’etais a peu pres a moitie route, et me trouvais dans une vallee situee a cinq cents toises au moins au-dessous de la surface de la mer: je commencais a souffrir du manque d’air. Au surplus, ma position etait loin d’etre agreable sous bien d’autres rapports. Je rencontrais de temps en temps de gros poissons qui, autant que j’en pouvais juger par l’ouverture de leurs gueules, ne paraissaient pas eloignes de vouloir nous avaler tous deux. Ma pauvre Rossinante etait aveugle, et je ne dus qu’a ma prudence d’echapper aux intentions hostiles de ces messieurs affames. Je continuai donc a galoper, dans le but de me mettre le plus tot possible a sec.

«Parvenu assez pres des rives de la Hollande, et n’ayant plus guere qu’une vingtaine de toises d’eau sur la tete, je crus apercevoir, etendue sur le sable, une forme humaine, qu’a ses vetements je reconnus etre un corps de femme. Il me sembla qu’elle donnait encore quelques signes de vie, et, m’etant approche, je la vis, en effet, remuer la main. Je saisis cette main et ramenai sur le bord ce corps d’apparence cadaverique. Quoique l’art de reveiller les morts fut moins avance a cette epoque qu’aujourd’hui, ou a chaque porte d’auberge on lit sur un ecriteau:

«Ce fut en ce moment que mon etoile me fit la rencontrer et me permit de rendre a la terre un couple heureux et fidele.

«Je me represente aisement les benedictions dont monsieur son mari dut me combler en retrouvant, a son retour, sa tendre epouse sauvee par moi. Au reste, pour mauvais que fut le tour que j’avais joue a ce pauvre diable, mon c?ur en reste parfaitement innocent. J’avais agi par pure charite, sans me douter des affreuses consequences que ma bonne action devait amener.

C’est la que se terminait habituellement le recit de mon pere, recit que m’a rappele la fameuse fronde dont je vous ai entretenu et qui, apres avoir ete conservee si longtemps dans ma famille et lui avoir rendu tant de services signales, joua son reste contre le cheval de mer: elle put encore me servir en envoyant par ma main, ainsi que je vous l’ai raconte, une bombe au milieu des Espagnols, et en sauvant mes deux amis de la potence; mais ce fut la son dernier exploit; elle s’en alla en grande partie avec la bombe, et le morceau, ce qui m’en resta dans la main, est conserve aujourd’hui dans les archives de notre famille, a cote d’un grand nombre d’antiquites des plus precieuses.

Peu de temps apres, je quittai Gibraltar et retournai en Angleterre, ou il m’arriva une des plus singulieres aventures de ma vie.

Je m’etais rendu a Wapping pour surveiller l’embarquement de divers objets que j’envoyais a plusieurs de mes amis de Hambourg; l’operation terminee, je revins par le

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juin, jour anniversaire de la naissance du roi Georges III, et, a une heure, tous les canons devaient tirer pour feter cette solennite. On les avait charges le matin, et comme personne ne pouvait soupconner ma presence en pareil lieu, je fus lance par-dessus les maisons, de l’autre cote du fleuve, dans une cour de ferme entre Benmondsey et Deptford. Je tombai sur une grande meule de foin, ou je restai sans me reveiller, ce qui s’explique par l’etourdissement qui m’avait saisi dans le trajet.

Environ trois mois apres, le foin haussa si considerablement de prix, que le fermier jugea avantageux de vendre sa provision de fourrage. La meule ou je me trouvais etait la plus grande de toutes, et representait au moins cinq cents quintaux. Ce fut donc par elle qu’on commenca. Le bruit des gens qui y avaient applique leurs echelles pour l’escalader me reveilla enfin. Encore plonge dans un demi-sommeil, ne sachant pas ou j’etais, je voulus m’enfuir et tombai juste sur le proprietaire du foin. Je ne me fis pas la plus legere egratignure dans cette chute, mais le fermier n’en fut que plus maltraite: il fut tue roide, car je lui avais, bien innocemment, casse le col. Pour le repos de conscience, j’appris plus tard que le drole etait un infame juif, qui entassait ses fruits et ses cereales dans son grenier, jusqu’au moment ou leur rarete excessive lui permettrait de les vendre a des prix exorbitants: de sorte que cette mort violente fut une juste punition de ses crimes et un service rendu au bien public.

Mais quel fut mon etonnement, lorsque, entierement revenu a moi-meme, j’essayai de rattacher mes pensees presentes a celles avec lesquelles je m’etais endormi trois mois auparavant! Quelle fut la surprise de mes amis de Londres en me voyant reparaitre apres les recherches infructueuses qu’ils avaient faites pour me retrouver! Vous pouvez, messieurs, vous l’imaginer facilement.

Maintenant, messieurs, buvons un coup, que je vous raconte encore un couple de mes aventures de mer.

CHAPITRE XIV Huitieme aventure de mer.

