Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian 12 стр.


Quatrieme histoire Prince et princesse

Encore une fois, Gerda dut se reposer, elle s'assit. Alors sur la neige une corneille sautilla aupres d'elle, une grande corneille qui la regardait depuis un bon moment en secouant la tete. Elle fit Kra! Kra! bonjour, bonjour. Elle ne savait dire mieux, mais avait d'excellentes intentions. Elle demanda a la petite fille ou elle allait ainsi, toute seule, a travers le monde.

Le mot seule, Gerda le comprit fort bien, elle sentait mieux que quiconque tout ce qu'il pouvait contenir, elle raconta toute sa vie a la corneille et lui demanda si elle n'avait pas vu Kay.

La corneille hochait la tete et semblait reflechir.

– Mais, peut-etre bien, ca se peut…

– Vraiment! tu le crois? cria la petite fille.

Elle aurait presque tue la corneille tant elle l'embrassait.

– Doucement, doucement, fit la corneille. Je crois que ce pourrait bien etre Kay, mais il t'a sans doute oubliee pour la princesse.

– Est-ce qu'il habite chez une princesse? demanda Gerda.

– Oui, ecoute, mais je m'exprime si mal dans ta langue. Si tu comprenais le parler des corneilles, ce me serait plus facile.

– Non, ca je ne l'ai pas appris, dit Gerda, mais grand-mere le savait, elle savait tout. Si seulement je l'avais appris!

– Ca ne fait rien, je raconterai comme je pourrai, tres mal surement.

Et elle se mit a raconter.

Dans ce royaume ou nous sommes, habite une princesse d'une intelligence extraordinaire.

L'autre jour qu'elle etait assise sur le trone-ce n'est pas si amusant d'apres ce qu'on dit-elle se mit a fredonner «Pourquoi ne pas me marier?»

– Tiens, ca me donne une idee! s'ecria-t-elle. Et elle eut envie de se marier, mais elle voulait un mari capable de repondre avec esprit quand on lui parlait de toutes choses.

– Chaque mot que je dis est la pure verite, interrompit la corneille. J'ai une fiancee qui est apprivoisee et se promene librement dans le chateau, c'est elle qui m'a tout raconte.

Sa fiancee etait naturellement aussi une corneille, car une corneille male cherche toujours une fiancee de son espece.

Tout de suite les journaux parurent avec une bordure de coeurs et l'initiale de la princesse. On y lisait que tout jeune homme de bonne apparence pouvait monter au chateau et parler a la princesse, et celui qui parlerait de facon que l'on comprenne tout de suite qu'il etait bien a sa place dans un chateau, que celui enfin qui parlerait le mieux, la princesse le prendrait pour epoux.

– Oui! oui! tu peux m'en croire, c'est aussi vrai que me voila, dit la corneille, les gens accouraient, quelle foule, quelle presse, mais sans succes le premier, ni le second jour. Ils parlaient tous tres facilement dans la rue, mais quand ils avaient depasse les grilles du palais, vu les gardes en uniforme brode d'argent, les laquais en livree d'or sur les escaliers et les grands salons illumines, ils etaient tout deconcertes, ils se tenaient devant le trone ou la princesse etait assise et ne savaient que dire sinon repeter le dernier mot qu'elle avait prononce, et ca elle ne se souciait nullement de l'entendre repeter. On aurait dit que tous ces pretendants etaient tombes en lethargie-jusqu'a ce qu'ils se retrouvent dehors, dans la rue, alors ils retrouvaient la parole. Il y avait queue depuis les portes de la ville jusqu'au chateau, affirma la corneille. Quand ils arrivaient au chateau, on ne leur offrait meme pas un verre d'eau.

Les plus avises avaient bien apporte des tartines mais ils ne partageaient pas avec leurs voisins, ils pensaient:

«S'il a l'air affame, la princesse ne le prendra pas.»

– Mais Kay, mon petit Kay, quand m'en parleras-tu? Etait-il parmi tous ces gens-la?-Patience! patience! nous y sommes. Le troisieme jour arriva un petit personnage sans cheval ni voiture, il monta d'un pas decide jusqu'au chateau, ses yeux brillaient comme les tiens, il avait de beaux cheveux longs, mais ses vetements etaient bien pauvres.

