Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian 2 стр.


– Maintenant que nous voila redevenus intimes comme autrefois, ne serait-il pas mieux de nous tutoyer de nouveau?

– Votre proposition est tres flatteuse, repondit l'Ombre d'un air pince qui convenait a sa qualite de maitre; mais comprenez bien ceci que je vais vous dire en toute franchise. Je me sentirais tout bouleverse, si vous veniez me tutoyer de nouveau; cela me rappellerait trop mon ancienne position subalterne. Mais je veux bien, moi, vous tutoyer: de la sorte votre desir sera accompli au moins a moitie.

Et ainsi fut fait. Le brave savant ne protesta pas.

«Il parait que c'est le cours du monde», se dit-il, et il n'y pensa plus.

Ils s'installerent dans une ville d'eaux ou il y avait beaucoup d'etrangers de distinction, et entre autres la fille d'un roi, merveilleusement belle; elle etait venue pour se faire guerir d'une grave maladie: sa vue etait trop percante; elle voyait les choses trop distinctement et cela lui enlevait toute illusion.

Elle remarqua que le seigneur nouvellement arrive n'etait pas un seigneur ordinaire.

«On pretend qu'il est ici, se dit-elle, pour que les eaux fassent croitre sa barbe; moi je sais a quoi m'en tenir sur son infirmite, c'est qu'il ne projette pas d'ombre.»

Sa curiosite etait vivement eveillee, et a la promenade elle se fit aussitot presenter le seigneur etranger. En sa qualite de fille d'un puissant roi, elle n'etait pas habituee a user de circonlocutions; aussi dit-elle a brule-pourpoint:-Je connais votre maladie; vous souffrez de ne pas avoir d'ombre.

– Vos paroles me remplissent de joie, repondit l'Ombre, elles me prouvent que Votre Altesse Royale est sur la voie de guerison et que votre vue commence a se troubler et a vous abuser. Loin de ne pas avoir d'ombre, j'en ai une tout extraordinaire; c'est dans ma nature de rechercher tout ce qui est particulier, et je ne me suis pas contentee d'une de ces ombres comme en ont les hommes en general. J'ai pour ombre un homme en chair et en os; qui plus est, de meme que souvent on donne a ses domestiques pour leur livree un drap plus fin que celui qu'on porte soi-meme, j'ai tant fait que cet etre a lui-meme une ombre. Cela m'est revenu bien cher; mais encore une fois je raffole de ce qui est rare.

– Que me dites-vous la? s'ecria la princesse. Oh! bonheur, mes yeux commencent a me tromper! Ces eaux sont vraiment admirables.

Ils se separerent avec les plus grands saluts.

«Je pourrais cesser ma cure, se dit-elle; mais je veux encore rester quelque temps. Ce prince m'interesse beaucoup…»

Le soir, dans la grande salle de bal, la fille du roi et l'Ombre firent un tour de danse. Elle etait legere comme une plume; mais lui etait leger comme l'air; jamais elle n'avait rencontre un pareil danseur. Elle lui dit quel etait le royaume de son pere; l'Ombre connaissait le pays, l'ayant visite dans le temps. La princesse alors en etait absente. L'Ombre s'etait amusee, selon son ordinaire, a grimper aux murs du palais du roi et a regarder par les fenetres, par les ouvertures des rideaux et meme par le trou des serrures; elle avait appris une foule de petits secrets de la cour, auxquels, en causant avec la princesse, elle fit de fines allusions.

«Que d'esprit et de tact il a, ce jeune et galant prince!» se dit la princesse, et elle se sentit un grand penchant pour lui. L'Ombre s'en apercut redoubla d'amabilite. A la troisieme danse, la princesse fut sur le point de lui avouer que son coeur etait touche; mais elle avait un fond de raison et pensait a son royaume; elle se dit:

«Ce prince est fort spirituel, sa conversation est tres interessante, c'est fort bien; il danse divinement, c'est encore mieux. Mais, pour qu'il puisse m'aider a gouverner mes millions de sujets, il faudrait aussi qu'il eut de solides connaissances: c'est tres important; aussi vais-je lui faire subir un petit examen.»