Vous avez sans doute entendu parler du dernier voyage de decouverte accompli au pole Nord par le capitaine Phipps, aujourd’hui Lord Mulgrave. J’accompagnais le capitaine, non pas en qualite d’officier, mais a titre d’ami et d’amateur. Quand nous fumes arrives a un degre fort avance de latitude nord, je pris mon telescope avec lequel vous avez fait connaissance a l’occasion du recit de mes aventures a Gibraltar, et j’examinai les objets qui nous environnaient. Car, soit dit en passant, je trouve qu’il est bon, surtout en voyage, de regarder de temps en temps ce qui se passe autour de soi.

A environ un demi-mille en avant de nous flottait un immense glacon, aussi haut pour le moins que notre grand mat, et sur lequel je vis deux ours blancs qui, autant que j’en pus juger, etaient engages dans un duel acharne. Je saisis mon fusil et descendis sur la glace. Mais lorsque j’en eus atteint le sommet, je m’apercus que le chemin que je suivais etait extremement dangereux et difficile. Par moments j’etais oblige de sauter par-dessus d’effroyables precipices; dans d’autres endroits la glace etait polie et glissante comme un miroir, de sorte que je ne faisais que tomber et me relever. Je parvins cependant a atteindre les ours, mais en meme temps je reconnus qu’au lieu de se battre, ils etaient simplement en train de jouer ensemble.

Je calculais deja la valeur de leur peau, car chacun d’eux etait au moins aussi gros qu’un b?uf gras; par malheur, au moment ou j’ajustai mon arme, le pied droit me glissa, je tombai en arriere, et perdis, par la violence de la chute, connaissance pour plus d’un quart d’heure. Representez-vous l’epouvante dont je fus saisi, lorsque, revenant a moi, je sentis qu’un des deux monstres m’avait retourne sur le ventre, et tenait deja entre ses dents la ceinture de ma culotte de peau. La partie superieure de mon corps etait appuyee sur la poitrine de l ‘animal, et mes jambes s’etalaient en avant. Dieu sait ou l’horrible bete m’eut entraine; mais je ne perdis pas la tete: je tirai mon couteau – le couteau que voici, messieurs -, je saisis la patte gauche de l’ours et lui coupai trois doigts: il me lacha alors et se mit a hurler terriblement. Je pris mon fusil, je fis feu au moment ou la bete se mettait en devoir de s’en retourner et je l’etendis morte. Le monstre sanguinaire etait endormi du sommeil eternel; mais le bruit de mon arme avait reveille plusieurs milliers de ses compagnons qui reposaient sur la glace dans un rayon d’un quart de lieue. Ils coururent tous sur moi a franc etrier.

Il n’y avait pas de temps a perdre; c’en etait fait de moi s’il ne m’arrivait pas une idee lumineuse et immediate: elle arriva! En moins de temps qu’il ne faut a un chasseur habile pour depiauter un lievre, je deshabillai l’ours mort, m’enveloppai de sa robe et cachai ma tete sous la sienne. J’avais a peine termine cette operation, que toute la troupe s’assembla autour de moi. J’avoue que je sentais, sous ma fourrure, des alternatives terribles de chaud et de froid. Cependant ma ruse reussit a merveille. Ils vinrent l’un apres l’autre me flairer, et parurent me prendre pour un de leurs confreres. J’en avais du reste a peu pres la mine; avec un peu plus de corpulence la ressemblance eut ete parfaite, et meme il y avait dans l’assemblee plusieurs petits jeunes ours qui n’etaient guere plus gras que moi; apres qu’ils m’eurent bien flaire, moi et le cadavre de ma victime; nous nous familiarisames rapidement: j’imitais parfaitement tous leurs gestes et tous leurs mouvements; mais pour ce qui etait du grondement, du mugissement et du hurlement, je dois reconnaitre qu’ils etaient plus forts que moi. Cependant, pour ours que je parusse, je n’en etais pas moins homme! Je commencai a chercher le meilleur moyen de mettre a profit la familiarite qui s’etait etablie entre ces betes et moi.

J’avais entendu dire autrefois par un vieux chirurgien militaire qu’une incision faite a l’epine dorsale cause instantanement la mort. Je resolus d’en faire l’experience. Je repris mon couteau, et en frappai le plus grand des ours pres de l’epaule, a la nuque: convenez que le coup etait hardi; et j’avais des raisons d’etre inquiet. Si la bete survivait a la blessure, c’en etait fait de moi, j’etais reduit en pieces. Heureusement ma tentative reussit, l’ours tomba mort a mes pieds, sans plus faire un mouvement. Je pris donc le parti d’expedier de cette facon tous les autres, et cela ne fut pas difficile: car, bien qu’ils vissent de droite et de gauche tomber leurs freres, ils ne se mefiaient de rien, ne songeant ni a la cause ni au resultat de la chute successive de ces infortunes: ce fut la ce qui me sauva. Quand je les vis tous etendus morts autour de moi, je me sentis aussi fier que Samson apres la defaite des Philistins.

Bref, je retournai au navire, je demandai les trois quarts de l’equipage pour m’aider a retirer les peaux et a apporter les jambons a bord. Nous jetames le surplus a l’eau, bien que, convenablement sale, cela eut fait un aliment fort supportable.

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