– C'etait Kay, jubila Gerda. Enfin je l'ai trouve.

Et elle battit des mains.

– Il avait un petit sac sur le dos, dit la corneille.

– Non, c'etait surement son traineau, dit Gerda, il etait parti avec.

– Possible, repondit la corneille, je n'y ai pas regarde de si pres, mais ma fiancee apprivoisee m'a dit que lorsqu'il entra par le grand portail, qu'il vit les gardes en uniforme brode d'argent, les laquais des escaliers vetus d'or, il ne fut pas du tout intimide, il les salua, disant:

– Comme ce doit etre ennuyeux de rester sur l'escalier, j'aime mieux entrer. Les salons etaient brillamment illumines, les Conseillers particuliers et les Excellences marchaient pieds nus et portaient des plats en or, c'etait quelque chose de tres imposant. Il avait des souliers qui craquaient tres fort, mais il ne se laissa pas impressionner.

– C'est surement Kay, dit Gerda, je sais qu'il avait des souliers neufs et je les entendais craquer dans la chambre de grand-maman.

Mais plein d'assurance, il s'avanca jusque devant la princesse qui etait assise sur une perle grande comme une roue de rouet.

Toutes les dames de la cour avec leurs servantes et les servantes de leurs servantes, et tous les chevaliers avec leurs serviteurs et les serviteurs de leurs serviteurs qui eux-memes avaient droit a un petit valet, se tenaient debout tout autour et plus ils etaient pres de la porte, plus ils avaient l'air fier. Le valet du domestique du premier serviteur qui se promene toujours en pantoufles, on ose a peine le regarder tellement il a l'air fier debout devant la porte.

– Mais est-ce que Kay a tout de meme eu la princesse?

– Si je n'etais pas corneille, je l'aurais prise. Il etait decide et charmant, il n'etait pas venu en pretendant mais seulement pour juger de l'intelligence de la princesse et il la trouva remarquable… et elle le trouva tres bien aussi.

– C'etait lui, c'etait Kay, s'ecria Gerda, il etait si intelligent, il savait calculer de tete meme avec les chiffres decimaux. Oh! conduis-moi au chateau…

– C'est vite dit, repartit la corneille, mais comment? J'en parlerai a ma fiancee apprivoisee, elle saura nous conseiller car il faut bien que je te dise qu'une petite fille comme toi ne peut pas entrer la regulierement.

– Si, j'irai, dit Gerda. Quand Kay entendra que je suis la il sortira tout de suite pour venir me chercher.

– Attends-moi la pres de l'escalier.

Elle secoua la tete et s'envola.

Il faisait nuit lorsque la corneille revint.

– Kra! Kra! fit-elle. Ma fiancee te fait dire mille choses et voici pour toi un petit pain qu'elle a pris a la cuisine. Ils ont assez de pain la-dedans et tu dois avoir faim. Il est impossible que tu entres au chateau-tu n'as pas de chaussures-les gardes en argent et les laquais en or ne le permettraient pas, mais ne pleure pas, tu vas tout de meme y aller. Ma fiancee connait un petit escalier derobe qui conduit a la chambre a coucher et elle sait ou elle peut en prendre la cle.

Alors la corneille et Gerda s'en allerent dans le jardin, dans les grandes allees ou les feuilles tombaient l'une apres l'autre, puis au chateau ou les lumieres s'eteignaient l'une apres l'autre et la corneille conduisit Gerda jusqu'a une petite porte de derriere qui etait entrebaillee.

Oh! comme le coeur de Gerda battait d'inquietude et de desir, comme si elle faisait quelque chose de mal, et pourtant elle voulait seulement savoir s'il s'agissait bien de Kay-oui, ce ne pouvait etre que lui, elle pensait si intensement a ses yeux intelligents, a ses longs cheveux, elle le voyait vraiment sourire comme lorsqu'ils etaient a la maison sous les roses. Il serait surement content de la voir, de savoir quel long chemin elle avait fait pour le trouver.