Et elle lui adressa une question si extraordinairement difficile, qu'elle-meme n'aurait pas ete en etat d'y repondre. L'Ombre fit une legere moue.

– Vous ne connaissez pas la solution? dit-elle d'un air desappointe.

– Ce n'est pas cela, dit l'Ombre; seulement je suis un peu deconcertee parce que vous n'avez pas cru devoir m'interroger sur une matiere un peu plus ardue. Quant a cette question, je connais la reponse depuis ma premiere jeunesse, au point que mon ombre, qui se tient la-bas, pourrait vous en dire la solution.

– Votre ombre! s'ecria la princesse, mais ce serait un phenomene unique.

– Je ne l'assure pas entierement, dit l'Ombre, mais je crois qu'il en est ainsi. Toute ma vie je me suis occupee de science et il est naturel que mon ombre tienne de moi. Seulement, en raison meme des connaissances qu'elle a pu acquerir, elle ne manque pas d'orgueil et elle a la pretention d'etre traitee comme un etre humain veritable. Je me permettrai de prier votre Altesse Royale de tolerer sa manie, afin qu'elle reste de bonne humeur et reponde convenablement.

– Rien de plus juste, dit la princesse.

Elle alla trouver le savant, qui se tenait contre la porte, et elle causa avec lui du soleil et de la lune, des profondeurs des cieux et des entrailles de la terre; elle l'interrogea sur les nations des contrees les plus eloignees. Il ne resta pas court une seule fois, et il apprit a la princesse les choses les plus interessantes.

«Celui qui a une ombre aussi savante, se dit-elle, doit etre un veritable phenix. Ce sera une benediction pour mon peuple, que je le choisisse pour partager mon trone: ma resolution est prise.»

Elle fit connaitre ses intentions a l'Ombre, qui les accueillit avec une grace et une dignite parfaites. Il fut convenu que la chose serait tenue secrete, jusqu'au moment ou l'on serait de retour dans le royaume de la princesse.

– C'est cela, dit l'Ombre, nous ne laisserons rien deviner a personne, pas meme a mon ombre.

Elle avait ses raisons particulieres pour prendre cette precaution.

– Ecoute bien, mon ami, dit l'Ombre a son ancien maitre le savant. Je suis arrivee au comble de la puissance et de la richesse et je pense a faire ta fortune. Tu habiteras avec moi le palais du roi et tu auras cent mille ecus par an. Mais, prends en bien note, tu passeras plus que jamais pour mon ombre, et tu ne reveleras a personne que tu as toujours ete un homme.

– Non, je ne veux pas tremper dans cette fourberie. A moi il serait egal d'etre votre inferieur, mais je ne veux pas que vous trompiez tout un peuple et la fille du roi par-dessus le marche. Je dirai tout; que je suis un homme, que vous n'etes qu'une ombre vetue d'habits d'homme, un reflet, une chimere.

– Personne ne te croira, dit l'Ombre. Calme-toi, ou j'appelle la garde.

– Je m'en vais trouver la princesse, dit le savant, et tout lui reveler.

– J'y serai avant toi, dit l'Ombre, car tu vas aller tout droit en prison.

La garde arriva et obeit a celui qui etait connu comme le fiance de la fille du roi. Le pauvre savant fut jete dans un noir cachot.

– Tu trembles, dit la princesse lorsqu'elle vit entrer l'Ombre. Qu'est-il arrive?

– Je viens d'assister a un spectacle navrant, repondit l'Ombre. Pense donc, mon ombre a ete prise de folie. Voila ce que c'est! A ma suite elle s'est toujours occupee de hautes sciences, et la tete lui aura tourne. Ne s'imagine-t-elle pas qu'elle a toujours ete homme? Mais il y a plus: elle pretend que je ne suis que son ombre!

– C'est epouvantable! s'ecria la princesse. Elle est enfermee, n'est-ce pas?

– Oui certes, dit l'Ombre. Je crains bien qu'elle ne se remette jamais.

– Pauvre ombre! dit la princesse. Elle doit etre fort malheureuse: un etre aussi mobile qui se trouve claquemure dans une etroite cellule! Ce serait probablement lui rendre un grand service que de la delivrer de son petit souffle de vie. Et puis dans ce temps de revolutions, ou l'on voit les peuples toujours s'interesser a ceux que nous autres souverains sommes censes persecuter, il est peut-etre sage de se debarrasser d'elle en secret.

– Cela me semble bien dur cependant, dit l'Ombre d'un air contrit et en soupirant; elle m'a servie si fidelement!

– J'apprecie tes scrupules, dit la princesse, et je reconnais une fois de plus combien tu as un noble caractere. Mais ceux qui sont charges d'une couronne ne peuvent pas ecouter leur coeur. Donc je m'en tiendrai a ce que j'ai pense.

Le soir, toute la ville fut illuminee splendidement; a chaque seconde retentissait un coup de canon. Les cris de joie du peuple se melaient aux

Le bruit etourdissant de la fete ne troubla pas le pauvre savant; il etait deja mis a mort et enterre.

Le papillon

Le papillon veut se marier et, comme vous le pensez bien, il pretend choisir une fleur jolie entre toutes les fleurs. Elles sont en grand nombre et le choix dans une telle quantite est embarrassant. Le papillon vole tout droit vers les paquerettes. C'est une petite fleur que les Francais nomment aussi marguerite. Lorsque les amoureux arrachent ses feuilles, a chaque feuille arrachee ils demandent:

– M'aime-t-il ou m'aime-t-elle un peu, beaucoup, passionnement, pas du tout? La reponse de la derniere feuille est la bonne. Le papillon l'interroge:

– Chere dame Marguerite, dit-il, vous etes la plus avisee de toutes les fleurs. Dites-moi, je vous prie, si je dois epouser celle-ci ou celle-la.

La marguerite ne daigna pas lui repondre. Elle etait mecontente de ce qu'il l'avait appelee dame, alors qu'elle etait encore demoiselle, ce qui n'est pas du tout la meme chose. Il renouvela deux fois sa question, et, lorsqu'il vit qu'elle gardait le silence, il partit pour aller faire sa cour ailleurs. On etait aux premiers jours du printemps. Les crocus et les perce-neige fleurissaient a l'entour.

– Jolies, charmantes fleurettes! dit le papillon, mais elles ont encore un peu trop la tournure de pensionnaires. Comme les tres jeunes gens, il regardait de preference les personnes plus agees que lui.

Il s'envola vers les anemones; il les trouva un peu trop ameres a son gout. Les violettes lui parurent trop sentimentales. La fleur de tilleul etait trop petite et, de plus, elle avait une trop nombreuse parente. La fleur de pommier rivalisait avec la rose, mais elle s'ouvrait aujourd'hui pour perir demain, et tombait au premier souffle du vent; un mariage avec un etre si delicat durerait trop peu de temps. La fleur des pois lui plut entre toutes; elle est blanche et rouge, fraiche et gracieuse; elle a beaucoup de distinction et, en meme temps, elle est bonne menagere et ne dedaigne pas les soins domestiques. Il allait lui adresser sa demande, lorsqu'il apercut pres d'elle une cosse a l'extremite de laquelle pendait une fleur dessechee:

– Qu'est-ce cela? fit-il.

– C'est ma soeur, repondit Fleur des Pois.

– Vraiment, et vous serez un jour comme cela! s'ecria le papillon qui s'enfuit.

Le chevrefeuille penchait ses branches en dehors d'une haie; il y avait la une quantite de filles toutes pareilles, avec de longues figures au teint jaune.

– A coup sur, pensa le papillon, il etait impossible d'aimer cela.

Le printemps passa, et l'ete apres le printemps. On etait a l'automne, et le papillon n'avait pu se decider encore. Les fleurs etalaient maintenant leurs robes les plus eclatantes; en vain, car elles n'avaient plus le parfum de la jeunesse. C'est surtout a ce frais parfum que sont sensibles les coeurs qui ne sont plus jeunes; et il y en avait fort peu, il faut l'avouer, dans les dahlias et dans les chrysanthemes. Aussi le papillon se tourna-t-il en dernier recours vers la menthe. Cette plante ne fleurit pas, mais on peut dire qu'elle est fleur tout entiere, tant elle est parfumee de la tete au pied; chacune de ses feuilles vaut une fleur, pour les senteurs qu'elle repand dans l'air.»C'est ce qu'il me faut, se dit le papillon; je l'epouse.» Et il fit sa declaration.