Les voila dans l'escalier ou brulait une petite lampe sur un buffet; au milieu du parquet se tenait la corneille apprivoisee qui tournait la tete de tous les cotes et considerait Gerda, laquelle fit une reverence comme grand-mere le lui avait appris.

– Mon fiance m'a dit tant de bien de vous, ma petite demoiselle, dit la corneille apprivoisee, du reste votre curriculum vitae, comme on dit, est si touchant. Voulez-vous tenir la lampe, je marcherai devant. Nous irons tout droit, ici nous ne rencontrerons personne.

– Il me semble que quelqu'un marche juste derriere nous, dit Gerda. Quelque chose passa pres d'elle en bruissant, sur les murs glissaient des ombres: chevaux aux crinieres flottantes et aux jambes fines, jeunes chasseurs, cavaliers et cavalieres.

– Reves que tout cela, dit la corneille. Ils viennent seulement orienter vers la chasse les reves de nos princes, nous pourrons d'autant mieux les contempler dans leur lit. Mais autre chose: si vous entrez en grace et prenez de l'importance ici, vous montrerez-vous reconnaissante?

– Ne parlons pas de ca, dit la corneille de la foret.

Ils entrerent dans la premiere salle tendue de satin rose a grandes fleurs, les reves les avaient depasses et couraient si vite que Gerda ne put apercevoir les hauts personnages. Les salles se succedaient l'une plus belle que l'autre, on en etait impressionne… et ils arriverent a la chambre a coucher.

Le plafond ressemblait a un grand palmier aux feuilles de verre precieux, et au milieu du parquet se trouvaient, accroches a une tige d'or, deux lits qui ressemblaient a des lis, l'un etait blanc et la princesse y etait couchee, l'autre etait rouge et c'est dans celui-la que Gerda devait chercher le petit Kay. Elle ecarta quelques petales rouges et apercut une nuque brune.

– Oh! c'est Kay! cria-t-elle tout haut en elevant la lampe vers lui.

Les reves a cheval bruissaient dans la chambre. Il s'eveilla, tourna la tete vers elle-et ce n'etait pas le petit Kay…

Le prince ne lui ressemblait que par la nuque mais il etait jeune et beau.

Alors la petite Gerda se mit a pleurer, elle raconta toute son histoire et ce que les corneilles avaient fait pour l'aider.

– Pauvre petite, s'exclamerent le prince et la princesse. Ils louerent grandement les corneilles, declarant qu'ils n'etaient pas du tout faches mais qu'elles ne devaient tout de meme pas recommencer. Cependant ils voulaient leur donner une recompense.

– Voulez-vous voler librement? demanda la princesse, ou voulez-vous avoir la charge de corneilles de la cour ayant droit a tous les dechets de la cuisine?

Les deux corneilles firent la reverence et demanderent une charge fixe; elles pensaient a leur vieillesse et qu'il est toujours bon d'avoir quelque chose de sur pour ses vieux jours.

Le prince se leva de son lit et permit a Gerda d'y dormir. Il ne pouvait vraiment faire plus. Elle joignit ses petites mains et pensa:

«Comme il y a des etres humains et aussi des animaux qui sont bons!» La-dessus elle ferma les yeux et s'endormit delicieusement.

Tous les reves voltigerent a nouveau autour d'elle, cette fois ils avaient l'air d'anges du Bon Dieu, ils portaient un petit traineau sur lequel etait assis Kay qui saluait. Mais tout ceci n'etait que reve et disparut des qu'elle s'eveilla.

Le lendemain on la vetit de la tete aux pieds de soie et de velours, elle fut invitee a rester au chateau et a couler des jours heureux mais elle demanda seulement une petite voiture attelee d'un cheval et une paire de petites bottines, elle voulait repartir de par le monde pour retrouver Kay.

On lui donna de petites bottines et un manchon, on l'habilla a ravir et au moment de partir un carrosse d'or pur attendait devant la porte. La corneille de la foret, mariee maintenant, les accompagna pendant trois lieues, assise a cote de la petite fille car elle ne pouvait supporter de rouler a reculons, la deuxieme corneille, debout a la porte, battait des ailes, souffrant d'un grand mal de tete pour avoir trop mange depuis qu'elle avait obtenu un poste fixe, elle ne pouvait les accompagner. Le carrosse etait bourre de craquelins sucres, de fruits et de pains d'epice.