La menthe demeura silencieuse et guindee, en l'ecoutant. A la fin elle dit:

– Je vous offre mon amitie, s'il vous plait, mais rien de plus. Je suis vieille, et vous n'etes plus jeune. Nous pouvons fort bien vivre l'un pour l'autre; mais quant a nous marier… sachons a notre age eviter le ridicule.

C'est ainsi qu'il arriva que le papillon n'epousa personne. Il avait ete trop long a faire son choix, et c'est une mauvaise methode. Il devint donc ce que nous appelons un vieux garcon.

L'automne touchait a sa fin; le temps etait sombre, et il pleuvait. Le vent froid soufflait sur le dos des vieux saules au point de les faire craquer. Il n'etait pas bon vraiment de se trouver dehors par ce temps-la; aussi le papillon ne vivait-il plus en plein air. Il avait par fortune rencontre un asile, une chambre bien chauffee ou regnait la temperature de l'ete. Il y eut pu vivre assez bien, mais il se dit: «Ce n'est pas tout de vivre; encore faut-il la liberte, un rayon de soleil et une petite fleur.» Il vola vers la fenetre et se heurta a la vitre. On l'apercut, on l'admira, on le captura et on le ficha dans la boite aux curiosites.» Me voici sur une tige comme les fleurs, se dit le papillon. Certainement, ce n'est pas tres agreable; mais enfin on est case: cela ressemble au mariage.» Il se consolait jusqu'a un certain point avec cette pensee.»C'est une pauvre consolation», murmurerent railleusement quelques plantes qui etaient la dans des pots pour egayer la chambre.» Il n'y a rien a attendre de ces plantes bien installees dans leurs pots, se dit le papillon; elles sont trop a leur aise pour etre humaines.»

Papotages d'enfants

Dans la maison d'un marchand, de nombreux enfants se reunirent un jour, des enfants de familles riches, des enfants de familles nobles. Monsieur le marchand avait reussi; c'etait un homme erudit puisque jadis, il etait entre a l'Universite. Son pere qui avait commence comme simple commercant, mais honnete et entreprenant, lui avait fait lire des livres. Son commerce rapportait bien et le marchand faisait encore multiplier cette richesse. Il avait aussi bon coeur et la tete bien en place, mais de cela on parlait bien moins souvent que de sa grosse fortune. Se reunissaient chez lui des gens nobles, comme on dit, par leur titre, mais aussi par leur esprit, certains meme par les deux a la fois mais d'autres ni par l'un ni par l'autre. En ce moment, une petite soiree d'enfants y avait lieu, on entendait des enfants papoter; et les enfants n'y vont pas par quatre chemins. Il y avait par exemple une petite fille tres mignonne mais terriblement pretentieuse; c'etaient ses domestiques qui le lui avaient appris, pas ses parents qui etaient bien trop raisonnables pour cela. Son pere etait majordome, c'etait une haute fonction et elle le savait bien.

– Je suis une enfant de majordome, se vantait-elle.

Elle pouvait aussi bien etre la fille des Tartempion, on ne choisit pas ses parents. Elle raconta aux autres qu'elle etait «noble» et affirma que celui qui n'etait pas bien ne n'arriverait jamais a rien dans la vie. On pouvait travailler avec assiduite, si l'on n'est pas bien ne on n'arrivera a rien.

– Et ceux dont les noms se terminent par sen, proclama-t-elle, ne pourront jamais reussir dans la vie. Devant tous ces sen et sen, il n'y a plus que poser ses mains sur les hanches et s'en tenir bien a l'ecart!

Et aussitot elle posa ses jolies petites mains a sa taille, les coudes bien pointus pour montrer aux autres comment il fallait traiter ces gens-la. Quels jolis bras avait-elle! Une petite fille tres charmante!

Or, la fille de monsieur le Marchand se mit en colere. C'est que son pere s'appelait Madsen et c'est aussi, helas! un nom en sen; elle se gonfla et declara avec fierte:

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