– Adieu! Adieu! criaient le prince et la princesse.

Gerda pleurait, la corneille pleurait, les premieres lieues passerent ainsi, puis la corneille fit aussi ses adieux et ce fut la plus dure separation. Elle s'envola dans un arbre et battit de ses ailes noires aussi longtemps que fut en vue la voiture qui rayonnait comme le soleil lui-meme.

Cinquieme histoire La petite fille des brigands

On roulait a travers la sombre foret et le carrosse luisait comme un flambeau. Des brigands qui se trouvaient la en eurent les yeux blesses, ils ne pouvaient le supporter.

– De l'or! de l'or! criaient-ils.

S'elancant a la tete des chevaux, ils massacrerent les petits postillons, le cocher et les valets et tirerent la petite Gerda hors de la voiture.

– Elle est grassouillette, elle est mignonne et nourrie d'amandes, dit la vieille brigande qui avait une longue barbe broussailleuse et des sourcils qui lui tombaient sur les yeux. C'est joli comme un petit agneau gras, ce sera delicieux a manger.

Elle tira son grand couteau et il luisait d'une facon terrifiante.

– Aie! criait en meme temps cette megere.

Sa propre petite fille qu'elle portait sur le dos et qui etait sauvage et mal elevee a souhait, venait de la mordre a l'oreille.

– Sale petite! fit la mere.

Elle n'eut pas le temps de tuer Gerda, sa petite fille lui dit:

– Elle jouera avec moi, qu'elle me donne son manchon, sa jolie robe et je la laisserai coucher dans mon lit.

Elle mordit de nouveau sa mere qui se debattait et se tournait de tous les cotes. Les brigands riaient.

– Voyez comme elle danse avec sa petite!

– Je veux monter dans le carrosse, dit la petite fille des brigands.

Et il fallut en passer par ou elle voulait, elle etait si gatee et si difficile. Elle s'assit aupres de Gerda et la voiture repartit par-dessus les souches et les broussailles plus profondement encore dans la foret. La fille des brigands etait de la taille de Gerda mais plus forte, plus large d'epaules, elle avait le teint sombre et des yeux noirs presque tristes. Elle prit Gerda par la taille, disant:

– Ils ne te tueront pas tant que je ne serai pas fachee avec toi. Tu es surement une princesse.

– Non, repondit Gerda.

Et elle lui raconta tout ce qui lui etait arrive et combien elle aimait le petit Kay.

La fille des brigands la regardait d'un air serieux, elle fit un signe de la tete.

Elle essuya les yeux de Gerda et mit ses deux mains dans le manchon. Qu'il etait doux!

Le carrosse s'arreta, elles etaient au milieu de la cour d'un chateau de brigands, tout lezarde du haut en bas, des corbeaux, des corneilles s'envolaient de tous les trous et les grands bouledogues, qui avaient chacun l'air capable d'avaler un homme, bondissaient mais n'aboyaient pas, cela leur etait defendu.

Dans la grande vieille salle noire de suie, brulait sur le dallage de pierres un grand feu, la fumee montait vers le plafond et cherchait une issue, une grande marmite de soupe bouillait et sur des broches rotissaient lievres et lapins.

– Tu vas dormir avec moi et tous mes petits animaux preferes! dit la fille des brigands.

Apres avoir bu et mange elles allerent dans un coin ou il y avait de la paille et des couvertures. Au-dessus, sur des lattes et des barreaux se tenaient une centaine de pigeons qui avaient tous l'air de dormir mais ils tournerent un peu la tete a l'arrivee des fillettes.

– Ils sont tous a moi, dit la petite fille des brigands.

Elle attrapa un des plus proches, le tint par les pattes.

– Embrasse-le! cria-t-elle en le claquant a la figure de Gerda.

– Et voila toutes les canailles de la foret, continua-t-elle, en montrant une quantite de barreaux masquant un trou tres haut dans le mur.

– Ce sont les canailles de la foret, ces deux-la, ils s'envolent tout de suite si on ne les enferme pas bien. Et voici le plus cheri, mon vieux Bee!

Назад Дальше